
Salutations,
Voici un autre texte respectant les trois ordres pour commencer cette journée.
Mission de rang SS
Dans le village de Saint-Verrin, les étés étaient autrefois doux et brefs, cueillis comme des fruits mûrs avant l’arrivée de l’automne. Mais cette année-là, l’été refusait de mourir. Le soleil semblait figé dans le ciel, suspendu dans une lumière dorée étouffante. Les rivières s’étaient taries, les cultures pourrissaient debout, et le silence s’était installé partout, lourd, gluant.
Tous les jours, les corbeaux arrivaient par centaines. Trop intelligents, trop calmes. Ils se posaient sur les toits, les clochers, les rebords de fenêtres. Leurs yeux brillaient de quelque chose de plus ancien que l’instinct animal. On racontait, à voix basse, que la sorcière Agathe, autrefois brûlée sur la place du village, était revenue. Certains juraient l’avoir vue dans les bois de Sélène, entre les branches tordues, parlant à ses bêtes, les mains plongées dans la terre. Sa maison, jadis en ruines, semblait s’être relevée, comme animée d’un souffle nouveau. Les ronces autour bougeaient au rythme de ses pas. Le 31 août, pour conjurer la peur, les villageois organisèrent une veillée. Ce devait être une fête de fin d’été. Mais tous savaient qu’il ne s’agissait que d’un écran de fumée. L’horloge du clocher marqua minuit. Le ciel, pourtant clair, se fissura d’un bruit sec. Une pluie de plumes noires s’abattit sur la place.
Une silhouette sortit de l’ombre. Agathe. Mais changée. Plus humaine tout à fait. Sa robe flottait sans vent, son regard était doré comme les pupilles d’un corbeau. Derrière elle, un cercle de ses familiers, hauts comme des hommes, marchaient sur deux pattes, croassant dans un langage oublié. Les villageois reculèrent. L’air vibrait. L’herbe sous leurs pieds flétrissait. Agathe leva une main, marquée d’une cicatrice noire, brûlée à l’envers, comme si le feu avait été aspiré dans sa chair. Une lueur verte suinta de la terre, formant des symboles anciens autour d’elle.
-L’été est mort, dit-elle. Mais vous avez voulu le retenir. Alors il restera. Pour toujours.
Le climat implosa. Le temps se tordit. Une seconde d’obscurité, puis le monde changea. Le village fut recouvert d’une chaleur irréelle. Les fleurs fanées repoussèrent d’un coup, éclatantes mais pourries. Le ciel se divisa en trois couleurs : rouge, or, indigo. Des arbres sortirent du sol en tremblant. Les corbeaux prirent leur envol, formant une spirale au-dessus d’Agathe, une horloge ailée, tournant à l’envers. Les villageois s’effondrèrent, piégés dans des visions. Certains se virent enfants à jamais, d’autres se desséchèrent comme des feuilles d’automne en une minute. Le temps ne coulait plus : il s’enroulait.
Isolée dans ce monde figé, Agathe s’assit au centre de la place. Le sable tourbillonnait autour d’elle, alors même qu’il n’y avait jamais eu de désert à Saint-Verrin. Une odeur sucrée de vanille emplissait l’air, douce, obsédante, nauséabonde. Depuis, nul ne peut approcher le village. Ceux qui s’en approchent trop entendent un écho, comme un rire, mais aussi comme le tic-tac d’une horloge ancienne, battant dans le ciel. Et à chaque dernière nuit d’été, le vent change, les oiseaux fuient… sauf les corbeaux. Et leurs yeux brillent d’or.
Mes commentaires
Aimyyy: Intrigante et sombre à la fois cette histoire. J’ai bien aimé ce rituel qui avait tout de même l’air dangereux afin de rétablir l’ordre des saisons. Je me demande si Ewelein va bien après cela.
Shimy: J’ai beaucoup aimé ton texte. Je trouve ça rigolo que l’on puisse imaginer que nos villes actuelles puissent devenir des ruines et que nos objets du quotidien deviennent des reliques revendus au marché noir. J’espère que Lupella réussira à retrouver sa famille.
Bonne lecture.

« Illusion is Mine »
Dernière modification par Khidra (Le 24-07-2025 à 11h38)
