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Ô, Mère, je vous en prie : sauvez-moi de ce monde.
Par le sang,
Par les larmes,
Par la vie,
Par la chair,
Par les os,
Arrachez-moi à ces terres insipides, à ces saisons stériles, à ce soleil si fade et à ces nuits de cauchemars.
Que ce chemin de papiers qui accueille mes pas se change en sentier, et que l'air que je respire devienne un souffle de vie.
Ô, Mère, je vous en prie : sauvez-moi de ce monde.
Pour le sang,
Pour les larmes,
Pour la vie,
Pour la chair,
Pour les os,
Je vous remets mon or et mon âme.
Pendant que le tumulte des âmes en train de s'embraser de colère transforme la petite rue pavée en antichambre des flammes, une jeune ciralak s'avance.
Ses pattes silencieuses caressent les pierres inégales pendant que sa gueule serre un morceau de parchemin, comme le plus précieux des trésors.
Son cœur félin bat la mesure de la tension qui marque l'atmosphère, pendant que ses yeux d'or ne quittent pas son objectif.
Il le sait. C'est à elle, qu'elle doit remettre son présent. À elle et personne d'autre.
À cette femme semblable à une montagne de bronze, en train de subir la tempête des soldats sans broncher. Mais elle est forte, tout le monde le sait.
La ciralak s'assoit sur son petit derrière. Il lui suffit d'attendre la dernière note de cette cacophonie des bas-quartiers et ensuite, elle accomplira sa mission.
C'est la volonté de son jeune maître.
Ses crocs manquent de percer le papier lorsqu'elle raffermit sa prise. Oh, comme elle craint de le laisser s'envoler !
Elle ne peut pas.
Ce parchemin, c'est peut-être la clé qui libérera son jeune maître de sa cage aux tristes merveilles.
Sauve-le.
A tous les enfants d'EldaryaAvant de poster un message :
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les règles du forum
Bonjour et bienvenue sur mon topic de fanfiction !
Mais vers quel genre d'endroit t'as mené ce lien si étrange, sur lequel tu as cliqué ?
La première réponse, c'est vers une rencontre entre deux univers. Le mien, et celui d'Eldarya.
Ici, j'ai repoussé les frontières de la cité d'Eel pour peindre d'autres paysages avec mes mots et ainsi t'offrir cette histoire, petit lecteur. Tu suivras les pas de certains personnages que tu connais déjà, mais que tu vas peut-être redécouvrir, et d'autres que tu vas rencontrer.
Mais où te mèneront leurs aventures ? Eh bien… c'est à toi de décider.
La seconde réponse, donc, c'est vers une fiction interactive.
Qu'est-ce qu'une fiction interactive ? Je m'explique :
Toi, cher lecteur, en atterrissant sur cette fiction telle une jeune demoiselle ou un jeune damoiseau dans un cercle de champignons, tu t'es vu doter d'un immense pouvoir :
celui de choisir.Cette fiction est un entrelacs de plusieurs routes, qui seront déterminées par les choix effectués par les lecteurs à chaque fin de chapitre.
Ces derniers détermineront le sort des personnages de l'histoire ainsi que leurs évolutions au sein de cette fiction.
Grâce à vous ou à cause de vous, tout ce petit monde vivra des aventures qui mettront leurs vies en danger, ou bien qui garantiront leur survie jusqu'au point final de cette épopée.
Tu as compris : ici, toi et les autres lecteurs avez une mission.
Vous devez sauver le monde ! Rien que ça !
Mais comment s'y prend-t-on ? Avec quelques mécaniques bien huilées !
Bien, maintenant que tu es déterminé à sauver le monde, je vais t'expliquer comment faire.
Tu as compris que les choix étaient les pièces maîtresses de cette fiction et que c'est uniquement grâce à eux que l'histoire peut avancer.
Eh oui, cher lecteur ! Toi et tes congénères êtes extrêmement importants. Si vous n'êtes pas là, cette histoire ne reste qu'une histoire au creux de ma tête et l'aventure s'arrête ici.
Ce sont vos décisions qui permettent de lui donner vie et pour ça, vous méritez des cookies !
Bref, on a un monde à sauver, nous !
Mais comment ça marche ?
À chaque fin de chapitre, des choix types "a,b,c" seront proposés. Parmi les réponses, il ne faudra en choisir qu'une seule en vous appuyant sur les indices donnés dans le chapitre. Pour être certain ou certaine de faire le bon choix, il faudra simplement vous aider de la narration et essayer de visualiser les conséquences des actes ou des paroles du, ou des personnages, concerné ( s ) par le choix.
Chaque lecteur devra sélectionner la réponse qui lui semble appropriée et c'est la majorité qui l'emportera. Un lecteur compte pour une voix.
Si jamais il y a égalité, alors c'est un générateur qui décidera.
Même si la mécanique a l'air simpliste, sachez qu'il pourra y avoir plusieurs choix à faire par chapitre et que ces derniers pourront, non seulement déterminer l'issue de l'histoire, mais également les amitiés de certains personnages, leurs amours et même leurs ennemis.
Tu l'as compris, cher lecteur, toi et tes congénères décidez de tout dans cette fiction.
Bien entendu, il y aura des relations préétablies entre certains personnages, mais un seul faux pas et elles volent en éclats. C'est peut-être une bonne chose, parfois…
Tu es prêt, tu es prête ? Alors le prologue t'attends avec ton premier choix ! Mais avant cela, j'annonce quelques petits changements !
"Apotheosis" s'appuie sur l'univers d'Eldarya que nous avons tous découvert avec les épisodes du jeu, c'est un fait.
Cependant, j'ai choisi de modifier quelques points importants et pour la bonne compréhension de cette fiction, je vais vous les énumérer sous un spoiler.
TRÈS IMPORTANT : si vous n'avez pas terminé les épisodes de
"The Origin", je vous déconseille très fortement de dérouler le spoiler, au risque de vous gâcher des révélations sur l'histoire originale !
Si malgré tout vous décidez d'assouvir votre curiosité, alors c'est à vos risques et périls !
Modifications Importantes
➜ Nevra n'a pas de sœur. Karenn n'existe pas dans "Apotheosis".
➜ Valkyon n'a pas de frère. Lance n'existe pas dans "Apotheosis".
EDIT du 03/03/2022 : Pour le bon déroulement de l'histoire et la volonté d'attirer l'attention des lecteurs et des lectrices sur un point important, j'ai décidé de revenir sur ce point. Ainsi, vous lirez le nom de Lance dans Apotheosis, car ceci est important pour un point majeure de l'histoire et beaucoup plus parlant pour vous qu'un personnage inconnu, mais vous ne rencontrerez jamais Lance dans Apotheosis.
Seul son nom est présent et mentionné.
➜ Valkyon est un faelien à l'ethnie indéterminée et non un dragon.
➜ Leiftan est un lorialet et non un Daemon.
➜ L'Eldarya qui vous sera présenté est un monde plus sombre. Ne vous attendez pas à la même ambiance que le jeu original.
Aussi, j'en profite pour dire que certaines scènes, susceptibles de choquer les âmes sensibles, seront bien évidemment censurées sur le forum.
Cependant, un lien vers un Google Doc contenant la scène non censurée sera mis à disposition sous spoiler.
Des
"Trigger Warning" seront bien évidemment visibles avant le spoiler pour vous prévenir du côté sensible des scènes.
Aller, je suis un grand bavard, alors laissez-moi vous parler de ce forum. Non, vraiment c'est important, car je vais profiter de ce petit passage pour introduire nos invités et leur glisser un petit mot.
Voilà presque cinq ans que je traîne mes guêtres sur Eldarya, et durant ces cinq années, j'ai pu rencontrer de très belles personnes ici. Oui, même toi là-bas qui te cache dans le fond, petit ermite, sache que tu es quelqu'un de formidable !
Non, c'est vrai ! Eldarya et son forum, c'est un petit peu un ciel avec pleins de petits joueurs pour faire les étoiles. Certaines d'entre elles sont devenues mes amis et j'avais envie de leur rendre hommage.
Pour saluer leurs univers et leurs OC extraordinaires, je leur ai dédié une petite place dans mon propre monde.
MayaShiz et Waïtikka, deux superbes rencontres dans cet endroit débordant de créativité, et deux personnes chères à mon cœur.
Vous m'avez permis de m'améliorer dans ce vaste monde qu'est l'écriture, vous m'avez aidé et soutenu, alors je tiens à vous rendre la pareille avec cette histoire que je vous dédie.
Je prendrai soin de vos personnages comme s'ils étaient les miens et je vous propose de découvrir leur évolution dans cette vaste histoire qu'est "Apotheosis".
Sachez qu'à mes yeux, vous êtes des artistes et des écrivains exceptionnels, alors ne lâchez jamais votre plume !
Waïtikka, tu es une personne extraordinaire ! Tu débordes de gentillesse et de douceur, et tu es quelqu'un qui écoute beaucoup et qui fait de son mieux pour aider autrui. Tu es le grand frère vers qui l'on peut se tourner lorsque l'on a besoin d'un conseil et surtout, tu es vraiment la personne qui m'a permis de me réconcilier avec l'écriture, grâce à tes judicieux conseils. T'es le boss du game à mes yeux et surtout un super poto que je peux citer parmi mes plus belles rencontres sur ce jeu !
MayaShiz, tu es l'une de mes plus belles rencontres sur Eldarya et tu fais, aujourd'hui, partie de mes meilleurs amis. Tu es une personne super cool, rigolote et on se retrouve tout le temps sur la même longueur d'onde, haha ! Tu es quelqu'un de formidable, pétillant, brillant et chaque jour je remercie ma flemme légendaire qui m'a conduite vers le Bastion, et surtout sur ce topic temporaire. Sans quoi, je ne t'aurais jamais rencontré ! Merci pour ta créativité et tes conseils en écriture et merci d'être la personne que tu es !
Pour vous deux, je vous dédie ce projet.Place à vos bébés !
June Albalefko
Dessin par MayaShiz
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Fawkes
Dessin par Waïtikka
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Lilymoe
Dessin par ZuzoHyo
Parce que MayaShiz, ZuzoHyo et Waïtikka sont respectivement la maman et le papa de leurs personnages, leurs voix pour les choix concernant ces derniers compteront double.
Je ne vous en dis pas plus sur ces fameux invités, au risque de spoiler, mais je vous laisse les découvrir dans "Apotheosis" !
À présent, je vais enfin vous laisser avec le prologue. Ce dernier vous offrira la possibilité de plonger un petit peu sous la surface de l'histoire mais surtout : il vous offrira l'occasion de faire votre premier choix.
J'espère que vous serez conquis par ma petite histoire et que vous y participerez avec plaisir ! C'est également une expérience pour moi, que de proposer ce genre de projet sur un forum et en tant qu'auteur je suis un petit peu comme vous : je vais bien voir où ces chapitres vont me guider !
Sachez que mes MP restent ouverts, que ce soit pour des petites questions ou simplement pour discuter. Mais une chose : je suis incorruptible, alors n'essayez pas d'obtenir les bonnes réponses avec des cookies !
Mais surtout : amusez-vous. Ce projet est là pour ça. C'est un lieu de partage où la bonne humeur doit avoir sa place, alors même si vous faites de mauvais choix, ne prenez pas les choses trop à cœur. Ce n'est pas grave !
Demain, le soleil se lèvera et vous vous en remettrez, je vous assure !
Alors voyez cette petite fiction comme le café, le bar ou le salon de thé où vous venez vous détendre après une journée bien chargée, car elle est là pour ça !
Je vous souhaite une bonne lecture à toutes et à tous !
La Liste des Aventuriers d'Apotheosis
Waïtikka
Kikidamours
MayaShiz
Caprix
ZuzoHyo
Lethos
Serenata
Florianne
Alric-Sasheris
La Carte du Monde d'Eldarya
Les Annexes
Les Jours de la Semaine
Lundi : Talez
Mardi : Marim
Mercredi : Nephilum
Jeudi : Azuj
Vendredi : Vega
Samedi : Suhel
Dimanche : Yadi
Les Mois de l'Année
Janvier : Techav
Février : Midag
Mars : Hetal
Avril : Roch
Mai : Mimouet
Juin : Sartane
Juillet : Arieh
Août : Toulab
Septembre : Nazmoyim
Octobre : Vraka
Novembre : Teshek
Décembre : Dig
Les Règles Du Cartel Des Typhons
Règle numéro 1 : Chaque membre du cartel doit se rendre au quartier général une fois par jour pour recevoir ses ordres.
Règle numéro 2 : Ne jamais emprunter la ruelle du dépotoir aux déchets. Toujours se servir des portes de couleurs.
Règle numéro 3 : Le cartel des Typhons ne doit tuer que pour protéger une vie.
Règle numéro 4 : Les membres du cartel qui s'adonnent au commerce ou à la fabrication de substances illicites seront bannis.
Règle numéro 5 : Le chef du cartel des Typhons donne les ordres, choisit ses partenaires de commerce et distribue les missions. Mais les décisions importantes se prennent en groupe et se votent à la majorité.
Règle numéro 6 : Le chef ou la cheffe du cartel des Typhons ne doit jamais imposer son opinion pendant les réunions. Il ou elle doit respecter la majorité du vote et agir en conséquence.
Règle numéro 7 :
Règle numéro 8 :
Règle numéro 9 :
Règle numéro 10 : Le chef ou la cheffe du cartel doit garantir la protection des membres du cartel en échange de leur loyauté.
Prologue
Tu le vois ? Il vous manque une…
Je sais pas, elle a rien dit.
Non, non ! Tu rêves ! Tiens, la patrouille est de sortie. Je te crois pas !
Planque ça, si tu veux pas qu'on te le pique ! Nell..
Laisse-moi ! … avait pas. Tsss… Circulez ! T'as rien…
Eh ! Att… Lui dit pas… … Va chialer. Diana ?
Circulez ! … Se croient tout permis. Ils…
Attendez ! … Tout perdu. Tout perdu hier, j'te dis !
Nell… ! Broderies des Côtes de Jade ! Approchez !
Encore de la… Circulez !
NELL… Il y en a plus, fallait venir avant ! A... Tsss… toujours pareil ...DEL
...Chef de la Garde de l'Ombre… Circulez !
Tiens, la parade ! … Et ta femme ? ...veux cinq.
Merci. Circulez ! Circulez ! Des gratte-papiers, c'est sûr !
… Pas vu, t'inquiète pas. … Le joyau sur la couronne, quoi.
CIRCULEZ ! … Les Alfirin ! Eh, mes sacs !
Circulez ! Circulez ! … "Circulez", tsss, de vrais pantins ! Bouge de là !
Cheffe ! Cheffe ! … Vraie merveille. Un carrosse sur une rivière d'or.
CIR…
...CU…
...LEZ
…
B.O.U.G.E
« Non. »
Sa voix est un marteau qui vient cogner l'orichalque d'une armure et sa silhouette ressemble à un caillou face à une montagne.
Adossée contre le mur crasseux de cette ruelle des bas-quartiers de la plus grande cité d'Eldarya, elle est la nonchalance incarnée.
Mais ce n'est pas vrai. Tout le monde le sait.
Lui, le premier.
"Lui", c'est ce soldat, c'est la montagne. Un orc bien bâti par des années de discipline ainsi qu'une allégeance aux êtres tapis dans la litière, derrière lui.
Comme tous ses semblables, il a des cheveux sombres, la peau cuivrée et la mâchoire saillante. Ses deux petits crocs, retranchés derrière sa lèvres inférieure, s'apparentent à des défenses d'ivoire. Lorsqu'il s'agace, l'orc se retient de gronder.
Un soldat qui sert la prestigieuse famille "Alfirin" n'est tout de même pas une bête et encore moins un barbare.
Là, confiné dans son épaisse armure d'orichalque, il fait face à un obstacle qui refuse de se soumettre à l'ordre qu'il beugle depuis un long moment, en fendant la foule.
Il se pense peut-être capable de séparer un continent en deux, rien qu'à la force d'un "circulez !".
Mais elle, elle s'en moque.
"Elle", c'est la troll adossée à son mur. C'est le caillou sombre taillé dans de l'onyx, dont les billes de charbon toisent son assaillant sans sourciller.
Elle est le barrage aux cheveux tressés qui glissent sur son corps massif comme des serpents de terre, de paille et de bronze. Elle paraît si misérable dans ses habits troués et délavés, certes, mais elle est digne.
Même la foule bordant la rue pavée, même le grand soldat d'orichalque et même la litière aux merveilles qui attend son droit de passage ne lui font pas baisser les yeux.
L'orc fixe la troll.
Son visage a été taillé à coups de burin, ses longues oreilles lui font songer aux ailes d'un crylasm et si ses lèvres pulpeuses se retroussent, il sait qu'il y trouvera des dents pointues.
Son mur crasseux lui sied, c'est vrai, mais les Alfirin attendent.
"Circulez !" va-t-il dire.
« La rue est bien assez grande pour l'illustre carrosse de tes maîtres, crache-t-elle, alors circulez et disparaissez du quartier avec votre or. »
Ses yeux noirs luisent de colère. Le soldat, la litière, le cortège tout entier… ils incarnent tout ce qu'elle déteste.
Ils se prennent pour le soleil des pauvres qui les regardent passer, les yeux vides et un sourire stupide accroché à leurs lèvres, comme des familiers face à une nuée de lucioles.
Ils pensent que leur parade ridicule est un cadeau pour la crasse de la cité, alors ils se permettent d'arrêter leur ballet misérable pour gratifier les pavés sales de leurs pas.
En exhibant des richesses que la population des bas-quartiers ne peut que rêver d'effleurer.
Et quelles richesses…
Elle jette un bref regard sur la litière. Elle a l'air tout droit tirée du rêve d'un artiste aux mains miraculeuses.
Cet écrin à bijoux transporte l'une des trois familles les plus fortunées d'Eldarya et brille par la finesse de ses matériaux.
Orichalque couvert d'or, bois précieux et quatre orcs pour transporter le tout. On a même cru bon de peindre un splendide paysage de forêt sur les portières… on a presque l'impression de s'y perdre en s'attardant sur les couleurs et les détails…
Deux lourds rideaux de soie, d'un vert impérial, masquent les Alfirin d'un décor qui ne les concerne pas. Ils ne font que traverser après tout.
Elle a un rictus qui découvre un croc, émet un sifflement dédaigneux et s'entête :
« Partez ! »
Mais le soldat n'est pas d'accord.
Cette situation l'agace au plus haut point, lui qui déteste ramper dans les rues des bas-quartiers comme un ver. Il sent moult paires d'yeux sur sa nuque et parmi elle, il devine les prunelles céruléennes de Ciryandil Alfirin, ainsi que le regard noisette de son jeune fils, Sheraz.
Il ne peut pas courber l'échine devant cette troll qui se prend pour la déesse des miséreux.
Yüljet Bianka, dit "Titan".
Il sait qui elle est. Tout le monde sait qui elle est et personne ne viendra lui demander de laisser passer la superbe litière.
Personne n'osera.
Sauf le soldat qui se croit intouchable sous son orichalque.
Si la foule qui les entoure est un océan, alors l'orc et Yüljet en sont les remous et l'orage éclate lorsque la troll ose prononcer ces mots :
« Si tes maîtres veulent passer, qu'ils descendent de leur carrosse pour me le demander eux-mêmes. Mais la rue n'est peut-être pas assez large pour leurs cul pompeux. »
La cohue retient son souffle mais il est trop tard : le vent se lève et les voix aussi.
La rue pavée des bas-quartiers n'est plus qu'un couloir de décibels et bientôt, des murmures ainsi que des conversations à demi-mots viennent se joindre au chaos.
La parade de la famille Alfirin est toujours un spectacle mais aujourd'hui, c'est un véritable théâtre !
La litière a rejoint le sol et deux porteurs sont venus prêter main forte au soldat. Peut-être qu'à trois orcs confinés dans de l'orichalque, ils parviendront à intimider Yüljet.
Ils peuvent rêver.
D'ordinaire, la litière des Alfirin parvient à se frayer un chemin sans encombres. La foule devient un mur de figures admiratives et derrière leurs beaux rideaux, Ciryandil et son fils adressent des sourires timides à toutes ces personnes.
Mais aujourd'hui, Yüljet est là et lorsqu'elle commence à en venir aux mains avec les orcs, c'est une seconde décisive qui marque le temps.
Tapis dans son bel écrin, il y a une elfe sylvestre de trente-huit ans qui braque ses yeux bleus vers l'altercation. Ses mains d'ivoire couvrent sa bouche délicate et son cœur s'accélère en imaginant le pire.
Elle voudrait être ailleurs mais malheureusement, la richesse de sa litière et de ses atours ne peuvent pas exaucer son souhait, alors aussi précieuse soit-elle, Ciryandil est vouée à rester plantée sur les pavés de cette rue crasseuse.
Dans le carrosse aux merveilles, il y a aussi Sheraz Alfirin. Son jeune fils de vingt-deux ans, accompagné de sa fidèle ciralak, Céleste.
Lorsque la tempête s'est levée, il a vu la seconde. Il a su que c'était maintenant.
Pendant que la troll et les orcs se menacent, pendant que la foule s'agite, pendant que sa mère assiste au tumulte, Sheraz profite des remous et lance une bouteille à la mer.
Personne ne remarque la portière de la litière qui s'entrouvre en créant une faille dans la forêt peinte, personne ne prête attention à la ciralak qui se glisse parmi l'attroupement.
Céleste est intelligente. Elle sait ce qu'elle a à faire.
Serrant un petit morceau de parchemin dans l'une de ses gueules, ses yeux d'or cherchent leur objectif. Ils le trouvent facilement.
C'est la femme à la peau brune qui se dresse contre les soldats. C'est celle qui se fait appeler "Titan".
Céleste louvoie entre les corps, les tuniques et les sacs besaces pour se trouver un coin tranquille et attendre la fin de la discorde. Ensuite, elle se collera aux pieds de la troll et la suivra jusqu'à lui remettre le message du jeune maître.
Il tient peut-être la clé de sa liberté et la ciralak ne peut que prier pour lui.
Elle s'assoit et patiente.
Titan est peut-être emplie de hargne, elle reste seule face aux trois orcs. Céleste la regarde valser contre le mur où elle se tenait adossée et ses lèvres se tordent en une grimace de douleur.
Les soldats ont enfin maîtrisé Yüljet et c'est ce que Ciryandil croit. Mais la foule, quant à elle, pense que Yüljet s'est finalement lassée de son petit jeu et a choisi d'y mettre un terme.
Qu'importe : la seconde décisive s'est dissipée et le temps reprend son ballet.
Les deux porteurs retournent à la litière, le soldat ouvre la marche et la parade peut, enfin, achever son spectacle. Le rideau tombera lorsqu'elle se sera hissée dans les riches quartiers de la cité, non loin du grand palais.
On regarde le cortège s'éloigner, on s'extasie encore une fois sur la beauté du joli carrosse des Alfirin, puis on retourne à son quotidien.
La tension s'en est allée avec les soldats, alors la rue pavée peut souffler.
Yüljet Bianka pousse un soupir en se laissant glisser contre le mur. Ses muscles se relâchent et ses nerfs se détendent, mais la hargne ne la quitte jamais.
Ce qu'elle vient de faire est stupide et elle en est consciente, mais elle aime rappeler sa présence aux soldats d'Odrialc'h, la plus grande cité d'Eldarya.
Ils savent qui elle est. Même les Alfirin le savent. Et un jour, sa tête tombera.
Un rictus vient ourler ses lèvres pleines : elle n'est pas encore morte et il est bien loin, le couperet qui mettra un terme à sa vie.
La troll s'apprête à se redresser lorsqu'un miaulement aigu attire son attention. Elle tourne la tête, surprise et ses yeux noirs se plissent lorsqu'elle avise six perles d'or.
Six perles d'or et un pelage d'un vert sombre.
Ses queues fouettant l'air, un ciralak la dévisage et Yüljet se tend alors qu'un puzzle étrange se forme dans son esprit.
Les ciralak sont des familiers de luxe. Si l'un d'entre eux se tient face à elle, en cet instant, alors il est facile de deviner d'où il vient.
Tombé de la litière des Alfirin ? Peut-être. Mais elle se trompe. Elle le comprend quand elle remarque un petit morceau de parchemin plié en quatre, siègeant dans l'une des trois gueules.
Yüljet regarde le familier et le familier regarde Yüljet.
Il attend quelque chose. Il attendra longtemps, s'il le faut, quitte à trottiner derrière la troll jusqu'au cœur d'Odrialc'h.
Au fond de ses yeux d'or, il y a une détermination sans faille, mais aussi autre chose. Une étincelle que seul Sheraz parvient à lire, puisqu'elle lui est destinée et c'est elle qui permet à Céleste de s'adresser à Titan, aujourd'hui.
Avec lenteur, cette dernière lève une grande main brune et offre sa paume au familier, qui se déleste de son trésor.
Sa mission est accomplie alors à présent, Céleste va prier.
Elle ouvre des yeux grands comme des soucoupes afin de ne pas perdre une miette de la scène. Elle veut décrypter chaque détail du visage de Titan pour mieux mettre des mots sur les émotions qui vont se manifester, et ainsi espérer.
La troll déplie le parchemin, puis elle se fige. La stupeur vient marquer ses traits alors que ses mains froissent le papier.
D'instinct, Yüljet fait quelque pas, son regard se lançant à la poursuite de la litière qui à déjà disparue. Tant pis : elle lève la tête à s'en briser la nuque, pour fixer le sommet de la cité.
Là où se tiennent les riches quartiers ainsi que le grand palais.
Céleste voit sa poitrine se soulever, entend ses larges poumons brasser de l'air pendant qu'elle devine les rouages de son esprit s'activer sous son crâne.
Titan est en train de prendre une décision.
Là, fermement campée sur ses pieds, ses semelles épaisses semblant écraser les pavés de la rue, elle ressemble à un pilier.
Elle transpire une dignité et une volonté flamboyante et nul doute que Céleste ne s'est pas trompée : elle vient de confier les espoirs de son jeune maître à Yüljet Bianka, dit "Titan".
La cheffe du cartel des Typhons.
« Eh.»
Céleste redresse ses trois têtes. Yüljet a déjà commencé à marcher et la troll lui adresse un signe de la main.
Viens.
La ciralak ne sait encore si son jeune maître est sauvé, mais peut-être que l'on va essayer. Peut-être…
Tout en souplesse, Céleste détend ses pattes arrière et bondit vers sa nouvelle compagne. Ses yeux d'or attrappent son poing serré, en train d'étouffer le parchemin qui doit former une balle imparfaite.
Depuis sa litière et seulement armé d'un morceau de fusain, Sheraz n'a pas eu le temps d'écrire grand-chose.
Deux mots tracés à la va-vite avec des lettres qui ont bavées.
Sauve-moi.
***
À présent, il est temps de faire votre premier choix, et pas des moindre ! En effet, ce dernier va vous suivre durant toute la fiction et il vous sera impossible d'en changer.
Alors réfléchissez bien !
Choix du Prologue : de quel point de vue souhaitez-vous suivre l'histoire ?
➜ Le point de vue de Yüljet Bianka, dit "Titan".
➜ Le point de vue de Sheraz Alfirin.
Chaque point de vue possède ses avantages ainsi que ses inconvénients. Pour vous aider, je vais les lister sous spoiler et ensuite, à vous de faire votre choix !
Yüljet Bianka, dit "Titan"
Suivre "Apotheosis" du point de vue de Yüljet vous offrira des paysages ainsi que des voyages. Il vous sera possible de découvrir des personnages dans d'autres cités que celle d'Odrialc'h, puisqu'étant la cheffe du cartel des Typhons, Yüljet possède des complices dans tout Eldarya.
Néanmoins, les choix à effectuer du point de vue de Yüljet seront complexes et il vous sera bien difficile de parvenir à vous immiscer parmi les riches quartiers afin de sauver Sheraz. Il faudra faire preuve d'ingéniosité.
Le point de vue de Yüljet vous apporte beaucoup de liberté, certes, mais trop de choix peut tuer le choix.
Sheraz Alfirin
Suivre "Apotheosis" du point de vue de Sheraz vous apportera un espace confiné. Vous serez enfermé dans des cages dorées avec l'accès à des informations importantes, mais il vous sera très difficile de les faire circuler à l'extérieur.
D'ailleurs, cet extérieur ne vous sera pas accessible si vous ne faites pas les bons choix.
Le point de vue de Sheraz est intense par les vérités que l'on peut apprendre, mais complexe par la manière dont on peut les utiliser, au travers des choix. De plus, beaucoup de vie seront en jeu et il est certainement terrible de connaître le sort réservé à un personnage sans être certain que l'on puisse faire quelque chose pour l'en empêcher…
Du point de vue de Sheraz, vous n'avez presque pas de liberté et c'est à vous de la gagner. Mais saurez-vous seulement repérer l'aide extérieure pour vous sauver, sans la confondre avec ceux qui veulent vous manipuler ?
Chapitre 1 - Le Cartel Des Typhons
Bonjour et bienvenue dans ce nouveau chapitre !
Avant de commencer, je tiens à préciser que le topic de présentation a subi une petite mise à jour, puisque nous accueillons un nouvel invité : lilymoe, le personnage de ZuzoHyo !
Ce personnage avait déjà sa petite place dans le projet, lorsqu'il a été conçu quelques années auparavant, alors c'est un grand plaisir pour moi de l'accueillir !
De ce fait, les invités sont au complet !
ZuzoHyo, bienvenue à toi et à ton lilymoe. J'espère que tu apprécieras de voir évoluer ton personnage dans cette histoire et que ses aventures te plairont !
Tu y avais ta place il y a quelques années, et tu l'as toujours. Voilà qu'Apotheosis a deux adorables renards, maintenant !
À présent, place au chapitre et bonne lecture à vous !
⁂
La Place des Échanges est le quartier le plus animé d'Odrialc'h et pour cause : c'est le cœur de la cité.
Si l'on sait se servir de ses yeux ainsi que de ses oreilles correctement, il est possible de capturer des informations si précieuses qu'elles valent de l'or.
Entourée d'habitations aussi hautes que des géants, la Place des Échanges est un marché qui brasse de l'argent au rythme des secondes, dans une guerre de slogans criés à tue-tête.
Souvent, des étrangers venus par delà les mers d'Eldarya viennent se joindre au combat, après avoir triomphé d'une douane implacable.
Pour un touriste en train de visiter Odrialc'h, ce marché est un véritable labyrinthe de bruits, d'odeurs et d'espèces en train de flâner entre les étals.
Mais pour Yüljet, c'est une bonne occasion de disparaître pour mieux filer vers sa planque.
Malgré le vent frais qui s'engouffre dans les ruelles, la troll voyage bras nus. Quelques regards curieux s'attardent sur le paquet étrange qu'elle tient dans ses bras, emmitouflé dans une veste qu'elle portait quelques minutes plus tôt.
Une précaution non négligeable.
Nul besoin de coudes pour se creuser un chemin dans la foule, car sa démarche pressée lui ouvre la voie et ses grandes mains brunes sont crispées sur son précieux chargement.
Dissimuler le ciralak aux yeux d'autrui a été une évidence mais maintenant, il lui faut regagner sa planque et ordonner une réunion.
Les membres du cartel s'y rendront aussi.
Règle numéro 1 : Chaque membre du cartel doit se rendre au quartier général une fois par jour pour recevoir ses ordres.
Par bonheur, le ciralak a la bonne idée de ne pas miauler. Ainsi, Yüljet peut poursuivre sa chute et mieux s'enfoncer dans la quintescence de la misère.
La cité d'Odrialc'h est une montagne : la richesse s'étend au sommet et la pauvreté grouille à ses pieds. Les quartiers sont empilés les uns sur les autres et puisque le Gouverneur Suprême a interdit l'utilisation de familiers pour se déplacer, alors la population voyage d'un quartier à un autre grâce à de petits aéronefs.
Loués sont les ingénieurs qui effectuent quotidiennement la maintenance des brûleurs, des sangles, des nacelles et des enveloppes pour la population qui a les moyens d'emprunter ces engins.
Quand on ne se promène pas dans une litière dorée, évidemment…
Les semelles de Yüljet claquent sur les escaliers inégaux qui l'emportent vers les enfers d'Odrialc'h et les silhouettes des premiers démons commencent à apparaître.
Le nez de la troll n'est que trop habitué aux odeurs qui règnent en ces lieux, mais elle devine ceux des ciralak en être incommodés.
Les démons de la plus grande cité d'Eldarya sont ceux qui ne peuvent se hisser ni au sommet, ni aux bas-quartiers. Ce sont des êtres enveloppés dans des capes de voyages qui ne les emmènent nulle part et des corps décharnés empoisonnés par des substances fabriquées par les ennemis du cartel des Typhons.
Règle numéro 4 : Les membres du cartel qui s'adonnent au commerce ou à la fabrication de substances illicites seront bannis.
L'enfer possède des maisons aux murs sales, des fissures qui courent sur des habitations maudites recelant de corps gangrénés par la faim, la pauvreté ou le manque du poison qui domine leurs consciences.
Le tap.
Yüljet fulmine en avisant quelques malheureux aux yeux vides et aux lèvres gercées, rendues noires par ce fameux tap. Elle est certaine qu'ils ne la voient même pas.
La troll continue de marcher à la hâte, listant mentalement les objectifs de cette réunion d'urgence qu'elle compte organiser.
Le sujet principal étant un "sauve-moi” griffonné sur un papier, à présent chiffonné.
Qui, dans la litière des Alfirin, veut être sauvé ? Pourquoi ? Qu'attend-t-on du cartel des Typhons ?
Yüljet n'aime pas ça.
Nombreux sont les riches citoyens d'Odrialc'h ainsi que leurs têtes pensantes, au gouvernement, à souhaiter voir le cartel disparaître.
À leurs yeux, ce sont les rats en train de ronger la corde du plus beau navire d'Eldarya ainsi que les auteurs des meurtres sordides perpétrés à travers le monde.
Ils ont en partie raison.
Justiciers, malchanceux, rebelles, génies… Les membres du cartel des Typhons sont comme des cristaux à multiples facettes et chacun d'entre eux a ses raisons d'avoir intégré l'organisation. Mais, en faisant partie de la même famille, ils ont maintenant deux objectifs communs : saboter les tentatives de conquête de la Terre et découvrir le moyen de fertiliser les sols d'Eldarya.
La porte verte lui fait face. L'un des six accès qui mène à la planque et l'un des six échappatoires, si besoin.
Porte verte, rue du tap.
Pour le commun des mortels, il ne s'agit que d'un panneau de bois recouvert d'une peinture écaillée par le temps et la saleté. Elle semble à peine tenir sur ses gonds pourtant, son trésor est grand.
Yüljet pousse le battant sans ménagement avec son épaule, serrant le ciralak contre sa poitrine. La bâtisse, vieillotte, peut s'apparenter à un assemblage de clapiers dont les lapins seraient libres de quitter leurs cages. La troll et son chargement se tiennent dans une remise qui ne voit pas grand monde, mais le chemin ne s'arrête pas là.
Bien trop habituée aux bruits des lieux, elle n'a aucun sursaut lorsqu'à l'étage au-dessus, elle entend une voix de femme hurler après quelqu'un.
La voix se brise quand elle effleure les aiguës et Yüljet sait que la femme en question est une brownie à la queue et aux oreilles simiesques qui déteste son compagnon lorsque le tap lui manque et qui l'aime de nouveau quand elle peut s'en acheter.
Des objets sont éclatés au sol pourtant, Yüljet devine que le triton vivant avec ce chaos ambulant doit river son regard de poisson mort sur une tapisserie défraîchie. Il ne la voit et ne l'entend même plus, sûrement, un calumet fiché entre des lèvres noires et gercées.
La troll s'aventure dans la remise où de vieux meubles se sont endormis sous la poussière. Elle emprunte une porte, traverse le hall de l'immeuble et s'enfonce dans les caves pour atteindre une brèche qui mène vers l'extérieur. Ce trajet est pénible, mais il est nécessaire.
Le trou béant dont personne ne se soucie donne sur une ruelle si étroite que Yüljet peut à peine y mouvoir sa carrure. Tant pis : elle est presque arrivée.
Une odeur atroce la mène vers un cimetière d'ordures : là, s'amoncellant comme une montagne putréfiante, de nombreux sacs à déchets pourrissent sous le soleil d'Odrialc'h.
Le tissu couleur sable, attendant d'être brûlé lorsque les ramasseurs le conduira jusqu'aux incinérateurs, s'est gorgé d'immondices au point d'en perdre sa jolie teinte.
Certains sacs, éventrés, ressemblent à des cadavres en train de vomir leur contenu sur le sol et même l'un d'entre eux a l'air d'avoir été pourfendu par une tringle.
Pourtant, au centre du dépotoire, il y a une plaque menant jusqu'aux égouts d'Odrialc'h.
Règle numéro 2 : Ne jamais emprunter la ruelle du dépotoir aux déchets. Toujours se servir des portes de couleurs.
L'odeur est si ignoble que Yüljet a l'impression que ses poumons vont se mettre à pourrir, eux aussi. Mais elle continue.
Dans le dédale des eaux usées de la cité, elle sait où elle va et les autres membres du cartel le savent aussi, quand ils obéissent à la règle numéro deux du code des Typhons.
Il serait facile de semer un individu trop curieux dans ce lieu putride, mais il serait encore plus simple d'y dissimuler son cadavre.
Le salut prend l'apparence d'une petite porte verrouillée qui accueille la troll avec un cliquetis sonore.
Elle est arrivée à bon port.
Yüljet se permet de souffler.
La planque du cartel des Typhons se tient bien loin de l'image que l'on peut avoir d'un lieu de rassemblement pour truands. Loin de cela, elle fait également office de foyer pour les membres qui n'en ont plus.
Le lieu possède quelques chambres. Exiguë, certes, mais assez confortable pour s'y endormir.
La pièce principale quant à elle est grande, avec une belle table en bois encerclée par une dizaine de chaises, sur un tapis effiloché.
Trois fauteuils en tissus gris se font face, un petit peu plus loin et une bibliothèque croulant sous des dossiers, chemises et papiers confidentiels domine le décor.
Il ne manquerait plus qu'une cheminée, selon le membre du cartel qui emprunte la porte orange.
Porte orange, rue des flots.
Une façon presque poétique de désigner l'antre des soulards.
Aux bruits qu'elle entend, Yüljet le devine assis sur un des fauteuils, en train de démonter son arbalète pour en nettoyer les pièces, minutieusement.
Elle s'avance et remarque qu'elle a raison : penché sur son arme, sa queue de renard flamboyante battant presque la cadence, Fawkes s'attelle à son labeur. Le tissu marine de son débardeur jure avec le châtain de ses cheveux en bataille, tirant vers le roux, mais aussi de ses oreilles dressées au pelage duveteux.
Le renard-garou ne lève pas la tête pour regarder Yüljet, mais la troll sait qu'il l'a entendu arriver. Ses yeux marrons sont rivés sur le cran de visée de son arme, pendant qu'une main le nettoie avec précision.
« Cheffe, salue-t-il de sa voix rugueuse.
- Fawkes, lui répond-t-elle, réunion. »
L'ordre est lancé. Yüljet regarde Fawkes déposer son arbalète, ainsi que ses pièces sur le fauteuil. Il achèvera son travail tout à l'heure.
Le renard-garou se redresse et se dirige vers la grande table en bois. Son visage arbore son éternelle expression taciturne et si sa cheffe devait lui attribuer une étiquette, elle serait celle de la force tranquille.
Fawkes est une énigme, aussi. Le flou semble entourer son existence complète et si ses actes pour le cartel n'ont jamais trahi sa loyauté, le doute peut être de rigueur. Mais Yüljet ne le lui a jamais accordé, parce que le renard-garou montre toujours pattes blanches, que ce soit à travers des têtes, des cibles transpercées par les carreaux de son arbalète ou bien des rapports, écrits par ses soins, mentionnant un travail accompli et vérifiable.
Pourquoi Fawkes est entré dans le cartel ? Pour sauver une vie. C'est tout ce que l'on sait et c'est tout ce qu'il a dit.
En cet instant, Yüljet se demande ce qu'il pensera d'un "sauve-moi" écrit de la main d'un Alfirin.
Le bruit d'une chaise en train de racler le sol tire la troll de ses pensées. Avec précaution, elle dépose son paquet sur la table et soulève sa veste.
Six yeux d'or plongent dans ceux de Fawkes qui écarquille les siens.
Yüljet s'assoit à son tour.
« Où tu l'as trouvé ?
- "Pourquoi je l'ai trouvé ?" et "pourquoi je l'ai ramené ?". Ce sont de meilleures questions. »
Le ciralak s'étire et se met à bailler. Le trajet a été trop long à son goût et les lieux qu'il a traversé ne quitteront certainement jamais ses petites têtes.
Fawkes dévisage sa cheffe, stupéfait, pendant qu'elle tire une petite boulette de papier de la poche de son pantalon, avant de la lui remettre.
« Je n'ai pas trouvé le ciralak, explique Yüljet, c'est lui qui est venu à moi. Il avait ce papier dans la gueule, et le message a été écrit par un Alfirin.
- Quoi ? »
Le mot a quitté la bouche de Fawkes sans son autorisation. Mais la situation que lui décrit sa cheffe frise l'improbabilité.
Si un ciralak, un familier de luxe, ne trônait pas à l'instant même sur la grande table de la planque, il ne l'aurait pas cru. Dans la poitrine du renard-garou, la méfiance se réveille et c'est avec ses yeux qu'il prend connaissance du message, griffonné sur le papier.
"Sauve-moi".
« Qui, chez les Alfirin, veut être sauvé ? » grogne Fawkes.
Yüljet sait qu'il est en train d'analyser ces deux petits mots. Il doit même être en train de douter de leur auteur pourtant, la troll a beau ressasser les évènements survenus plus tôt dans tous les sens, le résultats de ses pensées n'est rien d'autre que la certitude : c'était la litière des Alfirin, la parade des Alfirin et personne d'autre qu'un Alfirin ne peut se tenir dans le carrosse des Alfirin. Cela ne serait pas permis.
Mais qui ? Le père ? La mère ? Le fils ? Qui veut être sauvé ?
« Si c'est vraiment un Alfirin qui a écrit ça, alors c'est le quel ? » songe Fawkes qui se pose la même question que sa cheffe.
Cette dernière rive ses yeux noirs dans ceux du ciralak. Le familier ne bouge pas et les regarde parler, semblant suivre une conversation qu'il peut comprendre. Mais jusqu'où ?
Les trois têtes se penchent, observent les lourdes tresses de Yüljet, les angles de son visage et même ce petit endroit sur son col, où la couture a craqué.
La troll décide de tenter quelque chose. Sous l'oeil inquisiteur de Fawkes, elle se penche en avant et demande d'une voix forte :
« La mère ? »
Pas de réaction.
« Le père ? »
Toujours rien.
« Le fils ? »
Le ciralak cligne des yeux et ses queues fouettent l'air. Il s'étire les pattes avant et s'assoit sur son derrière. Yüljet se met à réfléchir.
« Les ciralaks sont des familiers de luxe, mais pas seulement parce que leur pelage est beau… ils sont intelligents… »
Pourtant, le ciralak ne semble pas comprendre ses questions. Du mouvement a ses côtés la tire de ses pensées et la troll voit Fawkes en train de se diriger vers la bibliothèque. Il semble chercher une étagère en particulier, quand enfin il met la main sur un carton : celui qui recense les informations sur les trois familles les plus fortunées d'Eldarya.
Alfirin / Mircalla / Milliget
Le renard-garou apporte son lourd chargement sur la table et se met à fouiner. Il attrape la chemise bleue qui contient des rapports sur la famille Alfirin et ses mains plongent dans les parchemins couverts d'écriture et de portraits réalisés à l'encre quand enfin, il trouve ce qu'il cherche : des noms.
« Peut-être qu'il associe pas certains mots à son maître… mais par contre, avec les noms… »
Il plisse ses yeux bruns et Yüljet hoche la tête. Oui. Peut-être qu'avec les noms, ils obtiendront une réaction.
Alors, en attendant les autres membres du cartel, cela vaut la peine d'essayer.
« Ciryandil. »
Lorsque Fawkes rejoint sa chaise, le ciralak le suit des yeux. Les trois têtes se tournent à l'unisson.
« Gorthol. »
Le familier semble humer l'air et lorsque des bruits lointains résonnent, ses oreilles félines tressautent. La règle numéro une sera honorée dans peu de temps.
« Sheraz. »
Un miaulement aigu retentit au sein de la planque et le ciralak s'agite. Il ouvre de grands yeux d'or et ses queues s'animent avec ferveur. Yüljet a un léger sourire : l'auteur derrière le message n'est plus un secret.
D'un geste machinal, elle attrape le parchemin listant les informations basiques des membres de la famille Alfirin et ses yeux courent jusqu'à celui de leur jeune fils.
Sheraz Alfirin,
22 ans,
Héritera de l'empire joaillier "Alfirin" à la mort de ses parents.
1m78 / Entre 50 et 60 kilos / Ne pratique aucun art du combat (cible facile)
Ne quitte jamais le domicile familial seul, est toujours accompagné de ses parents, d'une escorte et de son familier (ciralak, femelle, a été nommée "Céleste").
[Rumeur entendue le azuj 23 du mois de dig : proche de l'Éminente Ysul Gra Bolumbash]
Yüljet relève la tête. Elle abandonne sa lecture et souffle par le nez en bénissant les rapports détaillés qu'elle impose aux membres du cartel.
Elle sait que c'est une tâche que la plupart d'entre eux détestent faire, mais dans des instants comme celui-ci, chaque prise de note est précieuse.
Avec lenteur, elle lève une main brune qu'elle offre aux museaux du ciralak. De la ciralak.
« Salut, Céleste. »
Un miaulement enjoué lui répond. La troll serait curieuse de savoir ce qui peut bien se passer dans ces trois petits crânes, mais l'arrivée des autres membres du cartel la fait lever de son siège.
Comme d'ordinaire, ils sont à l'heure : présents à la mi-journée.
Quatre silhouettes pénètrent dans la planque, quatre visages se montrent au sein de la pièce principale et quatre paires d'yeux fixent Céleste avec surprise. Cette dernière se tasse sur elle-même, face à ces invités si soudains.
« Fawkes l'a volé pour qu'il soit revendu ? » lance une voix traînante.
Une peau de pêche sous des cheveux noirs en bataille, des yeux félins et des lèvres rouges, la trésorière du cartel a déjà marqué Céleste d'un prix alléchant.
Sexta Stoker de son nom, la grande vampire en habits bleus qui frise la cinquantaine et dont les relations permettent aux Typhons de poursuivre leurs activités sans craindre la misère financière.
Têtes mises à prix, achats et reventes d'objets douteux ainsi que d'informations précieuses… Sexta est celle qui explore toutes les pistes capables de rapporter de grosses sommes d'argent, tout en restant fidèle à la règle numéro quatre, qui interdit la fabrication ainsi que la vente de substances illicites.
Pas de tap au cartel des Typhons.
« Je suis pas un braconnier, grogna le renard-garou en croisant les bras sur son torse.
- Je me disais aussi que ce n'était pas ton genre. »
Proche de Sexta, une sirène aux cheveux d'un rose dragée gratifie Fawkes d'un large sourire.
Fuya Pyle, la traqueuse d'informations et la membre la plus jeune du cartel.
Elle et Sexta sont connues pour former les deux faces d'une même pièce et ne se quittent que pour les missions. Derrière ses airs détachés, la vampire a pris Fuya sous son aile et lui a enseigné tout ce qu'elle savait pour survivre dans ce monde imparfait, que l'on veut délaisser pour la Terre.
Fuya s'installe à côté de Sexta. Parmi cette dernière, Fawkes et Yüljet, elle fait presque tâche, tant son visage de poupée, ses oreilles membraneuses aux rayons opalins et ses yeux bleus font songer aux traits d'une jeune demoiselle de bonne famille.
« Il faudra que je te parle de quelque chose d'important, déclare Fuya à la troll.
- Très bien, mais après la réunion. »
La sirène hoche la tête et son regard azuré attrape celui de la ciralak qui se contorsionne presque pour la regarder. Elle a envie de la caresser mais elle n'ose pas.
Un pas lourd et deux raclements de chaises indiquent que les derniers membres du cartel se sont installés.
Aussi discrète que d'ordinaire, une licorne d'une quarantaine d'années a pris place auprès de Yüljet. Son visage fatigué est auréolé d'un carré de cheveux blonds alors que sous son crâne, les rouages d'une formidable faculté intellectuelle tournent à plein régime.
Sous cette apparence inoffensive d'une mère de deux enfants sans histoires, se cache la maîtresse des poisons capable de réaliser de formidables prouesses d'alchimie.
Ryan Qilin, que Fuya aime comparer au Chef de la Garde Absynthe pour son talent, même si la licorne n'est pas d'accord.
Pourtant, nombreux sont les clients les plus sombres adressant leurs commandes sordides au cartel des Typhons pour de complexes poisons tous plus terribles les uns que les autres.
Une bonne partie de la trésorerie provient de ce commerce.
Si elle se penchait sur la question, Ryan serait même capable de réaliser du tap. Le plus pur et le plus cher.
Mais il en est hors de question.
« Alors ? Que fait un familier de luxe sur la table de notre joli salon ? »
Le ton jovial, la voix rauque caractéristique de son espèce, Nash Gro Shulong se pare d'un sourire amusé derrière sa mâchoire saillante.
Sa silhouette massive rend presque sa chaise trop petite et des muscles puissants roulent sous sa peau cuivrée.
L'orc d'une vingtaine d'année est l'auteur de toutes les fiches de renseignements concernant les grandes familles fortunées, ainsi que l'armée d'Odrialc'h, puisqu'il en a fait partie avant d'être renvoyé.
Nash a eu le culot de revendre son armure d'orichalque au marché noir, afin d'en tirer une bonne somme d'argent qui permet, aujourd'hui, à ses parents de vivre décemment.
Selon Fawkes, il a un esprit un petit peu trop idéaliste pour le monde dans lequel il vit, mais ses capacités en combat et la discipline qu'il a apprise au sein de l'armée font de lui un bon élément.
Toutefois et même si Yüljet le lui a proposé, le renard-garou ne sait pas encore s'il tient vraiment à partir en mission avec l'orc, lui qui préfère faire cavalier seul.
Les membres du cartel sont tous présents, la réunion peut commencer.
« Fawkes, lance Yüljet, fais passer le message. »
Le renard-garou s'exécute et tend le parchemin froissé à Sexta qui se met à l'examiner. La vampire arque un sourcil.
« Qui a écrit ça ?
- Sheraz Alfirin, répond Yüljet, et le messager est sa ciralak ici présente. »
Tous se mettent à dévisager Céleste qui se ratatine quelque peu sur elle-même. Mais pour son jeune maître, elle restera digne. D'ailleurs et contrairement à ce qu'elle a pensé, les membres du cartel des Typhons n'ont pas une apparence si effroyable que cela.
Leur cheffe se met à raconter la parade des Alfirin, puis l'altercation qu'elle a eu avec les soldats, pour terminer sur sa rencontre avec Céleste.
« C'est du fusain, intervient Ryan qui a enfin le parchemin entre les mains, et c'est un matériel bien trop cher pour les personnes de classe moyenne. Même Fuya doit dessiner les portraits de nos cibles à l'encre. »
La sirène hoche la tête en songeant à son petit équipement de plume et d'encriers. D'ailleurs, elle ajoute qu'elle n'a pas le souvenir d'avoir un jour dessiné Sheraz Alfirin.
« Ce sont surtout ses parents qui apparaissent en public, dit Fawkes.
- Et je me souviens très bien de sa mère ! Quelle classe ! s'enthousiasme Fuya.
- Et je suppose que le but de cette réunion, c'est de savoir ce que l'on fait ? coupe Sexta, tu veux savoir ce que l'on en pense, cheffe ? »
Exactement.
Règle numéro 5 : Le chef du cartel des Typhons donne les ordres, choisit ses partenaires de commerce et distribue les missions. Mais les décisions importantes se prennent en groupe et se votent à la majorité.
Yüljet balaye les membres du Typhons de ses yeux noirs. Elle a besoin d'écouter leurs avis avant de donner le sien, et enfin de lancer le vote à la majorité.
« Si je peux me permettre, nous ne devrions pas tarder à prendre notre décision. À l'heure qu'il est, des soldats doivent être déjà en train de chercher la ciralak de Sheraz. Je suis même certain que les Alfirin ont même fait appel à la Capitaine elle-même, affirme Nash.
- La sacro-sainte Capitaine ? Pour un familier ? » rétorque Fuya d'une voix aigre avant de lever les yeux au ciel, un rictus sur ses lèvres.
L'orc se contente de hausser les épaules. Les gens fortunés peuvent se permettre de louer les services d'une des figures emblématiques de la cité d'Odrialc'h pour un ciralak perdu. C'est ainsi.
« Je ne veux pas entendre parler d'elle dans mes quartiers, tranche Yüljet, mais Nash a raison : hors de question de garder ce familier ici. Alors réfléchissons et votons.
« C'est très simple, commence Sexta, une question se pose : qu'est-ce que ça peut nous rapporter ? Ce monsieur Sheraz Alfirin veut être "sauvé", mais de qui ou de quoi ? Honnêtement, cheffe, à part nous plonger dans les ennuis jusqu'au cou, je ne vois pas où cette histoire peut nous mener.
- Tu penses donc que l'on ne devrait pas s'en mêler ? »
Sexta hoche la tête avant de s'appuyer contre le dossier de sa chaise. Se mêler des histoires des riches, ça n'amène jamais rien de bon. Et qui peut dire que ce n'est pas un piège ? Le risque n'en vaut pas la peine.
« Personnellement, je pense que ce message mérite qu'on s'y intéresse, déclare Ryan, parce qu'il s'agit d'un appel de détresse. Si je regarde attentivement le papier, je peux voir que les mots ont été tracés avec empressement et même si je ne sais pas si les deux parents étaient présents dans la litière, avec Sheraz, il est clair qu'il ne souhaitait pas être vu quand il écrivait ce message. C'est mon hypothèse.
- Et qu'est-ce que tu proposes ? demande Yüljet.
- Une enquête approfondie sur la famille Alfirin. S'il se passe quelque chose de grave dans les hauts-quartiers, je pense que notre cartel doit être au courant. Peut-être même que certaines informations pourraient nous être utiles pour notre objectif. »
Très bien.
À présent, Yüljet se tourne vers Fuya, plongée dans ses réflexions. Elle sait que la sirène hésite, car elle considère le point de vue de Sexta comme important, mais aujourd'hui, elle n'est pas certaine de pouvoir le rejoindre.
« Je n'ai pas vraiment envie que l'on s'attire des ennuis avec cette histoire, explique-t-elle enfin, mais Ryan a raison sur un point : on devrait s'intéresser à ce qui se passe dans la haute société. Par contre, je ne pense pas qu'approcher directement les hauts quartiers soit une bonne idée, alors on devrait plutôt se servir de nos complices hors d'Odrialc'h pour mener l'enquête et trouver des informations utiles. »
La cheffe du cartel des Typhons note mentalement la réponse de Fuya dans sa tête, puis se tourne vers Nash qui pousse un léger soupir. Ses souvenirs de l'armée se présentent à son esprit, surtout celui de la puissante Capitaine du corps armée d'Odrialc'h, qu'il a servi pendant quatre ans.
S'il sait une chose, c'est que personne ne peut lui échapper, et encore moins la vaincre.
« On n'aura aucune chance, finit-il par dire, croyez-moi qu'on ne s'en prend pas aux grands pontes d'Odrialc'h sans en payer les conséquences.
- La trouille de ta déesse "la Capitaine", plutôt…» marmonne Fuya.
Nash lui lance un regard las, mais poursuit :
« Je sais que parler de la Capitaine ici n'est pas de bonne augure, mais si on parle d'enquêter sur les Alfirin et la haute société d'Odrialc'h, il faut être réaliste : on se heurtera forcément à la Capitaine à un moment ou à un autre. Et pour l'avoir servi pendant quatre ans, je pense être le mieux placé pour dire qu'elle mérite son grade et toutes les louanges que l'on entend dans la cité. »
Puissante, juste, loyale, rigoureuse, à l'écoute de ses recrues et fidèle à la cité d'Odrialc'h.
Son nom est connu dans tout Eldarya et lorsqu'elle voyage dans maintes et maintes cités, elle est toujours accueillie avec le respect qui lui est dû.
Shakalogat Gra Ysul, la Capitaine à la tête de l'armée d'Odrialc'h est un modèle de perfection, mais aussi le symbole de la paix. Ses interventions ont fait cesser de nombreuses guerres et pour les impies qui ont voulu s'attaquer aux territoires placés sous la protection d'Odrialc'h, ils ont gouté à l'épée de la Capitaine.
Alors en effet, Nash pense que leur entreprise, pour deux mots tracés au fusain sur un morceau de parchemin, ne résultera que par leurs têtes qui tomberont.
« Je ne dis pas que Fuya et Ryan ont tort, je dis simplement qu'il faut connaître les risques d'une mission avant de s'y lancer. Et ici, le risque majeur, c'est justement la Capitaine. »
Yüljet hoche la tête. Même si le fait d'entendre parler de Shakalogat Gra Ysul lui hérisse le poil, elle doit admettre que les paroles de Nash ne sont pas dénuées de sens.
Enfin, elle se tourne vers le dernier membre du cartel resté silencieux. Lorsqu'il se sera exprimé, on pourra prendre une décision et commencer à réaliser l'ébauche d'un plan.
Au beau milieu de la table, Céleste semble suivre les conversations, toutes ses pensées tournées vers le jeune maître.
« Fawkes ? Ton avis ? » demande Yüljet.
⁂
Le Thème de la Rue du Tap
Les choix :
➜ UNIQUEMENT pour Waïtikka : Fawkes a connaissance des faits qui se sont produits lors de la parade des Alfirin. Il a également écouté les avis des autres membres du cartel, et c'est à son tour de donner le sien : quel est son avis sur la question ? Selon lui, que devrait-on faire au sujet du message de Sheraz ?
➜ Pour les autres lecteurs : À travers ce chapitre, vous avez pu découvrir les autres membres du cartel des Typhons. Concernant le message de Sheraz, chaque membre du cartel s'est exprimé sur la question.
Avec qui êtes-vous d'accord ? Vos réponses influenceront le vote à la majorité ainsi que la suite de l'histoire, alors réfléchissez bien !
Important : Vous pouvez attendre la réponse de Waïtikka concernant le point de vue de Fawkes et vous rallier à son avis, si vous le souhaitez !
Chapitre 2 - Le Dernier Mot
Bonjour à vous !
On se retrouve avec le second chapitre d'Apotheosis mais avant d'entamer la lecture, nous allons discuter un petit peu car j'ai plein de choses à vous dire !
Comment ça, c'est nul ?
Mais non ! Tout d'abord, nous allons parler "interactivité" vu que c'est un petit peu le but du projet. Déjà, je remercie vraiment tous les lecteurs qui jouent le jeu et font leurs choix, car c'est vraiment cool et je suis toujours surpris de voir autant de post le jour de la sortie du chapitre.
Un petit point vite fait sur le délai : les votes sont et seront toujours ouverts du dimanche au jeudi, 23h59. Cette semaine était exceptionnelle car à cause de mon planning IRL, je n'ai pas eu le choix et j'avais vraiment besoin d'un jour en plus pour écrire.
Pour revenir à nos moutons, j'ai demandé l'autorisation à notre cher modérateur renardesque et de ce fait : vous êtes autorisés à échanger sur ce topic pour vous aider, les uns et les autres, à faire vos choix si vous le souhaitez. Je me disais que ça pourrait être sympa de discuter entre vous. (^_^)
Aussi et à venir, le topic de présentation se verra pourvu de :
➜ La liste des règles du cartel des Typhons.
➜ La bibliothèque des personnages qui sera mise à jour au fur et à mesure de vos découvertes.
➜ D'un lien vers un Google Doc qui vous mènera à un petit dictionnaire de langue orc, au fur et à mesure des mots et expressions que vous découvrirez au fil de votre lecture.
➜ D'un lien vers une galerie qui recensera tous les dessins et illustrations réalisés par nos talentueux artistes d'Eldarya.
➜ De mini points culture sur l'univers en général (vous en choisirez les sujets).
Voilà voilà !
Et un tout dernier point qui est une annonce :
Je suis à la recherche d'un bêta lecteur ou d'une bêta lectrice. Pour le moment, je travaille seul à la relecture et deux âmes charitables (MayaShiz, ma bae et l'adorable Green <3) qui me relisent, mais je souhaiterai travailler avec un bêta lecteur ou une bêta lectrice qui serait axé / axée sur les corrections orthographiques.
Les petites coquilles qui trainent, c'est désagréable pour les lecteurs alors je voudrais vraiment livrer des chapitres tout beaux tout propres.
Je sais que la correction est un travail qui prend du temps et dans mon cas, il me faudrait quelqu'un qui serait disponible pour corriger un chapitre toutes les semaines et le rendre avant dimanche après-midi, alors je ne me permettrais pas de demander un service sans donner de retours.
En échange de son temps et de ses yeux de lynx pour traquer les coquilles, mon bêta lecteur ou ma bêta lectrice pourra choisir, tous les mois, une illustration pour la fiction, avec bien évidemment le ou les personnages de l'histoire qu'il ou elle préfère.
Que celles et ceux qui sont intéressés pour travailler avec moi en tant que bêta me contactent par MP mais je vais vraiment insister là-dessus : avant de vous engager, soyez assurés d'être disponibles pour la bêta d'un chapitre toutes les semaines. De mon côté, je tâcherai de vous fournir ledit chapitre le plus rapidement possible.
Aussi et même si c'est du bon sens, je préfère le dire : ne pas spoiler le chapitre à venir, que ce soit sur le forum ou sur les serveurs Discord liés à Eldarya. Le spoil, ce n'est pas cool !
Voilà voilà ! J'ai fini de vous embêter ! À présent, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
⁂
Lorsqu'elle lui demande son avis, Fawkes ne répond pas. Le renard-garou est plongé dans des réflexions profondes qui mêlent deux désirs bien distincts : celui de répondre à l'appel de détresse, à ce "Sauve-moi" et celui de l'ignorer.
Sexta n'a pas tort, après tout : le cartel des Typhons ne doit rien à la noblesse d'Odrialc'h.
Les Alfirin, les Mircalla, les Milliget… ils ne sont que des figures qui vivent au sommet du monde d'Eldarya, loin de la misère qui règne derrière les rues pavées et Fawkes les imagine sans peine vivre dans l'opulence, le pouvoir et l'insouciance.
Ils n'ont rien en commun.
Mais ils n'ont pas choisi d'être nobles. Sheraz Alfirin n'a pas choisi d'être le fils de Gorthol et Ciryandil Alfirin, l'une des trois familles les plus fortunées d'Eldarya, à la tête d'un empire joaillier.
Quels dangers peuvent guetter un jeune elfe de vingt-deux ans, couvert d'or, de soie et de bijoux de la tête aux pieds ? Il n'en sait rien, et personne dans le salon du cartel des Typhons ne le sait.
Il hésite.
« On gagnera rien à s'en mêler, commence-t-il, mais on peut pas ignorer un appel à l'aide. Qu'importe d'où il vient. »
Fawkes sent le regard de Sexta brûler sur sa peau. Il ne peut que deviner les pensées qui s'agitent dans son esprit et l'incompréhension en train de la gagner, de tous les voir prêts à se lancer dans une aventure au risque d'y laisser leurs têtes.
« On choisit pas où on naît, poursuit le renard-garou, et peut-être que dans les beaux quartiers de la noblesse, il y a des problèmes dont on a même pas idée.
- Mais qui ne nous concernent pas.
- Sexta. Les votes n'ont pas commencé. Laisse Fawkes terminer. » intervient Yüljet.
La vampire se ravise et lance un regard d'excuse à son comparse. Le renard-garou peut la comprendre, mais que serait un cartel des Typhons dominé par la peur et le dédain pour ceux qui demandent de l'aide ?
« Ça nous concerne pas si on décide que ça nous concerne pas. Mais c'est nous que Sheraz Alfirin a contacté. Peut-être que c'est un piège mais dans ce cas, c'est à nous d'être plus rusés. Et je pense que c'est dans nos cordes. »
Il voit le regard de Nash briller de détermination, même s'il sait son esprit en train de ployer devant la Capitaine Shakalogat Gra Ysul.
Fuya redresse le buste et croise les bras sur le rebord de la table, prête à procéder au vote pendant que Ryan reste à l'écoute.
Fawkes a partagé sa pensée et ses yeux marron s'attardent sur la ciralak en train de l'observer. Un très beau familier, c'est vrai. Une robe d'un vert impérial avec quelques touches de jade, puis ces six yeux d'or comme des bijoux.
Le renard-garou avance la main et lui effleure le menton. Céleste approche ses museaux pour lui renifler les doigts pendant qu'il lui demande :
« Tu veux qu'on fasse sortir ton maître de sa cage dorée, toi ? »
Un miaulement aigu lui répond avec trois têtes levées à l'unisson. Fawkes ne le sait pas mais à cet instant, Céleste songe à son jeune maître. Elle peut le voir s'accroupir et lui ouvrir les bras, un sourire radieux sur le visage pendant qu'elle s'y jetterait en ronronnant de bonheur.
Mais elle le revoit aussi allongé dans son lit, parmi les ténèbres offertes par de lourds rideaux tirés sur des fenêtres cintrées. Elle est blottie contre lui et il la serre de toutes ses forces pendant qu'il verse des larmes.
Alors : oui. Oui, Céleste veut qu'on le sorte de sa cage dorée.
« Passons au vote. » ordonne Yüljet.
Les membres du cartel des Typhons se regardent les uns et les autres. Pendant cette prise de parole, il y a eu des points de vue qui ont divergé, quand d'autres se sont rejoints et même si elle s'exprimera en dernier, Titan a déjà formé l'ébauche d'un plan dans sa tête.
Quant à sa propre opinion durant cette réunion, elle n'est pas autorisée à la partager, selon les lois du cartel.
Règle numéro 6 : Le chef ou la cheffe du cartel des Typhons ne doit jamais imposer son opinion pendant les réunions. Il ou elle doit respecter la majorité du vote et agir en conséquence.
« Avant le vote, on aimerait quand même savoir ce que vous en pensez, cheffe. » dit Ryan d'une voix douce.
Yüljet lui adresse un léger sourire. Elle entend Fuya ajouter qu'elle est d'accord avec la licorne, puis Nash appuyer ses propos, mais elle ne leur cèdera pas :
« C'est contre nos lois et je ne veux pas influencer le vote. »
Puis, son regard devient plus dur alors qu'elle s'apprête à recueillir les voix et prendre des décisions. Titan sait déjà quels genre de paysages se dessineront devant leurs yeux dans les prochains jours et ça, ce sera seulement à l'issue d'une longue route.
Elle adresse un signe de tête à l'attention de Nash et lui somme, en silence, de commencer.
L'orc souffle par le nez et prend le temps de rassembler ses idées avant de s'exécuter.
Comme Sexta, il tient à garder le cartel loin des dangers qui peuvent se trouver au sommet d'Odrialc'h, au sein de la cage dorée. Il ne voit pas vraiment de chemin tortueux à emprunter pour aller à la rencontre de Sheraz, non, c'est pire que ça : il voit des barrages, des prisons et des étaux.
Le pire, restant bien entendu la Capitaine. Le cartel ne doit pas se laisser dominer par la peur, c'est vrai, mais il sait aussi que personne ici n'a le pouvoir de se dresser face à Shakalogat Gra Ysul.
Néanmoins, il s'incline :
« Je rejoins le point de vue de Fawkes. Il n'a pas tort quand il dit que l'on ne choisit pas où on naît, et qu'on ne peut pas refuser un appel à l'aide. Et puis si on tente de nous coincer, on s'en sortira. »
Pas si sûr, mais on verra bien. Peut-être qu'il n'y a pas de piège. Peut-être que tous ici regretteront que ça n'ait pas été un piège quand ils se trouveront face à une vérité encore plus horrible.
« Sexta. » l'interpelle Titan en comptabilisant mentalement la voix de Nash pour Fawkes.
La vampire hausse les épaules. Son point de vue ne change pas et elle préférerait largement se tenir loin des nobles. D'ailleurs, elle jure que si jamais Sheraz les a contacté pour échapper à un après-midi imposé en compagnie de sa grand-mère, elle le plongera la tête la première dans les eaux usées en train d'embaumer les égouts, non loin de leur planque.
Mais elle se doute que le problème est plus important.
« Je ne change pas ce que j'ai dit, répond-t-elle enfin, je pense que l'on devrait se tenir éloigné des soucis de la noblesse. Néanmoins, s'il faut choisir, je suis d'accord avec Fuya : on enquête, mais on ne se jette pas dans la gueule du loup et on fait appel au réseau. »
Yüljet acquiesce. Une voix pour Fawkes et l'autre pour Fuya. L'ébauche mentale de son plan ne sera pas à refaire et elle ne sait pas si elle doit en être ravie.
« Ryan. »
La licorne ferme brièvement les yeux. Elle a eu le temps de réfléchir et pour elle, tout est limpide. Hors de question d'ignorer le message de Sheraz, mais se jeter la tête la première dans un bourbier n'est effectivement pas une bonne solution.
« Je pense que Fuya a raison : je tiens à enquêter mais se servir de notre réseau est une meilleure idée, ainsi nous avons plus de chance de passer inaperçu et nous aurons le temps de réagir en conséquences suivant nos découvertes. Aussi, Fawkes souligne des choses intéressantes car, c'est vrai, Sheraz n'a pas choisi de naître en tant qu'Alfirin et je nous sais assez réactifs pour éviter de tomber dans un piège. Je suis donc d'accord avec Fawkes et Fuya. »
Égalité. Les seuls membres des Typhons qui n'ont pas encore voté sont ceux qui ont récupéré des voix et Yüljet peut déjà prédire ce qu'ils feront : Fawkes votera pour Fuya et Fuya votera pour Fawkes.
L'un faisant confiance au cartel pour se sortir de la pire des situations et l'autre voulant rallier le plus de complices possible au "Sauve-moi" de Sheraz.
« Je suis d'accord avec Fawkes, lance Fuya, je suis certaine qu'on est tous capables de sauver Sheraz ! Et si la noblesse veut nous tendre un piège, elle saura pourquoi le cartel des Typhons a encore toutes ses têtes !
- Très bien, coupe Sexta de sa voix traînante, et une fois que l'on aura sauvé, Sheraz, qu'est-ce qu'on en fera ? On le mettra dans la chambre de Nash ? »
Ce dernier hausse les épaules, arguant qu'il y a de la place, arrachant une moue blasée de Fuya, mais Titan le fait taire d'un regard.
« Cette phase des opérations sera à déterminer une fois que l'on sera entré en contact avec Sheraz. Tant qu'on ne sait pas ce qui le met en danger, c'est impossible de prévoir un plan.
- Et si on doit réellement l'aider à s'échapper de ses beaux quartiers ? insiste Sexta, qu'est-ce que tu as prévu pour le moment ? »
Titan plonge dans le regard de la vampire. Il est facile de deviner ce qu'elle a derrière la tête et par bonheur, ce qu'elle souhaite fait exactement partie des plans de Yüljet.
Parce que tout ne se passera pas comme prévu. Elle devra prendre des décisions importantes en très peu de temps. Une seconde. Moins, sûrement. Mais c'est une réalité qu'elle connaît.
« Alors je lui proposerai une renaissance contre toutes les informations précieuses qu'il possède sur la noblesse, mais aussi toute sa richesse. »
Un sourire satisfait se dessine sur le visage de Sexta. C'est parfait.
« Une nouvelle vie à un prix.
- Mais on en est pas encore là, grogne Fawkes, alors pour le moment, je me range du côté de Fuya : on utilise le réseau et on voit ce qu'on peut trouver. Après on verra. »
Titan se redresse et sa chaise racle le sol : les votes sont clôts. À présent, elle peut s'exprimer à cœur ouvert car ce qu'elle dira ne changera absolument rien.
Elle balaye les membres du cartel de son regard d'onyx. Elle ressemble à une montagne, on le lui a toujours dit et aussi longtemps qu'elle vivra, Yüljet se souviendra de ces deux mots, prononcés avec mépris : "Face d'homme".
Mais aujourd'hui, à la seconde même où elle regarde ses subordonnés, Titan ressent de l'inquiétude derrière le roc de sa carapace.
Si ça n'avait tenu qu'à elle, elle n'aurait jamais mis la vie de ces personnes assises là, autour de la table du salon, en jeu pour un "Sauve-moi". Pas comme elle s'apprête à le faire.
Non.
Elle aurait agi avec encore plus de prudence, quitte à ce que son opération se traduisent en années et elle aurait lancé la phase d'infiltration uniquement lorsqu'elle se serait vue satisfaite de toutes les informations recueillies sur la noblesse d'Eldarya.
« Bien, amorce Titan, c'est à mon tour de parler. Ça ne changera pas le vote, mais vous saurez ce que je pense de la situation. »
Les membres du cartel restent silencieux et Céleste la fixe à son tour. Ses queues s'agitent comme animées par l'inquiétude.
« Si j'avais pu décider, poursuit Yüljet, je me serai éloignée le plus possible des affaires de la noblesse d'Eldarya. Mais pour notre objectif d'empêcher la conquête de la Terre, on n'a pas le choix : les réponses dont on a besoin se trouvent certainement dans les beaux quartiers d'Odrialc'h. Alors peut-être que cet appel de détresse est une occasion à saisir. Par contre… »
Titan se saisit des dossiers contenant les informations sur les Alfirin et, tout en vérifiant certains détails, se met à les ranger dans leur boîte. Elle songe que Céleste devra se décaler pour laisser place à l'imposant document que la troll déroulera sur la table.
«… Je me dois de vous dire que jamais je n'aurais voulu qu'on fasse appel aux réseaux tout de suite, parce que ça implique de vous déployer dans Eldarya. Et ce n'est pas la bonne période.
- La Capitaine va renouveler les amitiés avec les grandes cités d'Eldarya en ce moment, intervient Nash, on sait, cheffe. Mais ça fait partie des risques. »
Yüljet pousse un soupir discret. La Capitaine est une énorme partie du problème, c'est vrai. La troll compte déployer Fawkes, Fuya et Nash sur trois continents différents pour une prise de contact avec le réseau. Et chacun d'entre eux peut se risquer à croiser la route de Shakalogat Gra Ysul.
Mais aussi…
« Le circuit du tap, reprend Titan, parce que la Capitaine et ses subordonnés voyageront sur les routes maritimes les plus fréquentées, on devra emprunter le circuit du tap si on ne veut pas risquer de se retrouver nez à nez avec son bateau. C'est plus sûr mais là, ce sont les fournisseurs qu'on risque de trouver.
- Et alors ? lance Fuya, si c'est le cas, on sait ce qu'on a à faire. C'est eux ou nous de toute façon. »
Sexta arbore un demi-sourire alors qu'elle gratifie sa protégée d'un regard fier. Pas de pitié pour les ennemis qui n'en auront aucune à leur égard.
Le circuit du tap est dangereux si on a le malheur de croiser la route des fournisseurs, mais en effet, il reste un chemin sûr quand la Capitaine du corps armée d'Odrialc'h sillonne les mers.
« On a voté, cheffe, déclare Fawkes de sa voix rocailleuse, on sait ce qu'on fait et ce qu'on veut faire. Alors on attend tes ordres. »
Les yeux du renard-garou brillent d'assurance. Comme d'ordinaire et lorsqu'il est prêt pour une mission, Fawkes ne trahit aucune incertitude : qu'importe les ordres qu'il recevra, ils seront exécutés parce qu'ils ne sont jamais donnés par avarice ou par égoïsme. Il y a toujours un but qui rejoint leur objectif principal et aujourd'hui, ce sera celui de sauver Sheraz Alfirin.
Alors Yüljet s'incline. Elle se dirige vers la bibliothèque d'un pas rapide et attrape une grande carte qu'elle déroule sur la table.
Céleste se met à reculer, sans quitter l'imposant papier de ses yeux d'or et lorsque le monde lui apparaît, elle en regarde les reliefs et les noms qu'elle ne peut pas déchiffrer.
Eldarya est grand et si les océans ont l'air si petits, elle se doute qu'un écart de la taille de sa patte est en réalité un véritable gouffre d'eau salée dans lequel elle se noierait.
Le cartel des Typhons va s'éparpiller pour sauver le jeune maître ? Vraiment ?
« Ryan et Sexta, ordonne Titan, vous restez ici. Ryan, tu termineras toutes les commandes qui t'ont été adressées et ensuite, tu accompagneras Sexta aux Abysses pour la livraison. Sexta, tu seras chargée des négociations. »
La vampire et la licorne acquiescent. Elles ne sont pas vraiment faites pour être envoyées à l'autre bout du monde en missions d'infiltration ou de traques d'informations.
En tant que trésorière, Sexta est une habituée des "Abysses", soit le marché noir d'Eldarya tenu par la lignée des purrekos. Il est difficile d'y entrer en tant que vendeur et se tenir sur les lieux avec de la marchandise, c'est faire le serment d'obéir au code d'honneur imposé par les félins, au risque de tâter de leurs griffes.
Certains ne se sont pas méfiés. Alors certains se sont fait déchirer le visage.
Pas de bagarres, pas de meurtres, pas de vols à l'étalage, pas de circulation de fausses monnaies.
Mais au grand dam du cartel des Typhons, le tap et autres substances illicites sont autorisées à être vendus en ces lieux, tout comme certaines matières organiques retirées de leurs anciens propriétaires et placées dans de la glace.
Les purrekos ne sont pas regardant sur les marchandises qui circulent sur leur territoire, tant que chaque vendeur s'acquitte du prix de son emplacement à son arrivée, de la taxe sur ses ventes à son départ et respecte le code.
Les Abysses portent bien leur nom et ce que l'on peut y trouver dépasse parfois l'imagination. Mais c'est grâce à elle que le cartel des Typhons peut tenir debout et vendre les poisons de Ryan.
« Je ferai de bonnes ventes, assure Sexta, et on renflouera aussi les stocks de Ryan. Purral aura sûrement de jolies choses en magasin. »
La vampire a une pensée pour le félin roux aux yeux vairons. Contrairement à certains de ses pairs, il ne fait pas partie des purrekos tâchés de faire respecter le code aux Abysses : il est un commerçant, et un bon.
Lui aussi n'est pas un partisan du tap, ce qui n'est pas le cas d'une de ses cousines aux babines noires.
Cette sale litière qui ne se gêne jamais pour gonfler le prix de leur emplacement, songe Sexta.
Mais elle accomplira sa mission en compagnie de Ryan et les caisses du cartel seront de nouveau bien remplies.
Titan continue de distribuer les ordres :
« Fawkes, tu iras sur le continent du Beryx. Tu t'infiltreras dans la cité d'Eel et tu prendras contact avec Rose pour l'informer des opérations. Le but de la mission est celui-là : Rose doit se servir de son Chef de Garde pour atteindre les beaux-quartiers d'Odrialc'h et récolter les informations dont on a besoin. »
Le renard-garou plisse ses yeux marrons. Une mission délicate, donc… même si le contact de la cité d'Eel est un excellent élément.
Rose Clarimonde est un vampire et agent double qui est parvenu à devenir membre de la Garde de l'Ombre, dont le chef n'est nulle autre que l'héritier d'une des trois familles les plus fortunées d'Eldarya : Nevra Mircalla.
Si Eel est belle, elle le doit à l'or des Mircalla qui entretiennent la cité ainsi que le Quartier Général de cette dernière.
L'intelligence de Rose lui a permis de se démarquer parmi les autres gardiens et de se rapprocher de Nevra pour gagner sa confiance. Mais jusqu'à quel point ?
« Je sais pas si Rose pourra convaincre Nevra de jeter un œil aux beaux quartiers. La dernière fois il avait dit que Nevra était pas vraiment du genre à se joindre à sa famille pour des visites de courtoisie.
- Alors vous devrez faire en sorte que ça arrive, coupe Yüljet, le statut de Nevra et la place de Rose dans la Garde de l'Ombre est ce dont nous avons besoin pour l'opération. Fawkes, tu devras aider Rose à atteindre cet objectif si besoin. »
Le renard-garou hoche la tête. Il n'est pas vraiment surpris par sa destination, car il est le contact régulier de Rose Clarimonde depuis deux ans, maintenant.
Mais la mission reste délicate.
« Nash, continue Yüljet, tu voyageras jusqu'à Rhenia-Gaear et tu rejoindras Gabrielle. Dans un premier temps, je veux que tu récoltes de nouvelles informations sur la famille Milliget. Tu les ajouteras à la documentation lorsque tu rentreras à la planque. Avec Gabrielle, je veux que vous vous serviez de la famille pour qui elle travaille : je sais qu'elle est proche de la fille cadette, alors qu'elle se serve d'elle pour lui souffler l'idée d'un nouveau caprice : un bijou créé par les Alfirin. »
Gabrielle Parceveaux est une de leur contact qui a su creuser sa place dans la prestigieuse cité de Rhenia-Gaear, ou l'empire des elfes noirs. Elle a réussi à intégrer la garde rapprochée de mademoiselle Annette Leblanc, fille cadette de la famille Leblanc qui n'a pas à se plaindre de son rang au sein de la cité.
Annette étant connue pour ses caprices, il a toujours été facile pour Gabrielle de lui soutirer les informations dont elle avait besoin en assouvissant ses désirs matériels.
Cette mission sera facile.
« Convaincre la gamine Leblanc sera simple, affirme Nash, et une fois la commande passée, je n'aurais plus qu'à attendre l'arrivée de l'employé Alfirin sur les lieux pour le cuisiner. Ensuite, il suffira que Gabrielle souffle à la gosse que son petit bijou ne sera beau que si c'est Monsieur ou Madame Alfirin en personne qui s'en occupe…
- C'est un bon plan, Nash, réplique Titan, mais les Leblanc n'auront pas les moyens de se payer ce genre de luxe. »
L'orc hausse les épaules. Peut-être, mais on pourra toujours essayer.
Cette mission promet d'être intéressante et il a hâte de s'y atteler ! De plus, il n'a pas revu Gabrielle depuis un long moment, et il doit avouer qu'il aime beaucoup l'elfe noire qui est devenue une amie.
À eux deux, ils réussiront.
« Et enfin Fuya, achève Yüljet, je veux que tu te rende à la Triade D'Ohm pour retrouver Karma. Elle a certainement de nouvelles informations sur les Milliget alors toi aussi, je veux que tu notes tout ce que tu entends. Quand tu rentreras à la planque, compare ce que tu as trouvé avec les infos de Nash. Avec Karma, je veux que vous fassiez le tour des îles de la Triade pour cibler la résidence secondaire des Alfirin et y entrer par effraction. Vous récolterez tous les renseignements possibles et Fuya, si tu trouves des portraits, je veux que tu en reproduise une copie. »
La sirène accepte sa mission, déterminée à la mener à bien. Comme pour Fawkes avec Rose et Nash avec Gabrielle, elle est la contact attitrée de Karma, une lamia qui vit sur l'île de Vishnu, au sein de la Triade d'Ohm. Elle a des écailles d'un merveilleux bleu saphir et elle est aussi agile qu'une sirène sous la mer.
Fuya et elle forment le duo parfait pour les effractions et la traque d'informations, même si elles n'ont jamais eu l'occasion de s'introduire dans la résidence secondaire d'une famille membre de la noblesse la plus prestigieuse d'Eldarya.
Ce sera un sacré challenge et se faire prendre n'est pas envisageable, si l'on ne veut pas finir derrière les barreaux et en plein interrogatoire par les geôliers d'Odrialc'h.
La sirène se tourne machinalement vers Sexta pour plonger dans ses yeux inquiets, mais la vampire doit lui faire confiance : elle y arrivera.
Tous les ordres ont été donnés, chacun a sa mission et à présent, il faut organiser les départs.
« Nash, tu partiras en premier, ordonne Titan, Fuya, tu partiras deux jours après lui et Fawkes, quatre jours après Fuya. Il faudra procéder comme d'habitude : quitter Odrialc'h et rejoindre les passeurs au port de Tantale. J'irai les voir après la réunion : plus tôt on lance l'opération, plus tôt on récolte des infos.
- Les passeurs vont être ravis de voyager sur le circuit du tap, plaisante Nash.
- Si ça ne leur convient pas, je leur proposerai de suivre le bateau de la Capitaine. »
L'orc fait la moue pendant que Fuya laisse échapper un léger rire.
Aujourd'hui, les membres du cartel des Typhons sont encore réunis mais dans peu de temps, ils seront dispersés à travers Eldarya. Et comme pour chaque mission, ce qu'ils espèrent, c'est en revenir.
Une simple infiltration peut se transformer en chaos, si on ne se montre pas assez précautionneux.
La réunion est presque terminée et tous les regards sont rivés sur Yüljet qui semble perdue dans ses pensées. Elle pèse le pour et le contre de ses idées et à vrai dire, elle hésite beaucoup.
« J'ai besoin de faire le point avec tous nos contacts, déclare-t-elle finalement, et pour ça, je vais partir avec l'un d'entre vous.
- Faire le point ? demande Nash, surpris, si c'est pour expliquer notre opération au réseau, on peut s'en charger nous-même.
- Il ne s'agit pas que de ça, rétorque Yüljet, mais d'une autre affaire qui a besoin de plus d'éléments pour être éclaircie. On en discutera plus tard. »
L'orc plisse les yeux, intrigués, mais n'insiste pas.
Toutes ses pensées se tournent vers son voyage, vers Rhenia-Gaear, la cité des elfes noirs et vers Gabrielle qu'il a hâte de revoir. Que va-t-il apprendre de plus sur les Milliget ? Et sur les Alfirin ?
L'excitation le gagne alors que tout son être se languit presque du danger.
« La réunion est terminée. » tranche Yüljet.
Enfin, presque.
Six yeux d'or se rivent sur le visage de la troll alors que Céleste attend quelque chose. Quelque chose pour rassurer le jeune maître et lui garantir que dehors, le cartel oeuvre pour le sauver.
« Tu vas ramener Céleste près de la Place des Échanges ? » demande Fawkes à sa cheffe.
En effet. Yüljet compte gagner l'extérieur et déposer la ciralak à l'endroit exact où cette dernière est venue la voir. La troll peut l'imaginer sans mal en train de miauler à tue-tête en feignant d'être affolée et perdue.
Elle en est certainement capable.
Mais avant de partir…
Titan se dirige vers la grande bibliothèque pour passer sa main sur les étagères et attraper un morceau de parchemin vierge. Elle n'a pas besoin d'une feuille entière.
Ensuite, elle s'en va quérir une plume et un encrier pour revenir vers Céleste et écrire la réponse au message de son jeune maître.
S'il s'est intéressé au cartel des Typhons au point de les contacter, alors il saura interpréter le message. C'est certainement celui qu'il attend et qu'il gardera précieusement sur lui jusqu'à ce que l'on vienne le libérer de sa cage aux merveilles.
Pour deux mots tracés au fusain, un seul écrit avec de l'encre. Un seul pour dire "oui", un code qui signifie "Nous allons t'aider", "nous allons te sauver" mais aussi "tu auras une dette envers le cartel":
Apotheosis
Les choix :
➜ La réunion est achevée et tous les membres du cartel des Typhons ont voté : ils veulent aider Sheraz. Yüljet a alors donné ses ordres et Nash, Fuya ainsi que Fawkes se sont vus éparpillés dans Eldarya afin de prendre contact avec le réseau du cartel, et tenter d'en apprendre plus sur la famille Alfirin ainsi que les autres familles fortunées d'Eldarya.
Yüljet quant à elle, a décidée de voyager à son tour afin de discuter d'une certaine affaire "qui a besoin de plus d'éléments pour être éclaircie", avec les membres du réseau.
Mais une décision s'impose : qui va-t-elle accompagner en premier ?
Fawkes, dans la cité d'Eel, qui doit prendre contact avec Rose Clarimonde.
Nash, à Rhenia-Gaear, la cité des elfes noirs, qui doit prendre contact avec Gabrielle Parceveaux.
Fuya, à la Triade d'Ohm, qui doit prendre contact avec une lamia du nom de Karma.
Votre choix influencera certains évènements liés au temps : suivant le lieu où elle se rend en premier, Yüljet pourra vivre ou manquer certains évènements. Concernant les événements qu'elle manquera, elle pourra en avoir connaissance via les rapports des membres du cartel en pleine mission, mais ceux-ci ne pourront pas forcément rapporter tous les détails exacts de ce qu'ils auront vécus.
Et peut-être que certains membres du cartel ne pourront pas faire leur rapport car sans aide, ils ne pourront pas se sortir de la situation qu'is vivront. Cela ne veut pas dire qu'ils mourront : ils pourront se retrouver prisonniers ou être contraints de se cacher pour échapper à la mort.
Aussi, n'oubliez pas que la Capitaine Shakalogat Gra Ysul est en chemin à travers Eldarya.
Le voyage commence au chapitre 3 !
Chapitre 3 - Les Fées Du Sang
Bonjour à vous et bienvenue sur ce chapitre 3 qui sera un petit peu plus long que les précédents !
Je tiens à rappeler que l'histoire devient un petit plus sombre donc âmes sensibles, s'abstenir.
Aussi et comme il le sera mentionné après les choix, la période des votes s'étend maintenant sur une semaine !
Quelques petites mises à jour sur le topic de présentation avant de vous laisser à votre lecture :
➜ Vous trouverez la liste des règles du cartel. Elle est encore incomplète, bien entendu, mais elle sera mise à jour au fur et à mesure des règles qui seront énoncées dans les chapitres suivants.
➔ Vous trouverez également la liste des jours ainsi que des mois sur Eldarya, vu que leurs appellations sont différentes des nôtres.
Et sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
⁂
« Il faudra que je te parle de quelque chose d'important.
- Très bien, mais après la réunion. »
Yüljet et Fuya - chapitre 1
Le bateau tangue pendant que ses yeux noirs balayent l'écriture ronde de Fuya, sur son rapport de mission. Une toute petite mission, c'est vrai, mais qui pourrait devenir la pièce d'un puzzle important.
Derrière Yüljet, le port de Tantale s'éloigne pour se transformer en un minuscule ponton ; se faisant engloutir par la forêt de Galène, aux arbres serrés. Pour sauver Sheraz, Titan abandonne Odrialc'h, la planque, la rue du tap, Sexta et Ryan.
Fawkes et Fuya pendant un petit moment, aussi.
La troll se retourne quelques secondes pour embrasser le décor familier du continent qui abrite la plus grande cité d'Eldarya. Il n'a rien d'accueillant et dépourvu de toute son Histoire ou bien des prouesses techniques dans divers domaines, jamais aucun touriste n'aurait voulu y poser un pied.
Le continent du Gabil n'est que roches sombres, forêt qui rechigne à ouvrir sa canopée à la lumière du soleil et métal. Beaucoup, beaucoup de métal.
Odrialc'h domine les terres environnantes en crevant le paysage avec ses murs en orichalque et derrière elle, sa forge immense, creusée au cœur d'une chaîne de montagnes, laisse toujours échapper leurs volutes de fumée par les cavités qui ressemblent à des bouches de pierre.
Un bateau d'un autre monde voguant vers le continent changerait de route en songeant qu'il ne trouverait que mort et poussière, ici. Pourtant, cette grande cité de métal est le rêve de bon nombre de faeliens.
Parce qu'Odrialc'h est la cité de tous les possibles.
Sauf si on finit par croupir dans la rue du tap ou la rue des flots, pense Yüljet, Ou même la rue du plaisir.
Porte violette, rue du plaisir : le chemin emprunté par Sexta pour se rendre à la planque.
Titan se concentre de nouveau sur la feuille de parchemin qu'elle tient entre les mains. Plus loin sur le bateau qui les emmène jusqu'à Rhenia-Gaear, Nash est en grande conversation avec le passeur, un vieux purreko gris à la queue cassée.
Comme l'avait prédit l'orc, le félin ne s'était pas montré très enthousiaste à l’idée d’emprunter le circuit du tap pour voyager jusqu'à la cité des elfes noirs. Néanmoins et après que Yüljet se soit acquittée d'une taxe supplémentaire pour le danger, il avait consenti à les emmener.
L'avantage de voguer avec un purreko, c'était de voir le risque de se faire attaquer par un fournisseur de tap diminuer. Ces derniers ne voudraient certainement pas voir leur accès aux Abysses se fermer de manière définitive.
Cependant, Titan continue de penser que même un félin de la grande lignée des Abysses ne peut pas leur garantir une sécurité complète. Alors si besoin, elle se servira des harpons perchés sur l'avant du bateau.
Mais pour le moment la mer est calme, un vent léger transporte l'odeur du sel, et lorsqu'ils atteindront la moitié de leur trajet, Titan sait que l'horizon du nord sera le reflet de son jumeau du sud. Le bateau quant à lui, sera un point perdu en pleine mer.
Ensuite viendra le froid.
La main de Yüljet se serre un petit peu plus sur sa feuille de parchemin alors que son esprit reprend son travail de réflexion. Elle doit éclaircir cette affaire et c'est la raison pour laquelle elle veut personnellement entrer en contact avec le réseau, afin de distribuer trois nouvelles missions.
Ses yeux noirs rivés sur les écrits de Fuya, Titan prend une nouvelle fois connaissance de son rapport :
Le suhel 17, du mois de roch,
Fuya Pyle
Rapport de mission sur les apparitions humaines durant ces dix dernières années (de 472 à 482)
Titan m'a demandé de faire des recherches sur le nombre d'apparitions humaines durant ces dix dernières années. J'ai enquêté sur les continents suivant, pendant ma mission sur le recensement des derniers villages qui se sont soumis à Odrialc'h :
→ Les Terres Gelées du Grand Nord (sans m'approcher de la frontière du domaine des Milliget)
→ La Triade d'Ohm (sur les îles de Vishnu, Brahma et Shiva avec une halte sur les îles du Qi en repartant).
→ Les Déserts du Geb et les Sables du Zénith sur les Mers d'Or.
→ Le continent du Beryx sans m'approcher de la cité d'Eel.
En revenant, j'ai également enquêté sur les apparitions humaines proches d'Odrialc'h, mais je n'ai trouvé que peu de choses.
Les Côtes de Jades n'ont pas vu d'humains non plus ces dix dernières années.
En résumé et après mon enquête, je n'ai recensé que 4 apparitions humaines, respectivement :
→ Sur le sol de "Diane", l'ancien village des lorialets, pas loin de Rhenia-Gaear, en 474.
→ À Albacore sur le continent du Beryx, proche d'Eel en 477.
→ Sur les îles du Qi en 479, pendant la construction de l'ambassade d'Eel.
→ Encore une fois du côté d'Eel en 481.
J'ai entendu parler d'une cinquième apparition il y a longtemps, dans la forêt de Galène mais ce ne serait qu'une rumeur. Je n'ai pas trouvé de preuves sérieuses ni de date précise.
Ce que j'ai remarqué ce sont les intervalles des apparitions humaines : 3 ans - 2 ans - 2 ans même si je n'ai pas pu retrouver la trace de la toute première apparition, avant 474.
Pour enquêter, j'ai suivi les rumeurs car mes recherches dans les bibliothèques des grandes cités et des villages n'ont rien données. Quand les livres parlent d'humains, c'est pour rappeler le vol de la Terre.
Comme on peut s'en douter, j'ai rencontré énormément de personnes qui penchent vers la conquête de la Terre (ou "reconquête" selon certains) quand d'autres voudraient pouvoir vivre sur Eldarya sans dépendre des rations et du ravitaillement.
J'ai voulu retrouver celles et ceux qui ont été témoins des apparitions humaines, mais personne ne veut s'en vanter. Néanmoins, les pistes que j'ai suivies m'ont donné des informations qui se rejoignent et qui ont donné le résumé que j'ai pu faire ci-dessus.
Les rumeurs parlent "d'accidents" pour décrire les apparitions humaines et toutes les personnes que j'ai interrogées pensent que les humains ont été exécutés peu de temps après leur arrivée. Lorsque j'ai demandé ce que seraient devenus leurs corps, les réponses ont été à peu près toutes les mêmes : détruits.
Titan m'a demandé d'écrire ma réflexion personnelle que voici : je pense que les apparitions humaines sont des accidents et que sur Terre, il doit rester des failles, comme des portails aléatoires vers Eldarya. Peut-être qu'Odrialc'h est au courant de ces failles et que le gouvernement tente de les retrouver. Ce serait possible puisque la présence d'Odrialc'h est partout sur Eldarya et que Eel, qui entretient une forte amitié avec la cité, pourrait leur prêter main forte sans problème.
Si c'est vraiment le cas, alors je pense qu'il serait intéressant que l'on se penche sur ces failles, nous aussi. Que l'on essaye de les retrouver mais pour les refermer.
Si elles existent réellement, alors Odrialc'h pourrait les exploiter pour leur projet de conquête terrienne.
Problèmes rencontrés pendant la mission : J'ai été suivie. Je m'en suis aperçue en quittant les îles du Qi. Je ne sais pas qui était cette personne et je n'ai pas pu voir son visage, mais je suis sûre qu'elle était traqueuse d'informations.
Je l'ai semée sur le continent du Beryx avec l'aide de Rose qui a pu me faire embarquer sur un navire marchand des Côtes de Jade.
Yüljet grimace en lisant de nouveau que Fuya avait été suivie et elle n'aime pas ça du tout. Mais ce qui est certain, c'est que le traqueur ou la traqueuse d'informations n'a jamais pu mettre la main sur ce rapport.
Les dernières lignes sont rédigées avec une écriture différente :
Fuya Pyle a rédigé ce rapport au fur et à mesure de ses voyages, durant sa mission initiale sur le recensement des derniers villages qui ont prêté allégeance à la cité d'Odrialc'h.
Elle n'en a écrit qu'un seul exemplaire et a renoncé à le garder sur elle lors de son arrivée sur le continent du Beryx. Elle me l'a donc remis.
J'ai procédé à son envoi vers le cartel une fois le traqueur hors du Beryx avec mon pterocorvus personnel plutôt que les chestoks et crowmeros habituels pour brouiller les pistes.
Le code est le dernier poison que Ryan m'a adressé.
Rose
L'atropine. Yüljet se souvient parfaitement du message de Rose concernant la demande de cette substance pour une mission d'espionnage dans une base militaire établie par Odrialc'h, sur une île entre le continent du Beryx et les Côtes de Jade.
Titan craignait que le circuit du tap n'ait été découvert, ce qui aurait rendu les déplacements hors de la cité beaucoup plus difficiles. Redoutant la trouvaille d'indices concernant le cartel, elle avait envoyé Rose en infiltration sur les lieux.
Les soldats présents sur la base utilisant des gaz de combat, le vampire avait demandé plusieurs doses d'atropine pour pouvoir y survivre s'il était touché. Mais il n'en avait pas eu besoin.
La substance était un poison ou un antidote pour ceux qui savaient s'en servir.
Tout est poison, rien n'est poison, c'est la dose qui fait le poison.* disait Ryan.
Titan avait entré le code sur le cadenas à combinaisons du petit coffret cylindrique, porteur du rapport de Fuya.
Une seule tentative possible, sans quoi le message se voyait noyé dans de l'encre de poulpatata. De même si on tentait de le détruire afin de récupérer le message par la force.
« Les fournisseurs de tap ! » s'écrit Nash.
Titan quitte son parchemin pour revenir à la réalité et se redresse avec des gestes rapides. Ses yeux noirs scrutent l'horizon à la recherche d'un bateau immonde, semblable à une petite île de bois sombre, typique des fournisseurs de tap.
Elle l'aperçoit.
Aussi noir que la mort qu'ils vendent, des pointes se hérissant sur les flanc de leur rafiot et de lourdes rames frappant les flots, le navire des fournisseurs est en vue.
Dans quelques minutes, il croisera la route de Yüljet, de Nash ainsi que de leur passeur et seul l'Oracle sait déjà ce qu'il se passera.
Le purreko se saisit d'une petite longue-vue, suspendue à sa ceinture, pour jeter son œil à son tour. Il grimace.
« Et voilà, c'est ce que je craignais. » marmonne-t-il.
Nash affiche un air inquiet alors que Titan s'approche des harpons. Elle plisse les yeux, ses mâchoires se contractent et son cœur s'accélère alors qu'elle regarde le bateau des fournisseurs en train de grossir.
Si une tête se montrait, il serait facile de la faire tomber grâce aux engins qui se tiennent devant elle, mais pas tant qu'elle, Nash ou le passeur ne sont pas attaqués.
Règle numéro 3 : Le cartel des Typhons ne doit tuer que pour protéger une vie.
« Dans la cale ! Vite ! s'exclame le purreko. Je vais régler ça. »
Yüljet hésite un instant, mais fait signe à Nash de s'exécuter.
Ils quittent le pont avant et se dépêchent de disparaître aux yeux d'un potentiel fournisseur en train de scruter leur navire. L'orc et la troll se tassent auprès des vivres ainsi que des tonneaux d'eau potable. Ensuite, ils patientent et tendent l'oreille.
Titan en retiendrait presque sa respiration, occupée à capter tous les bruits de son environnement : les gémissements du bois, le clapotis de l'eau claire en train de tanguer au sein de leur barils, le souffle de Nash et enfin…
« T'as du cran de te pointer sur nos routes, le purreko. Mais je suppose que t'as de quoi payer aussi. Fais voir ce que ton bateau a dans son ventre ! »
Une voix sombre, gutturale et effrayante s'élève au-dessus de Yüljet, si bien que ses yeux suivent le mouvement en se fixant sur le plafond de la cale. Elle ressent des frissons capturer sa peau et si elle doit sortir pour s'emparer des harpons, il lui faudra cesser de penser.
La créature qui se tient là, sur le pont de son horrible navire, est terrifiante. Titan sent Nash se crisper alors machinalement, elle pose une main sur son bras.
Reste calme.
« Mes affaires ne te concernent pas, répond le purreko avec assurance, et si tu me fais perdre du temps à vouloir explorer mon bateau, alors tu devras t'acquitter d'une taxe supplémentaire aux Abysses. Et t'expliquer avec Purrobald. »
Un grondement sourd se fait entendre. Un véritable roulement de tonnerre qui résonne jusque dans les os. Nash se demande comment fait le petit félin pour rester impassible face à son interlocuteur, surtout lorsque vient une suite de mots tous plus grossiers, affreux, morbides et sanglants les uns que les autres. Le ton claque comme un coup de fouet et l'orc a les muscles qui se tendent rien qu'à l'image du purreko en train d'accuser la tempête.
Puis le silence.
Les secondes se transforment en des battements de cœur pendant que les gorge s'assèchent. Yüljet a la sensation que sa langue est devenue un monticule de poussière et alors que tous ses nerfs piquent avec le désir de braver sa peur pour atteindre l'extérieur et défendre le passeur, sa raison la pousse à rester.
Si le purreko hurle, elle manipulera le harpon.
« Ma lignée sait que je suis en route au moment où nous parlons, rétorque le félin, et crois-moi que si je ne reviens jamais, elle enquêtera. Elle saura que toi et ta famille êtes passés sur le circuit et je suppose que vous ne voulez pas voir les portes des Abysses vous être fermées à vie.
- C'est une menace ? »
Un borborygme infâme emplit l'atmosphère et Nash plaque sa main contre sa bouche. Yüljet est tentée de l'imiter, mais elle s'oblige à garder contenance, malgré la pellicule de sueur qui couvre son visage brun.
Sa respiration devient difficile avec l'angoisse et en cet instant, elle aurait largement préféré vivre avec l'adrénaline d'une lutte. Ses yeux auraient vu flou et ses oreilles se seraient tenues loin de ces bruits immondes.
« C'en est une. Et je pense qu'il serait bon pour nous deux de reprendre nos routes. Pars maintenant et cette conversation n'aura jamais eu lieu. »
Nouveau grondement rauque, mais le fournisseur finit par céder. Le cœur de son commerce est rythmé avec les Abysses alors il n'a pas le choix.
Il se retire.
« C'est ta peau de félin qui te sauve la vie, crache la chose, sans quoi… tu l'aurais déjà perdue. »
Le purreko émet un sifflement dédaigneux et petit à petit, la tension semble quitter le navire pour reprendre sa route avec les fournisseurs. Yüljet et Nash attendent. Attendent.
Quand enfin, la voix étranglé du félin leur intime de sortir, ils s'exécutent. La troll retrouve l'air salin et la fraîcheur du vent lui donne l'impression d'être purifiée. Elle pousse un profond soupir.
Non loin d'elle, le purreko s'est rué vers le parapet du bateau pour vomir son dernier repas par-dessus bord. Titan baisse les yeux vers la tache sombre qui s'étend sur les planches ocres et ses entrailles se retournent.
Le mélange noirâtre n'a pas de mot pour être décrit et si on voulait tout de même essayer, celui de "putréfaction" lui sierrait le mieux.
« Putain de goules ! » beugle le purreko qui a un affreux arrière-goût rance dans la bouche.
Puis il reprend contenance. Il inspire et expire profondément pendant que son corps accuse encore ce qu'il vient de se produire.
Ce n'est pas la première fois pourtant, chaque rencontre avec un fournisseur de tap est comme une blessure cicatrisée qui s'ouvre encore et encore… même quand il fermera les yeux pour mourir, leur image s'imprimera sur sa rétine éteinte.
Cette peau racornie, ce visage dépourvu de nez, avec deux fentes creusées à même la chair pour laisser apparaître les yeux et cette bouche béante, infinie dont on avait oublié les lèvres… ces dent pourries, pointues comme des lames de jet et jaunie par les corps putréfiés que ces charognards dévorent lorsqu'ils ont assez pourris à leur goût.
Et ces membres disproportionnés, et ces corps qui semblent ramper par-dessus le bastingage de leur horrible bateau, et ces cheveux fillasses, encadrant ce qui leur sert de figure comme les pattes d'un insecte… et cette façon écœurante de cracher leur bile pour provoquer…
Le purreko rive ses yeux affolés sur Yüljet en grognant :
« Vous me paierez un supplément pour ce que je viens de vivre ! »
Mais Titan ne répond pas. Il a eu peur et elle le comprend : elle aussi, elle craint les goules.
Tout le monde les craint et s'ils vendaient personnellement leur tap aux Abysses, personne ne viendrait.
« J'ai déjà payé, réplique-t-elle, et tu connaissais les risques. Un accord est un accord, ne revenons pas dessus. »
Derrière le félin Nash est bien pâle, lui aussi. Mais il tente de garder son assurance en masquant ses tremblements. Chose vaine.
« J'aurais pu mourir ! s'entête le purreko.
- Mais tu n'es pas mort. Et si la chose avait voulu te tuer, Nash et moi serions intervenus.»
Le félin lui lance un regard mauvais, mais n'insiste plus. Il passe une patte lasse sur sa fourrure trempée par la peur et s'éloigne en pestant. Yüljet ne peut pas lui en vouloir.
« Cheffe… »
Titan se tourne vers l'orc qui reprend des couleurs, petit à petit. Son épaisse tunique de cuir et de fourrure jure avec sa peau cuivrée, même sa silhouette massive ne parvient pas à lui redonner l'allure d'un redoutable soldat. Les goules font cet effet-là à tout le monde.
La troll l'invite à parler d'un signe de tête.
« Je me demandais, poursuit Nash, si tu aurais pris le risque de déclencher une guerre avec les fournisseurs du tap, en tuant l'un d'entre eux pour sauver le passeur. »
La question est simple. Très simple, même et Yüljet n'a qu'à hocher la tête pour répondre.
Pourtant :
« Règle numéro 3 : Le cartel des Typhons ne doit tuer que pour protéger une vie, récite-t-elle, et celle du passeur est aussi précieuse que la tienne ou la mienne. Alors si le fournisseur s'en était pris au passeur, je me serais servie du harpon pour le sauver. »
Elle voit la figure de Nash se fendre d'incompréhension et elle sait qu'à la seconde où elle le regarde, son sens moral est en train de mener un drôle de combat.
Les fournisseurs sont terrifiants. Ils sont puissants aussi, et s'ils peuvent mener l'immense commerce du tap à bout de bras, c'est parce qu'ils savent se servir de la peur écoeurante qu'ils suscitent chez autrui. Personne ne veut devenir le cadavre dont l'un d'entre eux va se nourrir, après l'avoir laissé pourrir.
Personne ne veut se risquer d'avoir l'une de leur main immonde serrée autour de sa gorge et mourir empoisonné par leur bile. Il s'agit certainement de la mort la plus pitoyable et horrible que l'on puisse vivre.
Yüljet rive machinalement son regard sur la tâche qui ne quittera jamais les planches du bateau, qu'importe le produit avec lequel on voudra la frotter, puis va s'accouder au parapet.
L'océan entoure le navire et dans deux jours, le froid commencera à se montrer, signe qu'ils approcheront de Rhenia-Gaear.
«Le meurtre d'un des fournisseurs aurait attisé la haine chez eux et ils auraient cherché à se venger, c'est certain.
- Alors pourquoi…
- Est-ce que tu sais pourquoi les règles existent, Nash ? » le coupe Yüljet.
L'orc est bien trop surpris par la question. Le visage de sa cheffe est sérieux. Très sérieux.
Elle a toujours été ainsi : une figure intransigeante, anguleuse, autoritaire mais protectrice.
Titan prendrait cela comme une insulte mais quelque part, elle lui rappelle la Capitaine.
Les règles… ça lui évoque quelque chose, en effet.
Shakalogat Gra Ysul enseignait - et enseigne toujours - les règles du corps armée à ses jeunes recrues. Le respect, l'esprit d'équipe, la discipline, le sens moral, la vie, la mort… l'art de la guerre.
« Les règles existent pour être respectées, récite machinalement Nash.
- Les règles du cartel des Typhons existent pour nous empêcher de devenir des monstres. »
La bouche de l'orc s'ouvre de stupeur. C'est une réponse que son esprit n'a pas pu préparer et pour cause : lorsqu'il servait Shakalogat, on lui apprenait à combattre les monstres.
« Nash, l'interpelle sa cheffe, en tant que soldat, on a voulu t'apprendre de bonnes valeurs. Et c'est bien. Mais quand tu passes de l'autre côté de la barrière, il est très facile de perdre ce que tu es, jusqu'à ton identité et ton sens moral. Les règles sont là pour nous rappeler de rester des faeries. De ne jamais devenir des monstres, comme la chose qui a vomi sa bile sur ce bateau. »
Nash jette un coup d'oeil à la tache noirâtre en grimaçant. Ses larges épaules s'affaissent et en cet instant, il a la forte impression de redevenir un enfant qui découvre que la réalité n'est pas la jolie peinture qui s'étale dans les pages d'un livre de contes.
Sans qu'il n'en connaisse la raison, sa mâchoire saillante se met à trembler. Le vent marin emporte ses très longs cheveux noirs, rassemblés en une queue de cheval basse.
Il a compris l'enseignement de Titan, mais un pauvre sourire vient ourler ses lèvres.
« De tous les membres du cartel, je suis celui qui est arrivé en dernier. Je suis aussi celui qui n'a jamais tué alors que j'ai été formé pour le faire… c'en est presque ridicule.
- Tu as été formé pour protéger la cité d'Odrialc'h, les civils et les villages qui se sont soumis à elle. Et tu es celui qui a n'a pas encore été forcé de tuer pour protéger sa vie ou celle d'un autre.» corrige Yüljet.
Nash est jeune. Il a encore beaucoup à apprendre et Titan sait que sa vision idéaliste du monde peine à se calquer sur la réalité des évènements qui l'entourent. Aujourd'hui en est un parfait exemple.
Même si son esprit a dû lui montrer une histoire parfaite où il serait un héros, même si des images mentales de lui-même en train de tuer le fournisseur sans ressentir une once de peur se sont présentées à lui, Yüljet sait que Nash n'aurait pas eu le courage de défendre le passeur contre la goule.
Elle lui administre une tape amicale sur l'épaule. Il apprendra.
*Citation de Paracelse
Une brume opaque flotte sur l'océan glacé comme une haleine crachée par le dieu du froid pendant que ce dernier verse des flocons.
Elle est la porte des Terres Gelées du grand Nord et elle se dresse avec fierté, à l'entrée du continent. Elle est une cité grise, merveilleuse mais austère où les escaliers aux larges marches côtoient des ponts sculptés. Du haut de ses murs, Rhenia-Gaear semble toiser les voyageurs.
Les multiples fenêtres de ses grandes demeures sont des yeux perçants en train de scruter l'horizon derrière la brume, pour mieux ouvrir sa bouche et engloutir les bateaux.
Elle n'est pas la plus grande cité d'Eldarya ni la plus prestigieuse pourtant, les territoires tapis derrière son ventre ne sont que l'antre de la peur.
Si Odrialc'h est le berceau du métal et celui de figures emblématiques, comme la Capitaine Shakalogat Gra Ysul, Rhenia-Gaear est celui de l'alchimie et la gardienne de la frontière qui sépare les Terres Gelées du Grand Nord des terres de la famille Milliget.
À première vue, la cité peut sembler déserte. Aucune foule n'est là pour former un cœur immense en train de battre et même les voix sont difficilement perceptibles.
Pourtant, les elfes noirs sont bel et bien là seulement, la discrétion est le maître mot qui rythme leur vie quotidienne.
Le petit bateau qui transporte Yüljet et Nash a enfin quitté le circuit du tap il y a quelques heures. Par bonheur, ils n'ont fait aucune autre mauvaise rencontre. Mais la douane de Rhenia-Gaear les attend.
Qu'elle essaye.
Les pieds campés sur pont avant, emmitouflée dans son épais manteau olivâtre, Yüljet toise l'immense porte de la cité des elfes noirs, retranchée derrière la neige qui tente de former un rideau.
Des morceaux de glace flottent sur un océan en train de les repousser vers les pieds gris de Rhenia-Gaear. La cité semble dormir, c'est vrai, mais son œil gelé est grand ouvert sur ce minuscule navire qui ne veut pas se faire avaler.
Et il y arrive.
Le passeur s'attelle à son labeur et s'aventure encore plus loin sur une mer frissonnante pour atteindre un port fantôme que les bateaux ont l'habitude d'éviter. Nash et Titan regardent les murs de Rhenia-Gaear s'éloigner pour laisser place à des berges blanches, étouffées par une poudreuse dont la morsure tente de faire rougir la peau des voyageurs errants.
Le purreko s'est enveloppé dans une cape et son petit visage félin a disparu sous le tissu. Seuls ses yeux clairs gardent le cap de leur destination, en se plissant pour se protéger des flocons.
Le port abandonné n'est plus très loin. Il y a plus de vingt ans, il accueillait volontier les navires étrangers pour leur ouvrir le chemin vers Diane, l'ancien village des lorialets.
Un village qui a été massacré en une seule nuit.
Les rumeurs sur cette histoire continuent encore de circuler aujourd'hui même si de toute façon, personne n'a jamais connu la vérité. Un monstre, un homme, un dieu ou bien un Milliget… les coupables potentiels sont nombreux mais les preuves ont toujours manquées.
Aujourd'hui, Diane n'est que maisons en ruines, port fantôme et église gelée qui n'a plus jamais entendu de prières après le massacre. Et si Nash et Yüljet ne connaissaient pas l'identité de la silhouette en train de les attendre, ils auraient pu songer à un spectre.
Mais elle est à l'heure.
Droite sous la neige, sa longue cape avec un col en fourrure la protégeant du froid, Gabrielle Parceveaux arbore un large sourire sur sa figure anthracite. Ses yeux laiteux, sans pupilles, finissent par s'écarquiller lorsqu'elle aperçoit Yüljet et elle oscille entre le plaisir de la revoir ainsi que la crainte d'une mauvaise nouvelle.
La cheffe ne se déplace jamais pour rien, après tout.
Lorsque le navire accoste à bon port, Nash est le premier à le quitter. La présence de Gabrielle parvient à éloigner les horreurs du voyage et quand il se plante devant elle, le sourire aux lèvres, il l'observe un instant. Elle ne change pas.
Elle a gardé l'habitude de se raser le crâne et si elle laissait ses cheveux pousser à leur guise, ils seraient aussi blancs que ses yeux.
L'orc et l'elfe noir se retrouvent avec une accolade amicale. C'est pour cette complicité presque fusionnelle que Nash et Gabrielle forment un bon binôme pour le cartel, même si les débuts ont été difficiles.
L'esprit idéaliste de l'orc avait, plus d'une fois, exaspéré sa comparse.
Cette dernière s'amuse à tapoter les joues de son ami, avant de venir saluer sa cheffe, une expression plus sage sur ses traits délicats :
« Je ne sais pas si je dois être contente de te voir ou non, cheffe. Même si je crois que je vais pencher pour la première option. »
En vérité, Titan tombe à pic.
Gabrielle vient d'obtenir une information importante et si elle comptait la partager avec Nash, elle se sent tout de même plus sereine d'avoir l'avis de sa cheffe.
Cheffe qui pose une grande main brune sur son épaule en guise de salut.
« J'ai besoin de te parler d'une mission que je voudrais te confier. Des rondes régulières ici, à Diane, pour être plus précise. »
Gabrielle hausse ses sourcils blancs. Elle ne voit pas vraiment ce qu'elle pourrait chercher dans un village en ruine depuis plus de vingt ans, mais elle est curieuse d'entendre les détails de ladite mission. Cependant…
« D'accord, on discutera de tout ça, répond-t-elle, mais avant, je dois vraiment vous parler d'une info que je viens d'avoir. C'est important : ça concerne la frontière des Milliget.
- Des Milliget ? » intervient Nash.
Tout ce qui concerne ce pan de la noblesse eldaryenne est intéressant, et pour cause : leur frontière est impénétrable et ceux qui osent s'y aventurer n'en ressortent jamais.
De plus, leur fortune a été faite dans le sang.
Yüljet invite Gabrielle à parler d'un signe de tête.
« Je vous aurais bien invité à vous reposer de votre voyage dans la planque de Rhenia-Gaear, mais si on doit prendre une décision, c'est maintenant. Comme vous le savez, la Capitaine va renouveler les amitiés d'Odrialc'h avec les autres cités et comme vous vous en doutez, quand elle en aura fini avec Eel et les Mer d'Or, elle viendra ici. »
Titan blêmit. Elle échange un regard avec Nash avant de laisser échapper un soupir discret.
Il fallait bien que ça tombe sur l'un d'entre eux…
« Les Leblanc connaissent le trajet de la Capitaine par cœur, explique Gabrielle, ces adorables petits bourgeois ont toujours hâte de la rencontrer.
- Pour renouveler une amitié avec la cité d'Eel, elle n'y restera pas plus de quelques jours normalement, rassure Nash, ça devrait aller pour Fawkes. Et Rose l'aidera. »
Mais à la moue ennuyée que lui adresse Gabrielle, l'orc sait d'ores et déjà que ses espoirs sont vains.
« Qu'est-ce que tu as appris ? s'empresse Yüljet.
- Les Leblanc ont dit qu'elle devait procéder au recrutement de nouveaux soldats pour la garde rapprochée de sa mère, Ysul Gra Bolumbash. Et pour renouveler l'amitié entre Eel et Odrialc'h, ce seront des membres de Garde Obsidienne qui vont être sélectionnés. C'est un grand évènement, alors la Capitaine va rester un petit peu plus longtemps à Eel. »
Nash ouvre de grands yeux pendant que Yüljet ne dit rien. Les yeux fixés sur la neige, elle réfléchit à toute vitesse, pesant le pour et le contre des informations qu'elle vient de recevoir.
Ainsi, cette mégère de Shakalogat Gra Ysul compte s'éterniser à Eel pour vider la Garde Obsidienne ? Très bien.
Titan sait que Fawkes saura se débrouiller. Le renard-garou a toujours été très prudent et avec Rose, ils forment un binôme redoutable lorsqu'il s'agit de discrétion, d'espionnage et d'infiltration.
D'ailleurs et dès son arrivée, Yüljet est persuadée que Rose a déjà mit Fawkes au courant des évènements et que le binôme a déjà pris ses dispositions.
« C'est une catastrophe, souffle Nash, cheffe, vous devriez peut-être partir pour Eel !
- Non. C'est peut-être une aubaine pour nous. »
L'orc lui lance un regard interdit, mais Yüljet s'adresse à Gabrielle, l'air résolu :
« Parle-nous de tes informations. Quand on sera à Rhenia-Gaear, j'enverrai un message à Fawkes. On a peut-être le moyen de glisser un œil dans les beaux quartiers d'Odrialc'h. »
L'elfe noire se mord la lèvre, peu certaine de ce que sa cheffe a derrière la tête, mais sa pensée se tourne de nouveau vers les Milliget :
« Les Milliget ne reçoivent jamais la Capitaine sur leurs terres. Du coup, Rhenia-Gaear va les accueillir jusqu'à son arrivée, alors…
- Les frontières vont être ouvertes ! s'exclame Nash, et c'est l'occasion ou jamais de jeter notre œil ! Sans compter qu'avec les Milliget dans la cité, on pourra toujours tenter de les espionner... »
Gabrielle et son ami échangent un regard complice. L'orc a deviné juste et l'elfe noire sait que si leur cheffe n'était pas présente avec eux, il se serait déjà empressé de filer vers la frontière des Milliget pour établir un camp d'observation.
Mais il faut bien réfléchir à la façon de procéder.
Yüljet croise les bras sur sa poitrine.
« C'est une opportunité en effet, mais il faut bien garder à l'esprit que nous sommes en danger. Avec les Milliget dans les parages, il ne sera pas facile pour moi de circuler dans Rhenia-Gaear et vous devrez faire profil bas. »
Mais les portes de la frontière qui s'ouvrent… c'est une occasion unique. Dangereuse, mais unique. Il leur suffirait juste de percevoir ce qui se cache derrière pour se faire une idée de ce que peuvent bien cacher les terres de ce côté de la noblesse eldaryenne.
« Il faut établir un camp d'observation, cheffe ! s'enthousiasme Nash, et ensuite, prendre les Milliget en filature !
- N'oublie pas ta mission initiale, le sermonne Titan, et n'oublie pas le surnom que l'on donne aux Milliget. »
L'orc se rembrunit. Il hoche la tête pendant que son esprit lui communique le nom terrifiant que l'on donne à ces nobles qui se tapissent sur leurs territoires si froids.
Les Fées du Sang
La famille Milliget est surtout connue pour être l'illustre propriétaire de la plus grande prison d'Eldarya. Celle où sont envoyés les criminels qui ont commis les pires atrocités et dont la sentence est de croupir, à vie, sur l'île Zéro.
Située tout au nord des Terres Gelées, la prison se dresse au beau milieu d'un froid intense qui frôle le zéro absolu et que personne ne peut affronter sans mourir.
Sauf les Milliget.
Les prisonniers se voient administrer quotidiennement, de gré ou de force, une potion qui leur permet de supporter la température environnante. Ceux qui moisissent sur l'île Zéro depuis de trop longues années ont fini par perdre la raison et vouer un véritable culte au froid qui pourrait les arracher à leur terrible condition, sans cette fichue potion.
« Gabrielle, tu as bien pris connaissance de ta mission avec Nash ? » demande Yüljet.
L'elfe noire acquiesce. Elle a tout de même bien envie de connaître le fin mot de l'histoire et de savoir pourquoi le cartel des Typhons a choisi de s'immiscer dans les affaires des Alfirin pour "sauver" l'un d'entre eux.
« Très bien, reprend Titan, Je prends la suite des opérations en main jusqu'à mon départ. L'implication des Milliget a changé la difficulté de votre mission initiale. »
Yüljet n'aime pas du tout la tournure que prennent les évènements. Le voyage de la Capitaine était déjà bien assez compliqué à anticiper alors maintenant, les Milliget… elle serre les dents.
Mais le temps presse et la frontière ne restera pas ouverte éternellement. Alors peut-être qu'il faudrait profiter de l'opportunité.
Elle ferme les yeux. Elle est fatiguée du trajet sur le circuit du tap, mais il lui faut réfléchir.
Les Choix :
Comme vous pouvez le constater, la mission de Nash et de Gabrielle est devenue beaucoup plus complexe qu'au départ, à cause de la présence des Milliget dans la cité de Rhenia-Gaear.
Gabrielle a d'ailleurs obtenu des informations intéressantes : la frontière des Milliget va s'ouvrir et c'est quelque chose qui n'arrive que trop rarement. Mais c'est également une aubaine pour le cartel qui pourra ainsi, récolter de nouvelles informations sur ce pan de la noblesse.
Yüljet doit donner ses ordres. À votre avis, quelle doit être sa décision ?
➔ Se rendre immédiatement près de la frontière avec Nash et Gabrielle pour établir un camp de base et la surveiller jusqu'à son ouverture. Sachant que c'est extrêmement dangereux et que ladite frontière est gardée jour et nuit.
➔ Se rendre dans la cité de Rhenia-Gaear pour ordonner à Nash et Gabrielle de débuter leur mission initiale (manipuler Annette Leblanc pour la commande d'un bijou des joailliers Alfirin) en attendant l'arrivée des Milliget pour ensuite les espionner. C'est très risqué mais en faisant profil bas, il y a beaucoup plus de chances de s'en sortir. (Avec ce choix personne ne se rend à la frontière).
➔ Se poster à la frontière avec Nash pendant que Gabrielle accomplit la mission initiale.
Pour MayaShiz uniquement : La Capitaine Shakalogat Gra Ysul va procéder au recrutement des membres de la Garde Obsidienne pour qu'ils puissent intégrer la garde rapprochée de sa mère, Ysul Gra Bolumbash, la tête du pôle judiciaire d'Odrialc'h.
Une certaine June Albalefko se serait-elle inscrite aux sélections dans l'espoir d'intégrer cette garde rapprochée ? À toi d'en décider.
Chapitre 4 - Shelma
Bonsoir à vous !
Tout d'abord, je tiens à m'excuser pour mon retard. Le chapitre devait être posté dans l'après-midi, mais un imprévu IRL m'a empêché de le faire et j'en suis réellement navré.
Sachez que ce genre de retard est à titre exceptionnel et ne sera pas chose courante.
Aussi, ce chapitre arrive avec du contenu et pas des moindres : la
bibliothèque que vous pouvez retrouver
sur le topic de présentation sous le titre en question.
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Cette bibliothèque peut-être utile pour faire vos choix, alors n'hésitez pas à la consulter !
Ceci étant dit, passons au bonus de ce chapitre !
J'ai nommé, les portraits des membres du cartel des Typhons !
Je remercie chaleureusement
ZuzoHyo pour avoir réalisé ces merveilles, mais également
Makaria qui a réalisé celui de Gabrielle Parceveaux.
Je vous encourage à suivre ces talentueux artistes :
Instagram de ZuzoHyoProfil Eldarya de ZuzoHyo*
Instagram de MakariaProfil Eldarya de MakariaEt maintenant, place au cartel des Typhons !
FawkesLe Thème de Fawkes
*
Fuya PyleLe Thème de Fuya
*
Nash Gro ShulongLe Thème de Nash
*
Ryan QilinLe Thème de Ryan
*
Sexta StokerLe Thème de Sexta
*
Gabrielle ParceveauxLe Thème de Gabrielle
Et voilà !
Je remercie encore les artistes pour leur travail formidable qui permet à cette fiction d'être plus vivante. Encore merci à vous ! <3
À présent je vous laisse avec ce chapitre, mais aussi les choix ! Si vous avez besoin de rallonger la durée des votes, n'hésitez pas à le dire. En attendant, vous avez une semaine complète, bien entedu !
Bonne lecture !
⁂
Le profil de Nash se découpe parmi le paysage blanc. Le froid mord sa chair de cuivre, sans jamais y laisser de rougeurs et le regard de l'orc se moque des flocons acérés pour se river vers la frontière.
De là où il se trouve, en compagnie de Yüljet, il la découvre encore une fois.
Il la connaît par cœur et sa cheffe le sait : Nash l'a décrite à l'encre noire sur le corps de divers rapports de missions qui reposent sur les étagères de la planque. Titan s'est toujours demandée pourquoi il faisait preuve d'autant de poésie vis à vis de ce portail de la mort et elle pense qu'il s'agit surtout de la fascination de l'orc pour ce qu'il contient.
Les Milliget et l'île Zéro, mais quoi d'autre ?
Accroupie dans la neige, Titan ressemble à un rocher. Mais un rocher parviendrait à ne pas s'encombrer du froid, ce qui est difficilement son cas. Même ses muscles ne peuvent pas déterminer s'ils souffrent de leur immobilité prolongée, ou bien des températures qui chutent de plus en plus à proximité de la frontière.
En réalité, les Milliget ne vivent pas avec le froid : ils sont le froid.
Yüljet est obligée de serrer les dents pour les empêcher de claquer et lorsqu'elle regarde Nash du coin de l'œil, elle peut deviner sa mâchoire saillante en train de trembler.
L'orc reste silencieux.
Personne ne sait ce qui va se passer lorsque la frontière s'ouvrira, Nash. Garde bien ça en tête.
Oui, il le sait. Il le sait mais il a tenu à se laisser malmener par les flocons et les gifles glaciales de cette atmosphère figée pour achever son travail.
La frontière est une image que Titan pense marquée dans son esprit. Lorsqu'elle avait choisi de placer Nash a Rhenia-Gaear en binôme avec Gabrielle Parceveaux, Yüljet s'était montrée catégorique sur l'importance de la surveillance de la frontière des Milliget : chaque information obtenue sur cette énigmatique famille de la noblesse eldaryenne pouvait être précieuse.
Si l'on voulait cacher des secrets, leur territoire restait l'endroit idéal.
Alors aujourd'hui, Nash achèvera son travail.
Titan cligne des yeux. Avec l'orc, ils ont emmitouflé leurs visages derrière d'épaisses bandes de tissu afin de se protéger du froid, mais aussi des regards : les gardes font leurs rondes et même si Yüljet et Nash jouent les cartes de la prudence et du silence, un seul faux pas peut compromettre leur mission. Une seule altercation, une main qui attrape le coton de leurs grandes écharpes et c'est une erreur qui leur collera à la peau, si elle ne leur ôte pas la vie.
Les flocons qui continuent de tomber leur donnent l'impression d'être recouvert, petit à petit, d'un linceul gelé.
Titan rive son regard d'onyx sur la frontière. Elle finira par la graver sur sa rétine, elle en est persuadée et si elle n’avait pas été pas cheffe du cartel des Typhons, mais l'un de ses membres déployé à Rhenia-Gaear, peut-être aurait-elle fait de la frontière des Milliget une obsession.
Mais tout de même…
La poésie dont Nash l'a gratifiée, elle la mérite. Sous le regard de Yüljet se trouve le portail le plus malsain qui lui a été donné d'observer : des murs de glace s'élèvent comme des iceberg arrachés aux confins du grand nord pour être empilés ici et former une forteresse imparfaite. Mais ce sont ses irrégularités qui la rendent attirante : la nuit, les aurores boréales doivent parer la frontière de reflets et ici, sous le ciel gris des Terres Gelées, les angles, les courbes et les cassures ressemblent à des vagues pétrifiées.
Les vagues d'un océan déchaîné que l'on aurait gelé d'un claquement de doigts.
Quant au portail, il tranche la mer de glace en deux et il domine les lieux par toute la beauté que l'on a bien voulu lui donner. Yüljet ne sait pas qui l'a conçu, mais l'architecte en question savait assurément à quoi pouvait ressembler un membre de la famille Milliget.
A-t-il survécu aux fées du sang une fois son travail achevé ? On ne peut que le deviner.
Le portail est un enchevêtrement d'ailes d'apparence membraneuses qui s'écartent pour inviter les malheureux au sein d'une antre qu'ils ne quitteront jamais. Une salle d'attente avant le dernier voyage, certainement.
La puissance à elle-seule ne suffirait pas pour repousser les lourds battants et tenter de les escalader ne serait que folie. Les hauts murs de glace n'offriraient aucun support pour des mains, des pieds ou même des griffes et la pièce maîtresse de la frontière, avec ses ailes singulières, n'est qu'une façade qui dissimule des contrepoids ainsi que des poulies pour procéder à son ouverture.
La frontière des Milliget a toujours été fidèle à sa réputation : elle est impénétrable.
Et si quelqu'un avait eu l'idée malheureuse d'y tenter une infiltration, il se confronterait tôt ou tard aux gardes : les hommes du givre.
Lorsque le cartel des Typhon est né il y a neuf ans, la première tâche de tous les membres qui ont été recrutés a été celle de cartographier Eldarya. Chose nécessaire pour une excellente connaissance des lieux, mais surtout des ennemis que l'on finirait par combattre.
Titan avait donc appris à se méfier des hommes du givre, même si la majeure partie de la population d'Eldarya les considère comme inoffensifs, au même titre que les morgans qui vivent sur le continent du Beryx, non loin de la cité d'Eel.
D'ailleurs, quelques hommes du givre avaient choisi d'immigrer à Odrialc'h, comme l'équipe d'ingénieurs qui entretenaient les petits aéronefs de la cité. Les autres restaient dans leur petit village, "Bertha", près de Rhenia-Gaear, à dépendre de cette dernière pour le travail ainsi que l'obtention de leurs rations hebdomadaires.
Et puis il y avait les gardes de la frontière des Milliget.
De ce que Titan sait, il s'agit des meilleurs éléments qui avaient servi dans le corps armée d'Odrialc'h ou bien la Garde Étincelante de la cité d'Eel. D'excellents éléments, donc, et des armes vivantes évoluant dans le froid.
Dans ses rapports, Nash avait compté quatre équipes de douze gardes en train de se relayer jour et nuit.
Les murs de glace, la porte mécanique, les hommes du givre… tous ces détails formaient la raison pour laquelle Yüljet s'était résolue à interdire toute tentative d'infiltration sur le territoire des Milliget.
Une main sur son épaule la tire de ses pensées. Lorsqu'elle se tourne vers Nash, ce dernier lui désigne un endroit d'un geste du menton.
Si leur point d'observation est idéal pour guetter la frontière, l'orc a repéré un endroit plus proche de cette dernière qui leur garantit une vue imprenable une fois les portes ouvertes.
Il a raison. Cependant, cela les mettra en danger s'ils se font repérer.
Yüljet réfléchit et avise la situation : les lieux face à la frontière sont très exposés, puisqu'il ne s'agit que de déserts de neige sans aucun relief. Pas de rochers pour se dissimuler et encore moins de végétation.
Nash et Titan ont donc trouvé leur salut parmi les hauteurs des falaises qui bordent la voie vers le territoire des Milliget telle une escorte de glace. Leur ascension a été longue et pénible, mais le paysage qu'elles offrent en vaut la peine. Cependant, Nash voudrait descendre vers un pan éboulé. L'accès est assez aisé et leur promet de rester à l'abri des regards tout en ayant une vue directe vers la porte, mais en cas de fuite, cela deviendrait un obstacle.
Nouvelle tape sur l'épaule. Cette fois, l'orc se désigne avant de pointer l'autre point d'observation du doigt. Bien sûr qu'il veut y aller.
Il veut voir ce que lui cache la frontière et mettre un point final à ses rapports, Yüljet le sait.
Mais en est-il capable ? Lui fait-elle assez confiance pour protéger sa vie en cas d'échec ?
La réponse est "non", pourtant elle le doit. Comme avec tous les autres membres du cartel, elle doit lâcher la bride et laisser Nash réfléchir puis agir.
Est-il capable de devenir un excellent élément comme les autres ? Oui. Sans quoi, elle ne l'aurait jamais accepté.
Alors Titan lui donne son accord. Elle reste postée au même endroit pendant que l'orc rejoint celui qu'il a trouvé.
Et ils attendent.
Le froid appelle la fatigue, la fatigue appelle la somnolence et la somnolence se solde par la mort. C'est un cycle criminel mais sur la falaise glacée, un orc et une troll en ont parfaitement conscience.
Le voyage leur a pris de l'énergie et en cet instant, l'un de leur souhait serait de se reposer au sein de leur planque, à Rhenia-Gaear, sur une paillasse avec une chaufferette.
Il ne prendra vie que s'ils parviennent à achever leur mission avec des informations inédites à la clé.
Titan passe une main lasse sur ses yeux pour en chasser les flocons. Depuis un petit moment, elle a l'impression que la neige tombe plus dru au point de créer un rideau acéré sur les lieux. Elle sait qu'elle a raison lorsqu'elle remarque que ses mollets disparaissent petit à petit sous la poudreuse. Yüljet grimace sous le tissu de son écharpe : ils devront redoubler de prudence en quittant la falaise, quitte à déblayer leur chemin de retour à mains nues.
D'instinct, Titan se retourne vers l'est, là où se trouve les roches escarpées qui leur servent de sentier sinueux.
Puis elle se fige.
Ce n'est pas la fatigue. La troll a beau la ressentir peser sur son corps comme un poid mort, mais jamais l'épuisement ne lui a montré une telle étrangeté : plus loin sur la falaise, le tapis de neige n'a pas changé. Il ne s'est pas beaucoup épaissi, pas comme l'endroit où elle se tient.
Interdite, Yüljet se redresse quelque peu en faisant craquer ses articulations. Avec précaution, elle fait quelques pas et brave les flocons pour s'éloigner de son point d'observation et sa pensée se précise lorsque le rideau s'étiole et que la neige se fait plus rare.
Quand elle se retourne, elle fait face à une tempête blanche.
Ses yeux noirs s'écarquillent : quelques minutes plus tôt, elle se trouvait assise au cœur d'un tourbillon immaculé en train de filer comme un essaim. Un essaim qui ne les avait pas accueilli à leur arrivée.
Comment c'est possible ? se demande-t-elle. Aucun rapport de Nash sur la frontière ne mentionne un tel phénomène comme celui d'une tempête de flocons qui ne tombe qu'à quelques mètres du territoire des Milliget.
Soudain, Yüljet lève une main gantée face à son visage. Sans surprise, elle est couverte de poudreuse mais quand la troll l'observe plus en détails, elle peut remarquer que cette dernière s'accroche au tissu brun comme un insecte pris dans la toile d'un chead.
Son cœur s'accélère, mais elle redoute de comprendre.
Pourtant, l'évidence se traduit également par le bas son pantalon qui devrait être trempé d'avoir passé autant de temps sous un tapis enneigé, mais qui ne l'est pas.
« Merde… » souffle-t-elle.
Les flocons sont entrés en contact avec ses cheveux, avec la peau fragile autour de ses yeux, laissée à découvert par son écharpe, ils se sont pris dans ses cils pourtant, elle ne ressent aucune douleur.
Yüljet songe à Nash resté planté dans la tempête, lorsqu'un énorme bruit se fait entendre.
Le chant des poulies, les chants des contrepoids pour former le chœur du mécanisme des portes en train de s'ouvrir.
Titan peut sentir tous ses nerfs piquer devant ce phénomène qui ne s'est jamais produit depuis la formation du cartel.
C'est maintenant. Parce que les amitiés entre les cités se renouvellent tous les quinze ans, c'est maintenant que le territoire des Milliget s'ouvre aux Terres Gelées.
Le ballet des flocons étrange forme une barrière supplémentaire entre elle et le spectacle qui se déroule au-delà de la falaise et elle devine que Nash n'en perd pas une miette, ignorant la neige alentour.
Yüljet hésite, oscille, commande à l'un de ses pieds d'avancer pour se raviser, puis s'élance. Elle ne peut pas laisser l'orc et elle doit voir ce qui se cache derrière cette maudite frontière.
Une fois derrière le rideau blanc, le froid mord un petit peu plus et sa vision se réduit à des taches glacées qui viennent lui fouetter le visage. Mais elle rejoint son point d'observation.
Plus loin, les portes continuent de chanter, leurs battants s'ouvrant avec une lenteur intolérable et du haut de la falaise, ce sont des ailes membraneuses qui s'écartent pour laisser place à un trésor incertain. Le cœur de Titan palpite.
En contrabas, terré dans son pan éboulé, Nash n'est visible que grâce au noir de ses longs cheveux qui parviennent à triompher de la poudreuse. Il est penché en avant, quitte à s'allonger le cou tant il refuse de perdre une seule miette de ce spectacle qu'il attend depuis longtemps.
La première scène s'ébauche par des grognements sourds sortant de l'entrebâillure des ailes en pleine mécanique d'ouverture. Les Milliget sont là, derrière les battants et Yüljet et Titan sont à quelques secondes de poser leurs yeux sur des visages qui ne sont que spéculés par la population eldaryenne qui tente d'en peindre les traits.
Les pans du secrets de la frontière s'écartent… s'écartent… puis une patte blanche, massive, vient déformer le tapis de neige.
Immenses, tachetés de bleu, leurs muscles puissants roulant sous une épaisse fourrure éburnée, des ocemas s'animent en écrasant le désert gelé. De là où elle se trouve, Yüljet ne peut que poser des hypothèses sur leurs tailles, mais elle pense que ces familiers seraient capables de dépasser les deux mètres de hauteur en se dressant sur leurs pattes arrières.
Ils sont magnifiques et ils sont dix.
Leurs cavaliers aussi.
Un claquement sonore annonce la fin de l'orchestre : les poulies et les contrepoids ont cessé de chanter ; les portes sont ouvertes.
Yüljet s'avance, se baisse, enfonçant ses coudes ainsi que ses genoux dans la neige traîtresse et ce qu'elle voit… ce qu'elle voit…
Un saule cristallisé pleure ses lianes sur un lac qui ne connaît plus jamais de remous. Sa surface plane, irisée, a capturé des aurores boréales et Titan est incapable de voir jusqu'où elle peut bien s'étendre. Les murs l'en empêchent.
Peut-être est-ce un jardin, peut-être est-ce le domaine des Milliget qui borde leur demeure, invisible aux yeux des intrus mais ce qui le rend aussi magnifique que terrifiant, c'est toute cette paix cristallisée au cœur même de la glace.
Chaque plante en proie au givre, ce petit chemin étincelant comme un miroir, ces arches aux arabesques gelées et même ce kiosque plus loin, trônant tel un noyau de sérénité.
La frontière est une barrière qui empêche Eldarya de poser les yeux sur les merveilles qu'elle recèle et Yüljet se demande si tout au bout du voyage, là où ni elle, ni les autres membres du cartel ne pourront se rendre, se cache l'horreur.
En vérité, peut-être que ce jardin de glace et de reflet n'est qu'une illusion pour mieux tromper les curieux. Peut-être qu'aux confins du territoire des Milliget souffle une tempête de flocons encore plus blanche et plus dense afin de mieux masquer le sang qui fleurit sur la neige.
Sans compter l'île Zéro.
Nash ne doit pas en croire ses yeux et Titan sait que son prochain rapport aura des airs de contes merveilleux. Elle ne pourra pas lui en vouloir.
Cependant, ils n'auront pas appris grand-chose sur les Milliget. Leur frontière dissimule un jardin gelé, et après ? Que pourront-ils bien faire de cette information ?
Yüljet reporte son attention sur les cavaliers chevauchant leurs ocemas. Son visage se décompose et ses entrailles se contractent.
Plus bas, plantés dans leur grand désert de neige, dix silhouettes se tiennent là, drapées dans leurs étoffes d'un bleu azurin. Et dix têtes sont levées vers la falaise.
Ils les voient. Titan ne parvient pas encore à expliquer comment, mais elle sait qu'ils la regardent, elle et Nash.
Elle peut sentir leurs yeux transpercer les voiles qui masquent leurs visages et les vêtements qu'elle porte. La troll lance un bref regard vers l'orc qui s'est également redressé.
Ses longs cheveux noirs sont couverts de neige et enfin, Yüljet comprend : la tempête de flocons.
Le voilà, son rôle. Le ballet malin en train de tournoyer sert aux Milliget à repérer les intrus qui se seraient aventurés sur la falaise.
Et ils ont réussi.
Titan rive ses yeux noirs vers le contrebas, mais son malaise ne fait qu'empirer.
Les ocemas sont là, mais leurs maîtres ont disparus.
Yüljet fait un pas en arrière. Au creux de son ventre, un rouage malfaisant est en train de tourner pendant que ses nerfs piquent. Il y a un instinct qui lui dit, qui sait qu'elle et Nash doivent quitter la falaise immédiatement.
Elle doit garder contenance.
La troll observe son environnement pour mieux faire l'inventaire de tous les changements notables, depuis que les Milliget ont quitté leurs montures. La neige s'est intensifiée et il est clair qu'avec la poudreuse couvrant ses habits, Yüljet n'est qu'une cible à cueillir pour les créatures rôdant sur les lieux.
Sont-ils à dix mètres ? Cinq mètres ? Deux mètres ? Ils sont là, c'est une évidence. Titan le ressent.
Nash, pense-t-elle. Mais elle ne le voit plus.
La troll déglutit, son visage en proie à la vermine blanche tombant du ciel. Ses yeux ne lui servent plus à rien et si ses oreilles tentent de capter un son, un pas ou même un souffle, c'est le néant. Il ne lui reste plus qu'à bouger en tentant d'imiter les mouvements qu'elle a reproduit plus tôt.
Elle s'était dirigée vers cette petite corniche naturelle qui leur avait servi de sentier, quelques heures plus tôt.
La retrouver, elle, retrouver Nash puis fuir… sauf si un Milliget veut leur briser les os en les faisant tomber de la falaise. Titan ferme brièvement les yeux.
Leurs chances de s'en sortir sont minces. Tant pis.
Elle se met à marcher en essayant de contrôler sa respiration, mais son écharpe la gêne. Ses mains sont avides d'arracher le tissu qui obstrue sa bouche, pourtant, elles en restent loin.
Tant qu'elle sera vivante, Yüljet ne permettra pas aux fées du sang de connaître son visage.
Un frisson court le long de sa colonne vertébrale et sa langue redevient poussière.
Elle a la désagréable impression que chaque flocon s'est pourvu d'un œil rivé sur sa personne. Quelqu'un est là… quelqu'un est en train de guetter tous ses gestes et la chose derrière le rideau de neige semble vouloir jouer avec elle.
Soudain, un hurlement déchire l'atmosphère comme un coup de tonnerre.
Terreur, douleur, horreur… la voix de Nash est perdue sur la falaise mais un Milliget l'a déjà trouvé.
Le sang de Titan se glace et sa respiration s'affole. C'était la réponse d'un faerie face à une attaque ou bien à une apparence qui surpasse peut-être celle des goules.
Yüljet doit se calmer. Elle doit se calmer puis réfléchir.
Nash !
Il lui est difficile de suivre le chemin de son cri de terreur, mais elle doit essayer. Elle s'anime, gronde à ses jambes de se mouvoir et brave la tempête de flocons, les sens aux aguets.
Yüljet doit voir et entendre, même si on tente de la rendre sourde et aveugle ainsi, elle rejoindra l'orc et l'arrachera aux sévices de la chose qui s'amuse avec lui.
Shel...
...ma
Un murmure se mêle à la tempête. Un sifflement strident qui se sert de la poudreuse pour voyager sur la falaise et atteindre son interlocuteur, peut-être, en apportant la confusion aux intrus.
Yüljet rassemble toute sa concentration pour garder le cap et voguer vers Nash. Elle espère pouvoir l'atteindre.
Shel...
...ma
Re…
...viens.
Reviens… reviens… le souffle l'appelle, le murmure parmi le froid prie "Shelma" de revenir et les sons tournent, tournent et tournent encore avec les flocons et les oreilles de Yüljet se mettent à siffler.
Elle est perdue, elle a froid, elle est fatiguée mais elle avance.
Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma.
Son cerveau semble cogner contre sa boîte crânienne, épuisé d'entendre le vent glacé hurler ce nom à n'en plus finir et Titan sait que si demain elle est vivante, elle l'entendra même dans son sommeil.
Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma. Shelma… Cheffe ! … CHEFFE !
Yüljet reprend pied. Elle lève le visage, observe, cherche et enfin, elle le voit. Plus loin dans le chaos, la silhouette massive de Nash se détache, une main sur le flanc.
Il est vivant.
Titan accélère le pas, elle se met à courir pour le rejoindre et s'enquérir de son état, lorsqu'une ombre fond sur lui pour le plaquer au sol.
Quatre ailes irisées, membraneuses, une très longue chevelure opaline, une silhouette d'albâtre aux membres squelettiques, flottant dans une robe vaporeuse et un visage qui a perdu son voile glacé.
Deux perles grises, frangées de longs cils blancs, fixent Titan avec convoitise. Un nez fin siège au beau milieu de cette figure symétrique et des lèvres pleines, incarnates, s'étirent en un sourire presque innocent.
La créature maintient fermement l'orc au sol d'une main et si la scène ne se déroulait pas sous ses yeux, Yüljet aurait juré pouvoir la briser avec aisance. Mais l'être Milliget a de la force à revendre.
Titan jauge ce qu'elle a sous les yeux. Ses pensées s'agitent et elle oscille entre horreur et…
C'est comme le jardin aux merveilles.
Elle glisse une main, moite sous son gant, vers sa ceinture. La tête du Milliget est en plein dans sa ligne de mire et si elle lance sa lame, elle peut sauver Nash.
La créature redresse le buste. Le décolleté de sa robe merveilleuse aux mille tons bleus baille sur un torse plat, puis sur des clavicules qui ressemblent à deux traits de craie.
Shel…
...ma...
… Ouvre grand la bouche. Très grand. Ses lèvres s'étirent, la peau de sa mâchoire se tend, s'affine et menace de se déchirer mais il n'en est rien.
Yüljet ne peut qu'aviser ce trou béant, frangé de dents pointue et semblant provenir du plus profond de cette caverne aux horreurs, un morceau de chair rose serpente.
Titan met la main sur son couteau.
La sueur coule le long de sa peau, mais elle ne quitte pas son objectif des yeux et à raison : ce qu'elle avait pris pour une langue est en réalité une trompe.
La créature veut pomper le sang de sa victime, mais Yüljet ne lui en laissera pas le temps.
Sa pensée est occultée et seuls ses instincts parlent. Sa vision semble découper les images, son cerveau capte les actions en train de s'accomplir et le chaos d'une lutte rejoint celui des flocons parjures.
La chevelure opaline du Milliget forme des cascades boréales qui trompent la gravité pour s'étendre dans les airs en suivant les mouvements de son corps maigre. Sa trompe cherche à se planter dans la chair de Nash mais l'orc ne se laisse pas faire : il se retourne, il la repousse, il frappe le plexus de la créature dont les mains cherchent à agripper son visage.
Puis le couteau fend les airs.
Mais une main l'attrape avant qu'il se plante dans un crâne blafard. La poudreuse l'a vu venir. Elle a prit soin de se trouver sur le chemin de la lame avant qu'elle atteigne sa cible et pendant sa course brève, l'être Milliget savait déjà tout.
Son visage se déforme de colère mais un regard assassin sur Yüljet lui vaut de se retrouver au sol, avec un orc qui lui confisque le couteau.
La lame étincelle mais sa main tremble.
« Pars, cheffe ! » hurle-t-il.
Titan se met à courir vers Nash. Son esprit se disperse pour lui envoyer moult signaux et elle sait que si l'orc abaisse le couteau, neuf autres Milliget se jetteront sur eux comme des goules affamées.
C'est un jeu. Ce qu'ils vivent est leur jeu et là, allongée sur le sol avec sa bouche en train de s'ouvrir, Shelma continue de jouer.
La pompe est en train de se hisser jusqu'au visage de Nash. Elle transpercera le tissu de son écharpe pour se planter dans son crâne parce que, contrairement à lui, Shelma sera capable de le faire.
Titan ne les quitte pas des yeux. Ils se rapprochent, se rapprochent et l'un de ses bras se déploie pour se glisser sous celui de l'orc et le tirer avec elle.
Courir. Ne pas se retourner. Ignorer les murmures du vent, le ballet des flocons et avancer tout droit dans un décor qu'on leur a enlevé pour rejoindre le bord de la falaise.
Tout en bas se trouve le désert hivernal et la neige qui y tombe est vraie.
S'ils y parviennent, s'ils réfléchissent à toute vitesse pour descendre sans se tuer, s'ils arrivent à filer jusqu'à l'ancien village des lorialets pour se jeter dans la mer glacée et se défaire, enfin, de cette poussière blanche qui les rend si visible aux sens des Milliget.
Ils survivront.
Tout ceci pour un jardin aussi merveilleux qu'effrayant.
Les muscles de Yüljet la font souffrir mais elle continue d'avancer. Son imagination lui montre l'image d'elle et de Nash avec des trompes plantées dans leurs chairs et le sang quittant peu à peu leurs corps.
Il y a du mouvement partout. Cette fois, elle entend des ailes, des froissements d'étoffes, des bruits de bouche… Shelma a perdu, alors peut-être que les autres veulent tenter leur chance.
Des mains bravent la tempête, des ongles s'accrochent dans les vêtements et Nash les repousse à grands coups de couteaux.
Mais autant s'attaquer aux flocons eux-mêmes.
Le pied de Titan dérape lorsqu'il se heurte au rebord de la falaise. La troll cligne des yeux, ses prunelles d'onyx cherchant à déceler un décor qui lui est familier, malgré la neige des Milliget qui la suit à la trace.
Puis elle les voit : les rochers, la corniche, ce simulacre de sentier qu'ils ont emprunté lorsqu'ils sont venus : Yüljet a couru dans la bonne direction.
Elle échange un regard avec Nash et sans attendre, ils descendent.
Chaque pas, chaque mouvement, chaque seconde est un chemin potentiel vers une chute mortelle. L'orc et la troll s'agrippent au décor, se tiennent aux imperfections de la falaise même si la peur leur hurle de se hâter.
Mais le cauchemar est resté en haut et le ballet de flocons malicieux aussi.
Shelma et son horrible trompe ne se sont plus montrées et enfin, la sortie de l'enfer est visible.
Nash et Yüljet embrassent le désert de neige avec le soulagement d'être en vie mais une fois leur descente achevée, loin de s'accorder une seconde de répit, ils filent vers l'ancien village des lorialets.
Leurs ouïes perçoivent les grognements éloignés des ocemas alors, malgré les protestations de leurs corps, ils cavalent, s'enveloppant du nuage de leurs propres souffles.
Shelma… Shelma… le sifflement sonore de ce nom craché avec les flocons hantent encore leurs esprits et le paysage délabré qui les attend, avec ses souvenirs d'un vieux massacre d'il y a vingt ans, ne parvient pas à apaiser leur peur viscérale.
Titan et Nash peuvent presque construire l'image de vingt Milliget en train de déambuler à la place de feu les lorialets, leurs trompes dehors.
Quand ils atteignent le ponton qui les a accueilli, avec Gabrielle, quelques heures plus tôt, ils s'effondrent et le silence les entoure.
Leurs cœurs ne sont que des marteaux cognant dans une forge et leurs poumons brûlent.
Mais ils sont en vie.
Tout ça pour un jardin… tout ça pour un jardin…, ne cesse de se répéter Yüljet.
« Cheffe… » croasse Nash.
Avec peine, Titan redresse le buste et tourne son visage fatigué vers l'orc. Son état est similaire au sien.
Ses cheveux son emmêlés dans un curieux clair-obscur et la neige venimeuse y a fait son nid. Il a abaissé son écharpe pour respirer de grandes goulées d'air et son flanc gauche offre une fleur écarlate.
Nash grimace de douleur et sa main est rougie d'avoir appuyé sur sa blessure pendant la fuite. Gabrielle devra le recoudre.
Mais son autre main quant à elle, tient fermement une bourse de soie, merveilleusement brodée de teintes glacées, aux cordons déchirés.
« Qu'est-ce que… ? souffle Yüljet.
- Je l'ai arrachée au Milliget quand je me suis débattu. Je ne savais pas si on allait s'en sortir, mais… je ne voulais pas qu'on ait fait tout ça pour rien. Je… »
Nash s'affaisse sur lui-même.
"Tout ça pour un jardin", Titan le comprend. Mais cette pochette, c'est une tentative louable, même si elle contient des bijoux ou bien un mouchoire parfumé.
Quoique ce genre de créature ne s'intéresse peut-être pas aux mouchoires parfumés.
L'orc écarte les pans de sa trouvaille et y plonge la main, pour en sortir des petits récipients de verre qui s'entrechoquent.
La couleur rouge de leur contenus attire l'œil alors que Yüljet met un mot sur la nature de ces ustensils. Parce que Ryan en possède aussi.
Des éprouvettes.
Quatre éprouvettes porteuses d'un liquide vermeille qui a gelé.
« … Humain ? » murmure Nash, interdit.
Titan lui jette un coup d'œil curieux. L'orc est en train de lire un parchemin, trouvé au sein de la bourse, enroulé sur lui-même et orné d'un beau ruban.
Mais son contenu est loin d'être une invitation officielle.
Yüljet tend la main et Nash le lui remet. Avec appréhension, la troll pose ses yeux sur l'écriture fine, tracée à l'encre bleue et messagère d'informations aussi morbides que le sang de leurs accompagnatrices :
- Sujet humain "Élie", Mâle, 49. Prélevé en 477 (sujet ancien et décédé). Éprouvette E7.
Sujet humain "Erika", Femelle, 19. Prélevée en 479 (sujet en vie). Éprouvette E11.
Sujet humain "Yeva", Femelle, 29. Prélevée en 481 (sujet en vie). Éprouvette Y5
Sujet humain Lazlo, Mâle, 9. Prélevé en 482 (sujet décédé). Éprouvette L1
Les Choix
Au cours de ce chapitre, Yüljet et Nash ont failli perdre la vie lorsqu'ils se sont confrontés aux Milliget, mais surtout à une certaine "Shelma".
Au cours de la lutte avec cette dernière, Nash est parvenu à lui arracher une petite bourse de soie contenant quatre éprouvettes remplies de sang, ainsi qu'un parchemin détaillant des informations relatives à ces dernières.
Nash et Yüljet vont rentrer à Rhenia-Gaear et partager ces informations avec Gabrielle. Cependant et pour la suite des évènements, Yüljet a une idée en tête. Il leur faut espionner les Milliget pendant qu'ils seront au coeur de la cité.
Mais elle hésite encore :
➜ Doit-elle rapatrier Fawkes, l'expert en infiltration et lui confier la mission d'espionnage ? (Eel est à 7 jours de Rhenia-Gaear)
➜ Doit-elle rapatrier Fuya, la traqueuse d'informations et lui confier la mission d'espionnage (La Triade d'Ohm est à trois jours de Rhenia-Gaear)
➜Doit-elle confier cette mission au binôme Fawkes et Rose Clarimonde ?
➜ Doit-elle se charger de cette mission elle-même en compagnie de Nash ? Ce serait achever leur travail.
Est-ce que ce choix met une vie en jeu ?
Ce choix met effectivement une vie en jeu.
Pour Waïtikka uniquement :
Message de : Titan, relayé par Gabrielle Parceveaux
Fawkes,
Je suis bien arrivée à Rhenia-Gaear avec Nash, même si nous avons fait de mauvaises rencontres.
Lors de notre arrivée, Gabrielle Parceveaux nous a transmis des informations dont tu dois déjà être en possession : la sélection officielle pour la Garde Rapprochée de l'Éminente Ysul Gra Bolumbash et l'arrivée de la Capitaine courant mimouet.
Fais très attention à toi.
Néanmoins, je pense que nous pouvons profiter de la sélection officielle pour approcher la noblesse eldaryenne.
Je veux que toi et Rose suspendez votre mission initiale et enquêtez sur les candidats à la sélection. Le but de votre mission est de trouver une cible facile à prendre en filature et à espionner.
Suivez les sélections jusqu'au bout et lorsque vous connaîtrez les noms des candidats retenus pour la finale, je veux que Rose entre en contact avec eux pendant que tu enquêteras dans l'ombre.
Fais-moi parvenir des rapports réguliers. Je sais qu'il n'y a aucune chance pour que le cartel recrute de nouveaux membres parmi les candidats de la sélection, mais je suis certaine que nous pouvons obtenir des informations intéressantes.
Fawkes, j'attends ton premier rapport.
Titan
Eh bien Waïtikka, je te félicite : tu vas pouvoir rédiger le premier rapport de Fawkes. Ne t'en fais pas, tu auras quelques indices pour t'aiguiller mais au final, c'est toi qui va décider de la suite des évènements, mais surtout de la mission.
Voici les indices suivants :
⇒ Fawkes a voyagé en direction d'Eel en compagnie d'une purreko d'une trentaine d'années du nom de Purriva. Elle a un caractère téméraire et explosif.
⇒ Fawkes a accosté au petit port du village d'Amzer, le village des morgans et a été accueilli par Rose.
⇒ La planque du cartel se trouve dans le village d'Albacore, qui est un petit village de passage pour les marchands en route vers Eel.
⇒ Fawkes et Rose travaillent ensemble depuis deux ans.
⇒ Après le message de Titan reçu par Fawkes, voici la liste des candidats que Rose a pu trouver (ils sont bien entendu, tous membres de la garde Obsidienne) :
Katel'li Brezelour, 44 ans, chat-garou (bourru, force brute, rigide sur le respect du règlement).
Byrnrael Brezelour, 47 ans, épouse de Katel'li, faerie indéterminée, (manieuse de hache, sereine, réfléchie).
Shawata Maliwe, 31 ans, satyre, (manieur de lance, taciturne, solitaire et pragmatique)
June Albalefko, 24 ans, salamandre (aucun fait notable au sein de la garde Obsidienne, membre ordinaire, connue pour son caractère enthousiaste et sa maladresse).
Joseph Ael Diskaret, 51 ans, morgan (fait partie de la section de protection des civils au sein de la cité d'Eel, apprécié par ces derniers, manieur de glaive, patient, tranquille, loyal, voue une grande improtance au respect des règles).
Pour MayaShiz uniquement
June Albalefko a choisi de participer à la sélection officielle afin d'intégrer la Garde Rapprochée de l'Éminente Ysul Gra Bolumbash. Elle a donc reçu un formulaire à compléter et à remettre à son Chef de Garde avant la date inscrite.
MayaShiz, c'est donc à toi de compléter ledit formulaire : ICI
Message aux autres lecteurs : vous êtes bien entendu libres de lire le formulaire, mais merci de ne pas écrire dessus à la place de Mayashiz.
Pour ZuzoHyo
uniquementPour honorer le renouvellement de l'amitié entre les cités d'Eel et d'Odrialc'h, les autres Gardes ne sont pas en reste. En effet, les membres de la Garde Absynthe qui étudient la médecine de près ou de loin sont invités à suivre gracieusement un séminaire d'une semaine sur la chirurgie, au sein de "La Grande Auréole", soit l'hôpital universitaire d'Odrialc'h.
Un certain lilymoe occupe actuellement le poste de secrétaire médical d'Ewelein Osgiliath, la médecin en cheffe de la Garde d'Eel. Il a pour travail de l'accompagner à toutes ses visites et de rédiger les ordonnances et comptes-rendus de ces dernières.
Ewelein a également reçu une invitation pour se rendre à "La Grande Auréole" et y donner une conférence sur le thème du cœur et de son anatomie chez les différentes espèces faeliennes.
Mais elle hésite beaucoup à abandonner la cité d'Eel et ses patients pour une semaine. Elle a donc abordé le sujet avec lilymoe.
Qu'en pense-t-il ?
Lui et Ewelein devraient-ils se rendre à Odrialc'h ? S'ils acceptent, ils embarqueront sur le bateau de la Capitaine Shakalogat gra Ysul après les sélections.
Aussi, lilymoe pourra assister Ewelein lors de sa conférence.
ZuzoHyo, à toi de rédiger ta réponse. Tu es libre d'inscrire tous les détails que tu souhaite afin de mieux orienter lilymoe.
Un petit mot aux autres lecteurs :
Vous êtes tout à fait libre de conseiller Waïtikka, MayaShiz et ZuzoHyo dans leurs choix. Libres à eux de tenir compte de vos conseils ou non.
Sur ce, je vous dis à la prochaine avec le chapitre 5 ! (^_^)/
Chapitre 5 - Contact
Bonjour à vous !
Nous revoilà avec ce cinquième chapitre d'Apotheosis qui est plus long que les autres et qui contient beaucoup d'informations !
Tout d'abord je tenais à m'excuser vis à vis du retard de la publication. Comme je l'ai mentionné avec mon dernier post, mon planning a énormément changé cette semaine et mon temps d'écriture s'est vu réduit. C'était malheureusement indépendant de ma volonté et ça devrait se calmer à partir du mois de juillet, je l'espère.
Dans tous les cas, sachez que quoi qu'il arrive, vous aurez tout de même un chapitre qui sera publié toutes les semaines, même si ça ne sera que le dimanche après-midi.
Avant de vous laisser avec votre lecture, je tenais à vous prévenir que certains détails sordides de ce chapitre peuvent heurter la sensibilité d'autrui. Vous savez déjà que l'univers d'Eldarya que je propose est beaucoup plus sombre que le jeu original, mais attention tout de même.
Aussi, vous découvrirez deux nouvelles œuvres en fin de chapitre, qui ont été réalisées par une artiste qui a accepté de contribuer à Apotheosis ! Je ne peux pas vous les présenter au début de ce chapitre au risque de spoiler, mais vous ne pourrez pas les manquer à la fin !
Petit bonus : je tiens à remercier chaleureusement
MayaShiz pour la petite surprise qu'elle a laissé dans mes MP cette semaine !
Si vous êtes curieux de découvrir June en train de remplir son formulaire pour les sélections, je vous renvoi à
cet OS qu'elle a écrit pour l'occasion !
Je vous partage également la petite illustration qui va de paire avec l'OS, réalisée aussi par MayaShiz !
J'en profite également pour glisser un petit lien vers la fiction de MayaShiz dont le personnage de June est l'héroïne !
Vous y trouverez un univers d'Eldarya entièrement remanié sous sa plume, ainsi que le spräk qui est une langue inventée de toutes pièces par MayaShiz !
MayaShiz est une auteure que j'apprécie énormément et qui m'a beaucoup appris en terme d'écriture (écrire l'action par exemple x)) alors je ne peux que vous conseiller d'aller lire ses écrits, au détour d'un petit clic sur cette bannière :
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
⁂
Elle n'a jamais été belle.
C'est une affirmation depuis que des racines empoisonnées se sont frayées un chemin dans son esprit, et que les reflets ont appris à lui parler.
Elle se souvient des mots, aussi. C'est certainement l'initiation la plus douloureuse qu'elle ait traversée et c'est pendant cette période qu'elle a pu comprendre que le langage pouvait blesser. Seulement, les coups reçus ne revêtaient pas de blessures.
Elle n'a jamais été belle et c'est ainsi.
Qu'importe le réceptacle, son image reste la même : dans le plus simple des miroirs, dans une flaque d'eau, sur le dos abimé d'une cuillère et dans sa propre tête.
Ce sont des pensées bien inutiles car la beauté de son visage et de son propre corps n'est qu'un détail futile qui ne régit même pas sa vie.
Ce n'est qu'une poussière à occulter comme la douleur qui siège sur son bras gauche, par exemple.
Yüljet passe une main brune sur la peau de son poignet, avant de la laisser courir jusqu'au creux de son coude. Le contact est douloureux et elle sait qu'en cet instant, son grand corps n'est qu'une montagne qui a vu fleurir plusieurs bleus durant la mission précédente.
Assise sur un tabouret, Titan trône au beau milieu de la petite salle de bain de la planque. Après le froid mordant de la frontière des Milliget, elle a finalement pu se traîner jusqu'à Rhenia-Gaear avec un Nash blessé suspendu à son bras. L'orc a su garder contenance mais Yüljet sait que le trajet a été un véritable calvaire.
À présent, il est recousu et se repose sur sa paillasse auprès d'une chaufferette, pendant qu'elle est partie décrasser son corps de la sueur, de la neige mouillée et de la peur.
Ses longues tresses ont quitté leur queue de cheval habituelle afin de reposer sur son dos massif et à ses pieds, un large baquet d'eau lui renvoie son reflet.
Lorsque Yüljet a abandonné le linge qui lui a permis de se laver, l'eau a arrêté de tanguer pour se figer. Titan n'a pu que plonger dans ses propres yeux pour aviser cette "face d'homme" épuisée par sa mission précédente.
C'est dans ce genre d'instant, où elle se défait de ses atours ainsi que de son rôle de cheffe du cartel des Typhons, que sa face d'homme vient la parasiter.
Peut-être est-elle tapis dans l'eau de n'importe quel baquet ou bien dissimulée sous tous les linges d'Eldarya, mais Yüljet sait qu'elle est là et qu'elle n'attend que la seconde où elle lâchera prise pour se faufiler dans son esprit et lui rappeler qu'elle n'a jamais été jolie.
Elle permet à Titan de se souvenir, aussi, de toutes ces journées, toutes ces heures passées dans une autre vie à offrir ses mains et son énergie pour construire de merveilleuses maisons destinées à des personnes aux poches remplies d'or.
Alors, dans ces moments-là, Yüljet repense aux femmes des beaux quartiers : leurs yeux soulignés d'un trait noir, leurs cheveux domptés en des coiffures complexes et leurs vêtements vaporeux de voiles et de soie. Elle peut revoir leurs accessoires luire sous un soleil de plomb et surtout, elle songe à ces dames orcs qui ont paré leurs crocs saillants de breloques étincelantes, pour certainement tenter de transformer ce détail sauvage de leur image en quelque chose de plaisant à regarder.
Si Titan avait été peintre, elle aurait sûrement immortalisé ces jolies femmes sur une toile qui se serait intitulée "Dames des Beaux Quartiers".
Tout ce qu'elle a pu envier dans cette autre vie sans jamais se l'avouer, et tout ce qu'elle n'est pas.
Elle est née troll, dans un corps musculeux sans finesse et sans élégance, avec un visage anguleux trop "homme" pour être beau, parait-il.
Tous les ouvriers de ce chantier sont des hommes. Tous.
Qui te trouvera belle ?
Yüljet se souvient de cet ancien collègue. Un maçon au sourire goguenard, toujours entre deux eaux avec une flasque pleine de moretum à la main.
Il travaillait saoul mais il travaillait bien, alors on le laissait faire. Et un jour, une pensée avait traversé son esprit embrumé.
Oh, je sais ! "Face d'homme", si tu t'habille comme un prince, tu pourras séduire une femme de la haute société ! Tu n'auras qu'à l'épouser, mais tu devras renoncer à lui faire l'amour : comme ça, elle ne découvrira jamais la supercherie.
Titan peut revoir ce fameux collègue rire de sa plaisanterie. Mais ce qu'il n'a jamais su, c'est que ses phrases lancées par sa voix éraillée l'ont aidé à rompre avec l'envie de se travestir en quelqu'un d'autre.
"Face d'homme" la suit encore jusqu'à cette petite salle de bain où elle se tient à Rhenia-Gaear, mais c'est un masque qu'elle a fini par accepter, tout comme l'affirmation de ne pas être belle.
Mais lorsqu'elle avait quitté son collègue, le jour où il lui avait braillé l'idée de s'habiller comme un prince, Yüljet était parvenue à trouver une parade aux paroles empoisonnées d'une personne qui aurait dû l'aimer .
Qui te trouvera belle ? avait-elle dit, Personne ! Même si j'étais riche, je ne trouverais aucun homme qui voudrait marier ma fille au visage d'homme. Si j'avais pu tomber enceinte après toi, j'aurais au moins essayé de faire une vraie fille… ou un vrai garçon. Vraiment, qui te trouvera belle ?
Et cette fois, Yüljet avait pu répliquer à sa mère, sans souffrir de ne pas être la "vraie fille" qu'elle aurait tant voulu.
Si personne ne peut me trouver belle, alors il y aura peut-être quelqu'un qui me trouvera beau.
Lorsque Titan s'approche de la salle principale de la planque, vêtue d'une tunique en laine, elle entend du verre s'entrechoquer et elle devine Gabrielle en train d'examiner les éprouvettes de sang humain.
La trouvaille qui a suivi l'incident à la frontière des Milliget fascine l'elfe noire et nombreuses sont les hypothèses qu'elle a partagées avec sa cheffe : cryogénisation de corps humains dans le domaine des fées du sang, expériences pour le compte d'Odrialc'h, étude de l'espèce humaine pour mieux la dominer…
Yüljet doit avouer qu'elle ne sait pas vraiment quoi en penser. Ce qui est certain, c'est que si ces éprouvettes dans leur bourse de soie se sont retrouvées hors de la frontière, c'est qu'elles étaient destinées à être remises à quelqu'un. Mais qui ?
« Comment va Nash ? » demande Titan en s'asseyant près d'une chaufferette à eau en forme de cruche.
Gabrielle lève ses yeux blancs, un frêle sourire sur ses lèvres. Si sa main droite manipule distraitement l'éprouvette E11, l'autre est agrippée au parchemin.
Elle a dû le relire une bonne centaine de fois, Yüljet en est certaine.
« Il se repose. Heureusement qu'il a la peau dure. C'est peut-être pour compenser l'air qu'il a entre les oreilles. »
L'elfe noire ponctue sa phrase d'un rire, mais son regard est fuyant.
Titan sait qu'elle a eu peur et son instinct avait parlé de lui-même lorsque Gabrielle les avait vu revenir de la frontière, couverts de la neige des Milliget et du feuil de leur propre sueur.
Elle s’était précipitée vers Nash comme si sa cheffe n'existait pas et c'est seulement lorsqu'elle avait pu aviser que la blessure de l'orc ne mettait pas sa vie en danger que son masque alarmé avait quitté sa figure.
« Si tu n'avais pas été avec lui, il ne s'en serait pas sorti, affirme Gabrielle d'un ton grave.
- Tu n'en sais rien. Peut-être qu'il aurait survécu et que l'accident l'aurait endurci. »
Nash est téméraire, c'est un fait.
C'est le premier point qui a frappé Yüljet en l'écoutant parler et en lisant ses premiers rapports. L'orc est téméraire et possède un esprit idéaliste qui le mène souvent à agir sans réfléchir.
Mais même s'il commet des erreurs, Titan pense que c'est son optimisme qui peut apporter un petit peu de lumière au cartel fatigué par l'horreur du monde.
Elle ne peut pas encore lui accorder sa confiance en tant que cheffe mais elle peut lui donner le bénéfice du doute et le regarder évoluer en conciliant ses idéaux avec la réalité.
Tous les membres du cartel des Typhons le font à leur manière, après tout.
« Est-ce que les messages sont partis ? »
Gabrielle hoche la tête.
Avant de se rendre à la frontière des Milliget, Yüljet avait demandé à ce qu'un message soit adressé à Fawkes pour une nouvelle mission à la cité d'Eel.
Les sélections sont un véritable obstacle, surtout avec la présence de la Capitaine et Titan ne peut que deviner le renard-garou, ainsi que son binôme, redoubler de prudence et redouter son arrivée. Mais les sélections peuvent aussi être une aubaine menant vers des informations en or.
Si Fawkes choisit bien sa cible, alors il y a tout à gagner.
« Fuya devrait arriver d'ici trois jours, songe Gabrielle, ce qui me laisse le temps de vérifier mes informations concernant l'endroit où les Milliget vont séjourner en attendant la Capitaine.
- Les Leblanc ont dit quelque chose ? »
Au soupir de Gabrielle, Titan devine que les informations doivent être nombreuses.
Ses yeux opaques fixent un point invisible sur la lézarde d'un mur et sa peau sombre est légèrement rougie par la lumière dansante d'une lampe à huile.
L'elfe noire a remplit sa mission, pendant que sa cheffe était à la frontière avec Nash. Son rapport a beau être court, il n'en est pas moins clair : la jeune Annette Leblanc obtiendra un bracelet de la joaillerie Alfirin et dans quelque temps, Gabrielle lui soufflera l'idée d'un bijou conçu par Gorthol Alfirin lui-même.
Mais l'esprit d'Annette étant versatile, le voilà tourné vers la présence des Milliget en ville.
« Pour loger des personnes de leur rang, rien ne vaut la demeure du marquis de Rhenia-Gaear mais si c'est le cas, ce sera difficile pour Fuya.
- Aussi difficile que d'infiltrer les beaux quartiers d'Odrialc'h et le grand palais du Gouverneur Suprême de la cité. » achève Yüljet d'un ton laconique.
Titan et l'elfe noire échangent un regard entendu.
Sur la liste des membres du cartel des Typhons, Fuya restait la personne idéale à rapatrier que ce soit au niveau de ses compétences que du temps de voyage.
Traqueuse d'informations professionnelle, mémoire photographique et capacité de copier un document ou croquer un visage en quelques minutes. Yüljet n'a pas hésité longtemps.
Mais si les informations de Gabrielle sont bonnes, alors infiltrer le manoir du marquis pour espionner les Milliget serait une mission de trop grande ampleur.
Titan ferme brièvement les yeux.
« S'il arrive quelque chose à Fuya, Sexta ne me le pardonnera jamais. Et moi non plus.
- S'il était arrivé quelque chose à Nash, c'est aux Milliget que je n'aurais pas pardonné. » intervient Gabrielle.
Yüljet se confronte au visage résolu de l'elfe noire. Ses traits délicats se sont figés en une expression assurée et alors qu'elle repose délicatement l'éprouvette sur la petite table basse qui trône au centre de la planque, elle reprend d'un ton plus sec.
« On connaît les risques, cheffe. On les connaît dès que l'on décide d'intégrer le cartel. Et on sait aussi qu'un jour ou l'autre, tu feras une erreur. Parce que tu finiras par en faire. »
Gabrielle secoue la tête en passant une main lasse sur son duvet de cheveux blancs.
« Personne n'est infaillible. Si demain je me trahis aux Leblanc, alors ma tête tombera. Si demain tu envoies Fawkes au large des Côtes de Jade, via le circuit du tap et qu'il croise une goule vorace, alors il mourra empoisonné. Mais à qui la faute ?
- À celle qui vous a juré protection en échange de votre confiance. »
Silence.
Au cœur de sa prison de verre, le sang humain a finit par fondre et repose contre les parois translucides telle une rivière vermeille.
L'éprouvette que regarde Yüljet porte la mention "Y5".
Les cheveux de la troll coulent sur ses épaules comme des lianes de paille, de terre et de bronze.
« Je comprends le fond de ta pensée, Gabrielle, répond Titan, mais je ne suis pas d'accord. Vous n'êtes pas des pions que je peux sacrifier sur un échiquier parce que je commets une erreur. Si demain tu meurs parce que tu te trahis aux Leblanc, ce sera ta décision mais ma faute. Parce que tu n'auras pas été à la hauteur de ta mission d'agent double et que je n'aurais pas su le voir.
- Ça n'a pas de sens…
- Pour toi. »
Le chef ou la cheffe du cartel des Typhons n'est pas la personne la plus douée au combat, mais celle qui connaît la valeur d'une vie.
Et si dans trois jours Fuya meurt entre les murs de la demeure du marquis pendant sa mission, alors qui d'autre que sa cheffe pourra en porter la responsabilité ?
Mais Titan y a longuement réfléchi : avoir les Milliget à portée de main est une aubaine. Les risques encourus à la frontière ne serviraient à rien si personne ne peut aller jusqu'au bout du travail et les éprouvettes de sang humain resteront un mystère.
« Tu vas vérifier tes informations et si elles sont correctes, alors je vais envoyer Fuya au manoir pour espionner les Milliget, reprend Yüljet, car je suis certaine qu'elle peut trouver des informations importantes sur un projet de conquête terrienne et sur les Alfirin. Mais si on ne peut pas s'infiltrer avec elle, nous allons l'aider de l'extérieur. »
Elle voit Gabrielle l'écouter avec intérêt.
Si Titan récapitule la situation de Rhenia-Gaear, elle parie fortement qu'avec la présence des Milliget dans la cité, la police locale et les gardes du manoir doivent être à cran.
Malheureusement pour eux, Yüljet a prévu de semer le chaos pour attirer leurs regards ailleurs et permettre à Fuya d'entrer et de sortir sans encombre.
Ensuite, il leur suffira de disparaître.
Comme celle d'Odrialc'h, la planque de Rhenia-Gaear abrite de nombreux documents importants, dont les copies des rapports de Nash sur la surveillance de la frontière, mais aussi des informations concernant le marquis et sa famille.
Ainsi qu'un plan détaillé de la cité des elfes noirs et c'est ce dont Yüljet a besoin.
La troll le déroule sur la petite table basse pendant que Gabrielle met les éprouvettes a l'abri, puis se met à réfléchir.
Sans surprises, le manoir du marquis domine la cité toute entière et si Rhenia-Gaear a une architecture très différente d'Odrialc'h, il est aisé de voir que les quartiers les plus pauvres sont disposés sur la périphérie de la cité.
Titan les désigne d'un doigt.
« J'ai toujours pensé qu'en cas d'attaque, les quartiers populaires seraient touchés en premier et formeraient un bouclier idéal pour la bourgeoisie et le marquis, installé au centre-ville. Mais on va transformer ça en un avantage. »
En regardant le plan de Rhenia-Gaear sous un autre angle, la bourgeoisie et le marquis se retrouvent, en réalité, encerclés par les quartiers populaires.
Et pour la mission complexe de Fuya, c'est parfait.
Titan lève les yeux vers Gabrielle et se lance dans ses explications :
« Pendant que tu vérifieras tes informations, je vais descendre dans ces quartiers et négocier avec les petites frappes prêtes à semer le chaos contre de l'argent. Le but est de créer des émeutes qui formeront un étau qui se resserera petit à petit vers la bourgeoisie. Pendant que la police et les gardes du manoir tenteront de le repousser, Fuya pourra commencer sa mission.
- Je vois. C'est un bon plan. De mon côté, je resterais auprès des Leblanc pour les protéger, et je pourrais aussi garder un œil sur le manoir pour assurer la sécurité de Fuya. »
Yüljet hoche la tête. C'est ce qu'elle attendait de Gabrielle.
Ainsi, l'elfe noire continue de jouer son rôle dans la garde rapprochée des Leblanc tout en constituant une assurance supplémentaire pour la délicate mission de la sirène.
« Le seul inconvénient, reprend Titan, c'est le temps. Je vais faire en sorte d'en gagner avec les émeutes, mais si la police et les soldats arrivent à les repousser facilement, ça pourrait devenir dangereux pour Fuya. Mais si ça devient compliqué, on avisera. »
Yüljet et Gabrielle échangent un regard entendu.
Le plan étant fixé, l'une s'en irait vers les quartiers populaires pendant que l'autre retournerait auprès de la bourgeoisie, à accomplir son rôle d'agent double.
Une fois la mission de Fuya accomplie, Titan a prévu de quitter les Terres Gelées pour voguer vers la cité d'Eel et rejoindre Fawkes.
Elle compte bien assister aux sélections malgré les risques et quitte à se trouver face à la mégère, autant en tirer le maximum d'informations.
Mais avant cela, Fuya doit entrer et sortir du manoir saine et sauve.
Règle numéro 10 : Le chef ou la cheffe du cartel doit garantir la protection des membres du cartel en échange de leur loyauté.
***
Le vega 06, du mois de mimouet,
« Regarde-moi. »
Elle lève son regard azuré vers le visage de sa cheffe. Le petit jour filtré par les vieux rideaux de la fenêtre met ses blessures en valeur : des bleus, des coupures et de la peau pâle qui à survécu à des trompes monstrueuses.
Ses lèvres tremblent et ses yeux deviennent humides, mais elle tient bon.
« Tu es en sécurité. » affirme Titan.
Face à la troll, assise sur un lit de fortune, Fuya prend une grande inspiration et hoche la tête. Yüljet ne dit plus rien mais dans son esprit, il y a des images qui défilent en boucle pendant que sur sa peau brune, le froid de Rhenia-Gaear continue de souffler.
Fuya et elle ne s'y trouvent plus. Leurs corps ont vogué jusqu'à Albacore, un petit village situé non loin de la cité d'Eel, mais leurs esprits sont restés ancrés au manoir.
Surtout celui de la sirène.
Derrière Titan, Fawkes est adossé au mur de la petite cabane qui lui sert de foyer lorsqu'il se trouve en mission à Eel et son binôme se trouve à ses côtés.
Rose Clarimonde, le génie de la Garde de l'Ombre aux yeux opalins et aux longs cheveux d'encre, dont la lourde frange masque des sourcils fins.
En miroir à son coéquipier, il arbore une expression neutre même si Yüljet sait qu'il se tient prêt à agir si un malheureux importun s'amusait à surgir en ces lieux.
Fawkes et Rose ont attendu leur cheffe à Amzer, le village des morgans, pour l'aider à transporter une Fuya inconsciente jusqu'à Albacore.
La sirène ne s'est réveillée qu'au bout de deux jours pendant que Rose et Fawkes faisaient les allers et retours entre Eel et le village afin d'apporter de quoi la nourrir.
Yüljet la regarde. Elle observe les coupures qui commencent à cicatriser sur sa figure, l'ecchymose qui cercle son œil droit et la fatigue qui marque ses traits.
Ses longs cheveux d'un rose dragé reposent en désordre sur ses épaules et les draps emmêlés sur ses jambes laissent un buste endolori, dissimulé sous un débardeur en coton.
Les yeux de Fuya s'égarent sur la pièce, sur Fawkes, puis sur Rose. Ses épaules dénudées ne sentent plus le froid des Terres Gelées pourtant, son dernier souvenir se trouve là-bas.
« Comment est-ce qu'on a réussi à venir jusqu'ici ? » demande-t-elle d'une petite voix.
En bravant le tumulte. En occultant une cacophonie horrible de bruissement d'ailes et en essayant de courir plus vite qu'une neige infernale.
Une fois sur le bateau, loin de l'enfer, Yüljet a pu se retourner pour regarder Rhenia-Gaear se recouvrir d'un blanc Milliget.
Au fond de la planque, Nash devra attendre une météo plus clémente.
Le plan de Titan avait fonctionné, les émeutes s'étaient mises à gronder comme un orage sur le point de vomir des éclairs mais à l'issue de cette journée, des plaies resteront ouvertes dans les esprits d'une troll et d'une sirène.
Peut-être que la population de Rhenia-Gaear n'a jamais vraiment compris que leur marquis n'était pas la figure dominante des Terre Gelées et quelque part, c'est mieux pour elle.
« J'ai réussi à quitter la cité et à atteindre l'ancien village des lorialets avec toi. Tu étais inconsciente. Le passeur nous attendait et nous sommes partis le plus vite possible.
- Comment tu as fait ? Avant de m'évanouir je t'ai vu. Tu étais avec… »
Elle déglutit et sa bouche se tord en une grimace.
« … Sira. »
Dans la tête de Yüljet le fracas du verre brisé résonne mille fois alors qu'elle revoit l'image du corps de Fuya projeté par la fenêtre du sixième étage.
Les bras en croix, les cheveux figé en une mare rose et les jambes fléchies cherchant un appuie, elle s'est immobilisée le temps d'une pensée avant d'amorcer sa descente mortelle vers le sol.
Elle n'a même pas eu le temps de hurler.
Les jardins du marquis ont été prêt à accueillir sa dépouille, Yüljet s'est précipitée en une vaine tentative de la rattraper, le cœur et le corps affolés lorsque dix silhouettes ailées se sont montrées, crachées par la fenêtre comme un essaim malfaisant.
C'est quand elle a vu leurs mains décharnées, déterminées à attraper la sirène, que Titan a compris que les fées du sang s'étaient remises à jouer.
« Quand tu es passée par la fenêtre, ils sont sortis et ont réussi à t'attraper au vol, souffle Yüljet, et je croyais regarder des rapaces en train de s'amuser avec une proie, et puis tu as fini dans les bras du Milliget aux boucles roses.
- Sira. » répète Fuya en hochant la tête.
Elle a écrit tous leurs noms dans son carnet et ce dernier ne s'est pas égaré dans sa chute. Titan l'a retrouvé à l'abri, dans la poche intérieure du pantalon que la sirène utilise lors de ses infiltrations. Et sa mission n'a pas été vaine, avec les informations que Fuya a écrites.
« Sira avait l'air étrange, poursuit Yüljet, et j'avais l'impression qu'il ne savait pas quoi faire de toi. Les autres Milliget l'appelaient, mais il ne leur répondait pas, et quand il s'est laissé descendre de quelques mètres vers le sol, j'ai agi et je l'ai attrapé par le bas de sa robe. »
C'est à cet instant-là que Titan a vu le visage de Fuya, les yeux mi-clos, basculer vers l'inconscient.
La troll a agrippé le tissu du vêtement de Sira avec force pour attirer la fée du sang vers elle et le cri de surprise qu'elle a entendu ne ressemblait pas à celui d'un prédateur à la trompe monstrueuse.
La seconde d'après, elle se retrouvait nez à nez avec une figure d'innocence.
De grands yeux bruns, une peau nacrée, une moue surprise et une très longue chevelure bouclée d'un rose assez doux.
Les bras maigres de Sira se sont resserrés sur le corps de la sirène, mais Yüljet était déterminée à le lui arracher par tous les moyens.
Si tu ne la lâches pas, je te tue. avait grondé Titan.
Sira aurait pu sortir sa trompe pour lui transpercer le visage, mais il ne l'a pas fait. Il a laissé la troll lui prendre Fuya et de tous les Milliget en train de virevolter avec la ferme intention de les tuer, Yüljet ne pourra oublier ni Shelma, ni Sira.
Shelma qui hantera ses cauchemars et Sira pour un seul mot, soufflé par sa voix claire.
« Lorsque je t'ai reprise à Sira, je me suis enfuie. Les autres Milliget ont fondus sur moi mais je savais que si je m'arrêtais de courir ou si je tombais, nous serions mortes toutes les deux. J'ai rejoins les émeutes en pensant semer les Milliget grâce à la foule, mais je me suis trompée. Ils ont commencé à faire tomber la neige. »
Ses poumons étaient en feu, sa poitrine toute entière lui faisait mal et le poids de Fuya, qu'elle transportait sur son épaule, la gênait dans ses mouvements.
Mais Titan pensait que les émeutes en train de gronder deviendraient leur salut et leur cachette jusqu'à ce qu'elles parviennent à quitter la cité. Elle avait compris son erreur lorsque la neige clairsemée des Terre Gelées s'est intensifiée.
Et les rues s’étaient transformées en enfer.
Yüljet ne parvient pas à se rappeler du nombre de fois où elle a failli perdre Fuya, mais elle peut se revoir la tenir fermement à bout de bras pendant qu'une fée du sang tentait de l'emporter.
Une autre a réussit à plaquer Titan au sol, creusant une alcôve parmi la foule en colère qui la voyait sans la voir et Yüljet se souvient parfaitement de ces doigts gelés en train de courir sur son crâne pendant qu'une voix rauque la menaçait de lui crever les yeux si elle ne leur laissait pas la sirène.
Elle l'avait fait. Juste le temps de tirer sa petite lame pour gratifier la fée du sang d'une balafre sur l'abdomen.
Le Milliget a survécu, Titan le sait.
Tout comme elle savait que le chaos ne prendrait fin qu'une fois hors de la neige maudite et sur le bateau qui les emmènerait vers Eel.
« J'ai réussi à atteindre le bateau, achève Yüljet, et j'ai ordonné à Purobald de partir immédiatement.
- Ils t'ont suivi ? s'enquit Fuya, ils t'ont vu partir ? »
Titan acquiesce.
Ils étaient là, tous les dix.
Une silhouette sur le ponton, d'abord, puis deux, trois, quatre… pour dix visages en train de les regarder s'éloigner sur la mer glacée.
« Nous venons de nous faire de terribles ennemis, Fuya.
- Peut-être. Mais maintenant on sait qu'ils sont impliqués dans le projet de conquête terrienne. Et on sait aussi pourquoi Sheraz veut être sauvé. »
La sirène balaye la pièce des yeux mais Fawkes et Rose échangent un regard. Le renard-garou tire finalement le carnet de Fuya de sa sacoche et s'approche du lit afin de le lui remettre :
« Pendant que t'étais inconsciente, on l'a gardé avec Rose. Même si la cheffe restait ici avec toi, on voulait pas qu'il tombe entre de mauvaises mains. T'as été suivi la dernière fois.
- Et avec les sélections qui approchent, nombreux sont les voyageurs qui traversent Albacore, ajoute Rose, il est facile de passer inaperçu pour tout le monde. »
Toujours aussi précautionneux. Les lèvres de Yüljet s'étirent en un léger sourire qui s'efface bien vite lorsqu'elle avise l'épais carnet de Fuya.
La sirène y a noté des informations cependant, ce qu'elle a vécu ne figure encore que dans sa tête.
« Est-ce que tu te sens prête à me faire ton rapport, Fuya ? »
La sirène souffle par le nez, mais hoche la tête. Ses mains graciles se crispent sur son carnet comme si elle craignait qu'il ne lui échappe et alors qu'elle ouvre la bouche, Yüljet devine sa mémoire en train d'ouvrir ses vannes pour laisser échapper les souvenirs.
Le vega 06, du mois de mimouet,
Fuya Pyle,
J'ai effectué la mission d'infiltration la plus complexe de ma carrière de traqueuse d'informations.
Le talez 26 du mois de roch, j'ai infiltré le manoir du marquis Maximilien Ville de Fer où sont logés les Milliget jusqu'à leur rencontre avec la Capitaine Shakalogat Gra Ysul.
Le manoir est immense et le bâtiment principal fait neuf étages.
La cheffe et Gabrielle Parceveaux ont permis mon infiltration en provoquant des émeutes et cela a fonctionné, car les gardes se sont dispersés autour du manoir, puis vers les rues en laissant l'accès à une fenêtre à découvert.
J'ai réussi à desceller un carreau et à ouvrir la fenêtre. Mon infiltration a débuté ici.
La décoration des lieux était chargée, ce qui me laissait énormément de cachettes, mais aussi de points d'observation. J'ai vu le personnel du marquis et j'ai trouvé leur comportement étrange, comme tiraillé par la peur.
Lorsque j'ai écouté les conversations, j'ai entendu que certains membres du personnel commettaient des erreurs alors que ça ne leur arrive jamais, d'habitude.
Je pensais que les serviteurs du marquis craignaient les Milliget mais en réalité je me trompais.
Une femme de chambre et son collègue ont mentionné les termes "d'anges du froid" et de "merveilles de la frontière" en parlant des Milliget quand d'autres ont été jusqu'à mentionner des fantasmes que je ne décrirai pas.
Les Milliget sont visiblement mis sur un piédestal et traités comme les figures emblématiques des Terres Gelés.
En réalité, le personnel du marquis avait peur que leur festin puisse être troublé par "le secret trahi".
Je ne savais pas ce que c'était jusqu'à ce que j'y assiste.
J'ai pu trouver la salle où le festin serait donné en l'honneur des Milliget grâce aux conversations et elle se situait au sixième étage. J'ai également appris que cet étage leur était entièrement réservé et que personne n'était autorisé à s'y rendre même quand ils étaient absents.
J'ai décidé de le fouiller avant de me cacher dans la salle du festin, mais je n'ai pas pu aller au bout de mon plan à cause de la présence de certains Milliget dans leur chambre.
Cependant, j'ai tout de même pu dénicher ma première trouvaille en surprenant un Milliget attablé à un secrétaire, en train d'écrire une lettre.
(J'ai pu obtenir les noms de tous les membres de la famille Milliget grâce au festin et noter certaines caractéristiques physiques qui permettront à mes coéquipiers de les reconnaître).
Le nom de ce Milliget est "Sira" est de ce que j'ai observé sur lui, il a un comportement étrange comparé à ses frères et sœurs.
Il semble avoir des troubles de la communication, des gestes répétitifs et pendant qu'il écrivait sa lettre, il murmurait son contenu pour lui-même, comme s'il avait des difficultés à écrire.
L'un des ses frères à fait irruption et j'ai vu Sira cacher sa lettre sous une pile de papiers.
"Shelma" de son nom.
J'ai pu observer une véritable complicité entre les membres de cette même famille. Shelma a l'air de prendre soin de Sira et Sira adore son frère.
Cependant, j'ai noté que Shelma s'adresse à Sira comme à un enfant et que sa voix est très douce lorsqu'il lui parle. Aussi, leur conversation a été très simple, et je dirai même : basique (qu'est-ce que tu fais ? C'est un très beau papier, Sira / Est-ce que tu dessines ? Tu as faim ? Le repas va être bientôt servi.)
Sira semble atteint d'un mal de l'esprit et le festin me l'a pratiquement confirmé. Cependant, je n'ai pas les capacités médicales de le diagnostiquer par observation et je sais que même les grands médecins d'Eldarya sont encore dans le flou concernant les maladies de l'esprit.
Lorsque les deux Milliget ont quitté la pièce, j'ai été lire la lettre écrite par Sira et je l'ai entièrement recopiée dans mon carnet.
Sira entretient une correspondance avec Sheraz Alfirin, mais visiblement, sa famille ne semble pas être au courant.
Après avoir observé Sira et Shelma, je me suis rendue dans la salle du festin pour m'y cacher et attendre. J'ai trouvé un point d'écoute et d'observation parfait : Le marquis a fait installer une superbe représentation de trois anciens chevaliers de Rhenia-Gaear et l'un d'entre eux avait un lourd bouclier à ses pieds. J'ai donc escaladé le piédestal de la statue pour me dissimuler derrière le bouclier et ainsi, j'ai pu noter toutes les informations entendues sur mon carnet.
Lorsque les Milliget se sont réunis, j'ai pu attraper leurs noms : il y a la mère (Delta) et ses neuf enfants. j'ai également noté les pronoms qu'ils utilisaient pour se désigner entre eux :
↪ Delta (mère des Milliget, peau livide, cheveux bleus, voix modulée) *elle
↪ Shelma (voix rauque, front haut, peau nacrée, long cheveux ondulés et irisés) *il
↪ Sira (voix claire et ton monocorde, longs cheveux rose bouclés, peau nacrée et peut-être atteint d'une maladie de l'esprit). *il
↪ Candice (peau de pêche, longs cheveux châtains, raides, et semble avoir un attrait particulier pour le feu. Voix traînante). *il
↪ Asgard (peau grise et cheveux argentés relevés en chignon haut, voix claire) *elle
↪ Mirak ( peau grise et cheveux bleus avec une frange, elle porte une collier avec deux éprouvettes à son cou et elles contiennent des mèches de cheveux provenant des sujets humains encore en vie. (J'ai noté des cheveux châtains et des cheveux blonds). Voix nasillarde et tendance à parler des sujets humains comme des familiers de compagnie).*elle
↪ Izar (peau livide et cheveux blancs, voix douce et Milliget assez discrète).*elle
↪ Zosca (peau de pêche et cheveux d'un bleu glacé. À l'entendre parler, elle sait manier le scalpel et pratique des opérations sur les sujets humains. Elle a mentionné le mot "biopsie" mais je ne sais pas ce que ça veut dire). *elle
↪ Lucida (peau opaline, cheveux chatain clair ondulés et coiffés en deux couettes basses et voix cristalline) *il
↪ Jed (peau grise, cheveux blancs paré de tresses et d'accessoire, voix tranchante)
J'ai noté que tous les Milliget portaient des robes.
Leurs conversations étaient axées sur la médecine et même si je n'ai pas compris tous les termes, j'ai essayé d'en retranscrire certains phonétiquement en espérant que Ryan puisse en connaître la signification ou bien faire des recherches dessus :
trashé / valve pulmonaire / plaivre / muscles intercostaux / lobe inférieur et supérieur / bronche segmentère / veine bronchique / diaframe
Leur conversation a été interrompue par l'arrivée d'un elfe noir. Ça m'a surpris parce que le personnel du marquis avait dit que personne n'était autorisé à se rendre au sixième étage.
Pourtant, les Milliget ont accueilli l'invité de manière très chaleureuse et quand ils ont commencé à discuter, j'ai pu comprendre que l'elfe noir en question était un ancien détenu de l'Île Zéro qui a été libéré pour bonne conduite.
Le dîner avec les Milliget devait être le début de sa nouvelle vie.
L'invité s'appelait Martial et pendant la conversation, il a tenté d'en apprendre plus sur la famille Milliget qui ont religieusement répondu à ses questions.
J'ai pu apprendre que les Milliget sont des êtres hermaphrodites qui peuvent se reproduire sans partenaire. C'est apparemment un sujet qui fascine les prisonniers de l'Île Zéro car ils n'ont que ça à penser. Ils n'ont aucune occupation dans leurs cellules hormis celle de rester en vie.
Martial a évoqué toutes ces heures d'ennuie, tout ce blanc qu'on leur impose sur l'Île Zéro jusqu'à devenir fou et l'espoir qu'il a nourri pendant des années de faire partie de ces prisonniers que l'on graciait pour bonne conduite. Ça lui était finalement arrivé.
Les Milliget n'ont pas été avares en félicitations, ni en sourires et même si Martial semblait à son aise, l'atmosphère ne me plaisait pas.
Puis, est venu le sujet de l'anomalie.
Le ton de Delta a soudainement changé et elle s'est mise à parler de l'espèce des fées. Elle a dit que les fées vivaient dans les endroits les plus froids, juste derrière leur frontière et qu'étant capables de se reproduire seules, elles donnaient toujours naissance à une portée de neuf enfants.
Seulement, l'un d'entre eux était toujours une anomalie, car il naissait avec un seul organe sexuel. Cet enfant-là n'était pas destiné à vivre, mais à nourrir la fée qui se trouvait aux portes de la mort après avoir donné naissance à neuf enfants.
Mais Delta disait qu'elle n'avait jamais pu se résoudre à commettre cet acte et qu'elle avait préféré se nourrir de son vieil ocemas plutôt que de l'un de ses enfants.
Les fées appelaient le neuvième enfant, doté d'un seul sexe, "l'anomalie".
Martial semblait profondément choqué par les propos de Delta. Je pense qu'il ne savait pas vraiment pourquoi elle évoquait ce sujet avec lui, mais la réponse qui se profilait me glaçait le sang.
Une pensée traversait mon esprit mais je refusais d'y croire.
Delta a continué de parler des fées. Les Milliget dominaient leur royaume et Delta y régnait, alors elle disait qu'elle avait fini par interdire aux fées qui donnaient naissance de se nourrir de l'anomalie.
Elle a demandé à Martial s'il pouvait deviner ce qui arrivait à celles et ceux qui n'obéissaient pas à cette règle. Il a secoué la tête et c'est ici que Delta a déclaré que le dîner était terminé pour lui.
Martial a été stupéfait. Il a répondu qu'il n'avait même pas mangé et c'est ainsi que "le secret" évoqué par le personnel du marquis a pris tout son sens pour moi.
Avant de s'asseoir à la table du festin avec les Milliget, Martial ne devait jamais songer une seule seconde qu'il servirait de repas.
Je refuse de décrire en détails ce que j'ai vu par la suite. Je sais que ce n'est pas digne d'un rapport, mais je ne peux pas.
Je n'oublierai jamais les bruits que j'ai entendus.
Tout ce que je peux dire, c'est que Martial a été tué avant d'être dévoré, mais que Delta a ordonné à ses enfants de laisser le cerveau et le cœur intacts car ils seront vendus aux grands médecins de l'hôpital universitaire d'Odrialc'h qui les étudient.
Les Milliget ont terminé leur repas et ensuite, ils ont parlé d'un second invité qui n'était pas prévu dans leur programme.
J'étais tellement horrifiée par ce que je venais de voir que je n'ai pas compris tout de suite qu'ils parlaient de moi.
C'est Shelma qui m'a repéré en premier avant le début du repas et l'arrivée de Martial. Puis Delta s'est également aperçue de ma présence pendant qu'elle mangeait.
Ils auraient "senti ma peur" et je dois admettre que la scène terrifiante à laquelle j'ai assisté m'a fait perdre mes moyens.
Je vais avoir du mal à retranscrire ce que j'ai vécu et cette partie de mon rapport sera peut-être désordonnée.
Shelma est venu me déloger de ma cachette pour me traîner sur la table du festin. Candice a fait valser les restes du dernier repas pour les éparpiller au sol et j'ai compris que si je ne réussissais pas à leur échapper, je servirais de second repas.
Au départ, Shelma a cru que j'étais "le voleur de sang", mais il a fini par dire que c'était impossible car je n'avais pas la même carrure ni la même odeur que le voleur.
Je me suis débattue, mais Shelma m'a frappé au visage avec une force incroyable. Delta lui a crié de faire attention, car il ne fallait pas abîmer mon cerveau.
Aussi, Shelma a ordonné à Sira de quitter la pièce avant de commencer à m'interroger. Il voulait savoir pour qui je travaillais, les informations que je venais chercher ici et si j'étais de mèche avec les voleurs du sang.
Je n'ai pas répondu à leurs questions. Mon silence m'a coûté des coups et aucun autre sévice ne m'a été fait.
Puis, Shelma a fini par me souffler que je serai le second dîner mais que cette fois, je resterai vivante.
C'est à cet instant-là que j'ai ressenti la volonté de vivre. Je me suis débattue, j'ai luttée et j'ai essayée d'attraper ce que je pouvais pour frapper Shelma. J'ai finalement pu rouler pour tomber de la table et me précipiter hors de la pièce. Je n'avais aucune chance de survivre et je le savais.
Ma fuite m'a conduite au couloir où se trouvait Sira. Je n'avais aucun moyen de partir.
Les Milliget allaient me rattraper et me manger.
Et c'est là que j'ai vu la fenêtre. Personne ne m'a poussé, aucun Milliget ne m'y a projeté : je me suis jetée dessus de mon propre chef.
Entre être dévorée vivante et courir vers la fenêtre, j'ai préféré la seconde option même si je savais qu'il n'y avait aucune issue.
Le reste de mes souvenirs est flou et j'ai perdu connaissance peu de temps après.
Je n'ai pas trahi le cartel durant cette mission.
***
Assise sur un banc de fortune, Yüljet profite du climat d'Albacore. La forêt borde le village, alors les odeurs extérieures offrent une atmosphère sereine dont elle profite.
Le rapport de Fuya fait partie de ceux qu'elle n'oubliera jamais, tout comme la lettre de Sira qu'elle a recopiée.
Elle passe une main lasse dans ses cheveux tressés et pousse un profond soupir.
Dans son esprit, elle revoit un détail. Un détail qu'elle n'a partagé avec personne.
Sira et ses boucles roses, serrant Fuya contre sa poitrine alors que Titan menaçait de le tuer s'il ne la lâchait pas.
Le Milliget a fini par le faire.
Il a eu un léger sourire puis, tout près du visage de Yüljet, il a murmuré :
« Apotheosis »
***
Lettre de Sira Milliget à Sheraz Alfirin,
Le talez 26, du mois de roch,
Sheraz,
J'espère que tu te portes bien.
J'ai reçu ta dernière lettre et après l'avoir lue et mémorisé les informations importantes, je l'ai détruite.
J'ai bien lu les informations que tu as trouvé et malheureusement, je pense que tes analyses sanguines sont correctes. Je n'ai décelé aucune anomalie dans les relevés que tu as recopiés et je pense que tes doutes se confirment.
Tu as bien fait de demander de l'aide et ne t'inquiète pas, j'ai bien retenu le mot de passe que tu as reçu et que tu m'as envoyé et je reconnaîtrais l'odeur de la personne qui l'a écrite si je la croisais.
Ça a été difficile car le papier a voyagé, mais j'ai réussi.
Je ne sais pas si ces personnes pourront t'aider mais il faudrait qu'elles puissent aller jusqu'à toi et ce ne sera pas facile. Même nous, nous ne nous voyons que deux fois par an.
Tu m'as demandé si maman savait pour ton secret et je ne le pense pas, car elle n'aurait jamais permis ça. Je dois avouer que je ne sais pas quoi faire, car il faudrait que je puisse présenter le papier officiel de tes analyses sanguines à maman. Si ton sang de haut-elfe est vrai (et je suis certain que c'est vrai) alors je sais que maman voudra enquêter sur les circonstances de ta naissance mais surtout de ta conception.
Tu penses que l'on a ordonné à tes parents de te concevoir afin que tu puisses servir à ouvrir un portail vers la Terre grâce à ton sang mais si c'est le cas, alors il doit exister un certificat officiel qui en attesterait. De plus, les noms de tes parents doivent certainement se trouver sur le registre des prochains départs.
Il faudrait que toi ou les personnes qui t'aident puissiez mettre la main dessus.
Si ces preuves se retrouvent entre les mains de maman, je suis sûr que l'on pourra te sortir de là et t'emmener avec nous derrière la frontière. Mais il faut des preuves, Sheraz.
Tu dis qu'il te reste encore deux ans, alors c'est possible. Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour t'aider, je te le promets.
Ton ami, Sira
⁂
À présent, laissez-moi vous présenter les personnages de Rose Clarimonde et de Sira Milliget, réalisés par
Lethos.
Je tiens à préciser que Lethos à travaillé sur le portrait de Sira et l'a achevé en seulement deux jours, puisque le chapitre devait sortir initialement le vendredi 25 juin.
Je tiens vraiment à saluer son travail et à la remercier chaleureusement pour son talent qui donne des visages à mes personnages.
Rose ClarimondeLe Thème de Rose
Sira MilligetLe Thème de Sira
Le profil Eldarya de Lethos : ICIL'instagram de Lethos : ICILe twitter de Lethos : ICIJe vous invite à aller jeter votre oeil ! Merci encore à Lethos pour son talent !
Les choixYüljet et Fuya ont vécu l'enfer sur les Terres Gelées et même si elles ont pu apprendre énormément d'informations concernant les Milliget, le projet de conquête terrienne et Sheraz Alfirin, elles n'en sont pas sorties indemnes.
Elles se trouvent à présent dans le petit village d'Albacore, non loin de la cité d'Eel, avec Fawkes et Rose.
Yüljet compte entrer dans la cité d'Eel afin d'assister aux sélections en espérant en tirer quelques informations, mais il est évident que Fuya n'est plus en état de retourner en mission.
À votre avis, que faudrait-il faire vis à vis de Fuya ?
➜ La rapatrier à la cité d'Odrialc'h, auprès de Sexta. Ryan pourra l'examiner cependant et même si elle a quelques connaissances en médecine, elle n'est pas médecin.
➜ La rapatrier à la cité d'Odrialc'h auprès de Sexta qui pourra obtenir la visite d'un médecin illégal via le marché des Abysses.
➜ La garder auprès de Yüljet, Fawkes et Rose et tenter de la faire examiner par Ewelein Osgiliath, la médecin en cheffe de la cité d'Eel. Fuya devra faire extrêmement attention à ce qu'elle dira mais Titan a confiance en elle.
➜ Laisser Fuya se reposer à Albacore et se remettre de ses émotions par ses propres moyens. Ses blessures sont superficielles, après tout.
Est-ce que ce choix met une vie en jeu ?
Via la lettre que Sira a écrite à Sheraz, Yüljet, Fuya, Fawkes et Rose ont appris que Sheraz est un haut-elfe et que son existence ne servirait qu'à finir sacrifié pour l'ouverture d'un portail vers la Terre grâce à son sang.
La lettre de Sira contient énormément d'informations, mais il semblerait que le Milliget puisse être un allié potentiel.
Selon vous, vers quoi devrait s'orienter la prochaine mission ?
➜ Une recherche sur les hauts-elfes.
➜ Entrer en contact avec Sira Milliget afin de l'interroger (de gré ou de force).
➜ Trouver un moyen d'entrer en contact avec Sheraz Alfirin pour lui poser des questions sur sa condition de haut-elfe et les documents qui doivent servir de preuves, selon Sira Milliget.
➜ Si un allié potentiel se trouve dans la famille Milliget, enquêter du côté de la famille Mircalla. Peut-être qu'il y a de l'aide à trouver, ainsi que de nouvelles informations.
Est-ce que ce choix met une vie en jeu ?
Absolument !
Les éprouvettes de sang humain sont restées à Rhenia-Gaear, sous la garde de Nash et de Gabrielle. Selon vous, qu'est-ce que le cartel des Typhons devrait en faire ?
➜ Les garder sous la main pour servir de monnaie d'échange si les choses venaient à se gâter lors d'une mission.
➜ Les envoyer à Ryan, à Odrialc'h afin de les faire analyser.
➜ Les envoyer à la planque d'Odrialc'h et les confier à Sexta. Elle pourra descendre au marché des Abysses et entrer en contact avec Purral, qui pourra certainement trouver la personne adéquate pour analyser les éprouvettes au peigne fin. Cependant, cela ne sera pas gratuit.
Est-ce que ce choix met une vie en jeu ?
Pas de choix individuels pour
Waïtikka,
MayaShiz et
ZuzoHyo pour ce chapitre mais ne vous inquiétez pas : vous vous rattraperez au chapitre suivant !
Note de l'Auteur
Note d'auteur : Bonjour à vous !
Je reviens avec un chapitre qui a connu moult péripéties IRL avant d'être sorti. Mille excuses pour mon retard mais l'important, c'est que le chapitre ait pu être publié !
Aussi, quelques mises à jours ont eu lieu dans la "Bibliothèque d'Apotheosis" :
➜ Le nouveau rapport de Fuya est disponible sur la fiche du personnage.
➜ Les fiches de Rose Clarimonde et de Sira Milliget ont été ajoutées.
Vous trouverez également sur le post de présentation, dans la catégorie "Bibliothèques", un spoiler recensant la galerie des artistes qui participent au projet "Apotheosis". Vous y trouverez toutes leurs créations ainsi que les liens menant vers leurs réseaux sociaux.
Voilà voilà ! Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 6 - La Cité Blanche
"Haut-elfe" / "Sang" / "Sacrifice"
Trois mots écrits sur un morceau de parchemin. Si les deux derniers peuvent s'allier pour former un tableau sordide, le premier est énigmatique.
Yüljet a relu la lettre de Sira Milliget jusqu'à la connaître par cœur. Son cerveau épuisé par l'horreur de Rhenia-Gaear a peiné à établir des connexions logiques entre les informations tracées à l'encre bleu et les questions tournent dans son esprit en attendant une conclusion intéressante.
Mais il n'y en a pas.
Alors elle continue de réfléchir.
Au-delà de ses pensées, la réalité continue de se jouer au creux de la petite planque d'Albacore. Une cuillère en bois, tenue par une Fuya éreintée, assise dans son lit, racle le fond d'un bol en terre rempli de soupe au choux ; les épaisses semelles des bottes de Fawkes frottent contre le sol poussiéreux lorsqu'il croise et décroise les jambes et le carnet de la sirène est examiné par Rose, en pleine concentration.
Le calme de la pièce pèse sur les épaules de ses occupants et même les bruits innocents ne parviennent pas à détendre l'atmosphère.
« Je ne comprends pas. »
Toutes les têtes se tournent vers le vampire. Vêtu de l'uniforme traditionnel de la Garde de l'Ombre, composé d'une tunique indigo, d'une veste et d'un pantalon noir ainsi que d'une paire de bottes, il ressemble à un bureaucrate penché sur un affaire particulièrement difficile.
C'est assez proche de la vérité.
« Il n'y a rien à comprendre dans cette lettre, de toute façon, grogne Fawkes.
- C'est justement le problème. »
Rose et son coéquipier échangent un regard entendu. Quelques heures plus tôt, le renard-garou avait également tenté de décortiquer la lettre de Sira sans parvenir à en comprendre le sens. Il avait achevé sa lecture en arguant qu'il avait eu l'impression de lire une histoire peu commune.
« Tout d'abord, reprend Fawkes, on a toujours su que les portails vers la Terre s'ouvraient grâce à du sang de dragon. C'est pour ça qu'il y en a plus.
- Et Odrialc'h détiendraient les derniers dragons pour mener son plan de conquête terrienne. C'est l'hypothèse que l'on a toujours eu. » achève Yüljet.
Le cartel des Typhons les a d'ailleurs cherchés. Dès sa formation, l'objectif était clair : empêcher la conquête terrienne et pour ce faire, il fallait trouver la clé des portails.
Titan avait gardé les yeux rivés vers la noblesse d'Eldarya en espérant intercepter le détail qui changerait tout. Mais maintenant qu'elle le tient sous la forme d'une lettre, au terme d'une mission qu'elle croyait hors de l'objectif initial, elle a l'impression de se tenir aux pieds d'une montagne bien plus haute qu'elle ne le pensait.
« Qu'est-ce qu'un "haut-elfe" ? demande-t-elle. Les Alfirin sont des elfes sylvestres et ont vécus à Lotheg avant d'arriver à Odrialc'h. Tout le monde connaît la famille Alfirin là-bas, et Fuya est déjà parti y enquêter.
- J'y ai vu l'ancienne demeure des Alfirin, reprend la sirène, et les anciens elfes sylvestres aiment beaucoup se vanter de les avoir connus avant qu'ils déménagent. Certains auteurs ont même écrit des livres sur eux et leurs ancêtres. Et je suis certaine que je n'ai jamais entendu parler de "haut-elfe" quand j'étais là-bas. »
En effet, Fuya n'avait jamais rien mentionné de tel dans ses rapports et personne n'avait jamais eu connaissance de mot. De cette espèce.
« C'est peut-être un code, songe Rose en caressant son menton avec son index, une façon de se désigner mais tout de même : mentionner le sacrifice pour le portail et l'ordre de conception reste un mystère.
- Au moins on sait quoi chercher, coupe Fawkes, et on sait pourquoi Sheraz veut être sauvé. »
Certes, mais par où commencer ?
L'horreur de Rhenia-Gaear a mené Titan et Fuya aux abords de la cité d'Eel avec des informations qu'elles avaient obtenues en frôlant la mort. Et maintenant ?
Yüljet lève ses yeux noirs pour observer la sirène. Tôt ce matin, elle avait essayé de marcher jusqu'à la rivière la plus proche pour se laver, mais même cette entreprise s'était transformée en échec.
Alors si la troll voulait organiser ses idées et tisser la suite des missions, il fallait commencer par la première.
« Tu dois voir un médecin, Fuya. »
La sirène suspend ses gestes et ouvre de grands yeux. Le bras qui tient son bol de soupe tombe sur sa cuisse de surprise alors qu'elle secoue la tête.
« Non. Je vais mieux. Si je vois un médecin, ça ne causera que des problèmes. Je vais simplement rentrer à Odrialc'h.
- Ne dis pas de bêtises, rétorque Titan d'un ton sévère, tu es passée par la fenêtre du manoir du marquis de Rhenia-Gaear, tu es tombée du sixième étage et même si tu sens mieux aujourd'hui, tu reste blessée. Alors tu dois voir quelqu'un. »
Fuya souffle par le nez. Son regard se tourne machinalement vers la petite fenêtre de la hutte qui laisse passer le jour. Yüljet la sait tendue, contrariée par ce qu'elle vient de lui dire car dans l'esprit de la sirène, si elle doit voir un médecin, elle devient un poids pour le cartel.
Elle voit sa mâchoire trembler, ses lèvres pincées et elle ne peut que se douter que Fuya veut lui dire un "non" supplémentaire.
« D'accord, tu veux que je vois un médecin, s'entête la sirène d'une voix hachée, mais comment on va faire, alors ? On va entrer à Eel ? La sélection est pour bientôt et la Capitaine va arriver… si on reste piégés dans Eel quand elle sera là, on aura l'air malins.
- C'est exactement ce que je veux. »
Le plan est déjà en marche dans sa tête.
Les yeux de Fawkes et ceux de Rose la dévisagent comme si elle venait de perdre la raison pourtant, la suite de la mission est une évidence lorsque l'on regarde les faits passés.
Yüljet pense aux éprouvettes de sang humain qu'elle enverra à Ryan avant d'entrer dans la cité blanche : si Shelma Milliget les portait sur lui, c'est qu'elles devaient être remises à quelqu'un. Et Titan pari que cette personne n'est nulle autre que la Capitaine Shakalogat Gra Ysul.
« Cheffe, s'alarme le renard-garou, la Capitaine va arriver à Eel dans un peu moins de deux semaines ! La cité deviendra une prison pour toi ! Contrairement à nous, elle connaît ton visage ! »
Yüljet plonge dans son regard, l'air grave. Le visage de son comparse est plus pâle que d'ordinaire et son esprit doit lui jouer la même histoire. Des faits terrifiants que des cerveaux secoués ont décidés de couper pour ne présenter que des bribes de souvenir.
Shakalogat Gra Ysul connaît Titan, c'est vrai. Elle sait à quoi elle ressemble puisque les deux femmes ennemies se sont déjà vues de très près.
Et cette scène où Yüljet et Fawkes se fixent s'est déjà jouée il y a deux ans, lorsque les barreaux d'une cellule se tenaient entre eux.
Ils attendaient un interrogatoire douloureux qui les brûleraient, couperaient, frapperaient et empliraient même leurs poumons d'eau avant de leur ôter la vie, sûrement.
C'est fini…
Non. Ça ne fait que commencer.
« La mégère ne nous aura jamais, affirme Yüljet d'un ton serein, jamais. »
Mais Fawkes ne paraît pas convaincu. Pourtant, Titan doit aller jusqu'au bout de sa pensée et de sa mission. Elle est persuadée que la Capitaine détient un morceau important du puzzle qu'ils ont commencé à dresser et s'ils décident tous de rester en retrait après Rhenia-Gaear, alors le sauvetage de Sheraz et les réponses dont ils ont besoin seront perdues.
« Les sélections nous donnent un avantage non négligeable, reprend Titan, car elles vont attirer énormément de monde. La foule est toujours une cachette idéale et il est bien entendu hors de question de faire face à la Capitaine.
- C'est vrai que depuis que je suis arrivé, il y a pas mal de bateaux de tous horizons qui viennent déposer des gens pour assister aux sélections. Mais le Quartier Général d'Eel a justement renforcé la sécurité et ils font des contrôles d'identité rien qu'aux portes de la cité.
- Alors nous n'utiliseront pas les portes. »
Le renard-garou plisse les yeux, dubitatif.
Comme toutes les grandes cités d'Eldarya, Eel possède des murs, des douanes et des guetteurs. De plus, elle est située sur une falaise et le seul village dans sa périphérie est celui où ils se tiennent actuellement, dans la petite hutte.
« Nous utiliserons le port. »
Yüljet peut voir Rose hocher la tête, signe qu'il commence à comprendre son plan. Plan qui ne pourra pas être réalisé sans son aide.
« En payant un passeur assez cher, je suppose qu'il pourrait tous nous faire accéder au port du Prisme via le circuit du tap.
- Mais pourquoi le port ? Moi et Rose on peut très bien entrer et sortir de la cité par les égouts grâce au purrekos. Pourquoi on irait pas par là ?
- Parce que Fuya doit voir un médecin. »
En effet, les purrekos possèdent leur propre petit commerce à Eel et ont la mainmise sur le marché noir de la cité, comme partout. Et le seul accès vers l'extérieur, à l'insu de la douane et des guetteurs, ne peut être emprunté sans s'acquitter d'un paiement.
Mais pour que Fuya puisse avoir accès à un médecin de la cité d'Eel, elle doit pouvoir entrer de manière légale. Elle ne sera pas seule.
« Rose, à quel moment doit arriver le prochain bateau d'Odrialc'h ? demande Titan.
- En début d'après-midi. »
Alors cela leur laisse largement le temps de se préparer et de mettre leur plan au point. Grâce à lui, Fuya et Fawkes pourront entrer dans la cité d'Eel de manière légale, sous leurs fausses identités, et ainsi acquérir un passe temporaire qui leur permettra d'assister aux sélections, mais aussi de visiter le Quartier Général en tant que touristes.
Yüljet, quant à elle, se contentera d'infiltrer Eel sans s'approcher de cet endroit.
« Fuya, au sein de la cité d'Eel tu seras "Ellen Price" et Fawkes, tu seras "Jens Red". Vous emporterez vos faux papiers d'identité et lorsque nous serons au port du Prisme, vous devrez vous mêler aux gens qui quitteront le bateau en provenance d'Odrialc'h. Là, vous présenterez vos papiers aux gardes civils pour obtenir vos passes temporaires et vous demanderez à voir un médecin. Quand tu seras guérie, Fuya, nous pourrons parler de la suite. »
Elle voit la sirène secouer la tête avec une moue contrite. Elle n'est pas d'accord. Elle n'est pas d'accord avec les risques encourus pour qu'elle puisse être soignée et elle aurait certainement préférée rentrer à Odrialc'h pour être auprès de Sexta.
Mais Titan a déjà pris sa décision.
« Je suis d'accord avec le plan, approuve Fawkes, et ce que je ferai, c'est que je demanderai à voir Ewelein Osgiliath. »
Fuya laisse échapper un sifflement choqué. Elle ouvre de grands yeux bleus et regarde le renard-garou comme s'il venait de déclarer son allégeance à la Capitaine Shakalogat Gra Ysul.
« La médecin en cheffe du Quartier Général ? s'exclame la sirène. Entrer dans la cité d'Eel sous une fausse identité est déjà risqué mais c’est pire encore de se faire examiner par Ewelein Osgiliath !
- C'est pas plus risqué que de s'infiltrer dans un manoir pour espionner dix fées voraces avec des trompes et se jeter par la fenêtre pour leur échapper ! » s'énerve Fawkes.
Fuya se tait, interdite.
Le silence de la hutte n'est troublé que par la respiration agacée de Fuya et le soupir du renard-garou.
Finalement, un raclement de chaise sonne les préparatifs du départ alors que Yüljet se lève afin de mettre un point final à la discorde. Elle peut comprendre le point de vue de la sirène, mais elle ne peut pas l'approuver.
« Fawkes a parfaitement résumé ma pensée, explique Titan, je sais que tu as l'impression que la mission actuelle ne sera accomplie que pour toi et tu as en partie raison. Mais il serait insensé de te renvoyer à Odrialc'h dans ton état. Tu es passée à travers une fenêtre, Fuya, tu as subi un traumatisme alors tu dois voir un médecin. »
Silence. Fuya se mord la lèvre et après quelques secondes, elle répond d'une petite voix :
« Et si tu te fais prendre par la Capitaine parce que tu m'as envoyée voir un médecin ?
- Si je me fais prendre par la Capitaine, ce sera de ma faute et non de la tienne.»
La sirène baisse la tête, à présent muette.
Yüljet lui somme de commencer à s'habiller et demande à Fawkes de changer de vêtements également, car il n'est plus question d'infiltration pour eux, mais de se mêler à la masse de touristes venus d'Odrialc'h.
Pour expliquer l'état de Fuya, le renard-garou devra se faire passer pour un ouvrier dans le bâtiment qui travaille sur un chantier de la plus grande cité d'Eldarya. La sirène lui aurait rendu visite, quitte à monter sur un échafaudage pour le rejoindre, mais avant que "Jens Red" n'ait pu arrêter "Ellen Price", elle chutait déjà pour tomber sur une plaque en verre.
Malheureusement, à Odrialc'h, les populations les plus pauvres ne peuvent pas se faire examiner par de véritables médecins, puisque ces derniers sont bien trop chers. Cependant, elles peuvent se rendre à l'hôpital universitaire afin de se faire examiner par des étudiants en médecine.
Ellen Price et Jens Red s'étaient donc rendus en ces lieux, pour finalement décider de voguer vers Eel, là où l'accès aux soins était moins cher, afin d'avoir un second avis.
Le meilleur scénario qu'ils avaient pu bâtir et qu'ils avaient répété encore et encore, pendant que le passeur les emmenait entre les murs de la cité blanche, via le circuit du tap.
Le voyage est pourtant court, bien loin des jours glacés que Fuya et Yüljet avaient pu passer sur un bateau en direction de Rhenia-Gaear. Mais Titan devine que la sirène craint qu'Eel puisse devenir la prochaine prison de sa cheffe.
Et la prison se rapproche, se rapproche, apporte son lot de clameur et de ville en fête pour des sélections qui ont le pouvoir d'apporter les pas d'une légende sur les sols de la cité blanche.
Fawkes aurait préféré passer par les égouts, c'est vrai, mais son autre chemin est déjà à quai et il ne lui reste plus qu'à l'emprunter pour se mêler à la foule.
Le petit bateau du passeur n'est qu'un minuscule poisson parmi les grands prédateurs accostés à un port de galets blancs.
Le navire d'Odrialc'h, les bateaux marchands, le prestigieux voilier de la famille Mircalla…
Leur présence est une véritable aubaine pour le passeur, qui se glisse entre leurs coques afin d'atteindre le point d'arrivée, déjà pourvu d'une passerelle.
Maintenant, la phase la plus délicate de la mission peut commencer : se hisser sur le bateau.
Yüljet lève la tête en suivant la coque en bois massif, jusqu'à apercevoir les voiles de leur point de destination. Derrière elle, Fawkes prépare la corde épaisse avec le grappin qu'ils ont emporté pendant que Rose aide Fuya à se mettre debout. La sirène est pâle, fatiguée et même le petit trajet d'infiltration semble la vider de son énergie.
Son teint jure avec ses cheveux pastels, rassemblé en une queue de cheval, et ses atours d'un vert de jade.
Le grappin est lancé. Il s'agrippe au bastingage et le renard-garou tire dessus à plusieurs reprises pour s'assurer du bon accrochage et lorsqu'il est fin prêt, il se tourne vers Fuya en hochant la tête.
Fawkes s'accroupit pendant que Fuya grimpe sur son dos et entoure sa poitrine de ses bras.
Non loin d'eux, Rose se saisit de deux sacs besaces contenant quelques affaires censées être emportées à la hâte, avant de les passer sur les épaules de son binôme.
Il peut faire son ascension, à présent.
Depuis la barque du passeur, Yüljet et le vampire regardent leurs comparses en train de s'élever. Fawkes prend appuie sur la coque du bateau avec ses pieds, ses mains protégées par des gants serrant fermement la corde pendant que Fuya s'agrippe aussi fort qu'elle le peut.
Les appuis sont presque inexistants alors, à chaque fois que les semelles du renard-garou glissent, Titan et Rose serrent les dents.
Du côté de la passerelle, la troll devine le flux de touristes devenir de plus en plus faible, alors elle prit pour que ses acolytes puissent atteindre le sommet.
Et ils y arrivent.
Yüljet peut voir Fawkes atteindre le bastingage et l'enjamber avec précaution, avant de poser les pieds sur le pont du bateau, puis de s'accroupir pour faire descendre Fuya.
Lorsque le renard-garou retourne auprès de la barrière pour lever les bras et former un cercle, Rose lui répond en levant le pouce avant de diriger son doigt vers son œil droit.
« Que signifie ce geste ? murmure Titan.
- Que je garderai un oeil sur eux quoi qu'il arrive. En modifiant la liste des passagers du bateau d'Odrialc'h, par exemple.»
Puis, Rose se tourne vers sa cheffe et ajoute en croisant les bras sur sa poitrine.
« Tu devrais emprunter les égouts pour entrer dans la cité. Ce serait plus simple pour toi, plutôt que de te hisser à l'extrémité du port. Quelqu'un pourrait te voir. »
Le vampire a raison. Ce serait plus sage. Mais Yüljet tient absolument à observer l'entrée de Fuya et Fawkes ou plutôt : d'Ellen et de Jens.
« Les gardes civils sont occupés et je veux observer Fawkes et Fuya. Je veux voir s'ils réussissent à passer les contrôles et si Fuya va être prise en charge. Ensuite, je me fondrai dans la foule et je m'éloignerai du port etsurtout du Quartier Général. »
Rose hoche la tête. Titan ne changera pas d'avis alors, refusant de perdre du temps, elle ordonne au passeur de la mener le plus loin possible de la garde civile et ils se détachent du navire d'Odrialc'h pour voguer vers la lisière du port du Prisme.
Yüljet aperçoit les barreaux d'une petite échelle fixée à la structure portuaire, et un rapide coup d'œil lui indique que pour le moment, aucune âme ne rôde dans les parages.
Sans perdre une seconde, elle effectue sa propre ascension sur le sol de la cité blanche, qui deviendra sa prison pour les prochaines semaines.
Resté auprès du passeur, Rose lui adresse le même signe qu'à son binôme. Il l'aura également à l'œil.
Titan sait qu'il préfère passer par les égouts plutôt que de prendre le risque d'être vu en sa compagnie. Plus on évite les questions sur sa personne, mieux c'est.
Elle le regarde s'éloigner, puis embrasse l'immensité du port du Prisme, à la recherche de Fawkes et de Fuya.
Bien moins grand que celui d'Odrialc'h, il apparaît pourtant moins austère et plus agréable à regarder. Le blanc omniprésent d'Eel apporte énormément de lumière à la cité et s'harmonise à merveille avec l'océan qui lui sert d'écrin.
La seule ressemblance avec Odrialc'h, c'est sa foule qui s'est déplacée pour voir leur sainte Capitaine et Titan s'y mêle en attrapant leur navire de ses yeux noir.
Elle retrouve la passerelle et à son extrémité se tient un renard-garou en train de soutenir une sirène en passant un bras autour de son épaule.
Pas de gardes civils aux alentours et en les observant, Yüljet remarque les parchemins qu'ils tiennent dans leurs mains. Ils ont réussi à passer le contrôle et c'est un soulagement.
« Mademoiselle Price, Monsieur Red. » les interpelle une voix chaleureuse.
Se dirigeant vers ces derniers, un renard-garou fend la foule de touristes, ses bottes blanches claquant sur les pavés. Ses oreilles et ses cheveux flamboyants contrastent avec les chevelures foncées des personnes qui encombrent son chemin, et son veston azurin, ainsi que sa surveste en voile de coton l'accordent à merveille avec le tableau du port d'Eel.
Le renard-garou parvient jusqu'à Fawkes et Fuya. Il s'incline quelque peu, puis se présente :
« Bienvenus à la cité d'Eel. Je m'appelle Lilymoe et je suis l'assistant du docteur Ewelein Osgiliath. Un garde civil m'a fait part de l'état de mademoiselle Price et je suis venus vous conduire jusqu'à l'hôpital du Quartier Général où elle sera examinée par la docteur Ewelein Osgiliath. »
Yüljet voit Fawkes hocher la tête et Fuya adresser un faible sourire à leur interlocuteur. Puis, le renard-garou raffermit sa prise sur l'épaule de la sirène et demande.
« Est-ce qu'elle pourrait s'asseoir ? Le voyage a été très fatiguant pour elle.
- Bien sûr ! affirme Lilymoe, un étudiant va bientôt arriver avec une chaise roulante. Ainsi, mademoiselle Price pourra être conduite à l'hôpital sans encombre. »
Fawkes le remercie. De là où elle se trouve, Titan peut noter la différence flagrante qui les caractérisent, lui et l'assistant du docteur Osgiliath.
Que ce soit leurs cheveux ou bien leurs attributs animaux, le roux est plus foncé chez l'un et plus clair chez l'autre. Comme terni chez Fawkes et éclatant chez Lilymoe.
« Le garde civil m'a indiqué que mademoiselle avait consulté l'hôpital d'Odrialc'h. Est-ce que vous avez pensé à apporter le compte rendu de l'étudiant en médecine qui vous a reçu ?
- Non, répond faiblement Fuya, nous sommes partis précipitamment parce que je souhaitais un second avis et j'ai oublié de l'emmener.
- C'est regrettable, et ce n'est pas prudent d'avoir voyagé dans votre état, mademoiselle. »
La sirène fait la moue et Fawkes arbore une expression embarassée. Yüljet peut presque deviner les mots qui tournent dans leurs tête : S'il savait….
Un mouvement parmi la foule attire l'attention de Titan et plus loin, une personne se fraye un chemin grâce à la chaise roulante qu'elle est en train de pousser.
La peau d'un bleu glacé, de longs cheveux bouclés, nacrés, rassemblés en une queue de cheval haute qui lui dégage le visage ainsi que ses oreilles membraneuses, un jeune morgan rejoint Lilymoe pour s'incliner à son tour, face aux nouveaux arrivants.
La chaise roulante qu'il a apportée ressemble à n'importe quelle chaise ordinaire, pourvues de roulettes sous chaque pied.
« Merci, Helouri.» lui adresse Lilymoe avant d'aider Fuya à s'installer.
Machinalement, l'assistant du docteur Osgiliath a voulu pousser la sirène afin de la conduire jusqu'à l'hôpital, mais une main s'est posée également sur le dossier de la chaise, près de la sienne.
« Je vais le faire, assure Fawkes, c'est de ma faute si elle est blessée. »
Lilymoe reste quelques instants silencieux, probablement incertain, puis répond d'une voix douce.
« C'était un accident, monsieur Red. »
Fuya lève la tête pour les observer alors que le jeune morgan se tient à l'écart. Elle esquisse un léger sourire et lance d'une voix fatiguée.
« C'est arrivé parce que j'ai été voir un type louche sur son chantier.
- Ah oui ? grommele Fawkes, et à quoi ça ressemble "un type louche" ?
- À toi. »
Le renard-garou pique un fard alors que la sirène arbore un sourire plus large et Lilymoe laisse échapper un rire poli.
Yüljet les regarde s'en aller, soulagée de savoir Fuya entre de bonnes mains et se retourne, prête à quitter le port.
Plutôt que les grandes avenues, les petites rues de la cité d'Eel l'appellent et tracent des chemins qui l'éloigneront de l'imposant bâtiment du Quartier Général.
La Cité Blanche
Hors du port du Prisme, les habitations d'Eel forment un joli paysage avec leurs murs d'albâtre et leurs toits colorés. La cité clame son amour pour l'océan qui l'entoure à chaque coin de rue, que ce soit les plages peintes sur certaines architectures, ou bien les coquillages décorant les portails de quelques habitations.
La cité blanche est une ville paisible. Contrairement à Odrialc'h, l'atmosphère qu'elle génère n'a rien d'oppressant et même la foule brassée par les grandes places plus loin, offre un tableau joyeux.
Eel est peut-être l'endroit rêvé pour couler des jours paisibles à vivre de la pêche ou bien de la cueillette, tout en profitant de l'air salin et de la protection offerte par le Quartier Général.
Yüljet lève la tête pour en observer l'énorme bâtiment semblable à une tour. Elle surplombe la cité et elle sait que derrière elle, se trouvent les terrains réservés aux habitations des gardiens œuvrant pour les Gardes Absynthe, Obsidienne et de l'Ombre, ainsi que l'hôpital.
Eel est d'ailleurs connue pour son génie à la tête de la Garde Absynthe. Tout d'abord parce qu'il est originaire de Lotheg, comme les Alfirin mais aussi parce que son objectif principal est celui de parvenir à fertiliser les sols d'Eldarya.
On le dit détestable, hautain et intraitable avec ses recrues pourtant, Titan le respecte pour son travail.
Les pas de Yüljet l'ont mené vers un autre visage de la cité. Comme toutes les grandes villes, Eel possède ses bas-quartiers et ces derniers ont l'aspect d'un refuge sans harmonie aux maisons clairsemées.
Autrefois, cet endroit avait servi d'asile pour les familles rescapées des anciennes guerres entre les Côtes de Jade, les Îles du Qi et la Triade d'Ohm pour leur réunification sous le joug d'un seul et même roi qui voulait imposer sa domination.
Guerres qui ont pris fin lorsqu'Odrialc'h s'en était mêlé, avec sa merveilleuse Capitaine, seulement âgée d'une vingtaine d'années.
À présent, le refuge d'Eel n'est qu'un quartier où vivent les personnes les plus pauvres et Titan parie fortement qu'à la tombée de la nuit, le tap et l'argent filent entre toutes les mains.
Loin des belles habitations peintes aux couleurs du sable et de l'océan, des portails sertis de coquillages, les maisons du refuge sont vieilles, ternes, sales, avec du linge misérable en train de sécher à l'extérieur sur un fil de fortune. Yüljet ignore si les personnes qui vont et viennent ont connu les anciennes guerres ou bien sont fils et filles de réfugiés, mais leurs visages fermés traduisent la même résignation que les pauvres d'Odrialc'h.
De plus, les lèvres de certains sont noires comme du charbon.
Titan louvoie entre les habitations, traversant les lieux en jetant des regards froids aux importuns qui la dévisagent d'un air menaçant. Nombreuses sont les personnes qui sont rassemblées en petits groupes autour d'une marmite de soupe bouillante, ou bien d'une bouilloire abîmée. Les effluves emplissent le refuge et les petites étincelles de joie, ici, restent les enfants en train de jouer avec des cerceaux, sans se préoccuper de leur place dans la société d'Eel.
Après la traversée de l'endroit, se balader dans des jardins stylisés à la végétation merveilleuse est comme une bouffée d'oxygène. Yüljet ne songe qu'à trouver un banc, un siège ou même le rebord d'un muret pour s'asseoir.
Lorsque l'immense kiosque lui apparaît, avec son carrefour de chemin vers moults endroits silencieux, elle réalise qu'elle n'avait pas visité la cité blanche depuis longtemps et encore moins son parc de la Fontaine.
Elle a toujours songé qu'Eel vouait un véritable culte à l'eau sous toutes ses formes, et que le bruit des vagues ainsi que le clapotis des cascades limpides, sont deux voix différentes que l'on peut entendre au sein de la cité.
La nouvelle de prison de Titan est attrayante, même si le danger se montrera bientôt.
Yüljet ne décèle aucune autre âme que la sienne au sein du parc alors, seule avec elle-même, elle va quérir le rebord d'un bassin pour s'y laisser tomber. Elle pousse un long soupir.
"Haut-elfe" / "Sang" / "Sacrifice"
Et ensuite ? Que peut-elle trouver à Eel ? Que peut-elle obtenir en bravant le monstre de la Capitaine que chaque cellule de son corps exècre ?
Elle l'ignore, mais elle trouvera.
Pour le moment, elle doit se faire oublier dans sa prison et survivre aux sélections sans jamais se confronter au visage de la mégère, mais aussi l'utiliser à son avantage car comme Rhenia-Gaear, Eel doit certainement savoir dissimuler ses propres indices.
Chose évidente pour une cité amie d'Odrialc'h.
Mais pour le moment, Titan doit trouver un endroit où dormir. Ensuite, elle poursuivra sa mission.
Quelle bénédiction, pour cette salle d'interrogatoire, que d'y voir la sainte Capitaine d'Odrialc'h. Les bourreaux doivent être ravis, d'ailleurs. Et mes blessures aussi.
Les Choix
Yüljet, Fuya et Fawkes sont entrés dans la cité d'Eel et doivent y rester jusqu'au départ de la Capitaine d'Odrialc'h. Si Fawkes et Fuya ont pu entrer de manière légale sous une fausse identité, ce n'est pas le cas pour Yüljet qui s'est mise elle-même en prison.
Durant les prochaines semaines, elle va tâcher d'enquêter sur les "hauts-elfes" et suivre les sélections de près afin de pouvoir obtenir tout indice intéressant pour le sauvetage de Sheraz et sa condition de "haut-elfe".
Chaque étape compte, même la plus anodine. La première est de lui trouver un lieu pour dormir.
D'après vous, où devrait-elle dormir ?
➜ Dans l'auberge la moins chère d'Eel.
➜ Au sein d'une famille d'Eel qui s'est portée volontaire pour louer une chambre aux touristes venus pour la sélection. (Les familles qui se sont portées volontaires sont :
La famille Ael Diskaret (un membre de cette famille est un garde civil)
La famille Astorg (un membre de cette famille est le secrétaire général de la Garde Étincelante)
La famille Égée (un membre de cette famille est le bras droit de Miiko Yamamura)
La famille Chrysomallos (un membre de cette famille travaille en tant que second de cuisine au réfectoire du Quartier Général)
➜ À la belle étoile dans un endroit calme comme le parc de la Fontaine ou le Cerisier Centenaire.
➜ Dans la planque d'Albacore, en prenant le risque d'aller et de venir tous les soirs via le trajet des égouts. Elle devra payer son droit de passage aux purrekos.
Uniquement pour Waïtikka : Fawkes est entré légalement dans la cité d'Eel sous l'identité de "Jens Red" et a accompagné Fuya à l'hôpital du Quartier Général. Fuya est en consultation pendant qu'il a dû remplir les formalités administrative. Il est fin prêt pour rejoindre la sirène et en savoir plus sur son état, mais malheureusement, le secrétaire lui a mal indiqué le chemin.
Dans quelle pièce doit-il entrer ?
➜ La salle des prélèvements sanguins.
➜ Le bureau des infirmiers.
➜ Le bureau des pharmaciens.
➜ Le secrétariat médical du docteur Osgiliath
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo :[/b] Lilymoe a assisté Ewelein pendant la consultation de "Ellen Price". Il doit maintenant rédiger le compte-rendu de ladite consultation et vaquer à ses autres occupations. Mais par quoi doit-il commencer ?
➜ Superviser Helouri dans les tâches que lui a confiées Ewelein pour vérifier qu'il n'y a pas d'erreurs.
➜ Se rendre à la pharmacie de l'hôpital pour faire l'inventaire des médicaments.
➜ Distribuer les ordonnances aux patients rétablis qui devront quitter l'hôpital à l'aube.
➜ Se rendre au service pédiatrique, qui est souvent débordé et en sous-effectif, pour apporter son aide aux secrétaires ou aux aides-soignants.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Aujourd'hui, June a mangé en compagnie du père d'Helouri, Joseph, car le jeune morgan a dû aller aider l'assistant du docteur Ewelein Osgiliath. Pendant le déjeuner, Joseph et June ont parlé des sélections, et le père d'Helouri lui a posé une question qui est celle-ci :
Et si tu es finalement sélectionnée pour ta jeunesse et ton manque d'expérience, qu'ils voudront combler avec leurs propres règles, est-ce que tu iras jusqu'au bout de ton entreprise, June ?
Quelle est la réponse de June ?
Note de l'Auteur
Bonjour à vous !
Me revoici avec un chapitre assez dense et plus long que les autres. J'avoue qu'il contient pas mal d'informations, mais j'espère tout de même qu'il vous plaira et qu'il ne vous provoquera pas une migraine. ^^'
Alors alors, pour réagir au post de Waïtikka concernant le vote des autres lecteurs pour vos personnages. Je comprends tout à fait ta demande et que l'on ne puisse pas être sur tous les fronts, mais comme le dit Kikidamours : la limite de temps fait partie du jeu.
Toi, ZuzoHyo et MayaShiz avec un personnage présent dans Apotheosis et la contrepartie d'une certaine manière, c'est d'avoir un peu plus de travail que les autres puisque hormis les choix principaux, vous avez également ceux concernant vos personnages.
L'évolution de vos personnages dépendent de ces choix et de ce fait, le but du jeu c'est de faire évoluer vos personnages selon vos souhaits. Passer la main aux autres lecteurs qui ne connaissent pas vos personnages aussi bien que vous, ce n'est pas possible.
De plus et hormis les votes de type A/B/C, vous devrez parfois rédiger une réponse complète comme tu l'as fait avec Fawkes, Waïtikka et aussi comme l'a fait MayaShiz ou même remplir un formulaire comme l'a fait MayaShiz aussi. Et ça, c'est impossible de demander aux autres lecteurs de le faire.
C'est pourquoi vous continuerez vos petits devoirs avec les choix personnels de vos personnages et si parfois, il vous est impossible de voter ou bien si vous avez un oubli, eh bien vous laisserez faire le destin du générateur.
Un petit peu comme dans la vie IRL où on a pas toujours le choix. B)
N'hésitez pas à consulter la date exacte de la fin des clôtures de votes, qui est présente sur le post de présentation, mais aussi sur tous mes posts de réponses, si vous avez un doute.
Sur ce, bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 7 - Monsieur Bec
Les murs poussent comme des pierres tombales qui s'élèvent violemment du sol, les couloirs se creusent, se multiplient et les torches projettent leur lumière macabre.
Quelque part là-haut, parmi les démons, quelqu'un doit rire de son labyrinthe infernal.
Plus vivant, plus sournois, l'édifice immense est une entité qui change et qui se moque de ses prisonniers. Combien sont-ils en train de courir pour leur vie en espérant trouver une sortie qui n'existe pas ?
Leur fuite est une mascarade qui amuse des spectateurs tapis dans l'ombre et cela, Yüljet le sait.
Tout autour d'elle, des râles fusent comme des avertissements. Les monstres guettent, chassent et jouent à leur jeu sordide parce qu'ils adorent se donner en spectacle. Il y a, parmi leur public, des personnes assez tordues pour les admirer.
Les paris ont déjà été pris. Qui, des monstres ou des prisonniers, survivra ? Qui mourra le premier ?
Yüljet est en train de courir dans le dédale, déterminée à protéger sa vie. Pourtant, sa raison a déjà admis sa défaite : on ne peut pas s'échapper.
Ses pieds meurtris filent sur la pierre râpeuse et ses vêtements sales flottent autour de sa silhouette massive. Ses yeux fous balayent le décor de ténèbres alors que son cœur manque de s'arrêter lorsqu'elle avise le cul-de-sac qui lui fait face.
C'est fini…
Elle se retourne brusquement quand un râle se rapproche et plus loin, la lueur d'une torche vacille sur une main squelettique. Puis sur le visage du monstre.
Les yeux de Yüljet s'agrandissent pendant que son corps se met déjà à trembler : peau racornie, pas de nez, deux fentes creusées à même la chair pour imiter des yeux, une bouche infinie dont on a oublié les lèvres et des dents pointues.
La voix de cette chose est une tempête qui clame "Je vais te tuer puis te laisser pourrir ! Je vais te tuer puis te laisser pourrir ! Ensuite…"
Un sourire dément a barré le visage du monstre. Il s'est dressé face à Yüljet, ses bras rachitiques et démesurés plaqués contre les parois du couloir et ses haillons rapiécés pendouillant sur son corps filiforme comme des rideaux sur leurs tringles.
Plus haut, les démons encouragent leur candidat favori. Les fous applaudissent et la chose s'élance, résolue à transformer le spectacle en attraction macabre.
Le réveil est brutal. Un sursaut la tire d'un souvenir qui a pris les traits d'un cauchemar, et son cœur s'affole pendant que ses yeux tentent de reconstituer le paysage.
Enfin, Titan parvient à reprendre contact avec la réalité. Ses sens captent les clapotis du Parc de la Fontaine, les couleurs vives des bassins et cette odeur saline caractéristique de la cité d'Eel. Sa peau a aussi retrouvé la chaleur du soleil.
Sa respiration erratique peine à retrouver un rythme normal et Yüljet est obligée d'ouvrir la bouche afin d'aspirer de grandes goulées d'air. Elle sent les bribes de son cauchemar lui tourner autour alors, avec des gestes vifs, elle s'empresse de quitter le petit muret sur lequel elle s'était assoupie pour plonger ses mains dans l'eau fraîche des bassins.
Lorsque son visage se retrouve arrosé, les images morbides, les odeurs putrides et les sons terrifiants disparaissent. Elle s'affaisse en fermant les yeux.
Yüljet n'avait cherché qu'un petit instant de sérénité dans cet endroit qu'elle trouvait agréable à regarder. Le son de l'eau qui coule a toujours été apaisant à ses oreilles et dans une autre vie, lorsqu'il pleuvait, elle aimait faire la sieste.
Mais ici, la fatigue des derniers évènements l'a emporté dans une ronde d'images qu'elle aimerait museler dans sa mémoire. Museler, mais ne jamais oublier.
La troll se redresse. Elle gonfle ses poumons, puis expire en imaginant évacuer toute la crasse de ses cauchemars et lorsqu'ils sont enfin loin, elle peut se permettre de penser à autre chose.
Elle lève les yeux vers le ciel pour en aviser la couleur : le bleu domine encore, mais le vent frais annonce le déclin du jour. Elle s'est assoupie trop longtemps.
Titan secoue la tête et quitte les lieux. Elle reprend mentalement le fil de ses pensées et aux frissons qui la parcourent, à sa gorge sèche, à la faim qui commence à se manifester, elle songe qu'il est temps de se trouver un endroit où dormir.
Face à elle, le kiosque se dessine avec son architecture digne de la cité d'Eel. Tout en finesse, tout en ornements et détails ciselés avec un toit qui ressemble à une fleur géante.
On se trouve bien loin de l'atmosphère étouffante d'Odrialc'h, même si pour Yüljet, cette cité reste synonyme de "refuge".
« Ainsi, vous ne cèderez pas ? »
Titan se recule machinalement vers l'arche fleurie qui marque l'entrée du Parc de la Fontaine.
Une voix grave, calme et amicale s'est élevée. Quelques secondes filent et deux silhouettes apparaissent, revenant sans doute de la grande porte.
L'une est facilement reconnaissable, de par la stature de son corps hâlé, ses cheveux blancs qui encadrent son visage anguleux ainsi que sa tenue composée de pièces de cuir et d'orichalque.
Un présent rapporté d'Odrialc'h. Yüljet plisse ses yeux noirs.
Valkyon Batatume, le Chef de la Garde Obsidienne qui incarne la force tranquille au sein du Quartier Général. Comme presque tout ce qui caractérise la cité d'Eel, il n'est qu'un élément arraché à Odrialc'h pour venir parfaire une Garde dont il a pris le commandement.
Si la Capitaine est une menace pour Titan, Valkyon en est une autre, parce qu'il a servi le prédécesseur de la sainte Shakalogat Gra Ysul.
L'armure qui compose la tenue du Chef de la Garde Obsidienne lui a appartenu et c'est là le plus beau cadeau qu'un ancien soldat d'Odrialc'h a pu recevoir.
« Je suis vraiment navré, mais comme vous le savez, je n'aspire qu'à une vie paisible. Je laisse le commandement à ceux qui sont fait pour commander et l'enseignement aux jeunes recrues à ceux qui sont fait pour enseigner. »
Un doux sourire se peint sur le visage de Valkyon Batatume alors qu'il croise les bras sur son torse puissant.
Son interlocuteur est un elfe noir. Plus petit, la peau anthracite, une masse épaisse de cheveux noirs ondulant sur ses épaules, un regard opaque et aimable, un grand arc sur l'épaule avec un carquois sur le dos.
Sa tunique d'un bleu d'azur s'accorde à merveille avec le ciel d'Eel, comme si son propriétaire avait choisi de renier la neige éternelle de ses terres natales. Sa voix est chaude, charmante et bienveillante.
« Je pense, et j'ai toujours pensé, que vous avez les compétences nécessaires pour commander et enseigner, répond Valkyon, car vous êtes bien assez pédagogue pour former des recrues et de futurs archers. Seulement, je comprends que vous tenez à votre métier de guetteur même si j'ai tendance à croire que vous vous lasserez du paysage. »
L'elfe noir joint les mains derrière son dos. À l'image du Chef de la Garde Obsidienne, il dégage une paix royale et ses paroles lui ressemblent.
« Jamais. Tous les jours, je vois le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie. Lorsque je ne vois rien d'autre venir, bien entendu.
- Ce conte terrien a décidément marqué votre esprit, Balam. »
Valkyon administre une tape amicale sur l'épaule de son congénère. Yüljet le voit secouer la tête, comme si cette scène s'était déjà répétée encore et encore, peu importe le nombre de fois où il s'est acharné pour convaincre le dénommé Balam de bien vouloir commander et enseigner.
Ce dernier, l'air penaud, porte une main machinale à la corde de son arc :
« C'est vrai. Merci à nos linguistes de l'avoir rendu accessible. Mais ce que je tiens à dire encore une fois, Chef Batatume, c'est que je n'aspire pas à être le commandant que vous souhaitez. Devenir chef-instructeur est une voie que je ne veux pas emprunter car pour moi, s'élever socialement, c'est renoncer à la tranquillité d'une vie simple. »
Titan réprime un sifflement dédaigneux. Comme il a raison, comme il a tort… la vie paisible que décrit Balam se situe dans l'œil d'une tempête qui fait rage au sein de chaque cité d'Eldarya : la noblesse et la pauvreté.
Les riches vivent dans le chaos et les pauvres aussi. Seuls ceux qui ne sont ni l'un ni l'autre peuvent prétendre à la tranquillité.
Visiblement, ce guetteur n'a fait que guetter et peut-être que la petite vie qu'il chérit ne tourne qu'autour du soleil qui poudroie et de l'herbe qui verdoie.
« C'est pourquoi j'aime converser avec vous, affirme Valkyon, les sélections ont beau être sur toutes les lèvres, elles ne sont pas sur les vôtres. »
Balam reste un instant silencieux. Le ciel d'Eel poursuit son déclin et s'est enflammé pour marquer la course du soleil en train de s'endormir. Les traits de son visage s'affaissent alors qu'il répond d'une voix lointaine :
« J'y pense d'une certaine manière. Je pense surtout à ceux qui risquent de nous quitter pour vivre à Odrialc'h et même si trois jours de voyage nous séparent de cette cité, les choses seront différentes.
- Vous craignez que Joseph Ael Diskaret soit sélectionné, n'est-ce pas ? »
Yüljet plisse les yeux. Joseph Ael Diskaret. Un morgan d'une cinquantaine d'années à la garde civile que Fawkes avait mentionné dans son rapport sur les candidats à la sélection.
« À vrai dire, je crois que tous les habitants d'Eel craignent que Joseph ne soit sélectionné, ajoute le Chef de la Garde Obsidienne, et je le crains également pour tout avouer. Joseph est un excellent élément, c'est vrai, mais il est également devenu un ami.
- Le départ de votre ami est cher payé pour entretenir de bonnes relations avec la cité d'Odrialc'h. » souffle Balam.
L'atmosphère semble se modifier comme si cette simple phrase avait transformé la paix en doute. Titan peut voir Valkyon Batatume tressaillir et elle est presque certaine qu'il a poussé un léger soupir.
La conversation si paisible du début penche vers des propos houleux et le visage de l'elfe noir n'exprime que du regret.
« Nous sommes tous attristés par cette perspective, mais Joseph s'est présenté aux sélections de son plein gré, répond Valkyon, tout comme les autres candidats. Et rien n'est encore joué.
- En effet, vous avez raison. Peut-être serons-nous surpris. Peut-être que c'est June qui remportera la sélection, après tout. »
Balam éclate d'un rire très doux, les mains sur les hanches. Il semble avoir retrouvé de sa lumière et son Chef de Garde le fixe avec une expression presque attendrie. Valkyon secoue la tête, faisant mine d'être consterné alors que son esprit lui montre peut-être l'image de cette "June" qui a daigné se présenter aux sélections.
June Albalefko, une salamandre de vingt-quatre ans mais également la candidate la plus jeune.
« Chef Batatume, demande Balam, la Capitaine risque de vous poser des questions sur la candidature de June, n'est-ce pas ? »
Valkyon fixe un point invisible sur le garde-corps du kiosque central. À l'approche des sélections, la tête du Chef de la Garde Obsidienne doit être remplie de soucis mais au léger sourire qu'il arbore, celui de June ne doit pas vraiment en être un.
« J'espère que Shakalogat ne sera pas trop dure avec elle, déclare-t-il d'un ton plus bas.
- C'est toujours étonnant de vous entendre appeler la Capitaine par son prénom. »
Pas vraiment. Pour Yüljet, ça a toujours été une évidence et c'est ce qui rend la force tranquille de la Garde Obsidienne si menaçante à ses yeux : son service militaire dans le corps armé d'Odrialc'h, auprès de la mégère lorsqu'elle n'était pas encore Capitaine et ce, sous les ordres de Kriya Gro Zarak, l'ancien propriétaire des pièces d'orichalque portées par Valkyon.
Ce dernier et Shakalogat Gra Ysul sont amis de longue date, ce n'est un secret pour personne et cela fait partie de la raison pour laquelle Eel et Odrialc'h entretiennent de si bonnes relations. La mégère a beau être plus jeune que lui, elle a succédé à Kriya pendant que Valkyon avait été envoyé à la cité blanche pour prendre le commandement de la Garde Obsidienne. Histoire d'ajouter une petite pincée d'Odrialc'h à une Eel déjà à ses pieds.
« Et je ne devrais pas la nommer ainsi devant autrui, avoue Valkyon, c'est vrai. »
Balam lui répond qu'il ne s'en formalise pas beaucoup puis, plissant ses yeux blancs, il demande avec un sourire chafouin :
« Lorsque June se présentera à l'entretien public, est-ce que vous pensez que la Capitaine lui fera le coup du… »
Il écarte les bras et hausse les épaules, les sourcils hauts sur son front anthracite. Son Chef de Garde comprend l'allusion et pouffe quelque peu. Néanmoins, la sentence tombe :
« C'en est même certain. Mais pour une recrue de la Garde Obsidienne qui a soif d'expériences, je pense qu'un entretien public avec la Capitaine du corps armée d'Odrialc'h ne peut que la combler. »
Sans surprises, d'ailleurs. Pour Yüljet, les sélections ne sont qu'un spectacle donné sur une scène de théâtre.
Quel intérêt de rendre les entretiens des candidats publics, si ce n'est divertir les spectateurs qui feront tourner les paris sur leur participant favori ?
Cent pièces d'or, si cette June parvient à être selectionnée… deux-cents pièces d'or sur Joseph Ael Diskaret, car c'est une valeure sûre.
De toute façon, la foule ne sera ici que pour contempler la mégère et ensuite, se vanter de l'avoir vu de près.
Valkyon Batatume et son comparse daignent enfin quitter le kiosque central pour poursuivre leur conversation sur le port. D'après le Chef de la Garde Obsidienne, l'elfe noir lui doit une bière bien fraîche et par bonheur, être guetteur de la cité d'Eel donne accès à de très bons tickets pour avoir de la nourriture et des boissons.
Les habitants du refuge quant à eux, ne peuvent certainement que rêver de boire une bonne bière bien fraîche.
Yüljet quitte de nouveau le Parc de la Fontaine. Le danger s'étant écarté, elle peut reprendre son plan initial : trouver un endroit où dormir. Sa première pensée vogue vers les auberges de la cité.
Si elle se rend au centre-ville, elle trouvera sûrement une auberge mal famée qui se fiche des passes temporaires et même au milieu des poivrots de la cité d'Eel, elle sera toujours mieux qu'à la belle étoile.
Titan se met en route. Lorsqu'elle traverse le refuge, elle peut voir que certains de ses habitants se sont réunis autour d'une bouilloire abîmée, ou bien d'une marmite difforme.
Son passage est ponctué de coups d'oeils suspicieux mais manifestement, il a été décidé qu'elle ne représentait aucune menace imminente pour les activités douteuses qui peuvent se dérouler en ces lieux.
Par bonheur, les jolies maisons peintes et leurs portails parés de coquillages viennent marquer l'entrée du centre-ville et l'atmosphère devient plus légère. Cependant, Yüljet ne baisse pas sa garde.
Si elle a pu éviter de justesse une rencontre maladroite avec le Chef de la Garde Obsidienne, qui peut prédire qu'elle ne tombera pas sur le Chef de la Garde Absynthe, ou bien celui de la Garde de l'Ombre ?
Ou pire encore.
Les ruelles la conduisent jusqu'à une grande place qui s'annonce avec des bruits de clameurs. Aucun doute que les tavernes doivent profiter des sélections en gagnant plus d'or qu'elles ne peuvent en rêver, grâce aux touristes d'Odrialc'h.
Au moins, elles ne trouveront pas de mal à payer la vilaine taxe imposée par le gouvernement de la plus grande cité d'Eldarya, sur les produits importés de la Terre. Produits rationnés et vendus à prix onéreux, bien entendu.
Ses semelles épaisses foulant les pavés blancs, Yüljet observe les alentours. Ses yeux noirs parcourent les enseignes mais visiblement, le quartier où elle se trouve est encore trop bien fréquenté pour sa sécurité.
Tant pis. Il lui faudrait rebrousser chemin et tenter d'autres ruelles, jusqu'à trouver son bonheur dans la crasse et l'alcool…
Soudain, elle remarque un grand panneau d'affichage qui trône à côté de ses congénères, occupés à indiquer les directions du port, des grandes portes ainsi que du quartier général.
À en juger par la façon dont il a été installé - façonné à la va-vite avec un bois qui jure bien trop vis à vis du blanc environnant - son utilité prendra fin avec les sélections.
Yüljet s'approche, intriguée, et grâce aux petites flammes vacillantes des réverbères alentours, elle attrape les mots placardés en grands caractères :
Chers amis d'Odrialc'h, soyez les bienvenus à la cité d'Eel !
Nos auberges et nos tavernes sont ravis de vous accueillir !
Cependant, pour celles et ceux qui souhaitent vivre les sélections auprès de nos citoyens, sachez que plusieurs familles de notre belle cité vous ouvrent les portes de leurs foyers !
Pour plus d'informations, merci de consulter la liste ci-dessous et de vous adresser à l'office du tourisme (Quartier Général, second étage, porte D) pour vous inscrire et être mis en relation avec votre nouvel hôte.
Benozen tiv honk keladenk !*
*[/*b] "Merci pour votre visite" en langue orc
Des chambres chez les habitants d'Eel ? Chose intéressante. Seulement, le côté administratif vient lui barrer la route car selon les informations qu'elle lit, il faut s'inscrire. Et pour s'inscrire, il faut fournir un passe temporaire.
Néanmoins, elle s'intéresse aux noms figurant sur la liste :
La famille Ael Diskaret ( Demander Joseph Ael Diskaret)
La famille Astorg ( Demander Keroshane Astorg)
La famille Égée ( Demander Ykhar Égée)
La famille Chrysomallos (Demander Twylda Chrysomallos)
Le nom d'"Ael Diskaret" revient encore.
Yüljet connait Keroshane Astorg et Ykhar Égée. L'un est le secrétaire général de la Garde Étincelante et s'est même payé le luxe de pouvoir faire de hautes études en compagnie des érudits de Rhenia-Gaear.
Seulement, Titan est surprise qu'il n'ait pas abandonné face à la pression implacable de ces vieux professeurs et enseignants, connaissant le caractère fragile de ce gratte-papier.
Il n'est pas une menace, mais Yüljet n'a pas encore perdu la raison pour oser se présenter face à un membre de la Garde Étincelante sous un faux nom, en espérant que les lunettes ou la mémoire de ce dernier le trahisse.
Quant à l'autre, il s'agit du bras droit de Miiko Yamamura. Enfin, seulement en apparence : tout le monde sait que le véritable bras droit n'est nul autre que le dernier lorialet qui a survécu au massacre de son village, et qui a été adopté par un Grand Juge d'Odrialc'h.
Leiftan Tuarran, affectueusement surnommé par Sexta "le minaloo d'Odrialc'h".
Néanmoins et malgré tout le mépris qu'elle lui porte, la vampire a tout de même été capable de reconnaître qu'il n'a pas volé sa place à la Garde Étincelante.
Toujours est-il que cette pauvre Ykhar s'est vue éloignée de la politique d'Eel lorsqu'il est arrivé et qu'à présent, elle a obtenu le rôle d'ambassadrice de la cité blanche et se voit régulièrement envoyée aux quatre coins du monde.
Pourtant, Yüljet est certaine que malgré tous ses voyages, elle n'a probablement jamais vu une fée de près.
Ykhar ne la reconnaîtrait probablement pas, mais il est hors de question de prendre des risques et d'entrer en contact avec un membre de l'Étincelante.
Quant à la famille Chrysomallos, Titan ne les connaît pas.
« Je pensais pas te trouver ici. »
Yüljet a un sursaut. Elle se retourne avec des gestes vifs, ses yeux d'onyx confrontant l'importun venu lui adresser la parole.
Mais son esprit reconnaît la voix rocailleuse de Fawkes.
Le renard-garou se tient là, près du panneau d'affichage, les mains enfoncées dans les poches du vieux pantalon d'ouvrier qu'il a enfilé le matin même, afin de parfaire son personnage de Jens Red.
Fawkes a les traits tirés, ses cheveux roux hirsutes auréolant son visage au hâle léger pour embrasser son front et ses tempes. Sa queue duveteuse se balance paresseusement, comme pour rythmer les pensées qui doivent tourner dans son cerveau fatigué.
« Tu n'es pas resté à l'hôpital ? demande Yüljet avec intérêt.
- J'avais besoin d'air. Fuya dort depuis le milieu de l'après-midi et moi, j'ai le temps avant de passer une nuit blanche sur leur fauteuil inconfortable. »
Titan esquisse un léger sourire. Elle s'empresse de demander des nouvelles de la sirène et quand elle voit Fawkes hausser les épaules en poussant un soupir, ses oreilles animales tressautant, elle s'imagine le pire :
« Elle va se faire opérer à l'aube, cheffe. Rien de bien grave, d'après la docteur, mais ils veulent regarder si des minuscules bouts de verre se sont pas glissés dans les branchies. Heureusement qu'elle se transforme plus, sinon ça aurait pu être un problème. Aussi, la docteur Osgiliath a dit qu'elle avait une déchirure musculaire intercostale. Pour ça qu'elle avait mal quand elle voulait se laver. Fuya a dit que c'était peut-être quand elle avait essayé de se rattraper à l'échafaudage avant de continuer à tomber mais… »
Fawkes lui lance un regard lourd de sens et Titan hoche la tête. Elle revoit les Milliget jouer avec Fuya en la manipulant comme une poupée de chiffon et elle fulmine contre ces créatures à trompes, aussi voraces que des goules affamées.
Elle s'affaisse quelque peu et jette un regard aux touristes qui se promènent près des enseignes et flânent auprès des petits étals extérieurs, ouverts plus tard pour l'occasion.
« C'est rassurant, déclare Yüljet, l'enregistrement administratif à l'hôpital s'est bien passé ?
- Rien à signaler, grommelle Fawkes, sauf le gamin qui a apporté la chaise, avec la peau bleue… il nous a filé un bon fou rire avec Fuya quand il nous a demandé si on était mariés. C'est pas méchant, il faisait juste son boulot, il était venu nous enregistrer, mais… tu sais bien. »
Oui, elle savait. Fuya disait que les membres du cartel, pour elle, c'étaient les frères et sœurs qu'elle avait choisie. Sans compter Sexta qu'elle considérait comme sa figure maternelle.
La cohésion familiale au sein du cartel des Typhons était si forte qu'il s'agissait sans doute de la raison pour laquelle aucun couple ne s'était jamais formé.
Yüljet se souvient particulièrement de l'arrivée de Fawkes, il y a deux ans. Plus taciturne, plus solitaire, moins enclin à faire confiance à autrui, si bien qu'il n'avait pas prononcé un seul mot pendant plusieurs jours. Et quand enfin ce fut le cas, Sexta l'avait gentiment gratifié d'un "Tiens ? Ça parle ?".
« Il a piqué un fard, le morgan, poursuit Fawkes, mais je l'ai rattrapé et on a été faire l'enregistrement au secrétariat médical. Bon, par contre après j'ai eu du mal à retrouver la chambre de Fuya. C'est vachement grand. Je me suis dit qu'avec un peu de chance, j'allais tomber sur l'assistant de la docteur, mais je l'ai même pas vu. Puis j'ai atterri dans le bureau des pharmaciens. »
Le renard-garou passe une main embarrassée dans ses cheveux fauves en grimaçant.
« Un aide-soignant a cru que j'étais en train de voler des médicaments, bougonna-t-il, mais il a fini par comprendre que je m'étais perdu et il m'a raccompagné. »
Titan secoue la tête. Mais au moins, Fuya a pu être prise en charge et Fawkes peut circuler librement dans la cité, avec son passe temporaire.
Aussi, elle sait que Rose garde un œil sur eux alors jusqu'à l'arrivée de la mégère, ils peuvent tenir.
« Tu cherches un endroit où dormir ? » reprend Fawkes en regardant le panneau d'affichage.
Certes, mais il y a peu de chances que ce soit chez l'une de ces familles. Les formalités administratives sont trop strictes et contrairement à ses comparses, Yüljet ne peut s'enregistrer nulle part.
« Dans une auberge discrète que je vais finir par trouver, répond-t-elle, je lisais simplement les noms de ces généreux citoyens prêts à accueillir un touriste de leur cité amie. »
Soudain, Fawkes pose un doigt sur le nom "Chrysomallos". Son front se plisse alors qu'il affirme avec intérêt :
« Je les connais. La mère est commis de cuisine au réfectoire du Quartier Général. Ça m'est déjà arrivé de la croiser quand j'attendais Rose au marché pour faire un rapport.
- Tu as déjà discuté avec elle ? » demande Titan d'une voix songeuse.
Le renard-garou hausse brièvement les épaules.
« Pas directement, mais j'ai toujours laissé traîner une oreille, comme d'habitude. Je sais qu'elle vit seule avec son gamin de neuf ans et qu'elle travaille à mi-temps parce qu'elle a un truc au coeur. Ils vivent pas loin du refuge. »
Si elle veut synthétiser la liste du panneau d'affichage, Yüljet dirait que cette femme et son enfant sont les personnes les moins dangereuses et les moins susceptible d'avoir entendu parler du cartel.
Elle croise les bras sur son torse massif et souffle par le nez.
« Eh bien je crois qu'il ne me reste plus qu'à trouver Rose demain et espérer qu'il puisse me fabriquer un faux passe…
- Pourquoi t'as pas vu ça avec lui aujourd'hui ? questionne Fawkes, surpris.
- Parce que j'étais préoccupé par votre entreprise et que je n'y ai pas pensé. »
Elle se masse la tempe en fermant les yeux. C'est la stricte vérité et même si elle aurait dû ajouter ce détail à sa liste mentale, il lui a échappé.
Tant pis pour elle.
« De toute façon, Fawkes, moins on voit mon visage : mieux c'est.
- C'est vrai, mais t'auras toujours l'air moins suspecte à dormir chez l'habitant qu'au fond d'une taverne miteuse. »
Ce qui n'est pas faux aussi. Mais on verrait ça demain avec Rose.
Même si Yüljet parvient à entrer en possession d'un passe, elle ne s'approchera jamais du Quartier Général et restera dans l'ombre, à tendre l'oreille et à guetter le moindre indice.
Sauf si elle trouve une autre solution.
« Tu dis qu'ils vivent près du refuge, non ? Dis-moi à quoi la mère et son enfant ressemblent. Plutôt que de prendre le risque de falsifier un passe, je vais tenter de louer la chambre. »
***
Une bouilloire se met à siffler. Une femme somme l'un de ses frères de la sortir du feu et Yüljet ignore combien de tisanes aux orties ont été bues.
Adossée contre le mur qui sépare le refuge du kiosque central, Yüljet guette l'allée principale. De là où elle est, elle peut garder un œil sur les portails des jolies petites demeures bordant la grande rue, et lorsque deux silhouettes se montreront, elle ira à leur rencontre.
Fawkes les a décrits comme deux brownies aux cornes et aux oreilles de béliers, avec des cheveux blonds.
Le petit garçon de neuf ans a pour habitude d'attendre sa mère non loin du Quartier Général pour rentrer avec elle. Titan a prévu de les approcher lorsque Twylda Chrysomallos déverrouillera le portail de sa maison et ensuite, il ne lui restera plus qu'à négocier avec elle.
Chose aisée en pensée, mais plus ardue dans la réalité.
La nuit est tombée depuis un peu plus d'une heure, à présent. Yüljet sent la fatigue peser sur ses épaules comme un fardeau invisible et son corps n'aspire qu'à manger, à boire et à dormir.
Enveloppée dans son large manteau couleur sauge, elle sent la petite brise fraîche fourvoyer le tissu pour mordre sa peau. Mais elle sait aussi que les frissons qui courent sur son corps sont la réponse à l'appel d'un lit qui ne vient pas.
Soudain, une petite voix se fait entendre dans le décor. C'est un écho d'enfant qui se rapproche un petit peu plus à chaque pas et pour Titan, c'est enfin l'espoir d'apercevoir les deux âmes tant attendues. Elle fixe l'allée comme si un esprit allait y apparaître, mais bien loin d'un spectre, la frêle silhouette d'un enfant se montre, accompagnée d'une femme vêtue d'une robe beige.
Ils sont exactement comme Fawkes le lui a décrit : des cornes enroulées sur elles-mêmes, des oreilles animales et des cheveux d'un blond clair.
Twylda Chrysomallos marche avec lenteur, une main machinale portée à sa poitrine, pendant que son fils trottine à ses côtés. Elle porte un petit sac de tissus en bandoulière et Titan pari qu'il est rempli de nourriture.
Quand Twylda s'arrête devant un portail en bois et commence à en chercher la clé, Yüljet s'avance.
C'est le garçon qui l'aperçoit en premier. Ses yeux d'ambre s'agrandissent de stupeur et d'instinct, il se rapproche de sa mère en attrapant le tissu ample de sa tenue.
Ses boucles blondes encadrent son visage rond et ses cornes disparaissent presque dans ses cheveux.
Ressentant le trouble de son fils, Twylda se retourne, l'air méfiant. La mère et le garçon ont les mêmes yeux.
Yüljet s'arrête à distance. Elle sait que dans la pénombre, la silhouette massive d'une troll a plus des airs de menace que de sécurité alors, d'un ton paisible, elle entame la conversation :
« Madame Chrysomallos, amorce-t-elle en guise de bonsoir, je suis venu assister aux sélections et j'ai vu votre nom sur le panneau d'affichage, au centre-ville. Je voudrais vous louer une chambre, si vous ne logez personne. »
Twylda semble se détendre. Ses épaules s'affaissent et une moue soulagée se peint sur son visage pâle. Elle adresse un sourire poli à Titan, avant de répondre d'un ton maladroit :
« Je vois… mais il faut s'adresser à l'office du tourisme. C'est avec eux qu'il faut faire les papiers et ensuite, vous pourrez vous installer. Reven…
- Quarante pièces d'or par jour pour la location de la chambre. Je partirai après les sélections. Je me lèverai tôt le matin et ne rentrerai que tard le soir. Votre tranquillité ne sera pas troublée. »
Pour appuyer ses propos, Yüljet tire une petite bourse en peau de la poche de son manteau et fait tinter les pièces. Une ombre passe sur le visage de la brownie alors que le puzzle de la situation prend forme.
Poussant son fils vers le portail avec douceur, elle s'approche de Titan pour la fixer d'un air suspicieux. La troll sait déjà ce qu'elle va lui dire.
"Je ne veux pas d'ennuis"
Mais elle sait aussi que Twylda a besoin d'argent, car un traitement pour un cœur malade, quel qu'il soit, est coûteux. C'est une situation facile où les deux parties possèdent des arguments intéressants.
« Écoutez, souffle la brownie, je ne veux pas d'ennuis. Je ne sais pas si vous avez un passe temporaire, ni ce que vous voulez réellement faire à Eel. Mais j'ai un enfant et je ne veux pas loger une inconnue qui veut me payer une chambre avec de l'argent douteux.
- Et moi, je ne veux pas vous causer d'ennuis. Je veux simplement assister aux sélections et avoir un lit pour dormir. Je mangerai même à l'extérieur. Et qu'importe d'où vient l'argent que je vous propose, sa valeur ne changera pas lorsque vous ferez des achats. »
Quand Twylda jette plusieurs regards à la bourse en peau, Titan sait qu'elle a déjà gagné.
Il n'y a pas eu de menaces dans le discours de la troll, mais seulement des propositions.
Yüljet daignera manger dans les auberges, même si leurs repas sont onéreux. C'est un sacrifice qu'elle peut faire pour rassurer sa future hôte.
Elle tend sa petite sacoche emplie de pièces d'or à la brownie, puis déclare avec sérénité :
« Prenez-le. C'est pour cette nuit. Je vais me chercher à manger à l'auberge la plus proche et tout ce que je vous demanderai en rentrant, c'est un lit. »
Twylda se mord la lèvre puis, après de longues secondes, elle ferme les yeux et Titan sait qu'elle abdique. Elle doit vraiment avoir besoin de cet argent.
Elle s'en empare avec lenteur et dans ses gestes, Yüljet devine qu'elle hésite encore.
« Bien, je vais préparer votre chambre. » renonce-t-elle d'une petite voix.
C'est parfait.
Le toit de Titan est assuré pendant la durée des sélections et c'est tout ce dont elle a besoin. Elle sait que Twylda Chrysomallos se fera du souci quant à sa présence, alors elle tiendra sa promesse et restera à l'extérieur durant la journée.
Tournant les talons, Yüljet part en quête d'eau et de nourriture, malgré la promesse d'un lit qui l'attire.
Son regard onyx est à l'affût de la moindre lumière qui serait annonciatrice d'une auberge et son nez se met en quête des odeurs alléchantes.
Manger, boire et dormir. C'est tout ce qu'elle veut.
Finalement, son souhait est exaucé quand elle entend de bruyants éclats de voix. Au sein de la ruelle qu'elle arpente, une enseigne se balance paresseusement au bout de sa potence, malmenée par un vent salin. Des senteurs de viandes, de sauces et de légumes se diffusent via la lourde porte restée ouverte, invitant les promeneurs à entrer pour se restaurer.
En jetant son œil, Titan peut aviser le monde qui se tient là. Beaucoup d'orcs d'Odrialc'h, mais aussi quelques gardiens à en juger les uniformes.
Au rouge qui teinte leurs joues et à la sueur qui perle sur leurs fronts, l'alcool leur est monté à la tête et leurs bouches s'ouvrent grands pour laisser échapper des rires bien gras.
Ils ne font même pas attention à la troll qui louvoie entre leurs corps chauds pour accéder au comptoir et, enfin, se commander à manger et à boire.
Le gérant propose des cuisses de poulet avec des noix et même si c'est cher payé, Yüljet les emporte. Alors qu'elle donne les trois pièces d'or demandées, elle se sent observée.
Elle se retourne, balayant le décor de l'auberge avec méfiance, mais tous les esprits sont trop embrumés par l'alcool pour s'attarder sur elle.
Puis, elle attrape le coupable qui se tient dehors, son petit corps à moitié dissimulé par l'encadrure de la porte. Titan réprime un soupir.
Elle attrape sa nourriture, disposée dans une écuelle en bois, ainsi que son pichet d'eau puis se dirige vers l'extérieur.
Le gamin est là, tapis derrière le tonneau disposé près de l'entrée, elle le sait. Yüljet fait mine de ne pas le voir et prend place sur l'un des petits tabourets mis à la disposition des clients. Son repas à la main, elle commence à manger, savourant la nourriture tant attendue.
Les secondes passent, mais l'espion ne semble pas vouloir sortir de sa cachette.
« Je pense que ta mère ne serait pas très heureuse de te savoir ici. » lance Titan.
Pris sur le fait, l'enfant se montre enfin Contrairement à l'air farouche de Twylda, le garçon arbore une expression curieuse, presque avide de découvrir l'étrangère venue s'installer chez eux pendant les sélections.
Ses yeux et ses cheveux solaires étincellent sous la lumière des lampadaires et ses lèvres sont serrées, comme s'il hésitait à dire quelque chose. Yüljet est certaine qu'il doit se demander à quelle sauce il va être mangé. Mais elle ne compte pas lui donner d'indices.
La troll continue d'engloutir sa cuisse de poulet.
« Qu'est-ce que t'es comme espèce ? » demande enfin l'enfant d'une petite voix.
Titan lève les yeux au ciel. La dernière chose dont elle a envie, en cet instant, c'est de répondre aux multiples questions d'un gamin trop curieux.
Elle espère que son mutisme le lassera rapidement mais malheureusement, elle ne sera pas gagnante.
« Parce que, reprend l'enfant en s'approchant avec précaution, tu es quand même grande. Mais pas trop non plus… Tu as des oreilles pointues, mais tu ne ressembles pas à une elfe et puis… tu as les dents pointues aussi, mais pas comme les orcs… qu'est-ce que tu es ? »
Silence. L'enfant lève son petit visage vers elle. Il cligne des yeux à plusieurs reprises, attendant une réponse qui ne vient pas mais loin d'abandonner, il ajoute avec fierté :
« Moi, je suis un brownie bélier ! Et maman aussi ! »
Yüljet le regarde écarter les bras, comme s'il se présentait à un public imaginaire et un sourire ravi fend sa figure.
Titan souffle par le nez. C'est à son tour d'abdiquer.
« J'ai vu. » se contente-t-elle de répondre.
Le garçon met les mains derrière son dos, bienheureux d'avoir enfin capté l'attention de l'étrangère puis, se dandinant d'un pied sur l'autre, il répète sa question.
« Troll.» cède Yüljet en continuant de manger.
Son aveux semble satisfaire son interlocuteur dont le visage retrouve de sa lumière. Le petit garçon trottine vers un tabouret qu'il tire pour prendre place face à Titan puis, sans se défaire de son sourire, il se lance dans une conversation dont les réponses laconiques ne le découragent pas :
« Tu n'es pas d'ici du tout ?
- Non.
- Tu connais quand même, Eel ?
- Oui.
- Tu viens voir les sélections ?
- Oui.
- Moi j'ai jamais vu la Capitaine Shakalogat. J'ai hâte de la voir ! Tu l'as déjà vu, toi ?
- Oui.
- Oh… est-ce que je t'ai déjà dit mon nom ?
- Non. »
Confus, l'enfant papillonne du regard, avant de toussoter dans sa main. Il redresse le buste et tente de se présenter en bonne et dûe forme :
« Je m'appelle Mery. Mery Chrysomallos. Plus tard, je veux écrire des livres. »
Yüljet le fixe avec curiosité. Elle s'était attendue à ce qu'il lui dise vouloir devenir soldat pour servir Shakalogat Gra Ysul, mais elle s'est trompée. Le jeune Mery veut devenir écrivain, donc.
« Je veux voyager partout dans Eldarya, reprend-t-il, comme ça j'écrirai plein d'histoires !
- C'est bien. »
Il se tortille sur lui-même et plonge dans ses réflexions. Titan le laisse faire, savourant cet instant de calme qui est le bienvenu. Peut-être espérait-il obtenir des questions de sa part, mais la troll n'aspire qu'à la paix et ensuite, au sommeil.
Le tissu bleu qui tranche son vêtement beige en deux s'harmonise à merveille avec ses cheveux solaire. Il ressemble à un petit jour en pleine nuit et son visage est bien plus radieux que celui de sa mère fatiguée.
Yüljet doute qu'il puisse lui raconter des histoires comme il le voudrait. Et à ses yeux qui brillent, elle sent qu'il brûle de dire quelque chose, mais qu'il n'ose pas.
Elle souffle par le nez.
« Tu as une histoire à raconter, c'est ça ? »
Le soleil éclate.
Mery hoche furtivement la tête, absolument ravi qu'on lui donne enfin sa chance et il remue tant que le tabouret commence à se balancer dangereusement.
Ses bras s'agitent et tel un conteur professionnel, il prend la peine de respirer et de se calmer afin de relater la meilleure histoire du monde. Il se penche vers Titan pour souffler en une confidence :
« Je ne l'ai pas inventée. Ça m'est vraiment arrivé il y a deux ans. Mais personne ne me croit. »
La troll se contente d'acquiescer tout en plongeant la main dans son écuelle de noix. Qu'est-ce que Mery va bien pouvoir lui raconter qui lui vaille la peine de ne pas être cru ?
Ses yeux d'ambre sont déterminés et quand il ouvre la bouche pour parler, Titan peut presque sentir le frisson qui l'anime, tant il s'apprête à vivre son histoire…
… Il y a longtemps. Deux ans, en réalité. J'étais parti chercher des baies dans la forêt.
Maman était encore au travail et je savais que je n'avais pas le droit de quitter la cité tout seul, et que les guetteurs me rattraperaient et me sermonneraient.
Mais je tenais à ces baies, parce que je pensais qu'elles pourraient guérir mon familier qui était malade. Ce que je ne savais pas, c'était qu'il souffrait de la maladie de "la fin de l'aventure" et qu'il n'existait pas de remède.
C'est ce que m'avait expliqué Viktor.
Je suis quand même parti malgré le soleil en train de s'endormir et je croyais que je n'aurais pas peur du noir.
La forêt était froide et silencieuse, mais je continuais de marcher en observant chaque buisson que je croisais sur mon chemin. Malheureusement, les baies que j'étais venu chercher se trouvaient bien plus profondément dans la forêt. Je devais me dépêcher.
Plus j'avançais et plus je commençais à avoir peur.
J'imaginais que le roi de la forêt me trouverait pour m'emmener, que le roi des rivières me trouverait pour m'emmener et que même le roi de la nuit serait capable de venir me chercher.
Tu sais, ils me diraient quelque chose comme "Hé, pauvre enfant ! Prends cette pomme empoisonnée, bois cette eau empoisonnée, enfile ces chaussettes empoisonnées !".
C'est effrayant, tu ne penses pas ?
Alors je me suis mis à courir. Je ne voyais même plus le ciel parce que les arbres avaient les cheveux trop longs. Ce n'était pas malin.
En plus, ils essayaient de m'attraper avec leurs branches griffues et plusieurs fois, je suis tombé sur des orties. Mes genoux me grattaient et me piquaient, mais puisque j'étais en si bon chemin, je ne pouvais pas faire demi-tour.
Et enfin, j'ai vu ce que j'étais venu chercher ! Face à moi, il y avait un grand, grand, grand buisson plein de baies toute bleue ! Les baies du ciel, qu'elles s'appelaient. Et j'ai levé la main pour en attraper.
Quand soudain, j'ai entendu un bruit. Un grand bruit comme un coup de tonnerre.
J'ai eu très peur pourtant, quand j'ai regardé autour de moi, il n'y avait rien. En réalité, c'était de l'autre côté du buisson.
Plus bas, il y avait comme une petite grotte de feuilles et de branches et si je me glissais dedans, je pourrais y voir ce qui avait fait ce bruit-là. C'est ce que j'ai fait.
Je suis entré dans la grotte et là… là… j'ai vu…
… Un humain.
« Quoi ? »
Titan s'est figée. L'histoire ressemble à n'importe quel conte pour enfant mais la chute la tire hors de la somnolence.
Mery la fixe avec intensité, s'attendant certainement à savoir si cette fois, il serait crut. Yüljet se penche vers lui pour chuchoter.
« Tu as vu un humain, il y a deux ans ?
- J'ai vu un humain pour de vrai, lui souffle-t-il, et je peux même te dire à quoi il ressemble. Je m'en souviens parce qu'il a les mêmes cheveux que moi. »
Il est sérieux. Sa bouille enfantine s'est crispée et ses yeux mettent la troll au défi de le traiter de menteur.
J'ai vu un humain il y a deux ans. C'est vrai ! Je m'en souviens parce qu'il a les mêmes cheveux que moi !
Sauf que les siens, il étaient plus longs et plus lisses.
Je ne sais toujours pas ce qui a fait le bruit, mais l'humain était là. Enfin : "elle" en réalité.
C'était une femme et elle était allongée par terre. Je croyais qu'elle dormait.
J'ai eu peur. Très peur, mais j'ai continué à regarder et elle a fini par bouger.
Un bras, au début. Elle tremblait, et puis elle a levé la tête. Je me suis demandé si elle aurait les mêmes yeux que moi aussi, mais je ne crois pas. Je n'ai pas très bien vu parce que j'étais un petit peu loin, mais je me souviens très bien que ses yeux, à elle, étaient plus froids que les miens.
Elle avait une drôle de tête. Je crois qu'elle souffrait mais je n'en suis pas sûr. Ce que je veux dire, c'est qu'elle faisait la grimace à chaque fois qu'elle bougeait.
Ce qui m'a fait drôle, c'étaient ses vêtements : ils étaient bizarres. Surtout son manteau rouge.
Je ne savais pas quoi faire. Je ne savais pas si je devais aller la voir et lui parler. Si je devais la ramener à Eel avec moi.
Je crois que ça n'aurait pas du tout plu à maman, ni même aux guetteurs. Et puis, je ne savais même pas comment elle était arrivée là.
Qu'est-ce que tout le monde aurait fait d'elle, tu crois ?
De toute façon, je n'ai pas eu le temps de me décider. Parce que la chose la plus horrible que je n'ai jamais vu est arrivée.
Mery s'arrête un instant. Son petit visage se tord en une grimace qui exprime la peur qu'un souvenir est en train de lui montrer.
Il secoue la tête, et reprend :
Je ne sais pas ce que c'est. Alors moi je les appelle, les "Monsieur Bec".
Ce sont de grands oiseaux avec des mains, des yeux qui ne bougent pas et de longs, longs becs.
Quand je les ai vus, ils étaient trois. Il y en avait deux en noir, et un en blanc. Ils sont sortis de nulle part, comme s'ils savaient que l'humaine allait arriver. Je suis sûr qu'ils le savaient.
Et après…
Des "Monsieur Bec" ? Titan ne parvient pas à se les représenter mentalement.
Mais ce dont elle est sûre à présent, c'est que le petit Mery ne souhaitait pas raconter cette histoire pour briller à ses yeux. Non.
Il avait simplement besoin de raconter cet événement qui devait le hanter depuis deux ans à quelqu'un.
Une étrangère qui ne le connaît pas et qui pourrait peut-être le croire.
Elle le regarde renifler discrètement et ses yeux solaires se mettent à briller.
« Et ensuite ? lui murmure Yüljet, qu'est-ce qu'il s'est passé ? »
Le petit garçon se tord machinalement les doigts. Il n'a certainement jamais pu aller jusqu'à cette partie de l'histoire.
Je ne me souviens pas beaucoup, parce que je n'ai pas tout regardé. Les Monsieur Bec ont attaqué l'humaine.
Elle a eu peur. Très peur. Mais elle a essayé de se défendre.
Sauf que les Monsieur Bec la frappaient et qu'elle criait.
Moi, je m'étais bouché les oreilles et j'avais fermé mes yeux parce que je n'aimais pas les voir la taper.
Et puis, quand je les ai ouverts… les… les Monsieur Bec étaient en train de planter une aiguille dans son cou… et l'humaine a arrêté de bouger.
Un Monsieur Bec en noir l'a porté sur son épaule comme un sac de graines et ils ont disparus.
Moi, je suis resté sans bouger sous le buisson de baies pendant longtemps, parce que j'avais peur qu'ils reviennent et qu'ils me frappent moi aussi. Qu'ils plantent une aiguille dans mon cou et que je m'arrête de bouger.
Alors j'ai pleuré, jusqu'à ce que maman et les guetteurs viennent me retrouver.
Son histoire s'achève là.
Le petit Mery pleure de manière plus franche, mais la soupape qui voulait s'ouvrir depuis deux ans a peut-être enfin pu vider son horrible contenu.
Yüljet ne bouge pas. Elle ne dit rien. Son cœur s'accélère et toutes ses pensées se bousculent dans son esprit. Quelques-unes d'entre elles sont tournées vers cette humaine qui est arrivée sur Eldarya deux ans plus tôt au son d'un coup de tonnerre.
D'autres tournent autour des Milliget et de leur frontière.
Où est-elle, maintenant ? Où est la créature humaine qui a fait face aux "Monsieur Bec" qui l'ont frappés comme un mauvais familier et planté une aiguille dans son cou ?
Titan se reprend. Elle lève une grande main brune pour attraper l'épaule de Mery dans un geste de réconfort.
« Je te crois. » lui dit-elle.
Le petite brownie hoche la tête, reniflant bruyamment.
« Est-ce que tu pourrais dessiner les "Monsieur Bec" ? »
Mery lève sa figure humide pour la regarder et encore une fois, il acquiesce. Yüljet ne peut que deviner que ces entités noires et blanches doivent parsemer ses cauchemars depuis son escapade en forêt et ne jamais le quitter.
Alors Mery et elle quitteront l'auberge, gagneront la maison de Twylda et donneront vie aux Monsieur Bec sur une feuille de papier.
« Montres-moi. » lui murmure Yüljet
Les Monsieur Bec
Les Choix
Yüljet va à présent séjourner dans la famille Chrysomallos durant toute la durée des sélections. Le premier soir, après les négociations avec Twylda, elle fait la rencontre de son jeune fils, Mery, qui lui a raconté une histoire pour le moins surprenante, mentionnant une humaine et des "Monsieur Bec" qu'il lui a dessiné.
Qu'est-ce que Yüljet doit faire de ce dessin ?
➜ Le montrer à Fawkes.
➜ Le montrer à Rose.
➜ L'envoyer à Sexta et Ryan.
➜ Le montrer à Purral et le payer pour faire des recherches sur les Monsieur Bec.
Les sélections approchent et Yüljet doit continuer ses recherches sur les haut-elfes. Puisqu'il lui est impossible d'approcher du Quartier Général au risque de se faire repérer, Titan doit chercher des indices en prenant des personnalités importantes d'Eel en filature.
Mais qui doit-elle suivre ?
➜ Le Chef de la Garde Obsidienne, Valkyon Batatume.
➜ Le Chef de la Garde de l'Ombre et membre de la noblesse eldaryenne, Nevra Mircalla.
➜ Le Chef de la Garde Absynthe, Ezarel Sequoia.
➜ Le véritable bras droit de Miiko Yamamura, Leiftan Tuarran.
➜ La docteur en cheffe de l'hôpital du Quartier Général, Ewelein Osgiliath.
UNIQUEMENT pour Waïtikka : Fawkes se trouve toujours à l'hôpital auprès de Fuya. Cette dernière va se faire opérer à l'aube afin de s'assurer qu'aucun petit morceau de verre ne se trouve dans ses branchis.
Que doit-il faire pendant ce laps de temps ?
➜ Se rendre à la bibliothèque d'Eel et tenter de trouver quelque chose sur les hauts-elfes.
➜ Chercher Rose pour voir s'il y a eu de nouveau depuis leur arrivée à Eel.
➜ Tenter de fouiller le bureau d'Ykhar Égée pour trouver des informations sur les hauts-elfes.
➜ Rester à l'hôpital et tendre l'oreille pour essayer de capter de nouvelles informations.
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo : Lilymoe a finalement distribué les ordonnances aux patients rétablis qui vont quitter l'hôpital à l'aube. Il a également appris qu'Ellen Price, la patiente arrivée en compagnie de Jens Red, va se faire opérer. Il se souvient aussi qu'Ewelein doit donner une conférence à Odrialc'h, lorsque les sélections seront terminées et il a choisi de l'accompagner pour suivre un séminaire d'une semaine sur la chirurgie. Que devrait-il faire ?
➜ Assister à l'opération d'Ellen Price auprès des étudiants en médecine affectés au bloc opératoire.
➜ Ne pas assister à l'opération d'Ellen Price et aider les aides-soignants.
➜ S'occuper de ses tâches administratives tout en prenant dans un endroit calme (celui de ton choix).
➜ Commencer à étudier les différentes anatomies faeliennes pour son séminaire à Odrialc'h.
UNIQUEMENT pour Mayashiz : Les sélections approchent et comme tous les autres candidats, June doit se préparer. Que doit-elle faire ?
➜ S'entraîner avec son Chef de Garde.
➜ S'entraîner avec Joseph Ael Diskaret.
➜ S'entraîner avec Balam Lefaucheur.
➜ Demander à Helouri de l'aider à se préparer pour les sélections.
Note de l'auteur
Bonjour à vous !
Me revoilà avec le chapitre 8 d'Apotheosis qui est, comme vous le remarquerez, plus court que les autres et plus reposant. Mais bon, on peut peut-être parler de calme avant la tempête, vous verrez bien !
Comme d'habitude, je remercie les lecteurs qui votent régulièrement et j'espère que ce chapitre vous plaira !
Vous allez découvrir une nouvelle artiste et juste un grand merci à elle pour son talent qui a permis de donner un petit peu plus de vie et de beauté à la scène qui porte son illustration.
Voilà voilà !
Je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 8 - Cheffe de Guerre
Elle aurait presque pu se croire au sein de la planque d'Odrialc'h, sous la couette épaisse de son lit dépourvu de sommier. La pénombre de la pièce sans fenêtres, tapie au sein des égouts de la plus grande cité d'Eldarya, lui rappelle sans cesse qu'une vie ordinaire n'est plus envisageable pour la cheffe du cartel des Typhons.
Mais quand l'aube d'Eel a toqué au carreau de sa chambre pour la baigner de ses lueurs chaleureuses, Yüljet aurait presque pu penser que c'était possible.
Avant que son cerveau ne s'éveille complètement, que toutes ses pensées aient quitté leurs perchoirs pour voleter autour de sa tête et que ses sens ne se mettent à capter chaque danger, Titan pourrait se penser hors de tout cela.
Une troll quittant son lit pour aller travailler et dont la seule préoccupation serait peut-être une ardoise à régler dans sa taverne favorite.
Elle se redresse dans son lit d'invité et repousse les couvertures. Son regard onyx balaye la pièce qui veut bien l'accueillir durant son séjour au sein de la cité blanche, et elle est à l'image de sa propriétaire : sobre et discrète.
Une large fenêtre laissée nue par des rideaux attachés embrase la petite pièce qui ne contient qu'un lit, une table de chevet pourvue d'une lampe à huile, et une commode.
Twylda a voulu apporter un petit peu de charme à cette chambre en la décorant de paniers en osier garnis de fleurs séchées et il est vrai qu'ils apportent une atmosphère apaisante.
Titan a bien dormi et si elle a rêvé, elle ne s'en souvient pas.
Fidèle à sa promesse, elle se lève, se lave, s'habille et quitte le foyer des Chrysomallos.
Là dehors, son esprit s'anime et des images, des sons ainsi que des sensations lui viennent en mémoire. Dans la poche de son grand manteau couleur sauge, il y a un morceau de parchemin couvert d'encre noire, avec des traits tracés par la main d'un enfant.
Il y a des oiseaux aux yeux fixes et aux longs becs qui ont, selon le récit de Mery Chrysomallos, attendu et frappé une humaine jusqu'à lui planter une aiguille dans le cou.
La première idée de Titan a été celle de retrouver l'endroit où Mery s'est tenu pour l'inspecter, mais que pouvait-il bien y rester deux ans après les faits ? Elle n'y trouvera rien.
Si elle veut obtenir des informations ou l'ébauche d'une piste sur ces "Monsieur Bec", ce n'est pas dans la forêt qu'elle l'aura.
Yüljet traverse le refuge, l'une de ses mains serrant le papier comme si elle craignait de le perdre, et elle guette les quelques âmes perdues à l'extérieur.
Des créatures réunies autour d'un petit feu, des calumets à la main et des moues méfiantes tordant leurs lèvres noircies par le tap, lorsqu'elles avisent Titan. Mais Titan n'est pas un danger pour elles et n'a que faire des substances qu'elles infligent à leurs corps.
La troll ne songe qu'à rejoindre le petit muret du Parc de la Fontaine pour réfléchir. Il doit être désert en cet instant, et c'est tout ce qu'elle désire pour poser ses réflexions.
Une journée complète à tourner au sein d'Eel, cela peut-être aussi long qu'aussi court. Le temps file et la rapproche, petit à petit, de la Capitaine. Si Titan veut trouver quelque chose, alors il lui faut essorer chaque jour jusqu'au mirage du moindre petit indice.
Quitter Eel bredouille n'est pas envisageable.
Tirant le dessin de sa poche, Yüljet le déplie et l'observe une fois de plus. Les oiseaux et leurs regards vides font songer à des ombres couchées sur du papier et au sein d'une forêt obscure, ils sont sans doutes effrayants. Elle secoue la tête en poussant un soupir.
Que faire de cette information ?
L'une de ses pensées se tourne vers Sexta et Ryan, mais elle doute fortement qu'au sein de la planque, à Odrialc'h, elles puissent faire leurs recherches. De plus, la maîtresse des poisons doit tout d'abord analyser les éprouvettes de sang humain.
Quant à Fawkes et Rose… Yüljet serre les dents. Leur objectif, ici, est de faire des recherches sur les haut-elfes et si elle leur parle de sa dernière trouvaille maintenant, ils risquent de se disperser.
Titan les préfère affairés à une seule et unique tâche alors si elle veut découvrir ce qui se cache derrière les "Monsieur Bec", il lui reste une solution.
Les coudes sur les genoux, les mains sous le menton, elle pèse le pour et le contre de sa décision, mais la conclusion se dessine bien vite : elle a choisi de croire Mery et elle le croit.
Mais d'autres que les membres du cartel des Typhons sauront découvrir le mystère derrière le dessin d'un enfant. Tant qu'ils sont payés, ils s'exécuteront et même si Titan préfère limiter leurs transactions à l'accès au marché des Abysses, elle peut faire une exception.
Résolue, elle se lève et emprunte la direction du marché.
Le soleil transforme l'aube en matinée flamboyante, mais Yüljet espère que peu de monde se tiendra au marché. Les étals devraient être en train de se garnir par des marchands et quelques petites mains et les lampadaires de la cité ne sont peut-être pas tous éteints. Pas encore.
En avisant le ciel et la cité qui s'active comme une fourmilière, Titan a également une pensée pour Fuya qui se fait opérer.
L'image de la sirène en train de flotter, entourée de verre brisé, avant d'amorcer sa chute infernale, la hantera à tout jamais. Un véritable morceau de viande convoité par dix prédateurs voraces aux trompes effrayantes.
Neuf, plutôt. Le dixième est… une énigme. Des boucles pastelles, des yeux bruns et un "apotheosis" murmuré.
Si Yüljet aligne les zones d'ombres qui se sont greffées à la mission de sauvetage de Sheraz Alfirin, elle a la sensation de se perdre dans les ténèbres. Mais tant qu'elle garde le cap, le cartel continuera de voguer et ils finiront bien par trouver le sens de cette énigme.
Les pavés du centre-ville d'Eel l'accueillent, et Titan quitte le fil de ses pensées. Les murs peints avec des paysages marins remplacent les maisons ternes et la tristesse du refuge, alors que quelques personnes viennent compléter le décor.
Comme elle l'avait espéré, les touristes sont encore dans leurs lits et les lieux sont plutôt calme. Ainsi, la troll peut se rendre au marché sans encombres pour négocier une entrevue avec Purral.
D'ailleurs, les purrekos sont toujours les premiers à installer leurs étals, qu'importe la cité où l'on se trouve.
D'ailleurs, le marché d'Eel, tout comme la Place des Échanges à Odrialc'h, ressemble à un véritable empire consacré au commerce. Ici, les boutiques se côtoient et entrent en compétition, leurs devantures formant un véritable patchwork aux innombrables teintes.
Situé non loin du port, la mer se fait entendre et pour un touriste avec l'esprit en paix, il ne peut être qu'agréable de flâner entre les diverses marchandises, au rythme des remous.
Le sel se mêle aux effluves des ingrédients d'alchimie, vendus par les herboristes, mais aussi à la nourriture pour les familiers qui débordent de leurs paniers. Même les tanneurs sont à l'honneur avec l'odeur forte de leurs cuirs.
Mais ce qui attire l'œil de Titan, c'est une purreko à l'air renfrognée et à la robe d'un gris foncé, aux reflets bleutés. Elle s'affaire derrière un étal recelant de poteries, ses yeux jaune lançant des regards mauvais aux pauvres articles, et Yüljet se fait la réflexion que le voyage jusqu'à Eel a dû être pénible pour Fawkes.
La passeuse, Purriva, est connue pour son caractère explosif.
Lorsque Titan s'approche, la purreko ne lui accorde même pas un regard. Elle grogne un simple "bienvenue" et continue de disposer ses poteries, sa queue fournie fouettant l'air.
La troll fait mine de s'intéresser aux marchandises et lorsqu'elle attrappe un cendrier pour en examiner les motifs, elle glisse discrètement une bourse pleine d'or, puis déclare :
« Qu'en est-il du poêlon, avec les oiseaux aux ailes fauves ? »
Une patte grise ramasse l'argent avec une rapidité déconcertante, pour marmonner en réponse :
« Il n'y en a pas ce matin. Mais il y en aura en fin d'après-midi. Revenez à ce moment-là, et vous aurez tout le loisir de faire votre choix. »
Bien. Elle rencontrerait donc Purral en fin d'après-midi pour discuter d'une enquête et lui confier le dessin du gamin Chrysomallos. Yüljet se demande encore si elle doit lui raconter son histoire, mais elle penche plutôt vers le "non".
Mieux vaut découvrir ce que le purreko trouvera avant de lui révéler cette partie étrange de l'énigme.
Elle salue brièvement Purriva et quitte le marché, ses pas la guidant vers le centre-ville d'Eel, non loin du panneau d'affichage. Là, elle s'étire, non sans cesser de penser, lorsque du coin de l'œil, elle repère une silhouette familière, venant à sa rencontre.
« C'est devenu ton endroit favori, lance-t-elle.
- À toi aussi. » répond la voix rocailleuse de Fawkes.
Titan tourne la tête pour l'observer. À en aviser par ses traits tirés, le renard-garou a dû passer une mauvaise nuit. Aussi, il n'a certainement pas pris la peine de se changer, vu sa chemise froissée et les mauvais plis sur son pantalon.
« Leurs fauteuils sont vraiment pas confortables. » critique Fawkes comme s'il devinait ses pensées.
Yüljet lui adresse un léger sourire, avant de redevenir sérieuse.
« Tu ne devrais pas être vu en train de me parler. Nous sommes en plein jour et ce panneau d'affichage ne doit pas devenir notre point de rencontre.
- Je sais, mais c'est justement parce qu'on se reverra pas avant le début des sélections que je viens te voir. Après je bougerai pas du Quartier Général. »
Titan sonde le regard du renard-garou qui s'apprête à commencer sa mission. Comme prévu, il restera auprès de Fuya jusqu'à son rétablissement complet, tout en menant ses recherches sur les haut-elfes et en laissant traîner une oreille partout où il va.
« Fuya est partie se faire opérer, poursuit Fawkes, et en arrivant ici, j'ai jeté mon œil un peu partout, mais il y avait trop de beau monde pour m'arrêter quelque part.
- Chefs de Gardes ? » intervient Yüljet.
Le renard-garou hoche la tête, mais sa figure revêt une grimace. Comme l'imagine Titan, avec l'arrivée des sélections, le Quartier Général doit être une véritable forteresse et personne ne doit relâcher son attention.
« Pas seulement. Le bras droit de Miiko Yamamura traîne dans les parages aussi et franchement, j'aime pas rester dans le coin quand il est là. D'habitude mon binôme s'arrange toujours pour l'emmener ailleurs, mais là, j'ai vraiment dû jouer les touristes et traverser la salle des portes. Mais t'as aussi les Égides qui sont là. »
Les yeux de Yüljet s'agrandissent alors qu'elle réprime un sifflement agacé. Voilà qui allait grandement leur compliquer les choses, même s'il était évident qu'avec l'arrivée de leur ancienne maîtresse, Eel ne manquerait pas de sortir leurs plus belles armes.
Si les sélections qui auraient bientôt lieu permettaient à Odrialc'h de se servir dans la Garde Obsidienne pour constituer la garde rapprochée de l'Éminente Ysul Gra Bolumbash, les Égides d'Eel étaient également une garde rapprochée ayant subi le processus inverse.
Pour honorer son amitié avec la cité blanche, Odrialc'h avait offert de puissants soldats, au nombre de quatre, pour constituer la meilleure protection possible pour l'impératrice d'Eel, Willow Weeping.
« Il reste encore un petit peu plus d'une semaine avant l'arrivée de la Capitaine. Fuya devrait pouvoir se remettre pendant ce laps de temps. Mais vous devrez quitter le Quartier Général avant les sélections, Fawkes, et c'est aussi le temps dont tu disposes pour faire tes recherches.
- Tu crois que même avec le passe temporaire et nos fausses identités…
- Je ne veux prendre aucun risque. Même si on ne quittera pas Eel pendant les sélections, je ne veux pas vous savoir entouré par les Égides, les Chefs de Garde, le bras droit de Miiko Yamamura et la Capitaine. »
Fawkes acquiesce en silence. Ils se retrouvent déjà en prison d'une certaine manière, alors Titan refuse de les cloîtrer au Quartier Général lorsque ça grouillera d'ennemis. Surtout en présence de la mégère.
« De toute façon, Rose prendra le relais pour la traque d'informations, grogne le renard-garou, mais il y a quand même une drôle d'ambiance. Tout le monde est à cran. Je crois que le pire, c'est le Chef de la Garde Absynthe. »
Yüljet fronce les sourcils. S'il y a bien un Chef de Garde dont elle ne s'attendait pas à entendre le nom, c'était celui de l'Absynthe. Elle demande à Fawkes ce qu'il a entendu, mais ce dernier est bref.
Secouant la tête, ses yeux bruns fixent un point invisible sur le paysage et sa queue fouette doucement l'air :
« Pas grand chose, je l'ai seulement vu passer dans les étages quand je me trouvais à la salle des portes. J'ai juste entendu les mots "financement", "stérile" et "prélèvement". Je sais que le Chef Séquoïa a toujours du mal à obtenir des financements pour ses recherches sur la stérilité des sols d'Eel, mais là, il avait vraiment l'air à bout de nerfs. Je sais pas qui il allait voir, mais derrière lui, t'avais le secrétaire général qui essayait de le rattraper. »
Une histoire soit banale, soit intéressante. Titan s'est toujours fait la réflexion qu'un jour ou l'autre, Odrialc'h trouverait bien le moyen de geler les financements pour arrêter les recherches d'Ezarel Séquoïa. Mais malheureusement, elles ont toujours porté leurs fruits et la population d'Eldarya a foi en l'intelligence du Chef de la Garde Absynthe, qui finira par trouver une solution pour fertiliser les sols.
Yüljet songeait à chercher des informations elle aussi, et si prendre Leiftan Tuarran en filature serait une très mauvaise idée, tout comme les Chefs de la Garde de l'Ombre - qui ne manquerait pas de la repérer bien vite - et de la Garde Obsidienne, suivre Ezarel Séquoïa pourrait se révéler intéressant.
« Merci pour ces informations, dit-elle à Fawkes, tâche d'essayer de trouver quelque chose sur les hauts-elfes et reste auprès de Fuya.
- D'accord, cheffe. Et toi ? »
Elle aussi, elle avait du travail.
Titan croise les bras sur son torse massif puis, sans dévoiler ce qu'elle a appris auprès de Mery, répond en embrassant les tavernes du centre-ville qui s'éveillent, les employés mettant quelques tables à l'extérieur :
« Je suis en train de suivre une piste, mais je n'ai pas encore d'informations concrètes à partager. Nous ferons tous nos rapports la veille des sélections. Je compte aussi surveiller Ezarel Séquoïa. Il est une cible accessible pour mes compétences en filature et je peux peut-être apprendre quelque chose d'intéressant.
- Je vois, on verra ce qu'on va tous récolter. Et puis… tout le monde peut pas être un petit renard invisible. »
Non, en effet. Yüljet jette un coup d'oeil amusé à Fawkes, avant de reporter son attention sur le décor puis de lui lancer :
« Le renard invisible devrait disparaître avant qu'on ne le reconnaisse, d'ailleurs. »
Le visage de Fawkes se teinte de méfiance alors qu'il scrute immédiatement le paysage, à la recherche de quelque chose ou de quelqu'un qui pourrait compromettre sa couverture. Titan devine que tous ses muscles se sont tendus, que tous ses sens se sont mis en alerte quand enfin, elle voit son corps se relâcher lorsqu'il comprend.
Plus loin, accompagné d'une jeune femme aux cheveux cendrés, il y a le morgan à la peau glacée qui accompagnait l'assistant d'Ewelein Osgiliath, le jour où Jens Red et Ellen Price sont arrivés à la cité d'Eel. Il transportait la chaise roulante.
Si Yüljet se souvient de son air incertains et de son visage quelque peu fermé, ici, en compagnie de la jeune femme, il est rayonnant.
« Ah oui, constate le renard-garou, le p'tit de l'hôpital. »
Visiblement, Fawkes ne se sent pas en danger. D'ordinaire, il se serait empressé de disparaître avec hâte mais ici, il reste auprès de sa cheffe pour observer le ballet des âmes qui deviennent de plus en plus nombreuses, le temps passant.
Dont ce "p'tit de l'hôpital", un morgan aux boucles nacrées, ramenées en une demie-queue de cheval, aux yeux rieurs et au sourire lumineux. Sa tunique d'un bleu givré flotte autour de sa silhouette et jure avec son sac besace qui a l'air de contenir beaucoup de volume.
Titan et le renard-garou s'apprêtaient à se séparer pour s'en retourner à leur mission respective, mais un mot à tout changé.
C'est la jeune femme qui l'a prononcé d'une voix forte.
Sélection
Yüljet et Fawkes échangent un regard. La troll prête une attention particulière à la tenue de la demoiselle et elle sait que son comparse fait la même chose.
Le rouge et le brun attirent leurs yeux et il s'agit-là de l'uniforme de la Garde Obsidienne.
«… que tu m'aides à me préparer aux sélections ! Surtout l'entretien ! »
La recrue la plus jeune qui s'est présentée aux sélections se nomme "June Albalefko", Yüljet s'en souvient. June dont parlait le chef Valkyon Batatume avec le guetteur, la veille.
June qui est en train de parler en faisant de grands gestes, ses cheveux cendrés se laissant malmener par un vent marin pendant que son ami hoche la tête, semblant perplexe.
Lorsque le morgan et elle se dirigent vers la table libre, proche d'un établissement aux airs de salon de thé, Yüljet et Fawkes se concertent du regard avant de s'adresser un signe du menton.
Toute information est bonne à prendre.
Telle une tenaille, la troll et le renard-garou choisissent tous les deux l'endroit parfait pour laisser traîner une oreille. L'un sur les escaliers plats menant vers l'accès au marché et l'autre, sur un banc de pierre non loin d'une longue barrière en fer forgée qui offre une vue magnifique sur le port.
De là où elle se trouve, Yüljet peut observer le jeune morgan, mais aussi la silhouette de Fawkes, assis sur son banc tel le plus ordinaire des touristes, sa queue se balançant doucement.
Sur la table qui attire leurs regards, leurs cibles se sont assises et l'une d'elle révèle le contenu de son sac. Des mains bleues tirent des livres qu'elles déposent sur la surface épaisse, puis une voix posée s'adresse à June :
« C'est difficile de savoir quelles questions te seront posées, tu sais. Mais j'ai emprunté tous les livres que je pouvais sur le grand palais d'Odrialc'h et la Capitaine, à la bibliothèque.
- Super ! réponds l'obsidienne d'un air enjoué, je savais que tu m'aiderais ! Et pour les questions… on a qu'à s'appuyer sur le formulaire qu'on a rempli. Sauf que je l'ai rendu… »
Au beau milieu de ses livres, le jeune morgan en soulève les couvertures, visiblement à la recherche de quelque chose. Lorsqu'il tire deux feuilles de parchemins couvertes d'écriture, il plisse les yeux, amusés, et lance d'un air triomphant :
« C'est pourquoi je l'ai recopié avec toutes tes réponses ! Je me disais que ça pourrait t'aider. »
Et c'est le cas. June ne tarit pas d'éloges vis-à-vis de son ami mais ce dernier, embarrassé, décide de se concentrer sur la lourde tâche qu'ils sont venus accomplir tous les deux.
En vérité, le jeune morgan est un livre ouvert. Il est le cliché que Yüljet se faisait de lui, la première fois qu'elle l'a apperçu, et elle n'est pas surprise que Fawkes n'y ait vu aucun danger.
Peu sûr de lui, accroché à une personne qui déborde d'énergie, fuyant les compliments comme s'il ne pouvait pas les accepter, mais à priori cultivé. Au sein d'une salle de classe, il serait celui qui sait mais qui se tait par peur de dire une bêtise et de ne récolter que les moqueries de ses camarades.
« Tu sais, Helouri, amorce June d'une voix plus calme, cet entretien, c'est uniquement pour moi. Pour mon expérience. Je sais que je ne serai jamais sélectionnée. »
Helouri lève la tête de ses parchemins et écarquille ses yeux d'argent. Un instant, son regard se fait fuyant, puis ses mains attrapent nerveusement la couverture d'un de ses livres alors qu'il semble réfléchir avec le plus grand des sérieux.
Enfin, quand il se met à parler, Yüljet décide qu'elle peut rajouter "sage", à la liste des qualificatifs qu'elle a dressé pour le morgan.
« Est-ce que c'est si important d'être sélectionnée, de toute manière ? Tu dis tout le temps que tu es un élément "quelconque" de la garde Obsidienne, June. Pourtant, c'est toi qui a choisi de présenter ta candidature pour les sélections, et je pense que ta spontanéité est un élément que pourra retenir la Capitaine. »
June se met à rire. Elle se redresse et tend une main pour ébouriffer les cheveux de son ami en un geste amical. Elle lui dit qu'il ferait un très bon instructeur, ce qui est faux.
Titan n'imagine pas le morgan être capable de prendre la parole devant un groupe de personne et encore moins asseoir son autorité sur qui que ce soit.
D'ailleurs, le visage de Helouri perd de sa lumière et lorsqu'il parle à nouveau, sa voix est plus éteinte :
« Et si tu es vraiment prise ? Qu'est-ce que tu feras ? »
Silence. L'atmosphère se modifie et plus loin, Fawkes relève la tête, ses oreilles animales tressautant. June se laisse aller contre le dossier de sa chaise en soupirant, une main embarrassée dans ses cheveux cendrés, ébouriffés par son énergie et les brises d'Eel.
Ses épaules s'affaissent et Titan jure qu'elle a soupiré :
« Tu sais, Helouri, ça me fendrait le cœur de devoir vous quitter tous les trois, toi et tes parents, murmure-t-elle. Mais de toute façon, ça arrivera pas. Je serais pas prise.
- Tu ne le sais pas encore. Et tu aimerais bien partir. »
Ce n'est pas un reproche.
Le jeune morgan arbore un sourire très doux, même si ses yeux d'argent brillent d'un chagrin réservé. Yüljet ne sait pas ce que représente June Albalefko pour lui, mais elle ajoute l'étiquette "dépendant" à son portrait.
« J'ai envie de découvrir le monde ! s'anime l'obsidienne, avec toi, ce serait mieux. Mais je n'y suis pas encore…
- Mais tu y arriveras. En plus, tu n'auras plus à entendre ma mère te demander de ranger ta chambre. »
June se met à rire et soudain, ayant retrouvé son enthousiasme, se redresse subitement pour lancer d'une voix forte :
« Hé ! Regarde… »
Elle se grandit avec exagération, mets les poings sur les hanches, lève le chef et prend une voix de fausset :
« Joseph ! Qu'est-ce que c'est que ces trois paires de bottes dans l'entrée ? Est-ce que tu as six pieds ? June ! On ne voit même plus le sol dans ta chambre et j'aimerais bien retrouver la couleur de mon plancher ! Helouri ! Le linge ne va pas se rentrer tout seul ! »
Helouri et June éclatent de rire, si bien qu'ils balayent la morosité qui les avait emporté plus tôt. L'obsidienne est fière de son imitation, mais son ami lui rétorque que ce n'est tout de même pas très gentil pour sa mère.
Après avoir respiré plusieurs fois, June déclare avec conviction :
« De toute façon, c'est ton père qui sera choisi. Tout le monde le dit. »
Cette fois, ce n'est pas un adjectif que Titan rajoute au portrait du jeune morgan, mais un nom de famille. June a évoqué un "Joseph" lors de son imitation, et avec ses dernière paroles, elle est persuadée qu'il s'agit de "Joseph Ael Diskaret".
Le gamin de l'hôpital qui pousse des chaises roulantes et qui n'a l'air de personne a un père qui est quelqu'un.
« On n'en sait rien, June, rétorque Helouri, et si on ne travaille pas ton entretien comme nous avions prévu de le faire au début, tes chances d'être sélectionnée vont diminuer.
- C'est vrai ! Alors ? Par quoi on commence ? »
Le jeune morgan reprend son sérieux et s'intéresse de nouveau à ses livres. Il semble réfléchir avec application, avant de donner corps à ses pensées :
« Normalement, au sein de la Garde Obsidienne, vous avez dû avoir des cours sur les grands chefs de guerre…
- Hum… possible.
- … Mais tu as dû t'endormir. Dans tous les cas, je suis certain que les autres candidats ont dû reprendre le parcours de la Capitaine. Il vaut mieux au moins en connaître les grandes lignes, on ne sait jamais. »
June se met à réfléchir à son tour, croisant les bras en remuant machinalement les doigts. Elle fixe un point invisible vers le ciel d'Eel et dit d'une voix lointaine :
« Je suppose que c'est comme les démarches pour un travail. Les questions vont être ciblées sur mon parcours, mais je pourrais faire des parallèles avec l'entreprise.
- C'est tout à fait ça, sourit Helouri, c'est pourquoi avant de simuler un entretien, ce serait une bonne chose que l'on s'intéresse à Odrialc'h et au parcours de la Capitaine. »
June approuve avec excitation, observant son ami attrapper un livre pour le feuilleter.
« D'ailleurs, je pense que ce serait judicieux que tu mentionnes le fait que tu ne saches ni lire, ni écrire la langue commune. Si tes autres compétences peuvent convaincre, tu devrais avoir accès à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture à Odrialc'h.
- Ici aussi, rétorque June d'une petite voix, mais à chaque fois que j'essaye, j'ai l'impression que tout se mélange. »
Le jeune morgan lui lance un regard peiné, ses mains bleues crispées sur les pages de l'ouvrage qu'il est en train de consulter. L'atmosphère s'épaissit, mais avant qu'elle ne devienne étouffante, il recentre l'instant présent sur les sélections ainsi que la préparation de l'entretien.
« Ah ! Voilà ! s'exclame Helouri, un air triomphant sur le visage, c'est un livre sur les grands chefs de guerre et la Capitaine y a son propre chapitre ! … alors… page cinquante-et-une… »
Yüljet le regarde tourner frénétiquement les pages, jusqu'à trouver son bonheur sur la mégère et la troll songe que le livre qu'il a entre les mains ne lui apprendrait certainement rien de plus qu'elle ne sache déjà.
Les lignes relateront toutes les guerres qu'elle a arrêtées ou empêchées, son intégration dans l'armée pour effectuer son ascension fulgurante pour devenir la légende qu'elle est aujourd'hui et bien entendu, il y aura également la mention du bataillon dans lequel elle a servi en compagnie de Valkyon Batatume. Si l'amitié entre Eel et Odrialc'h est devenue plus forte que par le passé, c'est grâce à eux.
La Capitaine est née d'une mère qui est à la tête des pôles judiciaire et militaire de la plus grande cité d'Eldarya, d'un père qui est mort en héros au combat il y a presque trente ans, alors quel avenir pouvait-elle embrasser si ce n'est la gloire et le prestige ?
Aux yeux du peuple eldaryen, elle est une légende mais à ceux de Yüljet, elle n'est qu'une icône mise en lumière qui attire l'attention pendant que le mal œuvre dans l'ombre.
Titan n'écoute presque plus la voix du jeune morgan relater les victoires de la mégère. Puis il s'interrompt, tourne une page, reprend, et se tait de nouveau.
Le silence s'éternise et lorsque Yüljet le regarde à nouveau, Helouri Ael Diskaret s'est figé.
Les mains sur son livre, il ne lit plus. Il fixe quelque chose, ses yeux d'argent écarquillés.
Il ressemble presque à un pantin de cire, une marionnette de bois qui a cessé de s'animer quand un mot ou une image a captivé son esprit tout entier. Yüljet décèle un léger mouvement de la main, deux doigts qui tordent le papier d'une page pendant que ses lèvres se crispent.
Il a les sourcils qui s'inclinent, aussi, des pensées qui ont l'air d'entrer en conflit sous sa boîte crânienne et même quand son amie l'appelle, il ne l'entend pas. Il est fasciné par ce qu'il voit, et June doit frapper le bois de leur table, du plat de la main pour le tirer de sa contemplation, non sans un sursaut.
« Helouri ! Alors ? Qu'est-ce qui se passe ? Tu as lu mon nom dans ton bouquin, c'est ça ? » rit-elle.
Son ami lui adresse un sourire maladroit, papillonnant des paupières alors qu'il a l'air de digérer une émotion dérangeante. Son visage se ferme et qu'importe combien June tente de capter son attention, ses yeux sont fuyants.
Quand elle veut attraper son livre, le jeune morgan le ferme d'un claquement sec puis, essayant de se reprendre, il demande d'un ton qu'il veut naturel :
« Je lisais… je lisais. Il y a beaucoup de dates alors j'étais en train d'essayer de les retenir pour la simulation de ton entretien. Tu veux boire quelque chose ? Je vais aller chercher du thé. »
Sans attendre la réponse de l'obsidienne, Helouri racle sa chaise et disparaît à l'intérieur de l'établissement. June commence à se lever pour le suivre des yeux, probablement stupéfaite, avant de porter son regard sur le livre qu'il a refermé.
Elle s'en saisit, le feuillette et retrouve la page qu'il lisait plus tôt grâce au coin qu'il a malmené. Elle secoue la tête.
« Je ne sais pas lire la langue commune, mais je sais quand même faire la différence entre les chiffres et les lettres… il n'y a pas de dates, ici, qu'est-ce qu'il raconte ? »
Yüljet peut voir le contenu du livre, de là où elle est. Effectivement, elle ne discerne aucune date cependant, elle ne peut pas manquer le visage que l'on a dessiné pour illustrer la légende décrite dans ce recueil en l'honneur des chefs de guerre.
Ce n'est qu'une image, mais elle ne peut pas s'empêcher de la toiser, tant elle sent la haine monter en elle. Titan ne sait pas ce que Helouri Ael Diskaret a pu voir en ce portrait, mais pour elle, il ne s'agit toujours que l'incarnation d'une loyauté aveugle envers une cité qui ne cherche qu'à sacrifier le monde où elle se trouve pour en conquérir un autre.
La conversation entre le morgan et son amie ne lui a rien appris, si ce n'est que la mission du cartel des Typhons est loin d'être achevée.
Un chef imbécile aurait certainement prémédité l'assassinat de la Capitaine, mais Titan veut qu'elle vive.
Tant qu'elle reste dans la lumière, le mal d'Odrialc'h peut œuvrer dans l'ombre, mais le cartel des Typhons aussi.
Portrait de Shakalogat Gra Ysul
Portrait réalisé par Minahla
Les Choix
Comme vous l'avez choisi dans le chapitre précédent, Titan va rencontrer Purral pour lui confier le dessin de Mery et demander une enquête sur ces "Monsieur Bec", en échange d'une certaine somme de pièces d'or.
L'entrevue avec Purral va être déterminante pour la suite de l'enquête et le purreko n'a pas de temps à perdre.
Le cartel des Typhons n'est pas privilégié vis à vis des autres personnes avec lesquelles il traite, alors il va falloir trouver le moyen de tourner cette entrevue à l'avantage de Titan !
Parmi cette liste de souhaits, vous devez en sélectionner quatre qui seront présentés au purreko. Réfléchissez bien !
➜ Je voudrais déterminer qui sont les créatures qui sont sur le dessin.
➜ Je voudrais savoir ce que sont les créatures qui sont sur le dessin.
➜ Je voudrais savoir si ces créatures avec de longs becs t'évoquent quelque chose.
➜ Je voudrais en apprendre plus sur l'apparition des humains sur Eldarya.
➜ Je voudrais savoir si les Abysses ont déjà vu des traces de présence humaine. Des ventes douteuses, par exemple.
➜ Je voudrais savoir si dans tout Eldarya, les populations de toutes contrées ont déjà fait mention de "coup de tonnerre" sur des lieux où il n'y a jamais d'orage.
➜ Je voudrais savoir si quelqu'un a déjà vu une personne étrange, aux cheveux blonds, aux yeux bleus, et portant un des vêtements singuliers, comme un manteau rouge.
➜ Si je te demandais de me retrouver un être humain sur Eldarya, est-ce que tu le ferais ?
➜ Si la difficulté d'une enquête est proportionnelle à la somme d'argent que je te donne, combien dois-je te donner pour que tu puisses me trouver l'une de ces créatures sur le dessin ?
➜ Si tu trouves le moindre indice en rapport avec ce dessin sur le marché des Abysses, je te l'achète. Est-ce que tu me le vendrais ?
Aussi et pour clôturer l'entrevue, il vous est possible de proposer une question sur n'importe quel mystère qui a été vu depuis le début de "Apotheosis". Mais cela pourrait vous coûter plus d'argent ou bien vous mettre à défaut.
Cependant, cela pourrait aussi vous apporter plus que ce que vous ne pensez. Faites attention à ce que vous pouvez demander !
Si une question vous vient à l'esprit, proposez-là avec votre commentaire et n'hésitez pas à en discuter entre vous sur le topic !
Est-ce que ce choix met une vie en danger ?
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Helouri a agi d'une façon très étrange pendant leur conversation pour la simulation de l'entretien des sélections. Il a disparu dans l'établissement du salon de thé pour aller commander à boire.
Que doit faire June ?
ZuzoHyo et Waïtikka, vous n'avez pas de choix à faire dans ce chapitre, cela sera pour le suivant !
Note de l'Auteur
Bonjour à vous !
J'espère que vous avez passé un bon été ainsi que de bonnes vacances !
Je reviens avec un chapitre assez long (je ne vous avais pas menti x)) qui contient un choix particulier. Comme vous le verrez, vous disposez de dix jours pour voter mais bien entendu, cette durée pourra être rallongée si besoin.
Cela fait neuf chapitres que vous suivez sur cette fiction intéractive et j'avais une petite question pour vous : est-ce que vous appréciez les choix qui sont proposés ? Est-ce que vous aimez faire des choix qui impactent énormément la direction que prend l'histoire ou bien, est-ce que vous n'aimez pas faire des choix aussi tordus (Oh… ces choix ne sont pas vraiment tordus. Il y a pire, vous verrez.)
Ces questions sont là pour faire un micro-point sur la fiction et récolter vos avis en tant que lecteurs et participants.
Sur ce, je ne vous ennuie pas plus longtemps.
Bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 9 - Les Purrekos
Elle pose un pied dans la pièce en désordre, qui ne respire rien d'autre que la poussière depuis des années. Dans sa main, elle étouffe un papier portant des inscriptions qui n'ont été lues par personne d'autre qu'elle.
Son regard d'onyx s'égare dans la pénombre et elle lève un bras pour chasser les ténèbres à coups de lanterne.
Il y a un tapis effiloché qui a perdu ses couleurs, des étagères où meurent des cartons bien remplis ainsi qu'une grande table en bois, avec quelques chaises dépareillées.
"Porte violette - Rue du Tap".
C'était ce qu'on lui avait écrit, avec d'autres informations importantes.
C'est le seul moyen. C'est la lumière au bout de son tunnel d'infortune et après l'enfer, c'est l'escalier bancal qui la mènera, peut-être, au paradis.
Tout ne dépend que d'elle et c'est ce qui l'effraye autant.
On lui a demandé de croire. De rendre ses idéaux aussi réels que la lanterne qu'elle a dans la main, de se battre pour un monde en train de mourir et de ressusciter une pièce éteinte depuis trente ans.
Une pièce pleine d'ambition.
Elle peut s'entendre soupirer, balayer le décor de ses yeux incertains et se traîner jusqu'à une chaise pour s'y asseoir.
Yüljet se souvient parfaitement de ce qu'elle a fait en premier.
Le deuil d'une vie qu'on lui a arrachée.
« Je suis allé commander deux thés aux épices. J'espère que ça t'iras. »
Un raclement de chaise, le bruit lointain de l'océan, quelques touristes marchant sur les pavés en discutant et c'est le ballet de la cité blanche qui reprend.
Titan n'a pas quitté ses larges escaliers. Quand elle tourne la tête à la recherche de Fawkes, elle s'aperçoit que le renard-garou ne se trouve plus assis sur le banc.
Elle le connaît bien assez pour savoir qu'il a estimé que la conversation entre le jeune morgan et son amie ne valait pas son temps, alors il s'est attelé à sa mission initiale. Peut-être est-il en chemin vers le Quartier Général avec l'idée de parcourir les rayons de la bibliothèque sous son nom d'emprunt, en espérant les quitter avec des informations à l'esprit.
Yüljet le souhaite aussi.
Elle lève les yeux vers le ciel d'Eel et se met à compter les instants qui la séparent de son entrevue avec Purral. L'après-midi est proche et lointaine à la fois, et les questions se bousculent sous son crâne.
Depuis qu'elle a quitté Rhenia-Gaear avec Fuya, la troll a l'affreuse sensation qu'elle se tient au centre d'un carrefour houleux, aux vérités nombreuses qu'elle n'est pas certaine d'avoir envie de connaître.
Elle veut sauver Sheraz Alfirin. Elle veut empêcher Odrialc'h d'orchestrer un plan de conquête terrienne. Elle veut que les sols d'Eldarya, si stériles, puissent apporter le cycle de la vie aux graines qui leur seront offertes.
Elle voudrait que le monde sur lequel elle se tient puisse couper définitivement ses liens avec la planète bleue et que les personnes qui l'entourent cessent de se prendre pour les humains qu'ils envient.
En fin de compte, le peuple d'Eldarya est similaire à une fée qui aurait sa trompe affreuse fichée au cœur de la Terre, pour se nourrir de sa richesse matérielle et culturelle.
Qu'est-ce que le monde des faeries a créé ? Une copie du modèle humain, en attendant de s'approprier l'original.
« C'est parfait ! Bon. Explique-moi ton histoire de dates. J'ai regardé le bouquin pendant que tu étais parti, mais… Lou, où est-ce que tu vois des chiffres ? Je ne suis pas à la bonne page ? »
Les oreilles de Titan captent les voix de Helouri Ael Diskaret et June Albalefko. Le dialogue entre ces jeunes gens la tire de ses réflexions, concentrées sur l'antonyme de son idéal, pour la ramener à des choses plus légères.
Elle aussi est en train de perdre son temps à écouter une conversation sans intérêt où elle n'apprendra rien. Mais le comportement du jeune morgan face au portrait de la Capitaine l'intrigue aussi.
Yüljet réprime un haussement d'épaules. Si Helouri avait réellement connu le genre d'ennuis qu'elle avait vécu à cause de la mégère, il ne serait pas ici, mais dans une fosse commune.
Quand elle le regarde, elle jure de le voir blêmir. Ses yeux d'argent sont fuyants, son corps peine à trouver une position adéquate sur sa chaise et l'une de ses mains persiste à vouloir lisser une mèche de ses cheveux nacrés.
Le jeune morgan récupère son livre et se met à le feuilleter en faisant semblant de chercher une page. Il s'empresse de se saisir d'un parchemin, d'un encrier et d'une plume pour se concentrer sur l'entretien de June et avec une maladresse presque visible, il change de sujet :
« Tu n'étais pas à la bonne page, marmonne-t-il, Ce n'est pas grave. Et puis… June, on va d'abord lister toutes les dates importantes et ensuite, on travaillera le déroulement de ton entretien. »
Helouri est aussi raide qu'un pantin de métal aux articulations rouillées. Yüljet ne peut pas voir le visage de June, mais elle traduit son silence par une expression douteuse. Elle l'imagine les yeux plissés, en train d'analyser l'être à la peau glacée qui lui fait face pour tenter de mettre un mot sur l'émotion qui l'agite.
« D'accord, Lou. » finit-elle par répondre enfin.
June prend une inspiration pour dire quelque chose, mais elle est interrompue par le serveur qui vient apporter leurs thés aux épices. Les petites tasses sont disposées sur la table et Helouri en profite pour en boire une gorgée avant de plonger de nouveau dans son livre.
Son amie quant à elle, se contente de croiser les bras et de s'adosser au dossier de sa chaise. L'un de ses doigts vient marquer la mesure d'un rythme imaginaire en tapotant sa peau nue avec une douceur inconsciente.
Le jeune morgan a dissimulé le portrait de Shakalogat Gra Ysul derrière une page arborant de véritables dates.
« Il est bien fait, hein ? » lance soudain June.
Son attention fixée sur ce qu'il est en train d'écrire, Helouri ne la regarde pas. Il copie religieusement des chiffres, sa plume grattant son parchemin à une allure placide.
Un "de quoi ?" est lâché d'une voix lointaine.
La jeune femme boit une gorgée de son thé avant de poursuivre d'un ton naturel.
« Le portrait de la Capitaine dans ton livre. Il est bien fait.
- Oui. C'est vrai qu'elle est très jolie. »
Helouri suspend son geste. Ses doigts serrent la tige de sa plume, ses joues s'empourprent et ses yeux d'argent s'écarquillent, lui donnant l'air d'un pimpel en train de faire face à un prédateur particulièrement malin.
Yüljet se maîtrise pour ne pas secouer la tête et lever les yeux au ciel face à cette situation ridicule. Elle entend June se mettre à rire et si elle s'attend à ce que Helouri s'enlise dans sa propre absurdité, il y met pourtant un terme.
« Tu sais Lou, commence June avec douceur, ce n'est pas grave…
- June… »
Incapable de la regarder dans les yeux, le jeune morgan arbore une moue honteuse. Il fait du tri dans ses livres et parchemins, abandonne, puis recommence.
La jeune femme souffle par le nez. Finalement, elle se lève, puis ébouriffe les cheveux bouclés de son ami.
Le silence embarrassant s'étend, jusqu'à ce qu'elle tape dans ses mains avant de lancer d'un ton enthousiaste :
« Bon ! Est-ce qu'on commence ? Je vais gagner les sélections grâce à toi ! »
Le visage du morgan s'éclaire de nouveau alors qu'un sourire s'y peint. Titan songe qu'il a certainement conscience de sa propre stupidité, de ce sentiment imbécile qui a dû couler dans ses veines lorsque ses yeux ont accroché ceux de la Capitaine, sur la page de son livre.
Helouri et June ont balayé cet instant inconfortable pour agir comme si rien ne s'était produit, et le morgan le vit bien mieux.
Fawkes a bien fait de quitter les lieux : cette discussion ne vaut rien et Yüljet perd son temps.
Elle se lève, ignorant ses genoux qui craquent, et disparaît dans le centre-ville. Son esprit chasse Helouri et son amie pour se concentrer sur sa future entrevue avec Purral.
Les questions sont très importantes et les réponses dépendront de la façon dont elle tournera ses phrases. Titan a fini par connaître le purreko et surtout à ne jamais considérer son aide, ni sa sympathie, pour acquises.
Yüljet s'arrête de marcher, ferme brièvement les yeux, puis se répète mentalement :
Monsieur Bec, Alfirin, humains, portails
Elle a l'impression de se trouver face à un puzzle dont les pièces n'auraient aucun lien, mais elle espère qu'à la fin de son rendez-vous, ce casse-tête prendra bien une forme.
Évitant le marché, la troll prend la direction du refuge. Elle sait que Purriva et ses congénères n'aiment pas voir traîner les clients de Purral avant un entretien, car cela peut éveiller des soupçons et elle a raison : la prudence est toujours de rigueur pour une parjure.
Le soleil est haut dans le ciel. Les malheureux des quartiers pauvres ne doivent plus se montrer au grand jour avec un calumet à la main et du tap dans l'autre.
Yüljet peut aviser qu'elle a raison lorsque les lieux sont presque déserts, hormis quelques faeris qui semblent s'ennuyer. Ils ne sont pas différents de leurs congénères d'Odrialc'h, juste un petit peu mieux habillés et l’air moins misérables.
Titan les devine sans travail et sans perspective d'avenir. Sans famille, peut-être, sans espoir et portés par une vie qui ne leur offre que des remous.
Quelque part, elle se sent proche d'eux. Et même les membres de son cartel sont faits du même bois que ces marginaux. Seulement et contrairement à ceux qui arborent des lèvres noires et des yeux éteints, ils ont réussi à puiser en eux, la force de continuer à marcher.
Une fois le refuge traversé, les gardes-corps du Kiosque Central lui font face. Le pavillon exhibe son architecture élégante, sa couverture et son lanterneau couleur corail qui auraient pu figurer sur les terres des elfes sylvestres. Yüljet est certaine que c'est là-bas qu'est née l'inspiration pour la construction.
Instinctivement, la troll pense à Sheraz.
Et s'ils parviennent à le sauver ? Et après ? Et si, comme le mentionne la lettre de Sira Milliget, il y aurait d'autres "haut-elfes" conçus pour être sacrifiés ? À quoi bon ?
Elle réprime un sifflement agacé. Si le cartel a mis le doigt sur un bourbier malsain, alors ils devront mettre les pieds dedans et aviser s'il prend la forme d'un obstacle contre leurs idéaux.
C'est ce que Yüljet croit.
Il y a des vérités qui se tapissent au sein du grand palais d'Odrialc'h, et d'autres qui doivent dormir derrière la frontière des Milliget, au-delà de leur jardin gelé.
En réalité, il existe une machinerie infernale, établie dans tout Eldarya et elle ne chauffe que pour un dessein de conquête terrienne. Alors le cartel des Typhons doit la réduire à néant.
Plongée dans ses pensées, elle ne remarque pas tout de suite qu'elle est observée.
Pourtant, le coupable ne fait aucun effort pour se cacher, ni prendre de la distance avec sa cible.
Quand Titan le repère, elle lui jette un bref coup d'œil avant de croiser les bras sur sa poitrine.
« Qu'est-ce que tu fais là ? » questionne-t-elle d'un ton sévère.
À côté d'elle, Mery cligne des yeux à plusieurs reprises. Vêtu d'une tunique d'un vert pin, il ressemble presque aux lutins des forêts qui sont décrits dans certaines histoires humaines.
Le petit brownie transporte un sac besace qui a l'air de contenir des livres et des parchemins, si bien que Yüljet jure qu'il doit sortir de l'école, ou bien y aller.
« J'ai fini l'école pour ce matin, alors je vais manger ! piaille l'enfant, mais avant, je suis allé voir Viktor et maintenant, je vais voir Balam. »
Mery sautille sur place avant de mettre les mains derrière le dos.
« Puis je t'ai vu, mais tu avais l'air perdue dans ta tête, alors je voulais pas te déranger. Mais je voulais te dire bonjour quand même. »
Le brownie se tortille sur lui-même, une expression ravie sur son petit visage. Titan ne sait pas qui est Viktor mais quand il a mentionné Balam, l'image de l'elfe noir conversant calmement avec le Chef de la Garde Obsidienne est réapparu dans son esprit.
Balam le guetteur.
Enfonçant ses mains dans les poches de sa large veste, Yüljet commence à marcher et Mery lui emboîte le pas.
« Ta mère ne voudrait pas te voir avec moi, remarque-t-elle.
- Maman est au travail. C'est pour ça qu'après l'école, le matin, je vais voir Viktor, puis je vais chercher mon repas pour manger avec Balam. »
La troll hoche la tête sans rien dire. Certainement que Twylda doit être plus rassurée à l'idée que son fils ne reste pas seul à la maison, même pendant une heure ou deux.
Yüljet et l'enfant dépassent le kiosque, mais quand il la voit tourner vers la droite pour se diriger vers le Parc de la Fontaine, il s'arrête et lance, étonné :
« Tu viens pas manger avec nous ?
- Non. Mais tu devrais y aller, surtout si Balam t'attends. »
Mais Mery n'est pas d'accord. Loin de la laisser tranquille, il la suit jusqu'au petit muret d'un bassin en arguant qu'elle serait la bienvenue à la grande porte et auprès des guetteurs, que Balam était profondément gentil, sage, et qu'il lui laisserait peut-être tenir son arc.
Elle aurait cet honneur, elle qui était grande, contrairement à lui.
La voix de Mery pourrait se comparer au pépiement des lovigis. Mais même avec son débit rapide, les mots sont correctement articulés et le petit brownie réalise l'exploit de ne pas en écorcher la moitié.
Finalement, Yüljet ne lui répond pas et le laisse parler. L'enfant finit par s'arrêter tout seul et lorsqu'il voit qu'il n'aura pas gain de cause, il s'affaisse quelque peu, comme un payaga triste.
Puis, il s'approche de l'eau fraîche et vient y tremper la main.
« Moi aussi j'aime bien venir là quand je réfléchis beaucoup. » souffle-t-il.
Titan penche la tête pour le regarder. Ses yeux doivent brûler la nuque du gamin qui se redresse, haussant ses sourcils blonds.
« C'est en rapport avec ce que tu m'as raconté ? » demande-t-elle comme si elle lisait dans ses yeux.
Mery acquiesce. Il se débarrasse de sa sacoche qu'il laisse tomber à terre et en sort une écuelle en bois avec un couvercle.
Avec mille précautions, il la dépose sur le muret avant de s'y hisser. Ses jambes frêles se balancent alors qu'il semble réfléchir.
Contrôlant son repas, il ronchonne pour lui-même en déplorant l'oubli de sa cuillère, puis hausse les épaules et commence à manger le pain trempé dans un bouillon de légumes.
« Je vais manger la moitié ici et l'autre avec Balam. » décide Mery d'un ton très sérieux.
Yüljet rétorque qu'il fait ce qu'il veut, d'un ton las. Elle lutte pour ne pas plonger de nouveau dans la farandole de ses pensées en présence du gamin et fait semblant de s'intéresser au paysage.
Ses inquiétudes la rattraperont plus tard.
« Tu sais, reprend le brownie la bouche pleine, tu peux essayer de prier. Peut-être que quelqu'un t'entendra et que tes soucis pourront se résoudre. »
Titan le regarde comme s'il venait de se transformer en crylasm. Prier ? C'est une drôle d'idée.
Elle secoue la tête et met les coudes sur ses genoux.
« Qui te dis que j'ai des soucis ?
- Tout le monde en a, réplique Mery, et c'est pas bizarre de prier. C'est juste que je sais pas à qui parler, mais c'est pas grave. Le jour où on me répondra, je saurai. »
La troll ne sait pas vraiment où le gamin a pu aller chercher l'idée de ce genre de pratique. Il n'y a aucun dieu à prier, sur Eldarya. Aucune divinité qui ait un visage ou un nom et les seules situations qui pouvaient donner lieu à la prière, c'était avant de mourir.
On priait pour un monde meilleur.
« Et tes problèmes se sont résolus ? l'interroge Yüljet.
- Je sais pas. Je prie pas pour moi. »
Surprise, la troll se redresse en croisant les bras sur sa poitrine. Elle observe Mery en train de manger sa soupe de pain trempé et comme la veille, quand il lui a raconté son histoire, il a l'air d'un petit soleil qui entrevoit la peine du monde lorsqu'il n'a pas de chance.
Un soleil qui prie pour autrui.
« Je prie pour maman, poursuit Mery, pour qu'elle aille mieux. Et… Je prie aussi pour l'humaine. Pour qu'elle ait plus mal. »
Sa voix s'est transformée en souffle à la seconde confidence. Il a quelque peu perdu de sa lumière et ses paroles sont d'autres témoins de l'incident qui l'a marqué.
Titan réprime un soupir. Ce que vient de dire le gamin, c'est la raison pour laquelle les prières sont vaines, selon elle.
Prier ne guérira pas sa mère. Prier n'empêchera pas l'humaine qu'il a vu se faire frapper et enlever de subir des sévices ou d'avoir d'autres aiguilles plantées dans le cou.
Personne ne veille sur Eldarya car ses propres habitants l'ont déjà abandonnée.
La troll et l'enfant restent silencieux puis, une fois qu'il a jugé avoir avalé la moitié de son repas, Mery s'en va rejoindre Balam le guetteur.
Dès qu'il a filé, Yüljet tire discrètement son dessin des Monsieur Bec de la poche de sa veste.
Elle observe leurs yeux vides et quelque part, elle se dit que si elle retrouve l'humaine qu'a vu Mery en vie, elle fera son possible pour le lui faire savoir.
Elle est dans les temps.
Après la torpeur du midi qui a conduit les touristes et la population d'Eel sur les terrasses, dans leurs foyers ou au sein des tavernes, la foule s'est de nouveau montrée sur le marché.
Mais Yüljet a attendu. Elle guette l'étal de Purriva, recelant de poteries en terre cuite et de poêlons et patiente : la purreko mettra bientôt en évidence celui qu'elle a demandé plus tôt.
Le poêlon aux ailes fauves.
Il ne sera pas question de se mêler aux autres clients pour s'approcher de la marchande. Les entrevues avec Purral se déroulent toujours dans la plus grande discrétion, et si le signal est donné dans un lieu bondé de monde, le point de rendez-vous est ailleurs.
Proche de la mer, à vrai dire.
Titan sait déjà à quoi elle fera face. Ce n'est pas la première fois qu'elle rencontre le purreko à la robe fauve et aux yeux vairons pour affaires et lorsqu'elle a commencé à vouloir exercer son rôle de cheffe au sein du cartel, elle a appris la complexe organisation des lignées de purrekos.
Yüljet est celle qui donne les ordres auprès des Typhons, mais elle ne fait pas partie de ceux qui régissent le monde souterrain, où les pires vices faeries se côtoient et se plient à des règles données par des créatures félines.
La troll sait que les purrekos font partie des espèces les plus anciennes d'Eldarya. Ils se trouvaient déjà sur place avant le grand exil et quand ils ont vu le monde se peupler, ils se sont adaptés aux changements, sans jamais se soumettre aux nouvelles civilisations.
Les purrekos sont respectés parce qu'ils sont insaisissables. Titan est persuadée que regarder les êtres et les nations se battre pour leurs idéaux les amusent, parce qu'ils en connaissent déjà l'issue, tout comme elle est certaine que même face à une fée à trompe, Purral ou l'un de ses congénères ne broncherait pas.
Le poêlon est enfin là, sur l'étal. Yüljet s'anime et tourne les talons afin de prendre la direction du port. Elle se lance dans la traversée du centre-ville qui s'est transformé en écrin de bruit et de couleurs. Les terrasses sont pleines et Titan peut distinguer sans mal les touristes venus d'Odrialc'h des citoyens d'Eel.
Sans compter les orcs, il y a des personnes aux tenues vaporeuses qui proposent un véritable défilé de nuances chaudes et vives. Leurs pieds sont chaussés de sandales et ces gens d'Odrialc'h aiment se protéger des vents marins en enveloppant leurs épaules dans des capes sophistiquées.
À leurs côtés, Eel respire la simplicité.
Yüljet n'aime pas marcher parmi eux. Ils dégagent tout ce qu'elle déteste et au sein de la plus grande cité d'Eldarya, ils sont ceux qui vivent juste au-dessus de l'abîme où se tient la misère qu'ils ne connaissent pas.
À ses yeux, tous ces gens se ressemblent et elle aime se dire que si leurs personnalités possédaient des couleurs, elles seraient toutes pareilles.
D'ailleurs, lorsque ses entrevues avec Purral se terminent et qu'ils ne parlent plus affaire, ils apprécient discuter de choses plus basiques, dont ces gens-là qui ne craignent ni la faim, ni la misère et qui aiment se donner bonne conscience en s'apitoyant sur le malheur des castes inférieures.
Quand Titan les quitte pour retrouver la fraîcheur du port et la compagnie des pêcheurs, c'est un soulagement. L'odeur du poisson envahit les lieux et prisonniers des filets, Yüljet devine des carpes volantes, des poissons libellules ainsi que des poissons lunaires.
Leur chair n'est pas destinée à nourrir des estomacs faeris, malheureusement, mais ceux de leurs familiers.
D'ailleurs, ces derniers font l'objet d'un commerce très particulier et assez onéreux aux Abysses.
En marchant le long du port, les belles habitations et boutiques se font de plus en plus rares pour laisser place à des cabanes plus vétustes servant d'entrepôts. Celle que recherche Titan est la dernière sur la gauche. La plus délabrée.
Au fur et à mesure de ses rencontres avec les purrekos, elle a pu aviser que c'était l'un de leur jeu favori : dissimuler le beau derrière le laid.
Encore fallait-il pouvoir trouver le beau.
La planque d'Eel a plusieurs particularités : elle est reliée au circuit du tap, elle se situe sous le port et elle possède un accès qui mène aux égouts et qui permet à tout individu invité en ces lieux d'entrer et de sortir de la cité.
Bien entendu, le lieu est bien gardé.
S'assurant qu'elle n'est pas suivie, Yüljet s'arrête face à la dernière cabane sur la gauche avant d'en pousser la porte. Sous sa main brune, elle a la sensation que le bois va céder et que les gonds rouillés vont rendre l'âme, mais il n'en est rien.
Sans surprises, elle se retrouve au sein d'une petite pièce nue, sans mobilier ni vestige d'objets abandonnés. Il n'y a pas d'autre porte et il n'y a aucune trappe cachée.
En réalité, il suffit de se projeter à Odrialc'h.
"Porte verte - rue du Tap".
Ici, c'est "La dernière cabane sur la gauche - La planche griffée - La porte Fauve".
Lorsqu'elle avait découvert la prudence des purreko, il y a neuf ans, elle s'en était inspirée pour son propre cartel. Yüljet aimait ces jeux de pistes qui parvenaient à protéger un lieu d'une manière simple mais complexe à la fois.
La planche griffée de la dernière cabane sur la gauche n'existe que pour les yeux qui savent où elle est, et sa fragilité n'est qu'apparente. À première vue, la pousser reviendrait à la faire simplement tomber et abîmer le mur. Pourtant, quand Yüljet s'exécute, elle ouvre un maigre passage vers un couloir.
Des murs de briques encadrent un sol pavé et si le décor est étrange, il n'est qu'un accès vers une porte peinte d'un marron fauve. Mais en y pénétrant, Titan a l'impression de se trouver dans un autre monde.
Elle remet la planche en place avec mille précautions, et observe cet étrange chemin vers son lieu de rendez-vous, éclairé par une simple lampe à huile posée sur un tabouret.
On attend sa venue, bien entendu.
Trônant au centre de la porte comme un œil inquisiteur, un judas la surveille. Le purreko gardien des lieux attend qu'elle approche et surtout, qu'elle se mette à parler.
Ceux qui ont l'habitude de s'entretenir avec Purral connaissent le mot de passe, quand ceux qui viennent pour la première fois se font escorter les yeux bandés.
La troll se plante devant la porte, puis dit ces mots :
« Lorsque le poêlon aux ailes fauves dort sur le feu, ses yeux s'ouvrent…
- Mais point de fumée car depuis le début, le poêlon est le feu. » grogne une voix grave.
Lorsqu'on lui ouvre, Titan fait face à un purreko à la robe noire qu'elle a déjà rencontré à plusieurs reprises. Le félin la fixe de ses yeux jaune puis d'un mouvement de tête, lui intime d'entrer.
La pièce dans laquelle Yüljet met les pieds n'est pas grande, car elle n'est qu'un palier qui la mènera bientôt vers les entrailles d'Eel.
Un escalier de pierres l'attend comme une gueule béante dans laquelle elle se jette, puisqu'elle la connaît.
Ses pas se portent petit à petit en écho et même si le décor n'est que murs et sols froids, avec des portes ainsi que des torches, la troll se fait la réflexion qu'il est toujours plus accueillant que les Abysses.
Elle sait où aller mais par précaution, des purrekos sont postés de toute part afin de lui garder un passage linéaire. Il ne faudrait pas que lui vienne l'idée de s'égarer et de tomber sur des choses qu'elle n'est pas censée voir ni connaître.
Les félins ne prononcent pas un seul mot. Leurs yeux ne quittent pas cette troll qui leur est familière et leurs muscles vifs sont prêts à s'actionner au moindre signe de rébellion.
Qu'importe la force, l'espèce, la taille ou bien la carrure du client venu pour une entrevue, il ne doit jamais oublier sur quel territoire il se tient.
Après les pierres sombres et les lumières vacillantes, Yüljet atteint enfin une porte qui jure avec les lieux. Elle a la sensation qu'elle a été volée dans les beaux quartiers pour être placée ici, tant son bois est propre, net et même vernis.
La poignée est lustrée, ciselée d'arabesques, tout comme le heurtoir. D'ailleurs, Titan n'a même pas besoin de l'utiliser puisqu'un purreko se charge d'annoncer sa venue.
On la fait entrer une seconde fois.
Ce que l'œil de Yüljet a attrapé en premier, ce sont les lanternes suspendues à des chaînes. Sous les sols d'Eel et après une traversée dans l'obscurité, elles font presque penser à des cadavres aux flammes fatiguées.
Des chaufferettes en fonte côtoient des fauteuils confortables, un superbe tapis en velours qui ressemble à une immense tache de vin brodée d'or et des bibliothèques bien garnies. Le strict minimum pour recevoir un client, mais Titan sait que leurs possessions ne s'arrêtent pas là.
Trois paires d'yeux se lèvent à son arrivée.
Purral et son regard vairon. Le félin est confortablement installé dans l'un de ses fauteuils d'un bleu canard et sa robe flamboyante semble embraser le tissu brodé.
Son oeil améthyste se plisse avec son jumeau d'azur alors que sa babine se soulève en un léger sourire dévoilant un croc.
Purral est un purreko plus petit que la moyenne, mais c'est son charisme et son aura qui grandissent son personnage. Sous son crâne félin se tient une intelligence qui a déjà fait ses preuves dans les territoires sombres d'Eldarya, avec un millier de ficelles qu'il sait manier pour faire vivre sa lignée ainsi que son commerce.
Il a des yeux et des oreilles, mais peu d'informations à donner sans une bonne contrepartie.
« Titan., salue-t-il.
- Purral. » répond la troll.
Le purreko n'est pas seul dans cette pièce. C'est une habitude, en réalité, car il existe deux personnes dont il ne se défait presque jamais.
Plus loin, assise sur une jolie chaise avec une petite tasse en porcelaine fumante entre ses pattes blanches, une créature fixe Yüljet avec ses yeux d'un vert étincelant.
Sa fourrure dense, immaculée, est piquetée de tache ocre, beige et brune, lui donnant l'allure d'un hiver qui aurait bravé une tempête d'automne.
Sur son crâne félin siège un diadème elfique au rubis sanglant, au prix certainement indécent.
Tout comme Purral, la sympathie de cette purreko n'est jamais chose acquise, car elle peut facilement se perdre au moindre faux pas. La créature en train de siroter un thé est capable de se montrer effrayante, et si certains en ont douté, ils ont appris à la craindre.
« Titan., sourit-elle.
- Purriry. »
Purriry est l'épouse de Purral.
Elle est connue pour mettre la main sur les tissus et broderies les plus excessifs en surface, et les plus insolites pour les Abysses. La plupart des personnalités d'Eldarya se vêtissent avec ses créations et il existe même des rumeurs qui prétendent que la féline aurait conçue une robe exceptionnelle pour le mariage d'une goule.
La fille d'un producteur de tap, paraîtrait-il. Mais Yüljet n'y croit pas une seconde.
Mais ce qui est vrai dans ce que l'on peut entendre sur Purriry, c'est sa créativité en matière de vengeance. Comme la fois où des tisserands des îles du Qi, non loin des Côtes de Jade, ont osé lui manquer de respect et la traiter de la même manière qu'un de leurs familiers.
Purriry les a tous fait scalper. Ensuite, elle a religieusement fabriqué de merveilleux coussins qu'elle a rembourré à l'aide des cheveux de leurs scalps, et vendus à prix d'or aux Abysses.
Il est fortement déconseillé de se mettre les purrekos à dos, c'est une règle d'or. Mais encore moins lorsqu'il s'agit de figures connues comme Purriry ou Purral.
Et pour finir, dans cette jolie pièce qui pourrait presque être accueillante, il y a le kobold.
De petite taille, la peau aussi brune que celle de Yüljet, de grands yeux virides et des cheveux bruns tirant vers le grenat, le serviteur personnel du couple de purrekos ressemble à un bijou.
Lors de ses premiers contacts avec les félins d'Eldarya, Titan a appris la relation particulière qu'ils entretiennent avec le peuple des kobold.
Ces êtres de petite taille ont vu leurs territoires pris d'assaut par les orcs et les elfes sylvestres lors du grand exil alors, réduit à disparaître, ils n'ont dû leur survie qu'en troquant leur liberté contre la protection des purrekos.
De ce fait, chaque famille doit offrir leur premier enfant à la lignée de félins qui garantit leur sécurité. L'enfant sera alors éduqué par la lignée et destiné à servir l'un de ses membres toute sa vie.
Le kobold de Purral et Purriry se nomme Nanasira et de ce que sait Titan, il n'est pas à plaindre.
Couvert de tissus fluides et de bijoux, il ressemble à un prince et en grandissant auprès de Purral, il a eu accès à des savoirs infinis. Cela lui a valu quelques tentatives d'enlèvements, mais qui n'ont jamais abouti.
Yüljet n'a jamais su ce qu'il est advenu des détracteurs.
« Titan. l'accueille-t-il d'un ton poli.
- Nanasira. »
Les politesses étant faites, la troll est invitée à prendre place sur l'un des fauteuils. Comme d'ordinaire et lors de chaque entrevue, le kobold s'attable à un bureau, encrier, plume et parchemins prêts à être utilisés afin de consigner l'entretien dans toute son entièreté.
Il est difficile de mentir à Purral, surtout lorsque chacune de ses paroles sont couchées sur du papier.
« Quand Purriva est venue me voir pour me dire que tu réclamais un entretien, j'ai été étonné, amorce le félin, car en général tes venues sont toujours précédées d'une catastrophe. Et Eel est plutôt tranquille en ce moment.
- Oh, tu es de mauvaise foi, l'interrompt Purriry, tu oublies Rhenia-Gaear. »
Les avertissements sont déjà lancés. Si Yüljet voulait leur dissimuler son implication dans l'incident qui a eu lieu au sein de la cité des elfes noirs, c'est peine perdue.
Elle voit Purral la regard avec intensité, ses yeux vairons se plissant quelque peu d'amusement avant qu'il rétorque :
« Provoquer les Milliget n'est pas une catastrophe en soi : c'est une réponse à la stupidité. »
Titan retient un rictus. Le purreko peut penser ce qu'il veut, l'opération dangereuse au sein du manoir lui a permis d'obtenir de précieuses informations qui serviront la cause du cartel et leur mission de sauvetage.
« Je n'ai pas demandé cet entretien pour revenir sur ce qu'il s'est passé à Rhenia-Gaear, lance-t-elle, mais pour te montrer quelque chose. »
Pendant qu'elle tire le dessin de Mery de la poche de sa large veste, elle entend Purriry maugréer qu'elle aurait été ravie d'entendre son histoire sur sa rencontre avec les Milliget.
Mais Yüljet parie qu'elle a déjà réussi à en obtenir les détails d'une façon ou d'une autre.
La troll déplie son morceau de parchemin qu'elle pose sur le bureau, et les Monsieur Bec s'attirent déjà le regard curieux de Nanasira.
Purral se lève pour l'examiner attentivement. Titan aurait voulu être capable de lire sur son visage félin, mais tout ce qu'elle peut relever, c'est une concentration profonde.
Quels savoirs le purreko est-il en train de traiter au sein de sa boîte crânienne ?
Lorsqu'il retourne s'asseoir dans son fauteuil, il ne demande même pas à Yüljet dans quelles circonstances elle a obtenu le dessin. Il sait que c'est inutile.
« Quelle est ta question sur ce dessin ? »
Très bien. L'entrevue commence et Titan dresse mentalement la liste de tout ce qu'elle est venue demander.
Se courbant quelque peu, les coudes sur ses cuisses, elle se lance :
« Je voudrais déterminer ce que sont les créatures sur le dessin. »
Les moustaches de Purral frémissent alors qu'il souffle par le museau. La question de Yüljet est vaste et elle le sait, mais elle songe qu'avant de savoir à qui elle a à faire, il serait plus judicieux de déterminer à quoi elle peut se confronter.
Finalement et après de longues secondes de silence, le félin apporte une réponse :
« Je ne sais pas ce que sont les créatures sur ton dessin. Même s'il s'agissait d'une gravure, je ne pourrais pas le savoir, Titan. Car pour te répondre, il faudrait déjà qu'elles ôtent leurs costumes. »
La troll se met à ciller. Des costumes ? Ce qu'aurait vu Mery il y a deux ans, ce serait des êtres portant des costumes de la tête aux pieds.
Elle entend brièvement Nanasira se défaire de son siège alors que dans son esprit, l'histoire du gamin Chrysomallos se complexifie.
« Tu connais le mythe d'Anémone ? » lui demande Purral.
Yüljet lève ses yeux noirs. Le nom d'Anémone lui dit vaguement quelque chose. Une très vieille affaire de meurtres, semble-t-il.
« C'est une sordide affaire de meurtres qui ont eu lieu peu de temps après le grand exil, poursuit le félin sans attendre de réponse, et le dessin que tu m'as apporté m'a rappelé un détail la concernant. »
Pendant ce temps, Nanasira revient avec un livre assez épais, dans lequel on a glissé une masse de feuilles de parchemin comme si on voulait le gaver.
« Anémone était une elfe sylvestre qui était un génie dans les domaines de l'alchimie et de la botanique. Malheureusement, elle était friande d'expériences assez sanglantes et effrayantes. Elle avait bâti un jardin merveilleux dans lequel elle aimait inviter de beaux jeunes hommes de toutes espèces pour les séduire, coucher avec eux et les tuer en leur faisant respirer les aigrettes d'une plante qu'elle avait créée. Les aigrettes en question se déposaient dans les poumons et agissaient comme un parasite qui se nourrit de son hôte jusqu'à le tuer. »
Titan eut un frisson. Elle ne pouvait qu'imaginer une plante en train de grandir au sein d'un corps jusqu'à en déchirer ses poumons et mettre un terme à sa vie.
Le jardin d'Anémone n'était composé que de plantes qui avaient poussé ainsi, transformant le lieu en cimetière.
À leurs côtés, Nanasira continue de tourner les pages.
« Lorsque le jardin d'Anémone a été découvert, il a fallu pratiquer des autopsies sur les corps des victimes afin de retrouver leur assassin. Le médecin en chef qui travaillait sur cette affaire avec les inspecteur de la Garde de l'Ombre, à l'époque, était le Chef de la Garde Absynthe. Mais il craignait de respirer un poison, une spore ou tout autre mal qui aurait pu le tuer en pratiquant ses autopsie. Alors il lui fallait un costume qui le protègerait de la tête aux pieds. Et je te laisse deviner lequel. »
D'un signe de tête, Purral invite Titan a consulter l'ouvrage que son kobold a entre les mains.
Elle se redresse et s'approche du bureau pour examiner attentivement l'image qu'elle a sous les yeux.
Du texte l'accompagne et en le lisant, elle comprend qu'il s'agit du compte rendu de l'affaire "Anémone" que Purral lui a raconté. Le livre fait certainement partie des ses archives personnelles.
Quant à l'image, elle n'est pas d'Eldarya. Cependant, elle représente un Monsieur Bec vêtu de sa tenue de la tête aux pieds.
Il porte une longue robe, des souliers, des lunettes qui ressemblent à de grands yeux inexpressifs, un chapeau et un long bec qui lui donne l'allure d'un grand oiseau sans ailes.
Ses mains sont griffues, et il tient une canne étrange. Aussi, il est entouré de mots que Yüljet ne parvient pas à reconnaître.
Une langue humaine.
Gravure de Paul Fürst, 1656
Le regard de Titan passe du dessin de Mery à celui exposé dans l'ouvrage. Ce sont les mêmes créatures ou plutôt : les mêmes costumes.
Elle secoue la tête.
« Pourquoi le docteur qui a travaillé sur l'affaire Anémone a choisi ce costume en particulier ? Pourquoi prendre celui-ci aux humains et pas un autre ? »
Elle entend Purral ricaner, apparemment satisfait, et elle se sent soulagée d'avoir posé la bonne question.
« Le nez qui ressemble a un bec pouvait être équipé d'éponges imprégnées d'épices et d'herbes aromatiques afin de constituer un puissant anti-poison. De plus, il ne possède que deux petit trous pour permettre au docteur de respirer. De ce fait, les spores et les aigrettes auraient eu du mal à s'infiltrer. »
En somme, le docteur voulait se protéger au maximum.
Mais concernant les créatures que Mery a vu ? De quoi voulaient-elles se protéger ? Est-ce qu'entrer en contact avec un être humain était nocif pour un faeri ?
Titan a eu une partie de la réponse à sa question, mais elle en a suscité bien d'autres.
Tant pis. Elle les garde dans un coin de sa tête et elle s'y penchera plus tard.
« C'est tout ce dont tu voulais me parler ? » l'interroge Purral.
Plus maintenant. Yüljet fait le lien entre l'image du livre, le dessin de Mery, l'histoire de ce dernier et le rapport de Fuya sur les présence humaine.
Elle a peut-être le moyen de créer un lien avec tout cela.
Le gamin Chrysomallos avait évoqué un "coup de tonnerre" avant l'arrivée de l'humaine dont il a été témoin, alors si ce bruit est annonciateur de l'ouverture d'un portail…
« Dis-moi : Je voudrais savoir si dans tout Eldarya, les populations de toutes contrées ont déjà fait mention de coup de tonnerre sur des lieux où il n'y a jamais d'orage. »
Fuya a mentionné le continent du Beryx, là où se tient la cité d'Eel, dans son rapport. Mais il est aussi question de la Triade d'Ohm, les Mers d'Or et les Terres Gelées du Grand Nord.
S'il est possible de tracer un chemin hypothétique entre ces endroits, alors il serait tout à fait possible d'y trouver les Monsieur Bec.
Purra se caresse le menton en réfléchissant.
« Je me souviens avoir lu que les lorialets qui vivaient dans leur village avant le massacre, craignaient l'orage des Terres Gelées du Grand Nord comme une malédiction. Dès qu'ils entendaient un coup de tonnerre, ils filaient s'enfermer chez eux en attendant la fin de la tempête. »
Avec un mouvement des babines, il plisse les yeux et ajoute.
« Cela figure dans le poème "De Givre et De Foudre", écrit par Isaac Leiftan Koskilis en 427. Il est décédé lors d'un accident aussi stupide que morbide d'ailleurs. »
Yüljet attend la suite, mais elle n'en saura pas plus. Son esprit s'est mis en alerte à la mention du prénom Leiftan, mais elle sait qu'il était assez courant chez les lorialets, avant que ces derniers ne s'éteignent lors du massacre.
Néanmoins, elle tente :
« Est-ce que ce monsieur Isaac Leiftan Koskilis aurait un lien avec Leiftan Tuarran ?
- Peut-être. Qui sait ? » répond simplement Purral en haussant les épaules.
Tant pis. Ce qui est important, ici, c'est que les Terres Gelées du Grand Nord ont connu de violents orages qui n'en sont peut-être pas et que le lieu renforce son mystère si l'on inclut la proximité des Milliget et de leur frontière.
« Il me semble que la Triade d'Ohm a aussi fait mention de grands bruits semblables à des coups de tonnerre, intervient Purriry, et que le continent du Beryx est aussi beaucoup secoué. Mais bon… Les morgans du village d'Amzer disent que ce n'est que l'océan qui s'exprime avec ses tempêtes marines.
- C'est vrai qu'ici, les orages sont légions. Mais du côté de la Triade d'Ohm, c'est un phénomène qui a été relié au bruit des énormes cascades qui pullulent en ces lieux. »
Purral et son épouse échangent un regard. Pour Titan, cela fait deux, voire trois lieux qui concordent avec le rapport de Fuya.
Si le cartel veut s'aventurer dans cette voie et lever le mystère qui plane autour des apparitions humaines, il serait facile de mettre ces endroits sous surveillance.
Mais ce n'est pas la mission actuelle. Pourtant…
« Est-ce que les Abysses ont déjà vu des traces de présence humaine ? Comme des ventes douteuses, par exemple.
- Tu n'as qu'à aller vérifier par toi-même. »
La réponse est immédiate. Yüljet s'en doutait un petit peu : ce qui demeure aux Abysses, restent dans les Abysses.
Il serait impensable pour un purreko de trahir un marchand régulier qui vient vendre ses marchandises en s'affranchissant régulièrement de la taxe des Abysses.
« J'y penserais. » déclare la troll.
Ce ne sont pas des paroles en l'air. Peut-être qu'elle peut envoyer Sexta et Ryan enquêter sur place, pendant qu'elles vendent les poisons.
Mais encore une fois, il ne s'agit pas de la mission initiale. Le regard dans le vague, Yüljet pense à Sheraz Alfirin, à son carrosse doré, à Céleste, la ciralak porteuse de son message…
Que peut-elle faire en cet instant ? Qu'est-ce que le cartel peut faire ici et maintenant, cloisonné au sein de la cité d'Eel, à quelques jours des sélections ?
Titan est en possession du rapport de Fuya sur les Milliget ainsi que de la lettre de Sira. Ryan et Sexta ont les éprouvettes de sang humain.
Et ensuite ?
« Si je voulais croiser un familier habitant au palais, où devrais-je aller ? » demande-t-elle subitement.
C'est ça, la mission originelle.C'est à ça qu'il faut penser : un contact, un échange, surtout quand on possède des éléments qui méritent l'attention de Sheraz pour mieux le tirer de sa cage dorée.
Purriry laisse échapper un rire sans joie. Un rire aux tonalités moqueuses, à vrai dire.
« Dans un endroit dépourvu de gardes ? suggère-t-elle.
- Alors dans ce cas, il me faudrait connaître les tours de garde du palais d'Odrialc'h. » rebondit Yüljet.
Nanasira cesse d'écrire. Les purrekos dévisagent Titan sans rien dire, avant de s'échanger un bref dialogue muet.
Finalement, Purral secoue la tête mais daigne répondre :
« Pour cela, il faudrait entrer en contact avec un agent double qui siège au palais.
- Et je suppose que tu en connais ?
- Pendant cette entrevue, je ne connais personne d'autre que toi. »
Tu ne pourrais pas y mettre le prix, de toute façon.
Bien sûr que les purrekos ont des contacts au sein du palais d'Odrialc'h, mais ils ne diront rien. Yüljet serre les dents.
Ses efforts sont vains.
« Purral. » interpelle Purriry.
La purreko a posé sa tasse en porcelaine sur la table face à elle, et ses yeux verts sont sérieux. Son mari et elle pensent à la même chose, c'est indéniable.
Ils échangent des phrases aux sonorités affreuses. Titan sent son corps se tendre, ses poumons s'oppresser et une intolérable envie de vomir lui prendre à la gorge, pourtant elle doit rester stoïque.
Purral et Purriry s'expriment dans la langue des goules, le schöl, parce que trop peu de personnes sur Eldarya peuvent la comprendre.
Quand ils s'arrêtent, c'est comme retrouver le soleil après la tempête, ou l'air frais après des années passées à croupir en prison.
« Nous proposons un échange, dit enfin Purriry, mais la condition sera chère. Nous ignorons ce que tu veux aller chercher dans le palais d'Odrialc'h, mais pour nous ce n'est pas important. Ce qui est important c'est que tu peux nous trouver deux personnes que nous pourrons infiltrer.
- Infiltrer ? » s'exclame Yüljet, surprise.
Les babines de la purreko se retroussent.
« Nous connaissons des gardes qui traînent autour du palais, mais nous avons besoin de l'infiltrer.
- Les purrekos n'auraient pas la mainmise dessus ?» réplique Yüljet d'un ton légèrement railleur.
Nanasira fronce les sourcils mais loin de s'offusquer, Purral déclare d'un ton serein.
« Ce n'est pas ce que nous avons dit. Seulement, nous sommes des commerçants qui apportent à leurs clients ce dont ils ont besoin. Et si nous sommes prêts à proposer un échange avec le cartel des Typhons aujourd'hui, c'est pour répondre à un besoin particulier.
- Et pour répondre à ce besoin, il vous faut deux personnes à infiltrer ?
- Deux personnes que tu dois être prête à livrer et à sacrifier, Titan. »
Purriry lui jete un regard étincelant. La purreko demande de la viande fraîche à livrer en pâture mais pour Yüljet, c'est contre les règles du cartel.
« Le cartel des Typhons ne sacrifie pas gratuitement une vie, réplique-t-elle avec sévérité, alors je crains qu'il vous faudra trouver deux personnes sacrifiables par vos propres moyens. »
La purreko émet un sifflement dédaigneux en levant les yeux au ciel, mais les négociations s'arrêtent là.
Titan ignore les raisons qui peuvent pousser les félins à s'allier à d'autres personnes pour une infiltration au sein du palais d'Odrialc'h pour le compte d'un client particulier. Elle les pense parfaitement capable de trouver deux personnes à livrer, pourtant.
Ou peut-être que leur mission est si dangereuse qu'ils ne veulent pas prendre le risque d'entacher leur lignée et leur espèce en les mêlant à un terrible bourbier.
« Si tu changes d'avis, demande une entrevue. » lui glisse Purral.
Chose vaine. Yüljet ne sacrifiera jamais deux membres de son cartel, même pour infiltrer le palais d'Odrialc'h, alors elle préfère renoncer et tâcher d'y entrer par ses propres moyens.
Le silence prend possession de la pièce et plus personne ne dit rien. Titan a obtenu ses informations, et même s'il lui reste une dernière question sur le bout des lèvres, elle préfère en discuter avec la principale intéressée que cela impliquerait.
Autour des purrekos, de Nanasira et de la troll, les lanternes somnolent avec leurs flammes vacillantes.
Enfin, Purral demande d'une voix posée :
« Était-ce tout ce dont tu voulais me parler ? »
Yüljet relève la tête.
Non. Il y a autre chose. Un rituel, en réalité. Une question qu'elle pose à chaque fin d'entrevue en espérant obtenir une réponse qui ne vient jamais.
Une réponse que le félin lui donnerait s'il la possédait, car le prix à déjà été payé.
« Non. Une dernière chose : qui m'a nommée cheffe du cartel des Typhons ? »
Purral secoue la tête en fermant ses yeux vairons, comme d'habitude. Il souffle par le museau, ses moustaches frémissent et même Purriry ne dit rien.
Je ne sais pas. Quelqu'un qui partage tes idéaux, sûrement. Quelqu'un qui te pense capable d'accomplir l'impossible.
Les Choix
Alors, alors !
Après ce très long chapitre, vous voilà en possessions d'un grand nombre d'informations. Vous avez choisi l'entrevue avec Purral et à l'issue de cette dernière, il vous faudra prendre une décision concernant la suite des évènements.
Un petit rappel cependant :
➜ Vous avez choisi de filer Ezarel Sequoïa.
➜ Les éprouvettes de sang humain sont entre les mains de Ryan qui fait son possible pour les analyser.
➜ Vous avez choisi d'effectuer des recherches sur les hauts-elfes.
Au cours de l'entrevue avec Purral, vous avez appris que les créatures sur le dessin de Mery sont en réalité des personnes sous un costume. Vous avez également appris que les lieux où des bruits d'orages se faisaient entendre correspondent assez bien aux lieux évoqués dans le rapport de Fuya sur les présences humaines (rapport que vous pouvez retrouver dans la bibliothèque d'Apotheosis).
Vous savez également que les purrekos eux-même n'ont pas la mainmise sur le palais d'Odrialc'h et qu'y entrer est extrêmement compliqué, même si Purral et Purriry semblent avoir un plan en tête.
Mais le cartel des Typhons ne sacrifie aucune vie, sauf si c'est pour en sauver une autre.
Alors à présent : à vous de déterminer la priorité du cartel des Typhons.
Pour effectuer votre choix, gardez ceci à l'esprit : Vous êtes Titan, la cheffe du cartel des Typhons. Et vous devez prendre une décision quant à la direction de la mission.
➜ Le sauvetage de Sheraz passe au second plan. On abandonne les recherches sur les hauts-elfes et celles sur un moyen d'entrer en contact avec lui, et on se concentre sur les présences humaines sur Eldarya.
➜ On reste sur la mission originelle. On cherche à entrer en contact avec Sheraz pour son sauvetage, même si la mission semble impossible. On maintient les recherches sur les hauts-elfes.
➜ Yüljet décide de violer l'une des règles du cartel pour tenter le sauvetage de Sheraz. Dans ce cas, il vous faudra chercher deux personnes à envoyer au sein du palais, sachant qu'elles ne pourraient probablement plus jamais le quitter. (Les deux personnes à envoyer au sein du palais ne peuvent pas êtres des membres du cartel, mais des personnes extérieures au cartel.)
➜ Vous choisissez de ne prendre aucune de ces décisions et de vous laissez porter par les évènements. Reste à voir où ils vous mèneront.
Est-ce que ce choix met une ou plusieurs vies en danger ?
Absolument !
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Fawkes a décidé d'investiguer la bibliothèque du Quartier Général, grâce à sa fausse identité, Jens Red.
Ladite bibliothèque recèle d'ouvrages en tout genre et peut-être qu'il trouvera quelque chose sur les haut-elfes, mais les titres se succèdent, le temps presse et plusieurs personnes dont l'assistant d'Ewelein Osgiliath qui se trouvait également là - le voient en train de chercher parmi les étagères.
Parmi ces titres, lequel fawkes doit-il emprunter ? Il peut emporter deux livres, mais bien entendu, ses emprunts seront enregistrés dans le registre tenu à la bibliothèque :
➜ Lotheg et son Histoire
➜ Rage Sourde et Linceul de Givre
➜ Murmures de Forêt
➜ Naissance du Monde
UNIQUEMENT pour Zuzohyo :
L'opération de Fuya est terminée et la sirène se repose dans sa chambre. À priori, il n'y a pas eu de complications mais Lilymoe n'était pas présent dans la salle d'opération.
Ewelein Osgiliath l'a convoqué pour lui proposer de l'assister dans ses tâches et comme d'habitude, elle le laisse choisir.
Que doit faire Lilymoe :
➜ Assurer le suivi de l'opération de Fuya en compagnie de l'étudiant aspirant à la Garde Absynthe qui lui a apporté sa chaise roulante.
➜ S'occuper des préparatifs pour les sélections en corrélation avec la Garde Absynthe.
➜ Faire passer des visites médicales aux participants des sélections.
➜ Effectuer une commande de médicament auprès de la Garde Absynthe.
Aussi, Lilymoe à notifié que monsieur Jens Red avait passé énormément de temps à la bibliothèque du Quartier Général. Peut-être cherchait-il quelque chose en particulier, mais sans succès.
Lilymoe connait bien la bibliothèque. Que faire ?
➜ En parler à Jens Red et lui proposer de l'aider.
➜ Ne rien dire pour ne pas se mêler de ses affaires.
Pas de choix pour MayaShiz dans ce chapitre ! Ce sera au prochain !
Note de l'Auteur
Bonjour à vous !
Me revoilà avec le chapitre 10 d'Apotheosis, mais également quelques mises à jour.
Comme nous en avions discuté précédemment, ce chapitre sera plus court que d'habitude avec des choix moins complexes, aka des choix dits "normaux". Je pense que ce sera plus simple pour vous de suivre la fiction de cette manière.
Concernant les mises à jours :
➜ La fiche personnage de Titan a été mise à jour au sein de la "Bibliothèque d'Apotheosis".
➜ Sur la fiche personnage de Titan, vous pouvez y retrouver la synthèse de son entretien avec Purral qui recense tous les éléments importants.
➜ Sous le spoiler "Annexe", vous trouverez un lien vers un Google Doc qui n'est nul autre qu'un dictionnaire Français-Orc ! Lorsque vous apprendrez un nouveau mot, il sera consigné dans ce doc. Cela pourrait vous être utile, on ne sait jamais.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 10 - Kribaten Shakalogat Gra Ysul
« Parce que tout le monde compte sur moi. »
Tout en lui inspire la résolution. Il a une volonté immuable qui l'empêche de ployer, même quand des rafales lui hurlent à la figure et c'est la raison pour laquelle malgré sa personnalité impulsive et son arrogance, Yüljet l'apprécie.
Mais il ne le sait pas.
Appuyée contre le mur d'une ruelle, la troll tente de s'y fondre. Ce n'est pas un exercice qu'elle parvient à maîtriser aussi bien que Fawkes, Rose et Fuya, mais elle fait de son mieux.
De plus, la proie sur laquelle elle a jeté son dévolu est aisée à prendre en filature, alors c'est une aubaine.
Elle ferme brièvement les yeux. Elle songe aux conséquences malheureuses qu'elle aurait pu endurer si elle s'était essayée à suivre Nevra Mircalla ou Leiftan Tuarran.
Yüljet plie et déplie les doigts de ses mains en des gestes inconscients. La nervosité commence à monter le long de sa poitrine pour lui agripper la gorge, mais Titan lui tient tête depuis l'aube.
Elle focalise son esprit sur la scène en train de se dérouler à l'autre bout de la ruelle pour ne pas penser à "après". Ses yeux bruns et ses oreilles ne perdent pas une miette de l'elfe sylvestre en train de bouillir, les muscles crispés.
Toute la silhouette d'Ezarel Sequoïa, digne Chef de la Garde Absynthe, n'est qu'un paquet de nerf. Son corps exprime une rage contenue depuis bien trop longtemps et s'il est connu pour arborer son éternelle attitude hautaine et manier le cynisme à la perfection, Yüljet sait que derrière les écorces de sa personnalité se cache une noblesse d'esprit.
Ezarel est un génie et il le sait. Il ne doit sa place de Chef qu'à ses compétences, qu'au savoir qu'il a emmagasiné dans son esprit durant ses longues années d'études et à celui qu'il ne connaît pas encore, mais qu'il découvrira sûrement. Et personne ne se permettrait de douter de ses capacités.
L'elfe fait parler de lui en tant que Chef compétitif, intransigeant, impitoyable et bourreau qui a fait pleurer plus d'une de ses recrues, mais après avoir subi son terrible enseignement, les gardiens de l'Absynthe deviennent de prestigieux alchimistes, botanistes, médecins ou pharmaciens.
De plus, il ne partage pas l'idéologie d'Odrialc'h.
« Je sais. Mais vous finirez pas vous tuer, est-ce que vous le savez ? »
La voix qui a répondu à Ezarel est tranquille. Elle tente de calmer la tempête mais malgré ses interventions, le Chef de la Garde Absynthe ne parvient pas à décolérer.
Yüljet voit un rictus moqueur se peindre sur sa figure avant qu'il se détourne pour secouer la tête et mettre les mains sur les hanches. Un soupir agacé fait danser ses épaules et derrière lui, Keroshane Astorg ne dit plus rien.
Le secrétaire général de la Garde Étincelante a suivi Ezarel jusqu'au fond de cette ruelle dans l'espoir de lui faire entendre raison, mais sans succès.
Le noyau du problème, ce sont les financements d'Eel pour la Garde Absynthe qui commencent à se retirer un par un, pour finalement favoriser les Gardes de l'Ombre et de l'Obsidienne, plus enclines à servir de réserve pour Odrialc'h.
La plus grande cité d'Eldarya pourra ainsi venir quérir des soldats, des gardes ou même des membres pour venir garnir les rangs de leur police, leurs espions et leurs équipes chargées des interrogatoires. Et si l'infortune frappe définitivement la Garde Absynthe, cette dernière pourrait se voir dissoute et ses gardiens transférés au sein de la cité des orcs, pour le meilleur, ou bien licenciés, pour le pire.
Mais tout le monde compte sur Ezarel Sequoïa.
Keroshane fait un pas vers l'elfe et même si ce dernier ne le regarde plus, il se remet à parler :
« Toutes ces études, tous ces essais, toutes ces thèses pour ramener les sols d'Eldarya à la vie et offrir des terres cultivables à ses habitants, c'est une sainte tâche, Chef Sequoïa. Mais il n'y a ni progrès, ni résultats à fournir.
- Et aux yeux des bourses d'or et des grattes-papiers, ça ne vaut rien ? »
Mircalla. Yamamura. Fenghuang.
Ce sont les bourses d'or qui entretiennent les Gardes de la cité d'Eel, Titan les a bien retenues. Les premiers sont l'une des trois fortunes d'Eldarya et la famille de Nevra Mircalla. Les seconds ne sont rien d'autres que les membres du clan Yamamura, dont Miiko est issue et les derniers sont les maîtres de l'archipel des Côtes de Jade.
Mais des trois bourses d'or, seuls les Fenghuang resteraient favorables aux recherches d'Ezarel Sequoïa.
« Ce n'est pas si simple, argumente Keroshane, je sais ce que vous pensez du système administratif et des personnes qui exercent le même métier que moi. Mais il y a des règles, il y a des dossiers à monter, des arguments à écrire et si votre Garde perçoit de l'argent, c'est parce que je fais de mon mieux pour consigner vos efforts sur du papier. Je ne suis pas votre ennemi, Chef Sequoïa. »
Ezarel se retourne pour lui lancer un regard noir. Son visage si lisse, auréolé de cheveux saphirs, s'est figé dans une expression de mépris. On aurait presque pu la croire gravée dans le marbre si ses yeux ne s'étaient pas plissés et ses lèvres tordues.
« C'est vrai. Tu n'es pas mon ennemi. Tu es un secrétaire planqué dans la Garde Étincelante, au beau milieu de ces bonnes gens et tout ce que l'on retient de toi, c'est ta plume et tes parchemins. »
Un doigt accusateur menace le secrétaire général pendant que l'elfe continue sur sa lancée en lui jetant des phrases assassines.
« Toutes ces heures, toutes mes notes, tous ces ingrédients utilisés, ces filtres ratés, ces sols que je ne parviens pas à ressusciter et les espoirs de mes gardiens gâchés… est-ce que tu peux synthétiser tout ça sur tes parchemins ? Non. Parce que comme tes supérieurs qui t'appellent "secrétaire", tout ce que tu vois, c'est l'absence de résultats.
- Ce n'est pas vrai. »
D'un geste, Ezarel balaye sa réponse. Il n'en a que faire et la lueur étincelante de ses prunelles aigue-marine traduit une seule et unique certitude : qu'importe ce que dira Keroshane, il aura tort.
Le Chef de la Garde Absynthe déprécie tout ce qu'il est et tout ce qu'il incarne. Un bureaucrate que personne n'écoute et qui n'est bon qu'à pondre et remplir des dossiers, ainsi que des comptes-rendus d'un labeur qu'il ne connaît même pas.
« Montrez-moi vos notes, expliquez-moi vos filtres ratés, laissez-moi parler à vos gardiens qui n'ont plus d'espoir et je vous promets que je saurai reconstituer tout cela dans un dossier que je soumettrai aux financeurs. Rien n'est encore perdu et vous avez encore le soutien des Fenghuang ! Je… je…
- Keroshane. »
Yüljet inspire profondément. Cette fois, ses mains malmènent le tissu de son long manteau et la nervosité la guette comme un prédateur. Au fond de ses entrailles, elle fulmine et gronde contre elle-même, contre son corps qui tremble sans sa permission.
« Odrialc'h va marcher sur les pavés de la cité d'Eel, aujourd'hui. Et qui peut prédire si ma Garde pourra encore se tenir debout lorsque les solerets de la Capitaine s'en iront ailleurs ? »
Il l'a dit.
Yüljet quitte le mur contre lequel elle s'était adossée et s'aventure hors de la ruelle.
Ezarel ne lui apprendra rien de plus de toute manière aussi, elle sait qu'il lui donnera raison lorsqu'elle le verra arpenter le centre-ville d'un pas rageur.
Et quel centre-ville…
Titan frissonne pendant que sa gorge se serre. Elle exècre cette atmosphère, cette cité blanche qui retient son souffle pour exploser de clameurs lorsque viendra la Sainte Capitaine Shakalogat Gra Ysul.
C'est plus tard. C'est un un petit pas dans la denrée du temps qui sépare encore Yüljet de la personnification de sa haine et les journées qu'elle a vécu avant cela, elles ne sont que des battements de cils.
Fawkes avait continué de jouer le rôle de Jens Red. Fuya avait fait de brèves apparitions en chaise roulante, tantôt accompagnée par l'assistant d'Ewelein Osgiliath, tantôt avec le gamin Ael Diskaret.
L'un ou l'autre la conduisait sur le port d'Eel, à l'endroit où le bateau en provenance d'Odrialc'h avait accosté et Titan savait que la sirène choisissait cet endroit dans l'espoir d'être vue en meilleure santé par sa cheffe.
C'était une bonne décision.
Une fois par jour, Yüljet s'était rendue sur le port juste pour s'assurer qu'elle allait bien, malgré le bandage qu'elle portait autour de son cou. La troll ne savait pas encore si les médecins avaient extirpé de petits morceaux de verre de ses branchies, mais elle pensait que c'était le cas.
Puis, au cours des journées qui avaient défilé sans crier gare, Titan pouvait ajouter les instants où elle avait consigné les informations obtenues lors de son entretien avec Purral, sur du papier, ceux où toutes ses réflexions tournaient sans relâche dans l'espoir de former la meilleure des décisions pour la suite des évènements et même la présence de Mery quand elle croisait son chemin. Le petit brownie mangeait parfois sa soupe de pain trempé à ses côtés, persuadé qu'elle était une bonne personne.
La somme de toutes ces journées l'avait menée à aujourd'hui ou bien le point culminant de sa prison blanche.
Même si Yüljet ressent une peur qu'elle se refuse d'avouer, elle se tient prête à affronter l'arrivée de la Capitaine ainsi que les sélections.
Autour d'elle, Eel frémit d'excitation et toutes ses âmes se préparent religieusement au sein de leurs foyers, auberges et chambres chez l'habitant avant de tous se réunir au même endroit.
Ils formeront une masse faerienne, une vague en attente d'embrasser un rivage en armure d'orichalque. Titan ne sait même pas si elle doit les trouver pathétiques ou bien envier leur insouciance.
Qu'importe.
Ses pas l'ont menée au port avant qu'il ne soit bondé et c'est la dernière fois qu'elle pourra y montrer son visage. Quelques jours après son entretien avec Purral, c'était à cet endroit qu'elle avait pris sa décision.
Le cartel des Typhons sauverait Sheraz.
Même si Titan mourrait d'envie de poursuivre la piste des présences humaines et de ce qu'elles devenaient, elle ne dérogerait pas à sa promesse.
Après les sélections et une fois de retour à Odrialc'h, elle et les membres de son cartel trouveraient un moyen d'entrer en contact avec Sheraz, par le biais de sa ciralak.
Et personne ne serait sacrifié pour entrer au palais. Ils y arriveraient.
Eel attend et guette l'horizon.
La masse faerienne qui vient s'agglutiner face à la mer a l'air d'être frappée par le tonnerre, tant l'excitation l'anime. Les tenues, les bijoux et les cheveux forment un jardin bien étrange. Un jardin heureux qui additionne des sourires ainsi que des yeux étincelants d'une joie mêlée à de l'admiration. Pourtant, la Capitaine n'est pas encore arrivée.
Sur le port de la cité blanche, c'est un véritable cortège qui se prépare. Pour pallier à l'attente, un merveilleux cortège prend forme et même de sa petite place, Yüljet n'en perd pas une miette.
La troll s'est déjà mise en retrait, car même si une foule reste une excellente cachette, elle sait qu'elle ne sera pas suffisante pour combattre les yeux de la Capitaine.
Titan observe l'immense attroupement. Elle peut sentir les cœurs de toutes ces personnes battre à l'unisson et elle tente de discerner des silhouettes connues.
Yüljet attrape déjà les cheveux nacrés et la peau bleu de Helouri Ael Diskaret. Sans surprises, le morgan est accompagné de son amie June qui laisse exploser son énergie intarissable. Helouri se trahit en gestes nerveux et Titan manque de lever les yeux au ciel en songeant à la scène absurde à laquelle elle avait assisté quelques jours plus tôt.
Ce gamin fragile et insignifiant qui s'était laissé haper par le portrait de la Sainte Shakalogat Gra Ysul…
Qu'importe.
Titan recherche des visages familiers. Elle devine que Fawkes doit se tenir ici, les yeux et les oreilles à l'affût et que bien entendu, Rose doit faire partie du comité d'accueil.
Le drapeau de la Garde de l'Ombre lui donne raison : le corps droit, les mains derrière le dos, les pieds bien campés au sol, Rose se tient auprès de Nevra Mircalla.
Le célèbre vampire et Chef de la Garde de l'Ombre s'est vêtu de ses habits d'apparat d'indigo, de bleu persan et d'argent. Il ressemble à un prince et en réalité, il est à l'image de la fortune de sa famille.
À côté de lui, le Chef Valkyon Batatume ressemble à un soldat nomade pendant que le Chef Ezarel Sequoïa n'a l'air que d'un professeur d'une campagne perdu. Pourtant, personne ne se permettrait d'avoir ce genre de pensée, tant le charisme de l'un vaut l'érudition de l'autre.
Enfin, le cortège s'anime.
Yüljet ne perd pas une miette de la famille Mircalla en train de s'avancer.
L'une des trois fortunes d'Eldarya ne possède ni la grâce des Alfirin, ni la terreur inspirée par les Milliget, mais ils sont uniques.
Ils captivent les regards par les couleurs de leurs tenues et la complexité de leurs coiffures. D'émeraude, de saphire, d'améthyste ou de topaze, les drapés de leurs vêtements les transforment en forêt, en océan ou en volcan.
À la tête du cortège, la mère de Nevra est une jungle.
Iris Mircalla arbore un long manteau d'un vert impérial aux arabesques mordorées. Ses bottes sapins, ainsi que sa chemise et ses gants cannelles font ressortir son épaisse chevelure brune aux reflets flamboyants. La vampire d'une cinquantaine d'année l'a tressée, reliée, ornementée et parée d'accessoires pour mieux la transformer en une œuvre insolite.
Son visage de craie a été soigneusement maquillé et même son air sévère semble pensé pour s'accorder avec sa tenue.
Iris Mircalla inspire l'autorité, une puissance sauvage et toute sa personne respire le pouvoir.
Yüljet songe que même attablé au même banquet que les Milliget, Iris ne se laisserait pas impressionnée par leurs trompes ou leurs festins morbides.
À ses côtés, se tient un vampire du même acabit. Narcisse Mircalla, le père de Nevra, semblable à une figure de métal.
Le gris acier de son gilet côtoie le plomb de son pantalon de cuir, ainsi que la suie des talons de ses chaussures à boucles. Ses cheveux de perle dégagent son visage anguleux pour se rassembler une queue de cheval alambiquée, piquetée de plumes.
Des plumes de lovigis, sûrement.
La suite d'Iris et de Narcisse Mircalla n'est qu'oeuvres vivantes à admirer, et c'est ce que font les faeris rassemblés sur le port. Titan esquisse un sourire en pensant à Sexta qui ne manquerait pas de lancer que toute cette mascarade fait honte à son espèce.
Mais la mascarade n'est pas terminée.
D'instinct, Yüljet se recule un petit peu plus dans l'alcôve offerte par le petit dépotoire pour tonneaux et caisses usés.
Elle peut voir Miiko Yamamura, droite et fière, le chef bien haut et le regard tourné vers l'horizon. Ses longs cheveux noirs s'animent avec sa démarche, comme ses quatre queues de kitsune et le bois de ses getas traditionnelles claque sur les pavés d'Eel.
Mais plus menaçant, c'est l'ombre vêtue de blanc qui marche calmement à ses côtés.
Le manteau sur les épaules, le visage aussi serein qu'une mer endormie, il a pourtant les yeux qui brillent toujours d'un éclat étrange dont Yüljet a appris à se méfier.
Leiftan Tuarran, dernier membre de son espèce et aiguille d'Odrialc'h plantée au cœur de la cité blanche.
Le cortège est au complet et l'invitée d'honneur se fait attendre.
Depuis l'obscurité du dépotoir, Titan est une spectatrice qui assiste à l'arrivée du chaos et elle ne peut rien y faire.
Enfin, elle parvient à repérer Fawkes dans la foule. En retrait, le renard-garou arbore un sérieux sans pareil. Yüljet devine tous ses sens en alerte.
Aussi, elle reconnaît non loin de lui le petit Mery et sa mère, Balam le guetteur, Keroshane le secrétaire général et une grande elfe aux cheveux blancs à l'allure si digne.
Comme pour se hisser à la grandeur de son titre de médecin en chef, Ewelein Osgiliath n'a même pas besoin de fendre la foule pour rejoindre la tête de la mascarade et y rester.
Derrière elle, elle laisse son assistant accompagner Fuya et les entrailles de Titan se tordent.
Bien sûr que les soignants n'auraient jamais laissé Ellen Price d'Odrialc'h, se morfondre à l'hôpital et manquer l'arrivée de la Capitaine, mais Yüljet aurait mille fois préféré qu'ils le fassent.
La moue de la sirène l'inquiète et les regards qu'elle lance discrètement à Fawkes aussi.
Mais c'est trop tard.
La foule s'anime, tremble, frémit et éclate lorsque son divin songe prend vie sous les traits d'un superbe bateau. Un voilier qui peut égaler sans peine celui de la famille Mircalla et le surpasser de peu.
Mais la beauté du bateau qui s'approche n'intéresse personne. La masse faerienne n'attend qu'une passerelle et qu'une silhouette puissante à la peau cuivrée et à la natte de feu.
Les minutes sont trop longues à son goût et trop courtes à celui de Yüljet et même la vision qui marquera les esprits prend deux apparences.
Il y a celle de la légende et celle de la haine.
Des instants qui se succèdent, des images en train de courir et des sons mis les uns derrière les autres.
Le bruit des vagues, les clameurs, le bois qui vient cogner contre la pierre blanche du port d'Eel et le métal de solerets.
Les armures d'orichalque claquent, et bien avant qu'elle apparaisse, on l'annonce dans la langue de son espèce.
Kribaten Shakalogat Gra Ysul !
Titan est presque surprise de ne voir personne s'agenouiller.
À son insu, elle est prise aussi dans l'instant présent, malgré l'horreur qui grimpe dans sa poitrine, son cœur qui convulse contre ses côtes et ses poumons qui suffoquent.
Machinalement, elle serre les dents et fait un pas en arrière.
Comme pour parfaire le tableau, le soleil d'Eel s'est incliné derrière elle pour projeter sa lumière sur l'armure qui sied à sa silhouette musculeuse.
L'orichalque se teinte d'or et chaque rainure ciselée sur le plastron, les épaulières, les canons d'avant-bras ou même les cuissards, étincellent comme s'ils allaient se mettre à luire.
Son armure n'a rien d'un bijou mais ce qui la rend si extraordinaire, c'est la légende qui l'habite.
Un gantelet chante lorsqu'elle pose la main sur la garde de son épée. Geste instinctif, certainement.
Comme tous ses semblables, elle n'est que force musculaire, visage d'angle et crocs saillants. Un être qui était barbare à une époque pour devenir savant et civilisé aujourd'hui, grâce à l'enseignement du temps.
Mais celle qui marche sur la passerelle aujourd'hui s'est hissée au-delà de l'orc pour devenir un mythe. On idolâtre ce qu'elle est et ce qu'elle inspire, de ses yeux noir jusqu'à sa natte ardente. De ses petits crocs jusqu'au souffle qu'elle expire par sa bouche cuivrée et pour Yüljet, il n'y a rien de plus ridicule.
Chaque cellule du corps de la troll hurle en espérant repousser la grande silhouette guerrière, auréolée par son nom et par l'admiration de la foule qui ne se tient que pour elle aujourd'hui.
En vain.
Elle est ici et rien ne peut changer cela.
Shakalogat Gra Ysul par Lethos
Quand enfin elle pose le pied sur les pavés blanc, la foule hésite : la Garde Étincelante d'abord avec la famille Mircalla, puis les trois autres Gardes ensuite.
Après et seulement après, on laissera la Capitaine saluer le peuple et les touristes ayant quitté Odrialc'h juste pour la voir juger les sélections.
Mais parmi la masse, il y a les impatients. Ceux qui n'ont pas contraint leur esprit à laisser une orc, même extraordinaire, au rang d'orc.
On se presse, on se bouscule, on sautille, on se dresse sur la pointe des pieds pour la voir…
Titan attrape le visage anxieux de Fuya et celui, hésitant, de Lilymoe. Elle voit Fawkes jouer des coudes pour la rejoindre, très certainement déterminé à l'éloigner de l'admiration folle prête à éclater.
Les soldats d'Odrialc'h sentent le frisson monter trop haut et s'appliquent déjà à former des remparts, même si Shakalogat Gra Ysul n'en a pas besoin. Miiko Yamamura, qui avait commencé à la saluer, s'interrompt, levant une main bien haut pour s'adresser au peuple et calmer les ardeurs, mais c'est trop tard.
Le tonnerre d'une marée faerienne couvait un accident, c'était certain. Trop de personnes agglutinées sur un port, des mouvements d'unissons et on oublie que chaque corps est indépendant jusqu'à ce que l'un d'entre eux chute.
La silhouette de Yüljet a failli jaillir de son dépotoir lorsqu'elle a vu la chaise roulante de Fuya manquée d'être renversée par un imbécile qui a voulu se précipiter vers l'avant de la foule.
Par bonheur, Lilymoe a su raffermir sa prise sur les poignés, tout en jetant un regard scandalisé à l'importun qui est déjà loin. Fawkes s'est approché et à ses traits durs, Titan devine sans mal que son esprit doit déjà lui montrer mille façons de punir l'imbécile qui a manqué de blesser la sirène.
La troll entend un "Monsieur Red…" lâché avec surprise par l'assistant d'Ewelein, mais l'instant d'après, Fawkes se trouve déjà loin. Emporté par des épaules, des bras et des hanches, il remonte dangereusement vers la Légende en armure d'orichalque malgré lui.
Les bousculades se multiplient, le renard-garou tente d'y échapper et même si ses gestes se font plus brutaux, même si Titan meurt d'envie d'aller lui tendre la main, de l'arracher à la mascarade maudite, c'est trop tard.
Derrière le Chef de la Garde Obsidienne, il y avait des âmes, dont celle de Balam le guetteur. Et juste derrière Balam le guetteur, il y avait June et son ami, Helouri Ael Diskaret.
Le jeune morgan s'est accroché au bras de la jeune femme, inquiet quant à l'agitation en train de gronder et s'il pensait qu'elle pourrait le sauver, il a eu tord.
Malmené par la masse, Fawkes le percute de plein fouet et la scène qui se joue rappelle à Yüljet l'instant où Fuya s'était défenestrée à Rhenia-Gaear.
Helouri a titubé, reculé, dérapé sur le port avant de décliner au-dessus de l'océan. Le temps d'un battement de cil et il flotte, ses atours vaporeux s'agitant comme des langues de brume, ses boucles nacrées auréolant son visage terrifié et ses lèvres pleines désirant crier un appel à l'aide sans y arriver.
Désespéré, le jeune morgan tend une main suppliante vers Fawkes, vers la foule tout entière et dès l'instant où il bascule pour se faire avaler par la mer, un hurlement déchire la réalité.
Les corps se figent, les yeux se tournent vers June qui se trouve là, au bord du port, la bouche ouverte et les membres tremblants.
Un « NON ! » est rugit par un morgan que Yüljet n'avait pas encore remarqué. Un faeri massif en uniforme de l'Obsidienne à la peau glacée et aux cheveux nacrés dont les yeux exorbité ne voient plus que l'endroit où son fils à chuté. Ceux qui ne disparaissent pas sur son passage sont écartés avec force.
La Légende, quant à elle, a déjà ses yeux noirs tournés vers un morceau de mer pertubé par le passage d'une victime malheureuse. Sa main gantée de métal s'anime jusqu'aux sangles de sa lourde armure.
Les Choix
La Capitaine du corps armée d'Odrialc'h se tient enfin au sein de la cité d'Eel. Cependant et comme vous avez pu le remarquer, son arrivée a suscité moult agitations et un accident a eu lieu.
La foule est troublée, les bousculades se répètent et Yüljet assiste à tout cela depuis sa cachette. Au beau milieu du chaos, ses yeux attrapent quelques personnes en difficulté et peut-être qu'elle peut les aider, puisque l'attention de la Capitaine est attirée par l'accident.
Que faire ?
➜ Aider Mery qui a manifestement été séparé de sa mère.
➜ Aider un jeune loup-garou en uniforme de la Garde de l'Ombre tombé au sol et qui grimace de douleur en se tenant le bras.
➜ Aider une sirène à la peau halée et aux cheveux nacrés en train de se faire emporter par la foule.
➜ Ne pas intervenir du tout et rester cachée.
UNIQUEMENT pour MayaShiz, Waïtikka et ZuzoHyo :
Vos personnages se tiennent parmi la foule et ont été témoins de l'accident. À vous de me dire comment ils réagissent et ce qu'ils font.
Vos réponses serviront à construire la scène d'ouverture du prochain chapitre et donc, à l'écrire selon vos décisions.
Sachez qu'il n'y a pas de mauvaise réponse, mais seulement des souhaits.
Pour rappel :
➜ Fawkes s'est fait emporté par la foule et a percuté Helouri qui est ainsi, tombé du port. Fawkes se trouve à la place de Helouri, près de June et non loin de Shakalogat.
➜ June se trouve juste à côté de Fawkes.
➜ Lilymoe est au sein de la foule agitée, près de Fuya qui est sur sa chaise roulante et qu'il a accompagnée depuis l'hôpital du Quartier Général.
Pour vous aider : Mettez vous à la place de votre personnage ! Que ferait-il dans cette situation ?
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous !
Me revoici avec le onzième chapitre de cette fiction qui est, pour ainsi dire, riche en émotions.
Je ne vais pas être très bavard sous ce petit spoiler et vous laissez à votre lecture, mais je dois tout de même vous avouer que nous arrivons à un moment de l'histoire que je m'éclate à écrire. De ce fait, j'espère que cela vous plais toujours !
➜ Vous pouvez retrouver le dessin de Lethos dans sa galerie !
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 11 - Souffle Court
Une explosion pétrifiée.
C'est la première image qui s'est présentée à l'esprit de Yüljet lorsque le chaos de la foule s'est suspendu avec les secondes. Les consciences se sont éveillées quand June s'est mise à hurler, quand Joseph Ael Diskaret l'a imité en laissant la panique l'envahir.
Tous les regards se sont tournés vers l'endroit où le jeune morgan est tombé à l'eau et si, d'ordinaire, ça n'aurait pas dû être un problème, les faeriens ont compris que quelque chose n'allait pas.
Bien entendu, la sainte Capitaine d'Odrialc'h l'a saisi en premier. Titan l'a vu s'appliquer à défaire les sangles de son armure d'orichalque. Pourtant, même elle, que l'on place sur un piédestal, s'est vue devancée par les événements.
Finalement, la mascarade s'est transformée en une pièce de théâtre et la foule attend qu'elle se joue. Parmi les acteurs, il y a June, les mains plaquées contre sa bouche, le corps parcouru de tremblements, il y a Fawkes qui semble avoir fait abstraction de la réalité, son regard perdu vers l'océan, il y a Joseph, le visage aussi pâle que les murs de la cité blanche et aussi, il y a la Capitaine que l'on penserait capable de renverser la situation d'un claquement de doigts.
Soudain, la scène s'anime de nouveau.
Hors d'elle, June se précipite vers le renard-garou pour lui hurler des insanités. À ses yeux, tout est de sa faute.
Il n'est qu'un abruti de renard, une raclure de la pire espèce, une tête de mort, un plumobec à pattes vertes, un vieux détritus abruti, un seau à merde… il est surtout un coupable idéal, même si les véritables fautifs se tiennent juste derrière elle.
Yüljet doit se maîtriser pour ne pas fendre la foule et intervenir. Dans un autre contexte, comme dans les quartiers plus sombres où la loi du plus fort est maître, elle aurait joué son rôle de cheffe et remis cette jeune faerienne à sa place. Mais elle sait qu'en cet instant, June est loin d'imaginer qu'elle tempête contre un assassin professionnel.
Ledit assassin qui se trouve pris au piège. Titan ne le quitte pas des yeux et ne peut qu'imaginer le trouble agitant son esprit.
Fawkes pourrait disparaître ou bien Fawkes pourrait agir. Connaissant le renard-garou, Yüljet sait qu'il est en train de prendre une décision. Cependant, elle ignore si c'est son instinct ou bien sa réflexion qui parlera.
Mais lorsqu'elle le voit s'animer, s'élancer, puis plonger, elle prend pleinement conscience qu'elle n'est que la spectatrice d'un chaos qu'elle ne peut pas maîtriser.
Fawkes était pris dans une tenaille, perdu entre la foule et la Capitaine. Il aurait été si simple de fuir pour se cacher pendant les sélection, mais le renard-garou n'est pas idiot. Même si Titan serre les dents en constatant que sur la scène factice du port, il est mis en lumière. Il est dans tous les regards, même celui de la Capitaine Shakalogat et c'est ce qui horrifie Yüljet.
Pourquoi a-t-il fallu que cette foule imbécile entraîne Fawkes vers la tête du cortège ? Pourquoi est-ce que le gamin Ael Diskaret s'est placé aussi près du bord ? Pourquoi un événement comme l'arrivée de la Capitaine a-t-il dégénéré ainsi ?
Le renard-garou a déjà disparu. Titan est certaine que lorsqu'il n'a pas vu le jeune morgan remonter à la surface, il a laissé ses réflexes le mener dans l'eau à son tour.
Fawkes est bon nageur alors il s'en sortira, mais malheureusement, tout le monde se souviendra de Jens Red, à Eel. Et c'est un problème.
Yüljet inspire profondément afin de reprendre le contrôle de son esprit. Son cœur tambourine, son corps hésite et sa haine profonde contre l'icône de Légende qui se tient plus loin la pousse à se mettre en danger pour protéger les membres de son cartel.
Soudain, elle songe à Fuya.
Quittant sa cachette, Titan se met à la recherche de la sirène sur sa chaise roulante sans la trouver. Fuya et l'assistant d'Ewelein ont disparu et elle espère que ce dernier a eu la bonne idée de les extirper de cette masse de gens fous.
Un petit attroupement de belles figures d'Eel s'est formé autour de June qui s'est remise à hurler, sa voix stridente se mêlant aux appels desespérés de Joseph.
Le pauvre morgan a lutté contre son armure de garde civil, ses mains bleues glacées tentant de se défaire du métal en des gestes désordonnés, avant d'être arrêté par Valkyon Batatume.
« Joseph. » l'appelle-t-il d'une voix tranquille.
Manifestement, le Chef de la Garde Obsidienne sait ce qui est en train de se passer. Il connaît l'élément, le détail qui échappe à tout le monde, mais ce n'est pas lui que l'on veut voir agir, aujourd'hui.
La cité d'Eel est bénie. La Sainte Capitaine d'Odrialc'h se tient en ces lieux et face au chaos, elle reprend la situation en main.
Shakalogat Gra Ysul a assisté à l'accident. Dès qu'elle a vu le jeune morgan tomber à l'eau, dès qu'elle a entendu June hurler, elle a rivé ses yeux noirs sur l'océan troublé et ses mains, défaites de ses gantelets, se sont attaquées aux sangles de son armure d'orichalque.
La Légende n'a jamais laissé la panique l'envahir. Comme l'image du socle de la population eldaryenne qu'on lui prête, elle a agi.
Et comme par miracle, la foule obéit à ses gestes.
Un garde auprès de Jospeh Ael Diskaret, un autre auprès de June Albalefko. Juste par précaution, si l'un ou l'autre accomplirait quelque chose de stupide pour sauver Helouri.
Quant à la Légende, elle se tient à la bordure. Titan s'est avancée. Elle observe sa longue natte de feu, traversant ses omoplates comme une flèche embrasée.
Hors de sa cuirasse, la Capitaine n'arbore qu'un simple vêtement de coton, ainsi qu'un plastron de cuir. Mais même défaite de sa carapace, Yüljet sait que personne n'aurait l'idée de tenter un acte malheureux.
Personne. Elle, encore bien moins.
Comprimée par les corps qui se pressent, piétinent, avancent, reculent et hésitent, Yüljet est sortie de sa torpeur par un violent coup à l'épaule. D'instinct, elle attrape le bras de l'importun qui est, en réalité, une victime des événements. Sa main brune se referme sur un poignet fin et hâlé puis, sans le savoir, Titan devient un pilier pour une sirène emportée par la foule.
Quelques imbéciles, qui n'ont pas appris de l'accident précédent, ont voulu assouvir leur curiosité et regarder ce qui se passe plus haut, sans se soucier des personnes se trouvant sur leur chemin.
Là-bas, un jeune loup-garou en uniforme de la Garde de l'Ombre a chuté au sol. Titan le voit en train de grimacer de douleur alors qu'il serre son bras droit contre lui. Pas de chance.
Plus loin, la voix familière d'un enfant appelle sa mère et la troll reconnaît la chevelure solaire de Mery. Perdu, le petit brownie lance des regards épouvantés dans toutes les directions mais heureusement, son cauchemar ne dure pas très longtemps.
Mery n'a pas échappé, non plus, à l'œil attentif de Balam qui s'est empressé de le rejoindre.
Puis il y a les yeux d'un rose clair, brillants de soulagement et les lèvres bleues qui poussent un soupir discret.
Ils appartiennent au visage de la jeune sirène que Titan a sauvée de la foule malgré elle.
Merci.
Le mot est murmuré au milieu du chaos et même si Yüljet le perçoit, son esprit se divise au sein de son environnement. Fawkes est en danger, Fawkes a plongé pour tenter de sauver le jeune morgan, Fawkes est exposé à la Capitaine.
Et Fuya n'est plus là.
Merci, vraiment ! J'ai cru que…
Un nouvel hurlement. Plusieurs.
Des voix qui s'entremêlent sans s'accorder pour former des syllabes et Titan les reconnaît sans peine. Helouri est peut-être sauvé.
C'est à son tour de se battre pour voir ce qu'il se place plus haut, auprès de la Légende, des Chefs de Garde et de June, alors elle bouleverse la masse faerienne et profite de sa grande taille pour chercher un renard-garou et un jeune morgan.
Elle les trouve.
Ses muscles se tendent alors qu'elle aperçoit Fawkes, à genoux sur le bord du port, les vêtements lui collant à la peau, ses cheveux gouttant sur le sol et ses oreilles animales couchées en arrière. Ses épaules se soulèvent à un rythme effréné et Titan ne peut qu'imaginer les efforts que le renard-garou a dû fournir pour tirer Helouri de son mauvais pas.
Helouri qui repose dans ses bras, le teint livide, inconscient, aussi immobile qu'une poupée de chiffon.
Décidément, quelque chose ne va pas. Les morgans sont incapables de se noyer.
« Reculez ! Reculez ! Reculez ! »
Nevra et les membres de sa propre familles essayent de se changer en rempart, mais leur autorité peine à contenir la curiosité de la population. Elle n'est pas prête à laisser le pauvre morgan respirer alors en cet instant, elle veut repousser les Mircalla.
Yüljet plisse ses yeux noirs et résiste à l'envie d'arracher Fawkes à cette situation terrible.
Mais le renard-garou reste et endure.
Il ne dit rien lorsque Helouri lui est arraché pour se retrouver dans l'étreinte de son père et il ne dit rien quand une bourrasque nommée June lui hurle à la figure.
Elle s'en veut, tout est de sa faute, obnubilée par la Capitaine, elle n'a pas fait attention et puis… et puis…
Et puis Fawkes est venu bousculer le jeune morgan qui a chuté. Tout est de sa faute. Obnubilé par la Capitaine, il n'a pas fait attention, n'est-ce pas ? Il fait partie des imbéciles qui ont joué des coudes pour se hisser jusqu'à la tête du cortège si bien qu'il est devenu créateur d'un horrible accident.
Abruti de renard.
Fils de minaloo.
Assassin. Assassin. Assassin. Assassin. Assassin. Assassin. Assassin. Assassin. Assassin.
Puis elle s'arrête.
Une grande main cuivrée se pose sur son épaule avec douceur et June se tait. Derrière elle, se tient un mythe qui possède tous les pouvoirs, dont celui d'arrêter une tempête qui a besoin d'un coupable.
Mais bien entendu, Shakalogat a compris ce qu'il s'est passé et son jugement sera le bon. Elle n'a même pas besoin de convaincre.
June tressaille. Avec lenteur, elle lève ses yeux améthystes vers la Sainte Capitaine et comme si le soleil lui-même l'autorisait à le regarder sans plisser les yeux, elle semble captivée.
« Jeune dame, déclare Shakalogat de sa voix gutturale, cessez d'accabler celui qui a sauvé votre ami. Ce qu'il s'est produit est un accident. »
Si June ouvre la bouche, son esprit n'a formé aucune réponse. La Capitaine n'en attend aucune, de toute manière puisqu'elle s'attelle déjà à une autre tâche : Helouri.
« Ewelein ! » rugit un Ezarel furieux et alarmé.
Si Valkyon est un support pour un père affolé et si Nevra et les siens font offices de défenses, le Chef de la Garde Absynthe a brièvement examiné Helouri avant d'appeler Ewelein Osgiliath.
Son visage à lui-seul traduit l'urgence de la situation.
La médecin en cheffe s'est déjà détachée du flot faerien pour aviser de la situation.
Même pour recevoir la Légende d'Odrialc'h, elle ne s'est pas défaite de sa tenue de travail gris de lin, ni du diadème qui maintient sa chevelure blanche hors de son front. Titan ne peut pas voir les traits de son visage, mais les gestes exécutés par Ewelein Osgiliath sont rapides et précis.
Avec Joseph, elle a étendu Helouri sur le sol et elle s'est appliquée à vérifier sa respiration - inexistante - avant de s'atteler à des sessions de massages cardiaques et de bouche à bouche.
Qu'importe le bruit autour d'elle, Ewelein a focalisé toute son attention sur les manœuvres qu'elle exerce en espérant réanimer le jeune morgan. L'eau doit quitter ses poumons à tout prix ou il ne se réveillera jamais.
June pleure. Joseph pleure et Fawkes ne dit plus rien. Le renard-garou est une pièce étrange, incertaine qui est venue se greffer à un cataclysme qu'il ne pouvait pas prévoir. C'était comme s'il s'était mis à soupirer et que son souffle avait pris la forme d'une tornade.
Ici et maintenant, Miiko Yamamura aurait dû s'adresser aux habitants de la cité d'Eel. En tant que responsable du Quartier Général, mais aussi de la garde Étincelante, elle est celle que l'on s’attendrait à voir marcher vers le peuple pour mettre des mots sur l'accident.
Pourtant, elle n'agit pas. Elle reste immobile pendant que la Capitaine vient lui adresser quelques mots et Titan ne peut que constater que même hors d'Odrialc'h, Shakalogat Gra Ysul assoit son autorité n'importe où.
C'est elle qui disperse la foule comme le souffle d'une explosion à chaque pas et qui vient trôner au cœur du sol, aussi fascinante qu'une tour d'ivoire sur un tapis de cendres.
Les corps et les esprits n'osent pas se rassembler pour former un étau autour d'elle, c'est impensable. Et bien entendu, quand elle parle, on l'écoute.
Yüljet quant à elle, lâche le poignet de la sirène et retourne se terrer dans sa ruelle, auprès des tonneaux ainsi que des caisses usées. Elle ignore les grands yeux roses qui la dévisagent comme si elle avait perdu la raison et fulmine dans son coin.
Elle se sent impuissante. Si impuissante ! Tant que la Légende domine les lieux, elle ne peut rien faire du tout. Elle n'est plus cheffe d'un cartel, mais vermine parmi les déchets et même toute sa haine ne peut pas l'aider.
« Citoyens d'Eel, habitants de la cité blanche, lorsque l'horizon m'a offert votre port, j'y ai vu un chapelet de belles âmes. » amorce la Capitaine.
Elle sait ouvrir ses discours et choisir ses mots.
« Je vous ai deviné rassemblés en ce lieu depuis de très longues minutes qui se sont peut-être traduites en heures, et je ne peux que me sentir honorée d'être ainsi attendue. Ma venue ne serait qu'un épisode anonyme si votre présence n'existait pas et pour cela, je ne peux que vous adresser mes plus sincères remerciements. »
Yüljet inspire profondément. Si elle était citoyenne d'Eel, elle se serait sentie insultée d'être ainsi remerciée de la sorte. Remerciée d'exister et de se compter parmi les pantins qui attendent leur salut en armure d'orichalque.
« Mais voyez-vous, si l'honneur qui m'est fait apporte le chaos, cela n'est pas acceptable. Je suis venue juger les sélections et accomplir mon devoir. Je suis venue révérer l'amitié entre Eel et Odrialc'h en servant la cité blanche durant la période des sélections et me mêler volontier à vous. Mais pas ainsi.
- HELOURI ! »
La Légende se retourne subitement. À l'endroit du désastre, Ewelein a œuvré avec succès, car le jeune morgan a repris conscience.
Machinalement, il s'est tourné sur le côté et s'applique à vomir d'énormes quantités d'eau. Mais il est faible.
La médecin en cheffe ne perd pas une seconde. Elle se redresse, court vers Shakalogat et s'empresse de lui communiquer quelque chose.
Sans attendre, l'ordre claque et le chaos disparaît.
« Écartez-vous. »
La foule obéit.
Un passage se libère et cette fois, c'est un autre cortège qui se présente, pour quitter le port et gagner l'hôpital.
Ewelein marche en tête d'un pas rapide, le visage anxieux, suivi de Jospeh Ael Diskaret, livide, ainsi que son fils épuisé qu'il porte dans ses bras. Titan s'attendait à voir June, mais elle est restée en arrière.
Près de Fawkes, elle a fini par tomber à genoux pour continuer de pleurer, marmonnant des phrases incompréhensibles en passant des mains désespérées dans ses cheveux cendrés.
Triste spectacle.
Pourtant, il devient terrifiant quand Shakalogat se dirige vers Fawkes pour lui offrir une main compatissante. Les yeux de Yüljet se mettent à ciller et l'angoisse la rattrape.
Elle regarde le renard-garou qui relève la tête pour faire face à l'ennemie, peut-être hésitant de répondre à son geste.
Fawkes ne s'abaisserait jamais à accepter l'aide de la Capitaine, c'est un fait. Mais Jens Red n'aurait aucune raison de refuser.
Alors Jens Red attrape la grande main cuivrée et se met debout.
Détrempé, les cheveux ébouriffé, sa queue se balançant, ses oreilles baissées, il ressemble à un naufragé qui découvre la civilisation faerienne. Mais Titan sait qu'il s'arme de toute sa méfiance, quitte à se terrer dans la peau de son identité factice.
Il doit rester fort.
Shakalogat se penche pour lui dire quelque chose et Yüljet serait prête à troquer tout ce qu'elle possède pour savoir ce que c'est.
Son sang de cheffe du cartel des Typhons bouillonne de nouveau et vient remplacer celui de la troll effrayée par une déesse. L'ennemie est là, c'est vrai et elle sera là pendant quelque temps. Il ne faut pas ployer maintenant.
Titan prend une profonde inspiration et ordonne à son cœur de se calmer. Elle le retient quand elle pose de nouveau les yeux sur la Capitaine et dans son esprit, elle fait le vide.
Fawkes va bien. Fawkes lui fera un rapport et elle saura ce que la mégère lui a dit.
« Est-ce que tout va bien ? » demande soudainement une voix incertaine.
Titan reprend corps avec l'instant présent, son esprit se détachant du renard-garou pour se focaliser sur un visage qu'elle reconnaît sans peine.
Elle manque de pousser un soupir agacé.
Yeux roses, lèvres bleues.
Teint hâlé et cheveux nacrés, oreilles membraneuses aux rayons bleus et la gentillesse semblant émaner de sa personne.
La sirène dont elle a attrapé le poignet dans la foule. Pourquoi est-elle ici ?
« Vous êtes parti si vite tout à l'heure, s'explique-t-elle comme si elle lisait dans ses pensées, alors je vous ai suivi car j'ai cru que vous ne vous sentiez pas bien. Vous m'avez aidée quand je me faisais emporter par le mouvement de la foule. »
Elle a un sourire très doux et des yeux pétillants. Pour Titan, elle n'est pas une menace et en cet instant, c'est une bonne nouvelle. La troll a déjà assez à faire.
Sans un mot, elle se contente d'observer la sirène et de disséquer religieusement son image. Les caractéristiques d'une personne parlent plus que mille mots, c'est quelque chose qu'elle a appris et pendant la seconde où elle laisse son esprit analyser son interlocutrice, elle parvient à capturer des détails.
Les Choix
Le chaos est maintenant passé et Helouri a pu être sauvé. Sans surprises, ce fut un moment éprouvant pour tout le monde et aussi pour Yüljet qui s'est trouvée face à une situation qu'elle n'a pas pu contrôler.
Pendant l'accident, Titan a sauvé une sirène qui a failli se faire emporter par la foule et cette dernière l'a finalement suivie jusque dans la ruelle. En l'observant, Yüljet remarque quelques détails qui attirent son attention.
Elle en retiendra finalement deux. Lesquels ?
➜ La sirène ne porte pas d'uniforme de Garde.
➜ La sirène à un petit carnet suspendu à sa ceinture dont la couverture est décorée de quatre ailes membraneuses.
➜ La sirène porte un collier dont le pendentif est ce qui s'apparente à un saphir en forme de poire.
➜ La sirène a des traces de griffures sur les mains et les avants-bras.
(De bonnes réponses à ces choix vous permettront de débloquer certaines informations.)
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Fawkes a vécu le chaos. Fort heureusement et grâce à lui, Helouri a pu être sorti de l'eau et sauvé par Ewelein.
Cependant, le renard-garou s'est retrouvé exposé à la Capitaine Shakalogat Gra Ysul qui, par bonheur, ne connaît pas son visage.
Après les évènements, elle lui a dit quelques mots. Suite à cela, que doit faire Fawkes ?
Lorsque tu seras prêt à faire ton choix, Waïtikka, contactes-moi par MP et je te révèlerai ce que Shakalogat a bien pu dire à ton renard !
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
June est effondrée par ce qu'il vient de se passer. À genoux et en larmes sur le port, à l'endroit où Helouri a été réanimé, elle s'en veut profondément même si ce n'est pas de sa faute.
Elle doit agir mais en cet instant, que doit-elle faire ?
➜ Se lever et rejoindre Shakalogat Gra Ysul qui est toujours sur les lieux.
➜ Se lever et rejoindre Valkyon Batatume, son Chef de Garde, qui a assisté à l'accident.
➜ Se lever et rejoindre Joseph et Helouri, à l'hôpital du Quartier Général.
➜ Se lever et quitter la cité d'Eel afin d'aller chercher Cristal Ael Diskaret, la mère de Helouri, qui travaille à Amzer, le village des morgans.
ZuzoHyo, tu n'as pas de choix à faire pour ce chapitre mais ne t'en fais pas : ce sera pour le suivant !
Note de l'Auteur
Bonjour à vous !
Je reviens avec un chapitre un petit peu plus long que d'habitude, mais assez riche !
Comme vous pouvez le remarquer, il est sorti assez rapidement et pour cause : j'avoue que je me suis éclaté à l'écrire et que j'avais vraiment hâte de le poster. Vwala.
Pour faire un petit aparté sur les choix : rassurez-vous, il ne s'agit pas d'un choix difficile même s'il en a l'air et il ne met aucune vie en danger. Je le répète, mais le jour où vous aurez un choix charnier, vous serez prévenus !
Voilà voilà ! Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 12 - L'Ulcère
Au beau milieu du marché braillard, elle parvient à créer un écrin de paix et Yüljet se demande comment elle peut y arriver. En réalité, la troll a la sensation d'avoir changé de monde.
Comment une tragédie a-t-elle pu évoluer vers une après-midi d'une banalité sans nom ? Comment la foule malade a-t-elle pu retrouver tous ses esprits et déambuler en ces lieux, loin du port et de l'accident déjà oublié ?
Titan, elle, ne le peut pas. Pourtant, elle se trouve assise ici, sur la même chaise en fer forgé noirâtre qu'elle, partageant sa petite table de fortune, à la regarder porter une tasse à ses lèvres.
Le soleil d'Eel se permet de mettre en valeur chaque griffure marquant ses avant-bras, le dos de ses mains et même quelques-uns de ses doigts. Yüljet ne voit que ça, mais depuis qu'elle en connaît l'origine, elles lui paraissent ordinaires.
Moins que leur propriétaire, à vrai dire.
Titan la revoit plus tôt plantée au beau milieu de la ruelle avec elle, à lui demander si tout allait bien.
Alarmée par la situation, angoissée par la Capitaine et en colère contre elle-même, la troll l'avait affublé d'un jugement de valeur assez honteux.
Une sirène dans la vingtaine, à première vue. Du même âge que Fuya, donc, avec de grands yeux roses, des lèvres bleues étirées en un sourire trop doux et un visage de poupée.
Avec ses cheveux nacrés, ses petits chignons et sa longue robe parme, elle formait l'image parfaite d'une cruche, pour Yüljet.
Une idiote involontairement sauvée d'une foule encore plus idiote et qui voudrait s'accrocher à la main libératrice. Alors Titan avait fait tout son possible pour s'en débarrasser.
Tout ce qu'elle voulait, c'était s'isoler afin de calmer ses nerfs en train de piquer et faire le point de la situation. La petite chambre qu'elle occupait chez Twylda serait parfaite, mais Yüljet ne dérogerait pas à sa promesse, alors elle se contenterait du Parc de la Fontaine.
Elle s'y rendrait et penserait, penserait, et penserait encore jusqu'à élaborer le meilleur plan possible pour survivre aux sélections et ramener Fawkes dans l'ombre en compagnie de Fuya.
Titan a l'horrible impression que la cité blanche se transforme, petit à petit, en un étau qui se resserrait un peu plus chaque jour passant.
Il y a eu un accident. Ce n'était qu'un accident. Et si le jour des sélections, il y en avait un autre, bien plus grand, qui causerait des dommages encore plus effroyables et mettrait Jens Red à nu, tout en mettant le visage de Yüljet en lumière ?
Alors elle avait attendu. Elle avait attendu que le port se vide, que la Légende emmène son cortège de badauds loin d'ici et qu'il n'y ait plus rien d'assez intéressant à voir pour les curieux.
Elle avait aussi attendu, sans le vouloir, la traversée de June Albalefko. La jeune femme était restée à genoux, prostrée sur elle-même, à pleurer. Yüljet l'avait presque oubliée, tant son attention était restée focalisée sur le départ de Shakalogat.
Comme tous les autres. Elle pouvait rire d'elle-même.
Soudain, un éclair aux cheveux cendrés avait trouvé la force de se mettre debout pour courir vers le centre-ville et le Quartier Général, sans doute. Titan était persuadée que June se rendait à l'hôpital, auprès du gamin Ael Diskaret et de son père.
Puis, une fois le chaos envolé, Yüljet avait quitté la ruelle. Ignorant la sirène en train de lui parler, elle s'était éloignée d'un pas rageur. Elle s'était transformée en véritable volcan de colère au sang bouillonnant et tous ses sens hurlaient face à l'urgence de la situation.
Alors la voix de la sirène était bel et bien la dernière de ses préoccupations. Pourtant, elle l'avait retrouvée.
Au grand regret de Titan, même le Parc de la Fontaine était bondé. Le refuge avait gagné quelques visiteurs et les faeriens pullulaient sur chaque pavé et dans chaque recoin de la cité blanche.
Malgré l'accident, on tenait quand même à fêter l'arrivée de la Capitaine en bonne et dûe forme. Tant pis pour le jeune morgan transporté à l'hôpital.
Pour les heures suivantes et jusque tard dans la nuit, Yüljet ne trouvera pas un semblant de tranquillité. Elle devra vivre avec le bruit et l'excitation des sélections comme un souffle inépuisable et tant pis pour elle.
Ses pas l'avaient alors menée vers le marché grouillant d'individus, afin qu'elle puisse se fondre parmi eux comme elle le faisait déjà à Odrialc'h.
Et la sirène se trouvait là.
Impossible de la manquer. Non seulement parce que son apparence jurait avec le décor, mais aussi parce qu'elle se trouvait entourée de familiers, et pas n'importe lesquels.
Yüljet s'était figée, son intérêt soudain stimulé par une curiosité nouvelle. Tirée hors du marasme de ses pensées, elle avait revêtu son masque de cheffe du cartel des Typhons, à la recherche de nouvelles informations.
Titan connaissait cette alcôve du marché, dédiée aux éleveurs de familiers et comme dans toutes structures, il existait une hiérarchie.
Sans surprises, les purrekos restaient à la tête de cette dernière, en proposant des espèces rarissimes, magnifiques et intelligentes. Le dressage était supervisé par Purreru, issu de la même lignée que Purrobald, qui avait emmené Yüljet et Nash à Rhenia-Gaear.
Si Purreru n'avait ni la prestance de Purral, ni le caractère enflammé de Purriva, il restait un purreko d'exception qui savait élever n'importe quel familier.
Et sur le marché de la cité d'Eel et sous les yeux de Titan, il ne travaillait pas seul.
De ce que la troll en savait, les purrekos possédaient de la main d'œuvre dans chaque grande cité d'Eldarya. Ils n'étaient pas assez fous pour exposer leurs kobolds sur un lieu bondé de monde, alors ils comptaient sur le travail d'employés locaux.
Mais bien entendu, les purrekos n'embauchaient pas n'importe qui.
Alors pour Yüljet, voir la sirène qu'elle avait associée avec l'image d'une cruche travailler en compagnie de Purreru, c'était étrange.
Machinalement, elle s'était approchée de l'espace du marché dédié à l'élevage des familiers et c’est à cet instant qu'elle avait eu la sensation de changer de monde.
Loin d'elle la cacophonie de la foule insouciante, car à chaque pas, elle marchait vers la paix.
Peut-être était-ce dû au calme religieux des familiers se tenant là, ou bien à celui de Purreru, connu pour sa sérénité et sa timidité. Le purreko pacifiste qui pourtant, savait vivre avec les siens dans les limbes du monde souterrain.
Fidèle à lui-même, il avait donné l'impression de communiquer avec l'alfeli dont il lissait les plumes avec une douceur qui semblait émaner de toute sa petite personne.
Ce n'était peut-être pas si étonnant qu'il ait choisi de travailler avec quelqu'un comme la sirène.
Ah ! Bonjour à vous une seconde fois. avait dit cette dernière lorsque ses yeux roses s'étaient posés sur le visage de Yüljet.
Et là, hors de la foule et au sein de son environnement composé de familiers, elle prenait une autre forme. Le grès de la cruche se fissurait pour se briser petit à petit et là, assise sur sa chaise en fer forgé, le jugement de Titan s'effritait aussi au fur et à mesure de la conversation.
Laissez-moi vous offrir une infusion de lavande. C'est pour vous remercier.
Yüljet n'avait pas vraiment compris le geste de la sirène. Une véritable volonté d'offrir quelque chose à boire à la personne qui s'était transformée en sauveuse d'une seconde pour ensuite, la rembarrer, ou bien une excuse pour discuter avec quelqu'un.
Mais toujours est-il qu'en cette instant, la troll se trouve au sein d'une bulle d'accalmie. Elle peut sentir toutes ses inquiétudes s'écarter pour la laisser respirer un petit peu et même sa haine viscérale pour Shakalogat s'endormir en libérant ses entrailles.
Face à elle, la sirène repose sa tasse sur une petite coupelle blanche dans un bruit de porcelaine. Ensuite, elle lève les yeux vers Titan et lui adresse un doux sourire.
Le silence a pris corps entre les deux faerienne, jusqu'à ce que l'hôte étrange de l'alcôve aux familiers finisse par le briser :
« C'est une bonne chose que ce soit enfin terminé. »
Yüljet arque un sourcil.
« Terminé ?
- L'arrivée de la Capitaine, s'explique la sirène, ça fait toujours beaucoup de bruit. De plus, ça a causé un accident aujourd'hui. Alors c'est une bonne chose que ce soit enfin fini. »
La troll se recule sur son dossier en croisant les bras. Elle n'entend que rarement de tels propos car d'ordinaire, bon nombre de personnes auraient, au contraire, souhaité que l'arrivée de Shakalogat s'éternise pour pouvoir l'admirer.
« Vous n'aimez pas trop la foule, vous non plus ? demande la jeune faerienne. Vous vous teniez dans la ruelle.
- Non, répond Titan en éludant rapidement la question, les familiers d'ici sont bien calmes. »
La sirène a un sourire énigmatique. En réalité, Yüljet aurait presque souhaité qu'elle corresponde à l'image de la cruche qu'elle lui avait attribuée. Ainsi, elle n'aurait pas eu besoin de se tenir sur sa chaise, face à elle, à essayer de la cerner.
« C'est parce qu'ils se sentent en sécurité. »
La troll n'en doute pas. L'endroit respire la sécurité, après tout.
Pourtant, ses yeux noirs se portent machinalement vers les griffures que la sirène ne dissimule même pas.
Suivant son regard vers ses mains jointes sur la table, elle ajoute pour répondre à sa question muette :
« Les jeunes ciralak n'accordent pas leur confiance si facilement. Il faut se montrer patient.
- Ciralak ? »
Yüljet plisse les yeux. Voilà un mot intéressant, qu'elle rapporte sans peine à Céleste, dont l'image se présente à son esprit.
Elle sait peu de choses sur ces familiers, hormis leur grande intelligence et leur beauté qui font leur renommée auprès des riches faeriens.
Néanmoins, elle peut voir les yeux de la sirène s'illuminer et elle sait qu'elle a su toucher un sujet de conversation qui lui tient très à coeur :
« Les ciralaks sont des familiers fascinants, vous savez ? Mais ce sont surtout des familiers de luxe et pour cause : une femelle ciralak n'enfantera que trois fois dans sa vie. De plus et contrairement aux familiers qui donnent naissance à des portées de cinq petits, les ciralaks, elles, n'en ont qu'un seul. »
Titan ne savait rien de tout cela. Pas étonnant que ce genre de familier soit si prisé, surtout si une femelle ne mettra que trois petits au monde dans sa vie.
« Aussi, un petit ciralak est difficile à élever, poursuit la jeune faerienne, car pour s'occuper de lui, il faut établir une relation de confiance. Les ciralaks sont extrêmement intelligents. Lorsqu'ils voient un visage, ils ne l'oublient jamais, tout comme ils n'oublieront pas un acte de malveillance à leur égard et de ce fait, un acte de bienveillance.
- Ils peuvent se souvenir des visages ? Du mal ou du bien qu'on leur a fait ? »
La sirène arbore un sourire lumineux. Le sujet la passionne et Titan ne peut que deviner l'amour qu'elle doit donner à tous les familiers qu'elle élève au sein de la cité d'Eel.
La faerienne lève une main et déplie un doigt à chaque énumération :
« Les ciralaks se souviennent des visages, des endroits, des actes et même des mots. Ils enregistrent tout et n'oublient jamais. »
Ils enregistrent tout et n'oublient jamais.
Yüljet ne peut que songer à Céleste, que Sheraz a volontairement laissée vagabonder dans les rues des quartiers populaires d'Odrialc'h pour aller à sa rencontre.
Céleste se souvient d'elle, des membres du cartel des Typhons, de la planque et du chemin vers la planque. Même dissimulée sous sa veste, elle a certainement trouvé le moyen de semer des repères sur son chemin.
Alors si elle pouvait quitter le palais, elle saurait revenir vers le cartel.
Gravant cette information dans un coin de sa tête, Titan passe à un autre détail :
« Vous avez donc appris à élever des familiers tels que les ciralaks. En ajoutant à ça les autres familiers, bien sûr.
- C'est mon métier depuis l'âge de quatorze ans, répond la sirène, en parallèle avec les recherches que j'entreprends. »
Les recherches ? Yüljet l'interroge du regard et si la jeune faerienne semble d'abord hésiter à s'étendre sur le sujet, la troll la surprend à échanger un bref regard avec Purreru qui, bien entendu, ne perd pas une miette de la conversation.
Si la sirène travaille auprès d'un purreko depuis ses quatorze ans, il est évident qu'elle a appris à ne pas s'épancher plus que de rigueur auprès des potentiels clients. Mais à priori, ce qu'elle a à dire n'est pas un secret d'état, même pour la cheffe du cartel des Typhons.
Et c'est tant mieux, car lorsqu'elle détache son petit carnet accroché à sa ceinture, Titan doit avouer que ce dernier pique sa curiosité.
Elle l'avait déjà remarqué lorsqu'elle se trouvait dans la ruelle, avec sa couverture arborant quatre ailes membraneuses.
Quand elle lève les yeux vers le visage de la jeune faerienne, elle peut discerner beaucoup de tendresse dans les siens. Voire même… de l'amour ? Comme si ce petit carnet avait changé sa vie.
Enfin, elle la regarde de nouveau avec un grand sourire et se remet à parler :
« Vous savez, je suis originaire d'Odrialc'h. J'aimais beaucoup travailler là-bas, mais j'ai choisi de vivre à Eel après ce qui m'est arrivée il y a deux ans. Quand j'ai décidé de suivre les enseignements du Chef Sequoïa et de me consacrer à mes recherches. »
Ses yeux roses brillent d'émotions et Titan doit avouer qu'elle est suspendue à ses lèvres. Pour elle, deux années en arrière correspondent au récit de Mery qui a vu un être humain apparaître non loin d'Eel et se faire capturer avec violence.
Alors pour la sirène, qu'est-ce que c'est ?
Avec lenteur, cette dernière dévoile le contenu de son carnet en repoussant la couverture et Yüljet peut y voir un petit papier cartonné y être accroché. La jeune faerienne le touche du doigt comme le plus précieux des trésors avant de reprendre :
« Comme je vous l'ai dit, j'ai commencé à apprendre l'élevage des familiers à l'âge de quatorze ans. J'ai appris très tôt à m'occuper des ciralaks et surtout d'une femelle qui a donné naissance à son troisième et dernier petit. Petit dont je me suis occupée jusqu'à ce qu'il soit adopté par la famille Alfirin. »
Titan doit se maîtriser pour ne pas laisser une expression de stupéfaction marquer sa figure. Ainsi, la sirène a connue et élevée Céleste, avant qu'elle soit confiée à Sheraz Alfirin.
« C'était une femelle, poursuit la jeune faerienne, qui a été offerte au fils unique de Gorthol et Ciryandil Alfirin pour ses dix-sept ans, Sheraz. Il l'a d'ailleurs appelée Céleste. »
En effet, Yüljet le sait. Et ensuite ?
La sirène semble plongée dans un souvenir agréable qui lui fait plisser les yeux d'amusement.
« Dès que Céleste a été emmenée au palais d'Odrialc'h pour être auprès de son nouveau maître, Sheraz a tenu à ce qu'elle soit toilettée et brossée toutes les semaines. Un exigence qui n'est pas rare auprès des grandes figures d'Odrialc'h. Et comme je me suis occupée de Céleste jusqu'à son départ, j'ai pu tisser une relation de confiance avec elle. Alors, j'ai été autorisée à pénétrer dans l'Ulcère. »
Achevant sa phrase, la sirène tourne le carnet vers Yüljet, sans jamais la laisser le prendre.
Le petit papier cartonné est en réalité un ancien laissez-passer pour ce fameux Ulcère. C'est à cet instant que la troll apprend enfin le prénom de la sirène.
Alajéa Edam.
Les informations suivantes sous son identité ont été inscrites en langue commune et en langue orc. Elles mentionnent son métier, le nom de la personne résidente au palais qui réclame sa présence au sein de l'Ulcère et les raisons de cette dernière.
« Il ne sert plus à rien aujourd'hui, explique Alajéa, puisque j'ai quitté Odrialc'h et arrêté de toiletter Céleste, mais il reste un précieux souvenir.
- Qu'est-ce que l'Ulcère ? » demande Yüljet, pleinement captivée par la conversation.
Alajéa l'ignore, mais ce qu'elle est en train de livrer, ce sont de précieuses informations que Titan compte bien examiner à tête reposée, partager avec les membres du cartel et exploiter pour tenter de sauver Sheraz.
La sirène referme son carnet, posant la main à plat sur la couverture.
« C'est un long couloir externe connecté au palais. À l'époque, il avait été bâti pour que les serviteurs puissent quitter le palais et y entrer tout en étant contrôlés, mais depuis qu'ils logent directement à l'intérieur, le couloir a été laissé à l'abandon. »
Alajéa arbore un pauvre sourire et poursuit :
« C'est pourquoi on a fini par lui donner le nom d'Ulcère. Parce que les gardes et les figures du palais le considèrent comme une plaie qu'ils ne peuvent pas détruire, car elle reste aussi utile que détestable. C'est un moyen finalement exploité pour que les personnes extérieures comme moi, avant, puissent venir accomplir leur travail sans entrer directement dans le palais.
- Je vois. Et à quoi ça ressemble ? »
À rien d'extraordinaire, apparemment. La sirène décrit un long couloir assez lugubre, sans fenêtres et éclairé par des torches, qu'elle arpentait jusqu'à sa destination : une petite salle plus chaleureuse et confortable dotée d'une porte à double-battant qu'elle n'a jamais eu l'idée d'emprunter, même par curiosité.
« Je ne voulais pas perdre mon travail et l'opportunité de revoir Céleste. Alors je n'ai jamais jeté un œil. De toute façon, cette porte n'était ouverte que pour laisser entrer le serviteur qui m'amenait Céleste et qui venait la récupérer. Ensuite, je quittais les lieux. Et c'était comme ça toutes les semaines. »
Pas vraiment. Jusqu'au jour où quelque chose s'est produit. Quelque chose qui a changé la vie d'Alajéa et l'a poussée à migrer vers la cité d'Eel pour apprendre auprès du Chef Séquoïa afin de suivre ses idéaux.
Sa main quitte momentanément le carnet et Yüljet la voit fixer les ailes. La sirène se met de nouveau à sourire :
« J'ai acheté ce carnet la veille de mon départ pour Eel. Est-ce que vous savez pourquoi je l'ai choisi ?
- Non. » argue Titan qui commence à craindre la réponse.
Alajéa lève son visage de poupée pour la fixer avec intensité. Yüljet se fait la réflexion qu'à chaque fois qu'elle doit raconter cette histoire, elle le revit sans aucun doute.
« Parce qu'il me rappelle les créatures les plus merveilleuses que j'ai pu rencontrer. »
Un rictus étire les lèvres de la troll et elle se retient d'émettre une exclamation persifleuse.
Si Alajéa parle vraiment des fées, alors elles n'ont pas rencontré les mêmes. C'est impossible.
Des êtres affreux, sanguinaires, avec des trompes horribles et dont Fuya se souviendra, malheureusement, longtemps.
« Merveilleuses ? Les fées du sang ? C'est bien d'elles dont vous parlez ? »
Alajéa hoche la tête pour acquiescer. Et Titan ne peut pas la comprendre.
Son regard, son sourire si doux, sa tendresse lorsqu'elle pose ses yeux roses sur son carnet et même cet amour qu'elle avait l'air d'exhaler par tous les pores de sa peau…
C'est impensable. Mais Yüljet veut bien l'écouter.
La troll quitte le dossier de sa chaise noirâtre pour croiser les bras sur la table, ignorant son infusion de lavande en train de refroidir.
« Très bien. Racontez-moi. »
Comme je vous le disais tout à l'heure, l'Ulcère est un long externe au palais, mais raccordé à celui-ci. Il n'a pas de fenêtres et lorsque l'on y entre, il n'y a qu'une seule direction possible : celle qui mène à la pièce où je travaillais.
Je ne pouvais y accéder que grâce à mon laissez-passer et même si les gardes avaient l'habitude de me voir toutes les semaines, il pouvait arriver que l'on me fasse passer un contrôle plus poussé, grâce à des questions dont j'avais donné les réponses quand j'avais rempli mon formulaire pour obtenir mon laissez-passer.
Je devais répondre en langue commune, ou parfois en langue orc.
Tout ceci pour vous dire que même pour entrer dans l'Ulcère, un simple couloir lugubre, ce n'était pas aisé.
D'habitude et lorsque j'allais travailler, le rituel était toujours le même : j'arrivais avec mon matériel dans la petite pièce et j'attendais le serviteur de Sheraz Alfirin, qui devait venir m'amener Céleste. Ensuite, je procédais au toilettage et une fois le serviteur revenu, je repartais.
Je ne voyais personne d'autre que le serviteur de Sheraz Alfirin, qui ne m'adressait pas la parole hormis les politesses. Mais comme vous pouvez vous en douter, lors de mon dernier passage à l'Ulcère, les choses ont été différentes.
« Vous avez rencontrées les fées du sang ? » demande Titan qui rassemble mentalement les éléments du rapport de Fuya.
La sirène hoche la tête, un sourire paisible aux lèvres.
Je suis entrée dans l'Ulcère comme je l'ai fait d'habitude, mais en arrivant dans la pièce, Céleste était déjà là et il y avait quelqu'un.
La pièce dont je vous parle est fermée par une simple porte histoire de la séparer du couloir. Quand je suis entrée, quelqu'un se trouvait assis à même le sol et s'était retourné, comme s'il savait que j'étais en train d'arriver.
J'ai vraiment été surprise. Non seulement parce que je n'ai jamais vu personne d'autre que le serviteur de Sheraz, mais aussi parce que c'était la première fois de ma vie que je rencontrais une fée.
Elle s'interrompt quelques secondes et secoue la tête, une moue agacée sur le visage. Puis elle reprend d'un ton plus irrité :
Vous savez ce que l'on dit sur elles et le surnom qu'on leur donne. Tout ça parce que leur famille possède la plus grande et la plus terrible prison d'Eldarya alors que pourtant, la fée qui s'était tenue sous mes yeux à cet instant-là, respirait la joie de vivre.
Titan se retient d'ajouter que les fées méritent leurs surnoms à cause de leur régime alimentaire et de tous les faeriens qu'elles dévorent après les avoir tué et pompé leur sang.
À cause de la violence dont elles peuvent faire preuve et de cette sauvagerie que la troll a pu constater lorsqu'elle leur a fait face.
Mais elle se maîtrise et interroge :
« Comment était-elle ? »
La peau claire, nacrée et de longues boucles roses. Il portait une robe d'un joli bleu et ses ailes, elles étaient superbes. Quatre ailes transparentes avec de petites veines qui formaient comme des motifs.
La fée me souriait et sur ses genoux, Céleste ronronnait. Toujours surprise, je n'ai pu que lui adresser un "bonjour" et elle me l'a retourné.
Le ton de sa voix était enjoué et ça n'attisait que ma curiosité à son égard. Je savais que j'avais devant moi un membre de la famille Milliget, car ce sont les seules fées connues dans tout Eldarya, mais je ne comprenais pas la situation.
Puis il m'a dit :
"Je sais que Céleste doit se faire coiffer aujourd'hui, mais Sheraz et son serviteur sont occupés. Alors je suis venu avec elle. C'est bien toi que l'on doit attendre ?"
J'ai eu un moment d'arrêt, mais j'ai fini par lui répondre qu'il avait raison. Je me suis installée et j'ai déballé mon matériel. Ensuite, quand j'ai appelée Céleste, elle est venue d'elle-même.
La fée nous fixait et je me sentais mal à l'aise mais je me disais que si Céleste lui faisait confiance, alors je n'avais pas de raison de m'inquiéter. Les ciralak reconnaissent les visages et n'oublient jamais les actes qui ont été fait pour ou contre eux, après tout.
J'ai simplement fait mon travail mais je sais que je ne pouvais pas m'empêcher de regarder la fée Milliget.
À ce moment-là, je ne savais pas s'il était un homme, une femme ou un être d'un autre genre. Je me rappelle de son visage si radieux, du rose particulier de ses cheveux, de sa robe bleue qui baillait sur son torse plat et de sa silhouette longiligne, presque maigre.
Et puis des mots qu'il disait à Céleste.
Peau claire, nacrée. Longues boucles roses. Sira Milliget.
Yüljet peut peindre le visage de la fée qui lui a soufflé un "Apotheosis" à Rhenia-Gaear, le jour où Fuya avait frôlé la mort.
Effectivement, si Alajéa avait rencontré Sira Milliget, alors elle pouvait avoir une jolie image des fées. Cette dernière n'incarnait pas vraiment la menace comme le reste de sa famille.
"Ma princesse, tu es déjà belle, mais tu seras encore plus belle."
C'était adorable et ses mots m'avaient un petit peu détendue. Je pensais qu'il ne s'adresserait qu'à Céleste, mais ensuite, il a commencé à me poser des questions. Tout d'abord sur mon travail et ensuite sur l'Ulcère.
Il disait qu'il ne connaissait pas beaucoup le couloir car peu de personnes du palais s'y aventuraient et que l'on racontait des histoires dessus. Comme quoi il était hanté par exemple.
Il m'a demandé s'il y avait des fenêtres, s'il était long et s'il y avait du monde à sa sortie.
J'avais l'impression qu'il me demandait tout ça parce qu'il avait l'intention de s'y aventurer. Peut-être que les membres des grandes familles d'Eldarya ne peuvent pas quitter le palais comme elles le veulent.
Certes, ou bien faire sortir Sheraz. D'après la lettre que Fuya avait recopiée de la fée, lui et l'Alfirin étaient assez proches, alors peut-être que Sira avait voulu envisager d'emprunter l'Ulcère pour sauver son ami.
Alajéa poursuit :
Il avait une façon assez étrange de parler. Son ton ne changeait pas beaucoup et c'était assez surprenant. Je n'ai pas entendu beaucoup de personnes parler comme lui.
Mais ensuite, notre conversation a été interrompue par l'arrivée d'une autre fée, via la porte à double-battants. Celle que je n'ai jamais osée approcher.
Quand elle est entrée, je n'ai même pas eu le temps de regarder ce qu'il y avait derrière elle. Aussi, l'autre fée l'a appelée "maman".
Maman ? Titan est certaine que ça ne pouvait être que Delta Milliget, la mère des neuf autres fées.
Delta Milliget. Peau livide. Cheveux bleus.
La sirène lui donne raison :
Elle avait les cheveux aussi bleus que sa robe et ramenés en un chignon. Elle était vraiment belle ! Comme le modèle d'une peinture, vous savez ? Je l'ai trouvée encore plus jolie que l'autre fée et c'est quand elle s'était adressée à lui que j'ai pu comprendre que j'avais un homme face à moi et qu'il s'appelait Sira.
D'ailleurs, Sira avait l'air embarrassé, comme pris en faute. Sa mère n'a pas prêtée attention à moi et lui a dit qu'elle le cherchait depuis un long moment et qu'il n'avait rien à faire ici.
Je m'étais demandée depuis combien de temps Sira attendait dans la petite pièce, avec Céleste. D'ailleurs elle n'avait même pas pris peur à l'arrivée de la maman de Sira et je pense qu'elle la connaissait aussi très bien.
Quand la fée aux cheveux bleus m'a enfin regardée, je me suis sentie toute petite. J'avais vraiment l'impression de faire face à une créature d'un autre monde et je pensais qu'elle allait me demander ce que j'avais bien pu dire à son fils durant le peu de temps où nous étions seuls.
Mais ce n'est pas ce qu'elle fait : elle s'est excusée pour le dérangement.
Ça peut paraître idiot, mais de la part d'une personne et surtout d'une Milliget, ça m'avait parut étrange. D'habitude, les gens fortunés ne s'excusent jamais. Mais je suis contente qu'elle l'ait fait.
Je pensais qu'elle s'en irait avec Sira, mais elle est restée un petit peu et m'a parlée.
Delta Milliget aurait discutée avec Alajéa ? Cela paraît presque absurde aux yeux de Titan.
Pourquoi la mère de la famille la plus terrible d'Eldarya se serait amusée à perdre du temps avec la toiletteuse du ciralak de Sheraz Alfirin ?
Mais à en aviser le visage de la sirène, c'est cette conversation qui a changé sa vie. Et lorsque Yüljet lui demande de quoi elles ont bien pu parler, sa réponse la surprend :
Du monde.
Au départ, la discussion était centrée sur mon travail et au fur et à mesure, j'en suis venue à parler des valeurs qui m'ont amenée à travailler auprès des familiers.
Je lui avais dit que j'adorais ces créatures et le lien que l'on pouvait créer avec elles, tout comme j'adorais les paysages dans lesquels on pouvait les rencontrer. J'ai fini par lui dire que j'aimais tout simplement le monde dans lequel je vivais même si, comme toute chose, il avait sa part d'ombre.
Et elle m'a répondu qu'elle aussi, elle adorait le monde dans lequel elle vivait. Et puis elle m'a posée cette question : "Vous savez qu'il se meurt ?".
Oui je le savais. Je le sais. Je pense que tout le monde le sait mais que la plupart des gens s'en moquent ou qu'ils espèrent repartir d'où ils sont venus.
« D'où ils sont venus ? » coupe Yüljet qui connaît déjà la réponse.
Alajéa pousse un long soupir.
« C'est un débat dont il ne faut pas parler et je n'aurais pas dû le faire. »
C'est vrai. Mais Titan est certaine que sur ce débat, elles tombent toutes les deux d'accord.
Bien entendu, nous avons parlé des sols qui ne produisent plus rien et même des endroits qui connaissent toujours la neige ou la pluie, peu importe le moment de l'année.
Puis, même si je ne la connaissais pas, même si je me trouvais face à une fée du sang, à un membre de la famille Milliget, je ne sais pas pourquoi, mais je lui ai parlé de mon projet de recherches.
La sirène sourit, puis s'explique :
« Pour élever les familiers, il faut les étudier tout en créant avec eux une relation de confiance. Vous n'êtes pas sans savoir que contrairement à nous, les familiers sont capables de se nourrir de tout ce qui pousse sur Eldarya, et même des insectes et des poissons de ce monde. Alors la grande question est : pourquoi eux et pas nous ? Pourquoi un fruit de miel serait-il nourrissant pour un dalafa et pas pour un faerien ? C'est une question à laquelle j'aimerai pouvoir répondre, lorsque j'aurai achevé mes recherches. »
Très bien. C'est un projet ambitieux qui se rapproche des travaux d'Ezarel Séquoïa et Titan pense que ce n'est pas idiot.
« Et vous avez parlé de cela avec une fée du sang ?
- Oui, répond Alajéa avec conviction, et c'est elle qui m'a encouragée à pousser mes réflexions dans cette voie et à effectuer des recherches. »
Dans ce cas, soit Delta Milliget s'est payée la tête de la sirène, soit les Milliget sont réellement contre la conquête terrienne et pour la sauvegarde du monde d'Eldarya.
Mais Yüljet peine à le croire. Dans ce cas, pourquoi ces éprouvettes de sang humain que Nash a dérobées ? Pourquoi ce parchemin mentionnant des sujets humains ?
Ça n'a aucun sens.
« La maman de Sira m'a conseillée de suivre les enseignements du Chef de la Garde Absynthe de la cité d'Eel…
- C'est elle qui vous a dit de faire ça ? » l'interrompt Yüljet, interloquée.
Alajéa lui ment. C'est ce qu'elle voudrait croire, mais l'émotion qui l'anime et son sourire radieux témoignent de toute l'affection qu'elle porte à Delta. De cette fée qui l'a encouragée à suivre ses idéaux.
« C'est pourquoi j'ai décidé de venir vivre à la cité d'Eel et de poursuivre mes recherches. Je sais que beaucoup de personnes trouveraient ce que je fait idiot, mais qu'en entrant dans la Garde Absynthe, le Chef Séquoïa pensera que ça en vaut la peine. »
Ou bien écrasera le projet dans l'œuf et Alajéa regrettera l'Ulcère. Mais aux yeux de Titan, ce serait dommage.
La conversation se termine petit à petit et si Yüljet peut regretter quelque chose, c'est d'avoir eu un jugement bien trop hâtif et établi sur un coup de colère qui aurait pu lui faire manquer cette discussion.
Ce dont la troll est certaine, c'est que l'Ulcère peut être exploité pour entrer si l'on est assez malin pour obtenir un laissez-passer. C'est une idée à creuser et elle doit la partager avec les membres de son cartel.
Le récit de la sirène s'est achevé avec le départ de Sira et Delta Milliget. Ils ont emporté Céleste avec eux et cela à marqué le départ définitif d'Alajéa dans l'Ulcère.
Si Titan ne peut pas comprendre la tendresse qu'elle porte aux fées, elle peut néanmoins admettre que celle qu'elle voue à son monde est louable. Surtout dans une époque où on ne jure que par la conquête terrienne.
Finalement, elle se sent satisfaite d'avoir attrapé la main de la sirène au beau milieu de cette foule malade.
***
En quittant le marché, quelques purrekos ont louvoyé parmi les faeriens et Yüljet a pu sentir que l'un d'entre eux glissait quelque chose de sa poche. Elle espère obtenir de bonnes nouvelles avant de songer à la suite des événements, à Fawkes et à Fuya.
Comme pour la ramener à sa conversation avec Alajéa, le mot de passe du message scellé mentionne "la messagère de la mission originelle".
Céleste
Après avoir extirpée le parchemin, Titan a pu aviser l'écriture de Ryan et sa réflexion sur les analyses de sang humain :
Le talez 16 du mois de mimouet,
Rapport sur la analyses de sang humains,
Titan,
J'ai bien réceptionnée les éprouvettes de sang humain que tu m'as fait parvenir par le biais de Rose.
J'ai également consulté le parchemin qui les accompagnait et je me suis servi du nom des sujets pour établir le rapport dont je vais te faire part.
Néanmoins je tiens à rappeler que je ne suis pas médecin mais experte en poisons. De ce fait, mes connaissances du corps et du sang se limitent à la façon de mieux les détruire qu'à les soigner.
Aussi, mes connaissances en anatomie et biologie humaine sont très pauvres.
Cependant, j'ai pu établir une hypothèse :
Je rappelle les informations du parchemin accompagnant les éprouvettes de sang humain :
Sujet humain "Élie", Mâle, 49. Prélevé en 477 (sujet ancien et décédé). Éprouvette E7.
Sujet humain "Erika", Femelle, 19. Prélevée en 479 (sujet en vie). Éprouvette E11.
Sujet humain "Yeva", Femelle, 29. Prélevée en 481 (sujet en vie). Éprouvette Y5
Sujet humain “Lazlo”, Mâle, 9. Prélevé en 482 (sujet décédé). Éprouvette L1
Le prélèvement le plus récent est celui du sujet humain "Lazlo", réalisé l'année dernière. C'est donc son sang que j'ai tenté d'analyser en priorité.
J'ai utilisé le contenu de son éprouvette avec parcimonie et ce que j'ai voulu déterminer, c'était la santé du sujet humain.
Comme tu le sais, je ne possède pas de matériel qui me permette de révéler la présence d'une maladie, mais l'idée qui m'est venue en tête, c'était celle de tester l'impact environnemental d'Eldarya. De ce fait, j'ai choisi de tester le sang humain pour le soumettre à des fragments de maanas.
Une goutte de sang = un fragment
J'ai donc testé le sang du sujet humain Lazlo en premier, puis, dans cet ordre, celui des sujets humains Yeva, Erika et Élie.
J'ai effectué cinq tests pour chacun des sujets et ensuite, j'ai concocté des philtres oxymetris afin de mesurer le taux d'oxygène dans le sang humain.
Voilà la conclusion :
Soumis à un fragment de maana, le sang humain s'appauvrit en oxygène. Le processus est minime et s'observe sur la durée, mais il est bel et bien présent.
Établir une hypothèse après avoir observé du sang entrer en contact avec des fragments de maana est litigieux, mais je pense que l'effet du maana sur l'organisme humain agirait comme un poison.
Si mon hypothèse est juste, alors les êtres humains sont incapables de survivre sur Eldarya.
J'ai bien entendu mis les éprouvettes et le sang restant en sûreté, tout comme le parchemin. À toi de voir ce que tu veux penser des résultats.
Ryan
Les Choix
Titan a appris beaucoup d'informations, que ce soit lors de sa conversation avec Alajéa Edam, ou bien le rapport de Ryan sur les éprouvettes de sang humain.
La cheffe du cartel des Typhons a pu regagner la chambre qu'elle occupe chez Twylda, comme chaque soir, et là, elle peut songer à la suite des événements.
Cependant et à cause de la présence de Shakalogat Gra Ysul au sein de la cité d'Eel, ses actions sont limitées.
Que devrait-elle faire, selon vous ?
➜ Répondre au rapport de Ryan pour lui demander de pousser ses recherches sur l'empoisonnement du sang humain, à cause du maana.
➜ Prendre contact avec Nash, à Rhenia-Gaear, afin de lui demander d'enquêter sur l'Ulcère.
➜ Prendre contact avec Sexta, restée à la planque d'Odrialc'h, afin de lui demander de se renseigner sur les prochains évènements qui auront lieu au sein de la cité, en rapport avec les personnalités du palais.
➜ Prendre contact avec Sexta pour lui demander de soudoyer une petite frappe d'Odrialc'h afin qu'il se rendre auprès de l'Ulcère et qu'il fasse un rapport.
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
June a choisi de se rendre à l'hôpital afin de s'enquérir de l'état de Helouri. Lorsqu'elle est arrivée, le jeune morgan dormait profondément, épuisé par son accident.
Joseph était à ses côtés et June peut voir qu'il s'en veut profondément de ne pas avoir su agir. Que devrait-elle faire ?
➜ Entrer dans la chambre et aller lui parler.
➜ Entrer dans la chambre et aller s'excuser.
➜ Ne pas entrer et rester dans le couloir, à l'attendre.
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo :
Lilymoe avait raccompagné Fuya dans sa chambre avant l'accident et heureusement qu'il l'a fait, sans quoi la sirène aurait pu valser de sa chaise roulante.
Fuya est reconnaissante de ce que Lilymoe fait pour elle et elle se souviendra de sa gentillesse.
Lilymoe a eu connaissance de l'accident de Helouri par Ewelein. Il sait que Jens Red a plongé pour le sauver et que c'est le seul qui a agi.
En cet instant, il se tient entre deux chambres. Que devrait-il faire ?
➜ Entrer dans la chambre de Helouri Ael Diskaret et discuter avec Joseph (et peut-être June)/
➜ Entrer dans la chambre de Jens Red qui culpabilise à cause de l'accident. Mais la chambre est fermée et il entend une autre personne en train de parler à l'intérieur. La voix est gutturale.
➜ Retourner voir Fuya et la mettre au courant de ce qui est arrivé à Jens Red.
UNIQUEMENT pour Waïtikka :
Ce qui devait arriver est arrivé ! Tu as encore une chance de modifier ton choix si tu le souhaites. B)
Jens Red peut également poser deux questions maximum pour essayer d'obtenir des informations. Mais c'est à toi de les trouver.
Petit indice pour t'aider si tu choisis de t'orienter vers cette voie : pense à ce que Fawkes a déniché à la bibliothèque.
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous ! J'espère que vous passez un bon dimanche et avant d'entamer la lecture de ce nouveau chapitre, j'ai quelques petites choses à vous dire :
➜ Trigger Warning. Ce chapitre va aborder un sujet sensible qui est celui de pensées très négatives menant à l'idée de se supprimer. Il a été écrit de manière à respecter les règles du forum cependant, je préfère tout de même prévenir.
➜ Vous pouvez retrouver le rapport de Ryan sur ses analyses de sang humain sur sa fiche, dans la Bibliothèque d'Apotheosis.
Voilà voilà ! À présent je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 13 - Au Bord des Yeux
Elle commence à regretter sa promesse.
Quand elle était parvenue à soudoyer Twylda Chrysomallos pour une chambre pendant les sélections, Yüljet lui avait promis de n'y rester que pour dormir.
Elle partait tôt le matin et rentrait tard le soir. Une véritable épreuve depuis que la Capitaine se tenait au saint de la cité d'Eel.
D’ordinaire les riches restent entre riches et fuient les pauvres comme si leur misère pouvait être contagieuse. Mais pas Shakalogat Gra Ysul.
Imprévisible, elle rodait dans le refuge, les rues qui menaient au centre-ville et le kiosque central. Elle s'aventurait vers les grandes portes blanches pour saluer les gardes et les guetteurs pendant que Titan ne pouvait que tenter de faire corps avec l'environnement pour devenir invisible.
Eel resserrait son étau autour d'elle et lorsque les sélections prendraient fin, elle serait morte d'asphyxie. Elle pouvait d'ores et déjà sentir la poigne puissante et chimérique de la Capitaine autour de son cou pendant que sa mémoire la conduisait vers la salle d'interrogatoire.
Ignoble pièce monstrueuse et insalubre où personne ne l'entendrait crier.
Comme elle veut changer son visage…
Pourtant, elle doit continuer.
Yüljet avait écrit une missive à l'attention de Sexta. Ses informations sur l'Ulcère fraîchement couchées sur du papier, elle s'était dépêchée de se rendre au marché quelques jours plus tôt, avant qu'il ne soit pris d'assaut par Shakalogat.
Les purrekos effectueraient leur travail et le message parviendrait jusqu'à Odrialc'h, elle n'en avait aucun doute. Sexta saurait trouver une petite frappe facilement influençable et avide d'argent pour aller explorer les lieux, puis faire son rapport.
À présent, Titan se trouve en train d'attendre.
Pas de nouvelles de Fawkes, pas de nouvelles de Fuya et aucun moyen d'entrer en contact avec eux sans les mettre en danger.
Seule avec son doute et le spectacle d'une scène en train de se construire, elle garde les yeux ouverts et laisse son esprit tourner.
Titan profite du calme de l'aube et des lieux tant que la Capitaine dort encore. Elle se réveillera bientôt, elle le sait. Shakalogat Gra Ysul est matinale.
Quand elle aura avalé son petit déjeuner, quand elle se sera habillée, quand elle aura salué tous les membres de l'Étincelante qui l'honorent dans leurs prières, elle s'en ira quérir les ouvriers en train de changer le kiosque central en mascarade.
Les sélections se dérouleront ici, sous le regard du cerisier centenaire ainsi que l'arche fleurie du parc de la Fontaine. La couverture ciselée et ornementée de l'architecture abritera la Capitaine, le Chef Batatume et Miiko Yamamura. L'une juge des sélections et les deux autres… un simple acte de présence sûrement.
Yüljet observe les travaux laissés à l'abandon par des ouvriers qui se montreront bientôt. Des tribunes en bois prennent forme petit à petit pendant que l'herbe entourant le kiosque se fait faucher. Les participants auront tout le loisir de montrer leurs talents sur un terrain ras et impeccable.
Quant aux décorations, Titan imagine sans mal qu'il y aura les blasons des quatre Gardes, des banderoles de couleurs et que chacun et chacune se présentera dans ses plus beaux habits.
D'ailleurs, ceux qui n'ont pas payé pour assister aux sélections se verront refuser l'entrée d'un lieu d'ordinaire accessible à tous. Quelle ironie.
Mais Yüljet saura trouver une faille pour garder un œil sur la mascarade : si elle connaît déjà l'identité du vainqueur qui composera la garde rapprochée d'Ysul Gra Bolumbash, il sera alors facile de mettre au point une stratégie pour le vaincre... Quand le cartel aura trouvé un moyen d'accéder au palais.
Alors qu'il s'agisse de Joseph Ael Diskaret, de June Albalefko, de Shawata Maliwe ou bien du couple Katel'li et Byrnrael Brezelour, si l'un d'entre eux se dresse entre les Typhons et Sheraz, il sera terrassé.
Titan espère que Sexta parviendra à obtenir de bonnes nouvelles concernant l'enquête de l'Ulcère.
Cela lui éviterait de songer à la proposition de Purral et de Purriry.
Impossible. Impossible de songer à sacrifier quelqu'un même pour entrer dans le palais.
Yüljet pousse un long soupir. Elle trouvera une solution et elle sait que de leur côté, Fuya et Fawkes tiennent bon. Ils gardent leurs sens en alerte en attrapant la moindre information susceptible d'être importante.
Titan a hâte d'obtenir leurs rapports. Et de rentrer à Odriacl'h, aussi. Elle se sentira moins inutile là-bas.
« Bonjour. »
Elle manque de fermer les yeux. C'est un schéma qui se répète trop souvent à son goût et si elle doit être honnête, elle est incapable de déterminer si cela lui manquera ou non.
Yüljet sait que proche d'elle se tient Mery avec son sac besace qui semble bien trop lourd pour lui. Le petit brownie est matinal comme toujours et à force de l'entendre, la troll devine qu'il va aller rendre visite à Balam, ou bien à Viktor.
« Tu vas voir les guetteurs ? demande-t-elle distraitement.
- Non. C'est toi que je viens voir. Tu es parti plus tôt de la maison, ce matin alors je pensais que tu allais partir sans rien dire. »
Un petit peu trop observateur, le gamin. Mais il avait raison : Yüljet était parti plus tôt parce qu'elle anticipait le passage de la Capitaine au refuge ou à l'école.
La Sainte Légende se permettait même d'aller voir les enfants et de les gratifier de sa présence. Cela faisait plaisir à Mery, d'ailleurs, qui avait eu l'audace de lui demander pourquoi elle portait les cheveux si longs.
Parce que quand les orcs sont arrivés sur Eldarya, avoir de très longs cheveux était signe de force, avait-il raconté à Titan, Et que même si les orcs d'aujourd'hui veulent oublier la sauvagerie de leurs ancêtres, la Capitaine pense que l'on ne peut quand même pas les renier. C'est bien, non ?
C'était bien pour une histoire racontée à un enfant, en effet.
Yüljet savait que Mery retiendrait ce détail, aussi futile soit-il et ça, c'était quelque chose qu'elle-même n'oublierait pas. La vivacité d'esprit du petit brownie, sa mémoire et sa vision du monde.
S'il avait été plus âgé, il aurait fait une recrue acceptable pour le cartel des Typhons. Pourtant, Titan souhaite qu'il soit dissous une fois que Mery atteindra l'âge de raison. Cela voudrait dire que le monde irait mieux et que plus personne n'aurait besoin d'eux.
« Dis, tu as quel âge ? Et c'est quoi ton travail ? » demande le gamin en la sortant de ses réflexions.
Yüljet arque un sourcil en lui jetant un regard suspicieux. Elle le sait curieux pourtant et jusqu'à aujourd'hui, Mery ne lui a même pas demandé son prénom.
« Pourquoi ces questions ? »
Elle observe le petit brownie souffler par le nez, signe qu'il a une idée bien précise derrière la tête. L'air ennuyé qu'il arbore ne lui dit rien de bon et sous le crâne et les cornes de Mery, son cerveau doit tourner à plein régime.
Il réfléchit quelques secondes puis enfin, il se lance :
« Maman travaille beaucoup et tu sais, c'est une personne vraiment très gentille. Elle est très jolie aussi, mais elle est toute seule. Et moi, ça me rend triste de la voir seule. Alors j'ai demandé à Balam, parce que Balam est quelqu'un de bien. Mais Balam était très gêné et il m'a dit que je ne devrais pas me mêler de "la vie de cœur de ta maman". C'est dommage. Alors après, j'ai demandé à Viktor. Enfin je lui ai écrit, car Viktor il n'entend pas depuis qu'il est né, tu sais ? Mais tout ce qu'il a fait, c'est d'agiter ses bras pour me dire non. C'est vraiment bête, il est très gentil, Viktor. Mais c'est vrai qu'il est un petit peu trop jeune. Du coup, j'ai pensé au Chef Batatume mais il est trop célèbre, puis aussi le renard-garou qui a sauvé le morgan il y a quelques jours, tu te souviens ? Mais je ne le connais pas et il a l'air un petit peu vieux. Aussi, il y a l'assistant d'Ewelein qui est vraiment très gentil mais trop jeune… alors je me demandais si toi…
- Ça suffit. Tu es tombé sur la tête ce matin ? »
Tout ce charabia pour en arriver là. Si Titan avait pu imaginer ça à son réveil ! Le gamin qui cherchait quelqu'un pour conquérir le coeur de sa mère car il se sentait triste de la voir seule.
C'était bien son genre, après tout.
« C'est dommage, ronchonne-t-il, en plus, tu es déjà chez nous et moi je trouve…
- Arrête. Tu me fatigues. »
De plus, il ne faudrait pas rester trop longtemps sur le chantier des sélections. Titan peut déjà entendre les voix lointaines des ouvriers en train de se rendre sur leur lieu de travail alors d'instinct, elle se met à marcher. Yüljet sent son coeur s'emballer, ses oreilles capter le moindre son et à la seconde où elle prend pleinement conscience de son environnement, elle redevient une proie.
Si elle se dirige vers le refuge, elle s'expose. Si elle reste sur le chantier des sélections, elle est exposée quoi qu'il arrive. Si elle se rend du côté de la grande porte blanche, ce sont les guetteurs qui ne manqueront pas de la repérer.
Et bien entendu, l'ombre de la Capitaine plane tout le temps.
D'un pas rapide, Titan obéit à son intuition et s'enfonce dans le parc de la Fontaine. Elle n'a jamais été plus loin que le petit muret du premier bassin mais cette fois, elle décide de gagner les jardins de la Musique.
Elle s'arrête et regarde l'immensité des plantes, ruisseaux et du grand étang qui se tiennent sous ses yeux. Si elle avait été une touriste ordinaire, elle aurait pu prendre le temps d'admirer la beauté d'un piano fleuri en train de pleurer une eau claire, des nymphéas flottant avec paresse, du chemin faisant le tour de toutes ces merveilles ou même des trois entrées avec leurs superbes arches.
De grands arbres aux longues branches-lianes pendantes forment des rideaux naturels et juste pour cette fois, juste pour maintenant, ils sont une cachette idéale.
« Je suis désolé si je t'ai vexé. » chuchote une petite voix.
Titan manque de s'agacer. Le gamin l'a suivie dans son entreprise et trop occupée à veiller sur elle-même, elle ne l'a pas remarquée. Elle se retourne avec des gestes vifs et s'accroupit face à lui :
« Je ne suis pas vexée, d'accord ? Mais maintenant, tu devrais aller à l'école.
- Tu me le jure ? »
Oui, elle a juré. Mery avait l'air d'avoir regretté la conversation précédente et si Yüljet ne pouvait pas lui dire qu'elle se fichait royalement de sa recherche du parfait prétendant ou bien de la parfaite prétendante pour sa mère, elle ne tenait pas à le voir peiné.
À présent seule au cœur des jardins de la Musique, elle espère se tenir à l'abri du chaos. Les arbres sont là pour la protéger des regards et comme elle ne peut rien faire d'autre que penser, c'est l'endroit idéal.
Pourtant, la faune est perturbée. Titan se fige. Des sons étouffés, de l'herbe écrasée. Des pas ?
Elle tourne la tête et perçoit un petit bruit léger, presque inaudible. Du cuir en train de s'entrechoquer… une paire de chaussures tenue à la main, peut-être ?
Avec prudence, elle passe une main entre les lianes et jette un regard attentif au décor. Seuls les nymphéas et les instruments abandonnés aux ruisseaux lui parviennent, jusqu'à ce qu'elle attrape une peau de glace et des écailles d'argent.
Surprise, Yüljet observe de plus belle.
Elle reconnaît sans mal le morgan qui est tombé du port. Celui que Fawkes a sauvé de la noyade.
Il se tient là, à marcher vers une berge, ses yeux perdus sur l'étendue d'eau. Jamais il n'a paru si frêle et fragile qu'en cet instant.
Les pieds nus sur l'herbe fraîche, ses boucles nacrées offertes à la brise d'Eel et sa silhouette vêtue d'habits trop légers pour la saison, il ressemble à un château de cartes prêt à s'écrouler.
Son visage affiche des traits fatigués. Titan ne savait même pas qu'il était sorti de l'hôpital.
Les secondes s'étiolent et il ne bouge pas. Le ciel a même le temps de se gâter et de cracher une pluie fine. Il faut croire que l'eau en veut au jeune morgan.
Yüljet a la poitrine qui lui pince. Elle ressent un doute profond, affreux, la submerger et une pensée creuse pour se hisser jusqu'à son esprit.
Elle regarde le gamin Ael Diskaret, puis l'étang. Elle se demande si l'étang serait assez profond pour l'avaler tout entier et aussi, elle ne peut pas s'empêcher de guetter les yeux de Helouri, rivés sur la surface calme de l'eau claire.
Il ne va pas…
« Vous ne tenez pas à répéter l'expérience ? »
Cette fois, c'est la peur qui vient s'agripper. D'instinct, Titan se recule derrière les lianes et cherche un mur pour s'y plaquer. Mais celui des jardins est trop loin.
Là, ils accueillent une grande silhouette massive, une natte de feu et du cuivre battu par le crachin de la cité blanche.
Shakalogat Gra Ysul jure avec les jardins. De toute manière, elle jure avec tout.
Le jeune morgan a fait volte face et même si Yüljet ne le voit presque plus, elle devine son visage fendu de surprise. Qu'est-ce que la Légende vient faire en ces lieux et surtout, pourquoi s'adresse-t-elle à lui ?
Helouri n'est connu que pour avoir frôlé la mort et encore, son accident n'est plus dans toutes les mémoires. Titan inspire, expire, respire et fait un pas en avant. Depuis la fente offerte par les lianes, elle arrive à distinguer des couleurs.
Le jeune morgan est une palette de bleus et Shakalogat quant à elle, n'est pas vêtue de son armure.
La Légende n'est qu'une orc pourvue d'un pantalon noir, ainsi que d'un simple corset. Elle n'a même pas de chaussures et d'apparaître ainsi, ça lui enlève presque la moitié de son piédestal.
Si Helouri a dit quelque chose, alors il a murmuré. La troll n'entend aucune réponse de sa part mais qu'importe. Shakalogat se remet à parler :
« La nouvelle de votre lit vide à l'hôpital s'est répandue dans le Quartier Général. Vos parents sont à votre recherche et votre amie également. »
Alors c'était bien cela : Helouri s'est enfui de l'hôpital. Le jeune morgan baisse la tête, pris en faute et il fait un pas en arrière. Ses mains glacées lâchent ses sandales de cuir et viennent tordre le tissu vaporeux de sa tunique.
« Vous… vous… parvient-il à articuler, me…
- Oui, le coupe la Capitaine d'un ton grave, lorsque j'ai entendu la nouvelle, je me suis hâtée pour vous retrouver. Afin que vous ne puissiez pas accomplir la bêtise que vous vous apprêtiez à faire. »
Yüljet ferme brièvement les yeux. Elle avait donc vu juste quand l'affreux doute l'a envahie.
Quel gamin idiot. Il se sent idiot, elle en est certaine quand elle le voit croiser les bras, sa poitrine montant et descendant au rythme d'une respiration qu'il ne contrôle plus.
Dans quelques secondes, il fondra en larmes et il dira qu'il a voulu faire ce qu'il a failli faire parce qu'il n'est qu'un poids pour autrui.
Il est comme les parasites : il s'accroche à toutes les personnes qu'il croise sur son chemin en espérant qu'elles le rendent plus fort.
Titan ne sait même pas pourquoi ça l'énerve. Peut-être parce que le jour où Shakalogat l'a attrapée par le cou, elle était un petit peu comme lui.
Sur la berge, Helouri porte une main à sa gorge. Elle se met à trembler, tout son corps se met à trembler et sa vaine tentative de paraître digne devant la Légende vole en éclats :
Je… J'ai… Honte.
Derrière cette phrase entrecoupée par les sanglots, Yüljet ressent beaucoup d'émotions. Elle ignore s'il a honte d'avoir été pris en flagrant délit, s'il a honte de l'inquiétude qu'il impose à ses parents ainsi qu'à June à cause de sa fuite ou s'il s'agit d'autres choses.
« De quoi avez-vous honte ? » demande la Capitaine d'une voix très calme.
Les mains du jeune morgan se resserrent autour de son cou comme s'il voulait s'étouffer. Ses jambes semblent se dérober sous le poids de cette honte qu'il invoque et il s'échoue à terre, l'air encore plus faible qu'il ne l'est déjà.
« De moi. De mes branchies atrophiées qui m'empêchent de respirer sous l'eau. Du poids que je suis pour ma famille et pour June. Je… je n'ai jamais rien apporté de bon à qui que ce soit. De la déception et de l'inquiétude. »
Shakalogat s'accroupit à son tour, face à la détresse de Helouri. Ni elle, ni Titan se sauront si le jeune morgan aurait réellement pu passer à l'acte, mais Yüljet sent sa propre peine la frapper en pleine poitrine.
Elle aurait préféré penser que Helouri, là-bas, n'était qu'un gamin geignard en train de pleurer dans les jupes de la Capitaine, pour changer de celles de June, de son père ou de sa mère.
Mais la souffrance est réelle et même la beauté des jardins s'estompent pour laisser place à une atmosphère sombre et lugubre. Il ne ferait pas bon de s'y promener pendant que Helouri verse des larmes parce qu'il a honte de lui-même.
« Ce que vous venez de décrire, c'est l'image que vous avez de vous-même, déclare Shakalogat, mais celle de vos proches est certainement différente. »
Le jeune morgan ne semble pas convaincu. Fixant le sol, il se voûte un petit peu plus, ses longs cheveux nacrés coulant sur ses épaules comme deux morceaux de nuage.
« Vos branchies sont atrophiées, c'est vrai, poursuit la Capitaine, mais elles ne déterminent pas qui vous êtes. Vous pouvez vivre avec elles et je suis certaine que ce n'est pas impossible. »
Helouri relève subitement la tête. Shakalogat vient d'énoncer une évidence pourtant, cela semble sonner différemment à ses oreilles.
« Vous vous décrivez comme un poids pour votre famille et votre amie. Vous dites que vous n'avez jamais rien apporté de bon à qui que ce soit, mais avant de songer à autrui, vous devriez peut-être vous autoriser à vivre. Vous apporter du bien, à vous, avant de le partager aux autres. »
S'apporter du bonheur pour ensuite le partager. Pour Helouri qui a l'air d'avoir toujours fait en sorte de ne pas déranger qui que ce soit avec sa personne, est-ce que ce serait seulement possible ? Titan pense qu'il ne parviendra jamais à s'accepter et qu'il continuera d'être porté par ceux qui l'aiment et qui le considèrent comme fragile.
Néanmoins, il semble tout de même réfléchir aux paroles de la Capitaine. C'était facile, après tout : il pouvait vivre loin de l'eau et tant pis s'il était incapable de s'y immerger sans s'y noyer.
Certes, mais pour le jeune morgan, ça n'avait rien d'une évidence.
« Je ne sais pas si je pourrais m'apporter de la joie… c'est… »
Yüljet ne saura jamais s'il allait dire "impossible". Shakalogat non plus, sûrement, mais en gardant sa sérénité sous contrôle, elle s'affirme en une force tranquille, même dépourvue de son armure.
Helouri n'a pas baissé les yeux. Il fixe le visage de la Capitaine. Il l'admire, certainement, en la considérant comme une Légende, tels tous les habitants d'Eldarya.
« Soyez heureux. Persévérez. »
Il verra bien. Il se relèvera et décidera d'avancer ou alors il se laissera de nouveau abattre et reviendra dans ces jardins pour une dernière promenade, s'il ne choisit pas le port un jour où il sera désert.
Yüljet se recule. Ses esprits reviennent et délaissant la scène, elle tourne son regard d'onyx vers l'entrée qu'elle a empruntée plus tôt, celle qui mène vers le kiosque central. Elle n'en est pas loin.
La troll serre les dents. Elle sait où se trouve la Capitaine. Elle sait qu'en cet instant, l'hôpital du Quartier Général est en alerte après la fuite d'un patient soupçonné d'aller commettre l'irréparable.
Peut-elle tenter ? Peut-elle profiter de ce laps de temps pour aller fureter sur les lieux ?
Là, à l'extrémité du marché, juste face au Quartier Général, peut-être trouvera-t-elle Fawkes ou Fuya en train de guetter la foule, dans l'espoir de la trouver et lui transmettre un rapport.
Peut-être.
Je ne peux pas.
La voix d'Helouri lui échappe quand elle ne devient qu'un souffle.
Je ne peux plus vivre avec moi-même.
Illustration réalisée par Fievel
Les Choix
Quelques jours après l'accident et sa rencontre avec Alajéa, Yüljet a finalement fait parvenir une missive à Sexta, lui demandant de soudoyer une petite frappe pour enquêter sur l'Ulcère.
En attendant une réponse et un rapport, Titan se sent prise au piège au sein de la cité d'Eel, car la Capitaine est partout.
Ici, Shakalogat Gra Ysul se tient aux jardins de la Musique, en compagnie de Helouri Ael Diskaret qui a fuit l'hôpital avec l'idée de commettre l'irréparable.
La Capitaine est avec lui, en train de lui parler. De ce fait, Titan a peut-être une chance de se rapprocher du Quartier Général et de profiter du chaos, en espérant pouvoir entrer en contact avec Fawkes ou Fuya.
Doit-elle tenter le coup, selon vous ?
➜ Quitter les jardins de la Musique et tenter le coup en se rapprochant du Quartier Général.
➜ Rester cachée et attendre le départ de la Capitaine.
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
Helouri s'est enfui de l'hôpital et ses parents, ainsi que June, sont fous d'inquiétude. Ils sont tous parti à sa recherche cependant, qui June a-t-elle accompagnée ?
➜ Elle est partit avec le père de Helouri, Joseph Ael Diskaret.
➜ Elle est partit avec la mère de Helouri, Cristal Ael Diskaret
➜ Elle est partit seule de son côté.
➜ Elle est partit avec Ewelein.
Waïtikka et ZuzoHyo, pas de choix pour vous dans ce chapitre, ce sera dans le prochain !
Note de l'Auteur
Bien le bonjour à vous !
Nous voici avec ce quatorzième chapitre d'Apotheosis, un petit peu plus long que les autres, mais vous comprendrez pourquoi.
Je préviens d'ores et déjà qu'à l'issue de ce chapitre, vous allez vous confronter à votre premier choix charnier, un choix important qui impactera fortement la direction que prendra l'histoire.
Rassurez-vous : vous aurez quinze jours pour faire votre choix, et plus si besoin.
Sur ce, je vous laisse avec le chapitre et je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 14 - La Chute
Je ne peux plus vivre avec moi-même.
Les paroles du jeune morgan brisé sont déjà loin. Yüljet l'abandonne en compagnie de la Légende, puis elle fuit.
Les arbres des jardins de la Musique, avec leurs longues branches l'accompagnent et la couvrent alors qu'elle s'applique à rendre ses pas plus doux.
Les oreilles de la grande sentinelle sans armure sont un piège qui se refermerait au moindre bruit suspect, les yeux de la guetteuse d'Odrialc'h attraperaient son visage pour le détruire et sa bouche aux crocs saillant cracherait l'ordre qui mettrait un terme à sa vie.
Fuir ou se cacher. Tels sont les choix d'une proie face à un prédateur trop grand pour elle.
Titan a choisi la fuite. Ensuite, elle choisira le risque.
La sortie des jardins n'est pas loin. Elle peut d'ores et déjà entendre les voix des ouvriers qui œuvrent sur le chantier des sélections. Trop occupés à charrier du bois et du métal, ils ne laissent pas leurs regards s'égarer, mais une troll grande et massive ne peut pas se fondre dans un joli décor.
Rabattant la capuche de sa longue veste couleur sauge, elle quitte l'antre qui assiste à la sombre peine de Helouri. Le crachin d'Eel fonce le vert de sa tenue et Yüljet souhaiterait, plus que jamais, se transformer en arbre pour éviter les coups d'œil.
Là, un ouvrier transportant une planche, ici un autre en train de polir le bois grâce à un papier sur lequel on a collé des grains de sable et là-bas, les coups de marteau résonnent. Des corps et des outils s'affairent pour construire les plus beaux gradins prêts à accueillir les fervents admirateurs de Shakalogat Gra Ysul.
Le jour des sélections sera encore plus infernal que celui où la Capitaine est arrivée à la cité blanche.
Est-ce qu'un autre accident aura lieu ?
Dans l'esprit de Yüljet, le décor recèle d'obstacles. Pour atteindre son objectif, elle doit quitter le kiosque central, traverser le refuge, rejoindre le centre-ville et se rapprocher du Quartier Général. Elle se tiendra face à l'immense bâtisse comme une vagabonde au bord d'un précipice qui tenterait de se tenir au plus près du bord.
La route est encore longue mais la panique engendrée par l'évasion du jeune morgan devrait lui permettre de se fondre plus facilement dans la foule. Tout ce qu'elle souhaite, c'est que Fawkes, Fuya ou Rose aient eu la même idée.
Depuis que la Capitaine est à Eel, Titan a l'horrible sensation de se trouver au beau milieu d'un piège qui se referme petit à petit. Elle serait dans la mâchoire d'une plante hideuse, engluée dans ses enzymes et se décomposant sans même sans rendre compte, trop occupée à guetter les visages susceptibles de la regarder.
C'est ce qu'elle est en train de faire au refuge : elle observe, elle se méfie et elle prête attention au moindre détail suspect.
Si on avait demandé à Yüljet de parcourir un couloir truffé d'ocemas endormis avec la consigne de n'en réveiller aucun, ce serait assez similaire à ce qu'elle vit. Mais les habitants du refuge sont trop occupés à admirer le chantier du kiosque central ou bien à noircir leurs lèvres avec le tap.
Quoique… depuis que Shakalogat daigne leur rendre visite, ils sont un petit peu plus prudents.
Lorsqu'elle atteint le centre-ville, Titan peut aviser que la fuite de Helouri ne s'est pas répercutée aussi loin. Les touristes continuent de flâner, s'abreuvant dans des salons de thé ou bien des tavernes qu'ils connaissent certainement par cœur à présent, et se remplissant la panse dans des restaurant hors de prix. La place qui arbore son panneau d'affichage voit ses pavés blanc crouler sous les pieds d'une population cherchant à dépenser son temps dans des instants que seul leur or peut lui offrir.
Il faut bien vivre en attendant les sélections et Eel recèle de remèdes contre l'ennui.
Ils sont si centrés sur eux-même que Yüljet parvient à se glisser sans encombres entre leurs beaux vêtements et leurs parures. De là où elle est, elle peut apercevoir le toit du Quartier Général et quand elle grimpera les marches blanches menant au marché, elle le verra tout entier.
Il ne bougera pas, la guettant de toutes ses fenêtres. Cet énorme monstre d'ivoir a déjà avalé Fawkes et Fuya pour les envoyer dans son hôpital et il garde Rose en lui chaque jour passant.
Titan doit avouer qu'il est une merveille d'architecture et en dehors d'Odrialc'h, c'est assez rare. Mais il est surtout le cœur d'Eel.
Il recense le savoir, la médecine, la police et le corps armée, sans oublier l'énorme cristal dont la cité blanche à la responsabilité depuis qu'Odrialc'h le lui a légué.
Tout le monde le sait : le jour où il se brise, c'en est fini d'Eldarya. Tant qu'il est là, on peut vivre même si les sols restent stérile.
C'est mieux que rien.
La présence de Yüljet sur le marché n'a pas échappé aux purrekos. Même s'ils restent concentrés sur leurs affaires ou bien leurs négociations avec les clients, leurs yeux félins attrapent la troll au passage pour la consigner dans leurs mémoires.
Ils ont tout le temps de le faire car arrivée aux confins du marché, Titan s'arrête et observe. Tel une prisonnière essayant de contourner l'échafaud, son regard onyx s'attarde sur chaque mouvement de foule, chaque silhouette qui entre et sort du ventre de cet imposant édifice et même chaque pierre.
La porte considérable s'ouvre et se ferme pour avaler les gardiens ou bien les recracher. Certains d'entre eux se pressent, courent et ont peut-être la mission de retrouver Helouri.
Ça grouille devant le Quartier Général et ça grouille aussi à l'intérieur.
Yüljet s'attelle à la recherche d'un renard-garou, d'une sirène ou d'un vampire.
Elle attend… attend… jusqu'à ce qu'elle sente un mouvement qu'elle ne connaît que trop bien. Quelqu'un vient de glisser quelque chose dans la poche de son manteau.
Contenant son impatience, Yüljet plonge lentement sa main, tâtonnant pour venir chercher un petit morceau de parchemin chiffonné.
Quand elle le déplie, elle peut aviser que les mots n'ont pas été griffonnés à la hâte. Eux aussi avaient prévu la même chose.
Troisième ruelle. Derrière l'herboristerie.
Bien.
Pas d'empressement, pas de gestes vifs, de brusquerie, mais simplement une troll qui rebrousse chemin après avoir admiré le Quartier Général. Beaucoup de touristes font la même chose.
Yüljet s'enfonce à nouveau dans le marché, comptant les ruelles qui s'étendent derrière les étals comme des sillons. La plupart doivent mener à des entrepôts permettant aux marchands de renouveler régulièrement les fournitures qui s'écoulent, mais visiblement, l'une d'entre elles fait exception.
Titan parvient à trouver l'herboristerie et elle comprend pourquoi les auteurs du message l'ont choisie. Le présentoire s'écarte du passage pour laisser un libre accès à la ruelle qui est en réalité un long chemin vers un autre quartier d'Eel. Yüljet ignore où il peut bien mener mais elle s'en moque, car elle les aperçoit enfin.
La longue chevelure rose dragée de Fuya, la silhouette stoïque de Rose et les attributs animaux flamboyants de Fawkes.
Le visage de leur cheffe reste le même, mais un nœud dans sa poitrine se défait. Un soulagement immense l'envahit quand elle constate qu'ils vont bien, puis l'inquiétude la rattrape bien vite.
« Cheffe. » souffle Fawkes d'un ton grave.
« Cheffe. » salue Rose d'une voix éteinte.
Fuya, quant à elle, ne dit rien. La sirène a le teint livide, puis les yeux larmoyants. Son corps frêle est soumis à des tremblements réguliers et les bandages autour de son cou ne la rendent que plus fragile.
Elle se tord les doigts, le dos collé au mur de la ruelle. Yüljet a l'impression de la revoir après leur séjour à Rhenia-Gaear.
La troll écarquille ses yeux sombres.
« Le p'tit a quitté l'hôpital, lâche Fawkes, mais tu le sais sans doute déjà. Ça a créé de la panique partout et on s'est dit que t'en profiterais peut-être pour essayer de récupérer nos rapports. On s'est pas trompés. »
Titan se tourne vers le renard-garou. Il lui adresse un frêle sourire mais ses yeux sont éteints. Le ventre de Yüljet se tord alors qu'elle se prépare à recevoir la terrible nouvelle qu'ils s'apprêtent à lui annoncer.
Quelque chose ne va pas.
« Dites-moi ce qui se passe. » tranche-t-elle.
Le temps dans cette ruelle doit être limité. Ils sont cachés, mais pas invisibles et si la Capitaine ou l'un de ses minaloo les trouvait ici, elle serait condamnée et eux avec elle.
Fawkes et Rose échangent un regard. Comme d'ordinaire, le binôme de la cité d'Eel communique dans son propre langage et ils semblent sceller un accord mutuel, puisque le renard-garou reprend la parole :
« Cheffe, j'ai un rapport à te faire. »
Fawkes pose une main protectrice sur l'épaule de Fuya qui ferme les yeux si fort qu'elle laisse perler des larmes et Titan doit lutter contre la tempête qui commence à se lever dans ses entrailles.
Un frisson court le long de sa colonne vertébrale et pour une raison qu'elle ne connaît pas encore, elle sent le grand piège de la cité d'Eel se refermer définitivement sur elle.
« Le jour où la mégère est arrivée à Eel, il y a eu un grand mouvement de foule. Fuya a failli tomber de sa chaise roulante et moi, j'ai été poussé vers le beau monde. » reprend Fawkes.
Oui, Titan s'en souvient. Elle était là et elle a tout vu. Le renard-garou a provoqué l'accident sans le vouloir et n'a pas hésité à plonger pour sauver Helouri.
« J'ai été bousculé, j'ai poussé le gamin sans faire exprès, poursuit-il, et il est tombé à l'eau. Je me souviens pas exactement de ce qu'il y a eu ensuite, je sais juste que j'ai plongé et que j'ai été le chercher. »
June avait hurlé, le père de Helouri s'était retrouvé sidéré mais Ewelein avait effectué les premiers soins sans attendre avant que le jeune morgan, inconscient, ne soit emmené à l'hôpital.
Fawkes s'était alors trouvé en proie aux regards des passants, mais surtout à celui de la Capitaine. Titan avait cru que les Chefs de Garde, les Mircalla ou l'escorte de Shakalogat fondraient sur le renard-garou comme s'ils étaient capables de déceler sa véritable identité.
« Quand je me suis réveillé, j'étais dans une chambre d'hôpital. J'étais crevé. Tu sais, cheffe : les nerfs qui lâchent. Ça allait parce que j'étais et je suis toujours Jens Red. Mais ça m'a pas empêché d'avoir peur.
- Peur ? » l'interrompt Yüljet.
Le visage de Fawkes s'assombrit. Il baisse les yeux un instant puis, échangeant un nouveau regard avec Rose, il s'explique :
« La Capitaine est venue me rendre visite. Je te mentirai si je te disais que je m'y attendais pas. J'étais le type qui avait sauvé le gamin malgré moi. Mais cheffe… j'avais l'impression de… d'être…
- D'être revenu en arrière. » achève Titan.
Les yeux sombres du renard-garou sondent les siens. Yüljet le comprend. C'est tout ce que la présence de la mégère peut leur inspirer de toute manière.
D'un signe de tête, elle l'invite à parler de nouveau. Shakalogat lui avait rendu visite pour quérir son état, sûrement. Mais ensuite ?
Le renard-garou secoue la tête :
« Elle a joué son rôle. La Sainte Capitaine d'Odrialc'h qui est venue me voir pour prendre de mes nouvelles, me dire que le morgan allait bien, que c'était un accident, que c'était pas ma faute, que je devais pas m'en vouloir… j'ai jamais autant voulu devenir Jens Red, cheffe. »
Yüljet s'en doute. Par bonheur, Shakalogat ne connaît de Fawkes que son nom. À la place du renard-garou, elle aurait ressentie la peur viscérale, perpétuelle d'être mise à nu, découverte et prise en traque. Encore.
Qu'est-ce que vous avez fait ?... Qu'est-ce que vous avez fait ?
Elle chasse les pensées avant de souffler un "ce n'est pas moi". Ça n'a jamais servi à rien. Jamais.
Face à Yüljet, Fawkes arbore un doux sourire.
« Heureusement qu'il est venu.
- Qui ça ? » demande subitement sa cheffe.
Les oreilles de Fawkes tressautent. Titan se demande bien quelle présence a pu le rassurer lors de la visite de la Capitaine.
Yüljet sait que la confiance du renard-garou est difficile à obtenir et que chaque faerien doit faire ses preuves. Elle n'a jamais pu lui en vouloir.
« Lilymoe, reprend Fawkes, l'assistant d'Ewelein qui s'est occupé de Fuya. Il a frappé à la porte et il est entré. Heureusement qu'il l'a fait car je me sentais pris au piège et je sais pas si j'aurai pu jouer mon rôle correctement face à la Capitaine.
- Il est très gentil. » souffle Fuya.
Son visage est toujours livide mais Titan sait que son séjour à l'hôpital du Quartier Général n'a pas servi qu'à soigner ses branchies. Il lui a apporté du réconfort et après la mission traumatisante de Rhenia-Gaear, Fuya en avait besoin.
« Oui, il est gentil, continue Fawkes, il était venu voir si j'allais bien et même si la Capitaine était là, il est resté. Il a peut-être dû penser que j'étais intimidé. Il avait qu'un petit bout de la vérité, mais c'est pas grave. C'est parce qu'il est venu que j'ai pu faire mon boulot comme il fallait et traquer l'information.
- Fawkes ! »
Yüljet se maîtrise pour ne pas hausser le ton, mais en cet instant, elle dévisage le renard-garou comme s'il venait de lui avouer son allégeance pour le grand palais d'Odrialc'h.
Il hausse les épaules et rétorque :
« C'est pour ça qu'on est là. La mégère était devant moi alors il fallait que j'essaye. Quand l'assistant d'Ewelein parlait, je pouvais réfléchir et quand je disais quelque chose, j'avais pas à regarder la Capitaine dans les yeux. Je le regardais, lui. Et c'est comme ça que j'ai pu faire un bon rapport.
- Tu as pris des risques, le réprimande Titan, et même si les raisons pour lesquelles tu l'as fait sont louables, t'exposer à la Capitaine, c'est…
- On sait pourquoi on s'engage, cheffe. Et... »
Un nouvel échange de regards avec Rose et Fuya qui ferme brièvement les yeux. Yüljet fronce les sourcils.
Elle n'aime pas ça du tout. Le récit de Fawkes concernant son entrevue avec la Capitaine n'est que l'amorce d'un chaos qui s'apprête à déferler pour tout renverser sur son passage.
« J'ai fait mon rapport, reprend le renard-garou, Fuya aussi a fait le sien. J'ai enquêté sur les présences humaines et j'ai appris quelques infos en parlant avec la Capitaine. Avec Rose on a fait quelques ébauches d'un plan pour entrer au palais et sauver Sheraz, mais…
- Mais quoi ? »
Silence.
Pourtant, les rapports de Fawkes et Fuya semblent prometteurs, sans compter les bribes de plan pour le sauvetage de Sheraz. Dans une autre situation, la cheffe du cartel des Typhons dirait que tout semble aller pour le mieux.
Mais Rose tient un parchemin dans la main. Un rouleau de parchemin extrait d'un cylindre crypté plus précisément. Titan blêmit.
Le vampire s'approche pour lui remettre le message et Yüljet voit Fuya se mettre à trembler, ses grands yeux bleus se remplissant de larmes à nouveau.
« Il faut prendre une décision, cheffe. » déclare Rose.
La sentence tombe et le cœur de Titan s'accélère. Si la sirène peut se permettre de trembler, Yüljet se l'interdit.
Elle reste droite, stoïque, les pieds fermement campés sur le sol de la ruelle et d'une grande main brune, elle attrape le rouleau de parchemin.
Qui a écrit ce message dont elle découvrira bientôt le contenu ?
« L'indice pour ouvrir le cylindre c'était "le prénom de celle que j'aime".» ajoute le vampire.
La gorge de Titan se serre alors qu'elle commence à comprendre.
Sur les trois binômes qu'elle avait formée pour les missions hors d'Odrialc'h, il n'y en a qu'un seul qui est devenu fusionnel. Un seul pour qui le doute était permis.
Lui, était certain que tout le monde savait ce qu'il ressentait pour elle. C'était si évident.
« Gabrielle.» murmure Yüljet.
L'angoisse sort les griffes pour lui piquer les entrailles. L'horreur est une vague morbide qui se languit de gonfler pour mieux la submerger, mais elle reste impassible. Elle essaye.
Son esprit lui dessine le visage de Nash et quand ses yeux noirs balayent les premières lignes écrites avec une encre qui a bavée çà et là, elle retient son souffle :
Le nephilum 19 du mois de mimouet,
Rapport sur l'activité des Milliget
Titan,
Mon rapport ne sera peut-être pas écrit correctement. C'est la remarque que tu me fais toujours, après tout, mais pour aujourd'hui, plus qu'un rapport, c'est une lettre que je veux t'écrire.
Je me trouve actuellement sur un bateau et le passeur est parti. Il a accosté sur les petites îles du Givre qui bordent la route maritime officielle vers Odrialc'h pour rejoindre une planque, sûrement, et moi, j'ai repris le bateau et je me suis posté à la frontière des Terres Gelées.
Par bonheur, mon message sera parti avant eux, avec le sowige que le passeur m'a laissé.
Tu sais, Titan, après votre départ à toi et Fuya, quand Rhenia-Gaear était prise dans le chaos, je suis resté caché longtemps. Les Milliget avaient confiné la cité et ont fait tomber la neige pendant une longue semaine en essayant de me trouver.
Je crois qu'ils ont assisté à ton départ. Gabrielle me disaient qu'ils cherchaient activement l'orc qui n'était pas parti, alors je suis resté à la planque en attendant que leur neige s'arrête.
Gabrielle me rapportait des nouvelles de l'extérieur. Les entrées et les sorties de la cité étaient contrôlées et pour contenir la panique, les autorités de Rhenia-Gaear disaient à la population que les Milliget avaient besoin d'enquêter sur une affaire d'extrême urgence.
Titan, lorsque nous étions postés à la frontière de leur domaine et qu'ils nous ont pris en chasse, j'ai dérobé quelque chose à l'un d'entre eux. Ces éprouvettes de sang que tu as emportées.
Ils les cherchent, ils nous cherchent et ils cherchent Fuya. Ils ne s'arrêteront pas tant qu'ils n'auront pas l'un d'entre nous.
Je ne sais pas ce que ce sang humain représente à leurs yeux, eux qui peuvent sûrement s'en procurer d'autres échantillons, mais si je suis sûr d'une chose : ils pensent que nous connaissons leur objectif.
J'ai pris les éprouvettes à l'aveugle. Je ne savais même pas ce que j'avais attrapé. Mais ils doivent penser que nous savons beaucoup trop de choses sur ce qu'ils font.
Les dernières nouvelles concernant les fées du sang ne sont pas bonnes. Pendant la semaine où leur neige est tombée, il y a eu du mouvement. Gabrielle a parlé de disparitions. Des petites frappes connues de la cité qui se sont soudainement volatilisées sans laisser de traces.
Elle a dit aussi que la grande université d'alchimie a été réquisitionnée par les Milliget pendant une nuit complète. Je ne sais pas ce qu'ils préparent, mais au moment où je suis en train d'écrire, ils approchent.
Titan, j'ai dit que les Milliget ne s'arrêteront pas et c'est vrai. Quand leur neige a cessé de tomber sur Rhenia-Gaear, j'ai pu quitter la planque et j'ai cherché des informations.
Les sélections qui vont se passer à Eel étaient sur toutes les lèvres, mais l'enquête menée par les Milliget aussi.
Ils n'ont rien trouvé à Rhenia-Gaear, alors ils feront tomber la neige dans les autres cités, jusqu'à ce qu'ils nous retrouvent. Tu comprends, maintenant ?
Ils ont déjà dû envoyer des missives officielles à Odrialc'h et Eel en disant qu'ils feront tomber la neige là-bas. Je sais que c'est dangereux pour vous.
Titan, toi et Fuya avez atteint Eel. Je sais que vous l'avez fait. Vous devez déjà vous trouver prisonnières de la cité blanche avec la présence de la Capitaine et Fawkes et Rose doivent être prudents.
Si la neige des Milliget tombe sur Eel, c'est fini. Vous ne pourrez pas vous cacher. Il vous sera impossible de quitter la cité et les purrekos ne vous viendront pas en aide sans une contrepartie conséquente.
Pour se dresser contre les Milliget, vous n'aurez jamais les moyens.
Cheffe, c'est moi qui ait voulu me rendre à la frontière des Milliget. C'est moi qui ait arraché les éprouvettes à la fée qui nous a attaquée et c'est moi qui n'ait pas voulu m'en tenir à la mission que tu m'avais confiée.
J'ai déjà pris ma décision.
Tu ne dois pas oublier la mission originelle : nous devons sauver Sheraz Alfirin. Alors s'il te plaît, fais-le.
Ici et maintenant, je suis certain de ce que je m'apprête à faire. Dans peu de temps, les Milliget se montreront sur leur bateau et je me rendrai.
Comme je l'ai dit, ils pensent que nous connaissons leur objectif. Alors ils pourront m'interroger : je n'aurai rien à dire parce que je ne sais rien.
Et je ne dirai rien sur le cartel. Rien du tout. Je sais que tu n'as pas confiance en moi, cheffe, mais je te fais la promesse de ne pas te trahir. Ni toi, ni les autres.
Tout ira bien. Les fées du sang ne m'emmèneront pas dans leur domaine. Si elles ont déjà contacté Odrialc'h et Eel, alors on doit déjà les attendre.
Eel est la cité la plus proche alors je sais que je verrai l'intérieur des salles d'interrogatoire de la Garde de l'Ombre.
Quand tu recevras ce rapport, Titan, fais tout ton possible pour quitter la cité d'Eel.
Retournez à Odrialc'h et sauvez Sheraz. Les Milliget devraient atteindre Eel après les sélections, alors vous pourrez partir sans problèmes.
S'il te plait, ne me sauve pas. Sauve Sheraz. Je sais pourquoi je me suis engagé et je connaissais les risques.
Mon rapport s'arrête ici.
Je n'ai rien dit à Gabrielle. Je suis parti pendant qu'elle était chez les Leblanc. Elle m'aurait empêchée de me rendre aux fées du sang et face à elle, je n'aurais pas eu le courage de la quitter.
Merci de m'avoir donné ma chance, Titan.
Nash
Elle a les mains qui tremblent.
Yüljet relève brusquement la tête, interdite, pour dévisager les membres de son cartel. L'horreur a déferlé dans sa poitrine depuis un petit moment et son corps est devenu l'antre du chaos.
Nash s'est rendu aux Milliget. Il est entre leurs mains et qui peut prédire s'ils n'ont pas déjà commencé leur interrogatoire sur leur bateau ?
« Rose. » lance-t-elle comme un coup de tonnerre.
Son regard sonde les yeux opalins du vampire et il a déjà compris.
« Nash a dit vrai, répond-t-il d'un ton grave, Eel a réceptionné un message des Milliget qui a été transmis à la Garde de l'Ombre. Leur courrier m'est resté confidentiel. Seul Nevra Mircalla en connaît le contenu mais après sa lecture, il a immédiatement fait préparer une salle d'interrogatoire et a convoqué ses parents, Miiko Yamamura et le conseiller Leiftan Tuarran. »
Il a presque craché le dernier nom. Titan ferme brièvement les yeux et serre les dents. Après l'horreur, c'est la rage qui se montre.
La rage contre ces fées sauvages, immondes, maigres et monstrueuses avec leurs trompes. La rage contre celles et ceux qui veulent bien les admirer comme Alajéa Edam et même la rage contre les murs blancs de la cité qui les emprisonnent dans un piège avec un bourreau encensé comme une légende !
Tout ça pour du sang humain.
Non.
Il y a forcément autre chose. Les Milliget ont peur qu'ils sachent. Qu'ils aient connaissance de leur objectif.
De quoi peuvent-ils bien avoir peur, justement ?
« Ils vont venir… ils vont venir… ils ont eu Nash… » souffle une petite voix terrorisée.
Fuya n'est qu'un paquet de nerfs vacillant. Ses yeux exorbités fixent un point invisible sur le sol de la ruelle et elle laisse les larmes s'échapper.
Yüljet devine que son esprit doit rejouer mille fois la scènes du festin morbide, au manoir du marquis Maximilien Ville de Fer. Et aussi celle où elle a choisi de se défenestrer plutôt que de finir dévorée vivante.
Fawkes raffermit sa prise sur son épaule, sans quitter sa cheffe des yeux. Elle sait déjà ce qu'ils attendent.
Elle doit prendre une décision, mais pas seule. C'est contre les règles du cartel.
Titan serre le parchemin entre ses doigts, comme si elle tentait de le briser.
« Sexta et Ryan étant à Odrialc'h, c'est entre nous quatre. »
Désignant Rose du menton, Yüljet l'invite à parler. Le vampire se met à réfléchir, les bras croisés sur la poitrine, ses longs cheveux de jais coulant sur sa tunique indigo. Le choix est cornélien..
Enfin, Rose partage sa pensée :
« Nash a réfléchi à ses actes et dans sa situation, je pense que j'aurais agi de la même façon. Il a raison quand il dit que la neige des Milliget vous aurait condamnée, toi et Fuya. Personne n'aurait pu y échapper et encore moins avec la Capitaine dans la cité. Si nous le sauvons, son sacrifice ne servira à rien et nous risquons de tous y rester. Il ne sera plus question de mission originelle.
- Tu penses donc que nous devons respecter ses souhaits et quitter Eel après les sélections ? »
Le vampire hoche la tête. C'est une décision difficile, mais il a pesé le pour et le contre, Yüljet le sait.
Elle se tourne alors vers Fuya, dont les pleurs silencieux ravagent le visage. La sirène lève ses yeux gonflés vers elle, tente de reprendre contenance et échoue.
Enfin, ses lèvres s'animent pour former des sons avec difficulté :
« Je ne peux pas… l'abandonner… à ces monstres. » souffle-t-elle.
En effet, mais il y a d'autres enjeux.
« Tu sais mieux que personne ce qui nous arrivera si les Milliget nous retrouvent, Fuya, lui dit-elle d'un ton ferme.
- Je sais, réplique la sirène, mais… mais si elles s'en prennent à l'un des nôtres, alors… alors on s'en prendra à l'un des leurs. »
Fawkes et Rose la dévisagent, surpris par ses propos. Yüljet doit avouer qu'elle l'est aussi.
« Ce n'est pas une histoire de vengeance, rappelle la troll, Nash se sacrifie pour que nous puissions quitter Eel en sécurité et continuer la mission originelle.
- Je ne veux pas qu'il meurt pour nous, rétorque Fuya d'une voix hachée, et si les Milliget ont l'un d'entre nous, alors il faut leur reprendre. Même si pour ça, on s'en prendra au plus faible d'entre eux pour l'échanger contre Nash. »
Le plus faible. Titan souffle par le nez, dubitative.
Sira serait une proie facile, c'est vrai. Mais Sira ne serait certainement pas laissé sans protection par les siens. Envisager sa capture pour l'échanger contre Nash reviendrait peut-être à bafouer son sacrifice.
À présent, Yüljet se tourne vers le renard-garou, en proie à un véritable dilemme intérieur.
« Fawkes ? »
***
À l'orée de la ruelle, du bruit s'est fait entendre. Les bribes de voix arrachées au tumulte laissent deviner que Helouri a été retrouvé et que les curieux veulent assister à la scène.
Rose est parti s'assurer que tout allait bien. La décision concernant Nash a déjà été prise, de toute façon.
Titan, Fawkes et Fuya restent à l'abri, dans l'alcôve de la ruelle. Le silence est lourd et personne ne veut dire un seul mot.
Sous leurs yeux ternes, les faeriens passent, s'activent, flânent et les ignorent. Tant mieux.
Les minutes s'étiolent, ralentissent, faiblissent et tant que la Légende n'apparaît pas encore, ils peuvent encore rester ensembles.
Mais la bulle finit par éclater.
Rebroussant chemin vers le port, Rose presse. Le vampire, d'ordinaire si taciturne, a les traits tendus et les yeux étincelants.
Son pas est un petit trop rapide au goût de Yüljet, mais aussi à celui de Fawkes, à en aviser l'expression de ce dernier.
Mais elle se transforme en surprise quand un renard-garou se hâte à son tour pour rattraper Rose.
Ses cheveux flamboyants n'échappent à personne, ni ses atours délicats que Jens Red et Ellen Price ont vu ces derniers jours.
L'assistant d'Ewelein, le souffle court, louvoie entre les personnes, visiblement déterminé à rejoindre le vampire. Vampire qui s'est finalement arrêté.
Au beau milieu du marché d'Eel pris d'assaut par les curieux, Rose est une silhouette sombre plantée à même le sol. Ses traits si lisses, d'habitude, se crispent d'une émotion indescriptible qui semble s'être hissée du plus profond de lui-même pour parvenir jusqu'à son visage.
« Un mot et vous le regretterez. »
Le vampire a craché cette phrase. Fawkes retient son souffle et non loin d'eux, Lilymoe est bouche bée.
L'assistant d'Ewelein se reprend, les mains hésitantes et le regard perdu. Il a l'air de chercher ses mots et quand il les trouve, la situation lui échappe :
« S'il vous plaît… Vous ne pouvez pas tolérer ce genre de choses, Monsieur Clarimonde… Je l'ai vu. Je peux témoigner.
- Non. »
La réponse est tombée comme un couperet. Rose fait volte-face, foudroie Lilymoe du regard et ajoute d'un ton lourd de menaces :
« Vous n'avez rien vu. Rien du tout. Vous êtes l'assistant d'Ewelein Osgiliath alors regagnez l'hôpital et prenez soin de vos patients. Retournez à votre place et laissez-moi à la mienne. »
Le vampire l'abandonne ici. Lilymoe le regarde partir, visiblement impuissant et sur son visage s'est peint une détresse qui n'est pas la sienne.
Près de lui, dans une ruelle ignorée, l'incompréhension tourmente trois esprits déjà lourds.
Les sélections sont proches mais des êtres s'apprêtent à chuter, sous le poids de la peur et du doute.
Les Choix
Oyez ! Oyez !
Vous voilà confrontés à ce premier choix charnier ! Pour rappel, il s'agit d'un choix très important qui influence grandement la direction prise par l'histoire et qui peut faire apparaître une épée de Damoclès sur la tête d'un des personnages.
Mais ne vous inquiétez pas : vous aurez le temps de faire votre choix et la date de clôture des votes peut être repoussée si besoin.
Comme vous avez pu le constater, Nash a décidé de se rendre aux Milliget. Les fées du sang sont prêtes à tout pour le retrouver lui, Titan, Fuya et les éprouvettes de sang humain qui leur ont été dérobées, quitte à faire tomber leur neige à Odrialc'h et Eel.
Comme vous le savez, la neige leur permet de repérer n'importe qui et leur sert grandement pour la traque et la surveillance.
Nash fait part de sa décision ainsi que de ses souhaits à Titan via son rapport et demande à ne pas être sauvé. Cependant, Yüljet doit prendre une décision.
Qu'est-ce qui devrait être fait ?
➜ Respecter les souhaits de Nash, ne pas le sauver et quitter Eel tout de suite après les sélections et donc, avant l'arrivée des Milliget.
➜ Sauver Nash malgré le danger. Fuya a proposée la capture du Milliget le plus faible pour l'échanger contre Nash.
UNIQUEMENT pour Waïtikka
Choix numéro 1 :
Une décision doit être prise et c'est au tour de Fawkes de s'exprimer. À lui de donner son avis !
Selon lui, faut-il sauver Nash ou bien le laisser ?
Choix numéro 2 : Fawkes vient d'assister à une scène très étrange entre lui et Lilymoe. Rose a agit très bizarrement, contrairement au personnage taciturne et peu loquace que Fawkes connait bien. Que devrait-il faire ?
➜ Aller parler à Rose pour obtenir des explications.
➜ Aller parler à Lilymoe pour essayer de savoir ce qui se passe (attention ! Il faudra aller lui parler en tant que Jens Red et inventer un beau mensonge !).
➜ Ne rien faire du tout.
UNIQUEMENT pour ZuzoHyo
Lilymoe a vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir. Malgré le fait qu'il ne connaisse Rose Clarimonde que de réputation, il s'est tout de même décidé à aller lui parler pour lui proposer son aide.
Mais qu'a-t-il vu et de quoi s'agit-il ?
Lorsque tu seras prêt, viens me voir par MP, ZuzoHyo, que je puisse te faire part de la situation, ainsi que de ton choix.
Pas de choix pour MayaShiz pour ce chapitre, il faudra attendre le prochain !
Dernière modification par Aespenn (Le 06-05-2023 à 18h50)