Le convoi.
Le front de lâAbsynthe Ă©tait striĂ© dâune ride inquiĂšte. Elle Ă©coutait attentivement les paroles de Huang Hua, la mine sombre, expliquant les trouvailles des membres de lâOmbre. La brune savait depuis quelques temps dĂ©jĂ quâil se tramait de drĂŽles de choses en dehors du QG, mais de lĂ Ă sâimaginer quâun marchĂ© noir avait Ă©tĂ© mit en placeâŠ
Edmia avait Ă©tĂ© appelĂ©e pour assister Ă la rĂ©union de prĂ©paration en sa qualitĂ© de druide, ses prouesses en tant que guĂ©risseuse Ă©tant connues de tous. Elle avait immĂ©diatement acceptĂ© car Nevra, en tĂȘte des opĂ©rations, jugeait quâil y avait un risque de bataille. Elle nâavait pas la moindre envie de voir quiconque ĂȘtre blessĂ©, encore moins le vampire, raison de plus pour aider autant quâelle le pouvait.
Ses fines mains sâentortillaient inlassablement sous la grande table de verre autour de laquelle plusieurs membres de lâOmbre et de lâEtincelante Ă©taient regroupĂ©s. Plus leur cheffe parlait, moins la druide Ă©tait rassurĂ©e. Un petit coup de coude la tira cependant de son tourbillon de ruminations.
- Calme-toi, tu veux ? Marmonna Ray. On ne va pas se jeter dans la gueule du loup, seulement repérer le convoi.
- Je sais⊠Mais nous ne savons mĂȘme pas ce quâils trafiquent, ces marchands. Nous nâavons pas assez dâinformations.
- Nevra en sait suffisamment. Fais-lui confiance.
Lui faire confiance ? Edmia esquissa un petit sourire, tournant la tĂȘte vers lâancien chef de lâOmbre. Celui-ci Ă©tait plongĂ© dans ses notes, feuilletant plusieurs parchemins Ă la fois pendant que Chrome, son successeur, lui montrait quelque chose que la brune ne pouvait pas distinguer dâoĂč elle se tenait. Elle lui faisait confiance, entiĂšrement mĂȘme. Mais elle ne voulait pas le voir en danger, et redoutait surtout que ses sentiments, aussi confus soient-ils, impactent la mission contre son grĂ©.
La fin de la rĂ©union lui arracha un soupir de soulagement, rapidement suivi par une montĂ©e dâadrĂ©naline. Nevra la fixait, lâinvitant dâun petit mouvement de lâindex Ă venir le voir. Non sans une petite remarque amusĂ©e de Ray, la druide se dirigea vers le chef de mission tout en essayant dâempĂȘcher son idiot de coeur de battre trop fort.
- Alors, tu sais avec qui tu partageras ta tente ? Demanda le brun en arborant son Ă©ternel sourire Ă©nigmatique.
- Certainement pas avec toi ! RĂ©pliqua la jeune druide. Jâaimerais pouvoir dormir sans tâentendre ronfler.
- Oh, ma douceâŠ
Nevra se pencha lĂ©gĂšrement en avant, juste assez pour que seule Edmia lâentende.
- Si je devais tâempĂȘcher de trouver le sommeil, ce ne serait certainement pas comme ça.
Sur ces mots, le vampire tourna les talons et laissa la jeune femme bouche bée, quoique drÎlement charmée.
Les jours qui suivirent furent entiĂšrement consacrĂ©s Ă la prĂ©paration de la mission. Edmia avait passĂ© le plus clair de son temps enfouie sous des piles dâingrĂ©dients, cachĂ©e dans le laboratoire dâalchimie, Ă prĂ©parer autant de potions quâil lui Ă©tait possible de transporter. Il en avait de toutes sortes : certaines accĂ©lĂ©raient la cicatrisation, dâautres arrĂȘtaient les hĂ©morragies, sans compter celles permettant de se battre. La druide avait Ă peine trouvĂ© le temps de mĂ©diter, et elle se sentait plus fatiguĂ©e que jamais. Elle nâavait fait que croiser Nevra au dĂ©tour dâun couloir, entre deux prĂ©paratifs visiblement urgents⊠Elle devait se lâavouer, ses petites remarques lui manquaient. Edmia nâavait pas toujours Ă©tĂ© aussi proche du vampire, Ă dire vrai cet Ă©trange rapprochement avait commencĂ© quelques mois auparavant. Bien sĂ»r, Nevra restait lui-mĂȘme, il avait souvent tendance Ă la draguer de maniĂšre plus ou moins subtile, mais depuis quelques temps tout Ă©tait diffĂ©rent. Il Ă©tait plus attentionnĂ©, plus sĂ©ducteur⊠Et la brune ne sâen plaignait pas, au contraire. Elle adorait jouer avec ses nerfs, le rembarrer la plupart du temps non sans avoir tendu la perche en premier lieu. Elle apprĂ©ciait particuliĂšrement ce petit jeu mais se retrouvait dĂ©sormais Ă en vouloir un peu plus. Elle se surprenait Ă penser au vampire plus souvent que de raison, Ă le chercher du regard lors des entrainements, et parfois mĂȘme se demandait ce quâelle ressentirait si ses lĂšvres se posaient sur celles de lâEtincelantâŠ
Ray lâavait remarquĂ©, et ne manquait pas une occasion de la narguer gentiment Ă ce sujet en lui disant quâelle Ă©tait âmordueâ dâun vampire, soulignant avec force lâironie de la chose.
Edmia esquissa un sourire mutin en se remémorant les mots de son amie. Avait-elle raison ?
- Edmia, je crois que nous avons ce quâil faut.
La druide se tourna vers sa capitaine et hocha la tĂȘte.
- Tu devrais retourner dans ta chambre et prĂ©parer ton sac, vous partez avant le lever du soleil, conseilla Huang ChĂč. Fais attention Ă toi, dâaccord ?
- Ne tâen fais pas, la rassura la jeune femme. Je ne suis pas la personne la plus discrĂšte dâEldarya mais je ne mâen sors pas si mal !
La Feng Huang soupira en secouant la tĂȘte avant dâadresser un bref signe de la main Ă sa subordonnĂ©e quittant les lieux. Edmia savait prĂ©cisĂ©ment ce quâelle ferait de sa soirĂ©e : mĂ©diter et dormir. Elle passa en coup de vent dans ses quartiers pour troquer sa tenue de travail contre une petite robe plus lĂ©gĂšre aux couleurs des feuilles de lâĂ©rable automnal et fila dans les jardins. Une petite brise soufflait dans ses cheveux, agitant quelques mĂšches contre ses joues rosies. Elle se sentait bien mieux dehors quâenfermĂ©e dans un laboratoire, mais sa passion pour lâalchimie restait intacte. CâĂ©tait une concession quâelle avait faite en connaissance de cause.
Quand ses pieds nus s'enfoncĂšrent dans lâherbe verte entourant le cerisier, la brune ferma les yeux. Elle pouvait dĂ©jĂ ressentir le flux de maana qui traversait la moindre plante, celui qui animait les familiers jouant dans le jardin adjacent, et lâĂ©nergie revigorante de la Terre MĂšre qui grimpait le long de ses mollets, de ses cuisses pour venir se loger au creux de son ventre. Edmia nâĂ©tait pleinement heureuse que quand elle Ă©tait en harmonie avec la Nature. Le battement de son coeur se callait sur celui de la Terre, elle respirait en mĂȘme temps quâelle, chantait avec elle.
Ces moments dâaccalmie avaient le don de lui remonter le moral comme rien ni personne ne le pouvait. QuoiqueâŠ
- Je te dérange ? Demanda la voix de basse de Nevra.
Edmia souleva les paupiĂšres, plongeant son regard amĂ©thyste dans celui, plus froid, de lâĂ©lu de son coeur. Si lâunique oeil valide de Nevra Ă©tait dâun gris acier, il nâen Ă©tait pas moins capable de vĂ©hiculer une douceur sans pareil. Il y avait quelque chose dans sa maniĂšre de regarder Edmia qui la faisait frĂ©mir. Quelque chose⊠DâindĂ©cent. DĂ©lectablement indĂ©cent.
- Je méditais, dit-elle enfin. Tu me cherchais ?
- Pas exactement⊠Je cherchais un peu de calme. Les prĂ©paratifs mâont vraiment Ă©puisĂ©, jâavais besoin de prendre lâairâŠ
La druide adressa un sourire compatissant au capitaine, posant une main délicate sur son avant-bras.
- Tu veux en parler ? Proposa-t-elle.
Nevra secoua la tĂȘte.
- Non, je veuxâŠ
Son regard sâattarda sur les lĂšvres de la jeune femme, remontant vers ses yeux pour sây plonger avec fermetĂ©. Le vampire sâapprocha prudemment, poussant Edmia Ă faire un pas en arriĂšre, puis deux⊠JusquâĂ ce que son dos heurte lâĂ©corce rĂȘche du cerisier. Elle sentait son coeur battre dans sa gorge, ses joues chauffaient, sa respiration Ă©tait si lourde quâelle se demandait comment elle pouvait encore rester sur ses deux jambes sans suffoquer.
Le visage de Nevra Ă©tait si prĂšs quâelle pouvait sentir lâodeur de sa peau, douce et sucrĂ©e. Il glissa une main contre le bras dĂ©nudĂ© de la druide et remonta sur son Ă©paule. Le contact frais la fit frĂ©mir.
- Je dois faire mes bagages, dit-elle dans un souffle.
- Moi aussi, rĂ©pondit-il sur le mĂȘme ton.
Pourtant aucun des deux ne bougĂšrent, comme emprisonnĂ©s dans une bulle d'apprĂ©hension. Edmia savait quâil valait mieux mettre fin Ă ce moment, aussi agrĂ©able fut-il. CâĂ©tait prĂ©cipitĂ©, mais tellement tentantâŠ
Sa raison et sa timiditĂ© prirent le dessus, et elle posa sa main sur le torse de lâEtincelant.
- Je dois vraiment y aller, insista-t-elle avec douceur.
Nevra sourit, presque amusĂ©, et sâĂ©carta. Quand la brune quitta les jardins, il pouvait encore sentir son parfum tourbillonner autour de lui, le suivant jusquâĂ sa chambre.
*
Le trajet jusquâaux coins les plus reculĂ©s de la Baie des Diables nâavait pas Ă©tĂ© aussi inconfortable que ce Ă quoi Edmia sâĂ©tait attendue. Sa monture avait Ă©tĂ© dâune obĂ©issance lĂ©gendaire, et la mĂ©tĂ©o Ă©tait au beau fixe. Il leur fallut plusieurs jours avant de parvenir Ă leur but : la PinĂšde du Dalbha, si dense quâil y faisait presque nuit tant la lumiĂšre du soleil peinait Ă traverser les aiguilles regroupĂ©es sur les branches. Le paysage Ă©tait saisissant cependant. Quelques petits marais se faufilaient dans les parties les plus basses de la forĂȘt, abritant des familiers qui ne vivaient que dans la Baie des Diables. Il nâĂ©tait pas rare que la jeune femme sâarrĂȘte pour prĂ©lever quelques plantes Ă Ă©tudier, parfois des poils ou plumes Ă©tant inconnues Ă Eel. Sa curiositĂ© prenait souvent le dessus et elle descendait rĂ©guliĂšrement de son shauâkobow pour observer les traces de pattes mystĂ©rieuses qui se dirigeaient vers les marĂ©cages en contrebas.
Le campement fut Ă©tabli Ă lâorĂ©e de la forĂȘt, sur une falaise surplombant la baie. Lâendroit semblait calme, mais une agitation nouvelle agitait le port qui sâĂ©tendait sous leurs pieds. Le convoi devait passer dans la pinĂšde sur un chemin que seuls les trafiquants devaient connaĂźtre⊠CâĂ©tait sans compter sur les membres infiltrĂ©s de lâombre. Plusieurs agents bien renseignĂ©s sâĂ©taient glissĂ©s dans la troupe gĂ©rant le convoi pour faciliter lâintervention de la garde, et tout devait se passer normalement⊠Si ces derniers nâĂ©taient pas dĂ©masquĂ©s avant. Cette supposition composait la plus grande crainte dâEdmia. Si les infiltrĂ©s Ă©taient percĂ©s Ă jour, toute la mission serait compromise, ainsi que leur sĂ©curitĂ©.
La soirĂ©e fĂ»t tout aussi paisible que le reste du voyage, mais une sorte de tension commençait Ă parcourir les rangs, sans compter les regards furtifs de Nevra en direction de la druide. Elle Ă©tait assise confortablement au coin du feu, lisant un traitĂ© dâalchimie, mais elle sentait lâattention du vampire sur elle. Parfois Edmia se risquait Ă jeter un oeil vers lui pour s'apercevoir que son profil, supposĂ©ment contemplatif de la mer en contrebas qui sâĂ©crasait contre les falaises. A chaque fois quâelle se remĂ©morait leur Ă©change au pied du cerisier, la brune perdait le souffle. Elle en aurait presque regrettĂ© de ne pas avoir saisi une telle opportunitĂ© dâenfin pouvoir connaĂźtre la sensation des lĂšvres de Nevra⊠Presque. Il Ă©tait difficile pour elle de savoir prĂ©cisĂ©ment si Nevra ressentait ce quâelle pouvait ressentir, et bien sĂ»r le vampire nâĂ©tait pas spĂ©cialement du genre Ă exprimer trĂšs clairement ses sentiments.
Sur ces pensĂ©es confuses, Edmia alla se coucher. Ses rĂȘves furent hantĂ©s par des scĂšnes de catastrophe, de mission tournant au fiasco, et du visage de Nevra tordu par lâinquiĂ©tude. Elle Ă©tait loin de se douter que MĂšre Nature lui avait offert un Ă©clair de luciditĂ©.
Juste avant le lever du soleil, notre petite troupe se prĂ©para silencieusement avant de se faufiler dans la pinĂšde. Le chemin empruntĂ© par le convoi Ă©tait encore calme, absent de toute vie si ce nâĂ©tait du chant des oiseaux les plus matinaux. Nevra, Ray et deux autres Ombres sâĂ©taient perchĂ©s sur des branches fournies dâaiguilles, juste assez pour les dissimuler, tandis que la druidesse Ă©tait accroupie dans une position des plus inconfortables derriĂšre un talus de houx, accompagnĂ©e par une jeune brownie.
- Surtout, ne faites pas le moindre bruit, avait intimĂ© Nevra lors du briefing prĂ©cĂ©dant le dĂ©part. Si vous vous faites repĂ©rer, vous mettez toutes nos vies en danger. Ces hommes n'hĂ©siteront pas Ă attaquer, et nous ne savons pas ce quâils ont en leur possession.
Edmia se passait les mots du vampire en boucle, espĂ©rant de toutes ses forces que les choses se dĂ©rouleraient sans heurt. Ce fut presque le cas, au dĂ©but. Les premiĂšres caravanes du convoi se firent entendre une dizaine de minutes aprĂšs leur installation. Un signal seulement connu dâeux informa la brune de leur nombre : quatre. Les faeliens Ă©taient quant Ă eux bien plus nombreux que prĂ©vu. Une vingtaine au minimum, soit deux fois lâeffectif de la mission. Le pressentiment de la jeune femme ne faisait que prendre en ampleur a mesure que leur cible se rapprochait, et elle ne savait toujours pas pourquoi⊠JusquâĂ ce quâune branche de houx craque sous sa sandale, coinçant son pied au milieu des feuilles Ă©pineuses. Un couinement de douleur et de surprise mĂȘlĂ©es lui Ă©chappa. Elle tenta de lâĂ©touffer en plaquant vivement sa main contre ses lĂšvres, mais les gardes armĂ©s du convoi sâarrĂȘtĂšrent brutalement.
- Fouillez les environs, ordonna lâun dâeux en dĂ©gainant une Ă©pĂ©e courte.
Sans réfléchir, Edmia se redressa brusquement pour se révéler aux yeux des hommes.
- Inutile, dit-elle doucement. Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous inquiĂ©ter. Je me suis fais mal pendant ma cueillette, le houx se fait rare par chez-moi etâŠ
- Vous ĂȘtes qui, au juste ? La coupa celui qui semblait ĂȘtre leur chef.
- J-je mâappelle Edmia, je suis une druidesse, je voyage pour refaire mon stock dâherbes diverses et variĂ©es, improvisa-t-elle dans un souffle.
Sur la branche au dessus dâelle, Nevra Ă©tait prĂȘt a sauter. Deux gardes se trouvaient juste sous ses pieds, il pouvait sâen dĂ©barrasser en moins de dix secondes, avant que le chef nâatteigne Edmia. Un frisson de peur le secoua. La voir ainsi a dĂ©couvert, face Ă cette vingtaine de soldats armĂ©s jusquâaux dentsâŠ
Pourtant il devait bien lâadmettre, le petit mensonge de lâAbsynthe semblait fonctionner.
- DâoĂč venez-vous ? Demanda le chef.
- Des Terres Kappas, répondit-elle sans hésiter.
- Ăa fait un sacrĂ© bout de route, ça. Seule ?
Edmia hocha la tĂȘte, avant de commenter :
- Enfin, je suis seule depuis hier soir. Jâai dormi en ville, je suis arrivĂ©e par une petite caravane de voyageurs.
- Ah oui ?
La brune déglutit péniblement. Plus elle parlait, plus son interlocuteur semblait suspicieux.
- Vous avez dormi Ă quelle auberge ? Le Filet de la Crique ? Insista-t-il.
- Non, non, jâai dormi dehors. Nous les druides, vous savez⊠Nous prĂ©fĂ©rons vivre en pleine nature.
Elle força un rire timide, croisant les bras sur sa poitrine.
- Jolie broche, commenta un autre des soldats.
Edmia baissa les yeux sur le petit bijou qui retenait sa cape : le symbole de la garde Absynthe. Ses bras se tenaient juste en dessous.
- Elle nâest pas Ă moi, dit-elle presque aussitĂŽt. Je lâai trouvĂ©eâŠ
- Saisissez-lĂ ! Coupa le chef.
Au moment oĂč il articula sa phrase, Ray et Nevra se jetĂšrent du haut de lâarbre sur les gardes en contrebas. La dague du capitaine sâenfonça dans une gorge avant quâil ne se laisse glisser sur le sol pour trancher les tendons dâAchille dâun second homme. Tout se dĂ©roula trĂšs vite : Ray se dĂ©foulait telle une tempĂȘte assassine sur les hommes encerclant Edmia tandis que cette derniĂšre projetait une bombe fumigĂšne au milieu du groupe. Les deux vampires nâeurent aucun mal Ă percer la dĂ©fense des soldats au milieu du nuage, mais le plus dur restait Ă venir : la suite du convoi. En entendant le bruit causĂ© par le conflit, une seconde vague se jeta sur notre groupe pour le maĂźtriser. Bien que leurs capacitĂ©s soient hors normes, Nevra et Ray commençaient Ă ne plus savoir oĂč donner de la tĂȘte⊠Mais lâattention de lâEtincelant fut vite rappelĂ©e prĂšs du petit talus de houx. Un cri, Ă©chappĂ© de la gorge dâEdmia. Le vampire se retourna et dĂ©couvrit la jeune femme Ă©crasĂ©e contre le torse du chef, une lame sous le menton.
- Si tu tiens Ă ta petite menteuse, tu as intĂ©rĂȘt Ă arrĂȘter de massacrer mes hommes !! SâĂ©cria-t-il.
Nevra marqua une seconde dâarrĂȘt avant de se dĂ©tourner de la scĂšne. Au mĂȘme moment, un gargouillis humide se fit entendre par-dessus lâĂ©paule de la brune. Le chef la relĂącha, yeux exorbitĂ©s, puis il sâĂ©croula sur le sol. DerriĂšre lui se tenait la brownie auparavant cachĂ©e dans le talus Ă ses cĂŽtĂ©s.
La druidesse lui adressa un signe de tĂȘte reconnaissant avant de recommencer ses lancers de potions, causant des flash lumineux de diffĂ©rentes couleurs. Certains Ă©taient des diversions, dâautres des rĂ©actifs trĂšs puissants visant Ă paralyser ceux qui Ă©taient touchĂ©s. Elle rĂ©serva ces petites merveilles alchimiques pour les groupes qui dĂ©ferlaient de la deuxiĂšme partie du convoi, tant et si bien que trĂšs vite, tous furent maĂźtrisĂ©s. Cependant Edmia ne se sentait pas plus en sĂ©curitĂ©. LâindiffĂ©rence de Nevra quant Ă sa posture quelques instants plus tĂŽt lâavait profondĂ©ment blessĂ©e. Comment pouvait-il avoir ignorĂ© la jeune femme de la sorte ? Lui en voulait-il de sâĂȘtre fait repĂ©rer ? Elle nâen Ă©tait pourtant pas responsable, nâimporte qui aurait pu faire son erreur⊠Mais peut-ĂȘtre pas des membres de lâOmbre. Le cĆur lourd, Edmia lâĂ©couta ordonner au groupe de gardiens de commencer la fouille des caravanes, et de se diriger vers le campement pour les soins. La druidesse saisit le sous-entendu et retourna sur ses pas, le cĆur lourd.
AprĂšs avoir passĂ© le reste de la journĂ©e Ă panser des plaies et badigeonner des ecchymoses, la brune se posa enfin dans sa tente Ă la nuit tombĂ©e, seule. Elle baissa son regard embrumĂ© vers la broche qui lâavait trahie, retirant sa cape dâun geste Ă©nervĂ©. Elle ne se sentait pas Ă la hauteur pour ce genre de missions. Elle aurait dĂ» dĂ©cliner. Elle aurait dĂ» dire Ă Huang Hua quâelle laissa sa place Ă Koori, ou nâimporte qui dâautre de lâAbsynthe.
Sa gorge se serra, la prĂ©venant de lâarrivĂ©e dâun sanglot quâelle Ă©touffa pĂ©niblement.
- Edmia ?
LâinterpelĂ©e se retourna vers lâentrĂ©e de la tente pour y trouver le vampire Ă lâexpression fermĂ©e.
- Si tu es venu me faire une leçon de morale, câest inutile, coupa-t-elle en reniflant lĂ©gĂšrement. Jâai compris, je ne suis pas de taille. Jâaurais pu faire tuer tout le monde.
- Toi la premiĂšre, lança Nevra sur un ton acerbe. Je crois quâau contraire, tu ne comprends pas.
La druidesse se releva, poings serrés.
- Je comprends trĂšs bien ! Tu mâen veux tellement que tu as prĂ©fĂ©rĂ© me laisser aux mains dâun soldat !
- Pardon ?
- Ne fais pas lâidiot ! Tu mâas vue, tu as remarquĂ© la lame sur ma gorge et tu nâas rien fait ! Je peux comprendre que tu mâen veuilles dâavoir manquĂ© de discipline mais de lĂ Ă me laisser mourir aux mains dâun soldat !
- Edmia, je savais-
- Tu aurais au moins pu faire semblant dâĂȘtre inquiet, coupa-t-elle dans un Ă©lan dâĂ©motivitĂ©. Jâai tentĂ© de les dĂ©tourner, jâai tentĂ© de rĂ©parer mon erreur et je mâen veux de lâavoir commise mais je ne mĂ©ritais pas un tel dĂ©dain de ta part !
- Edmia, bon sang ! SâĂ©cria le vampire en la saisissant par les Ă©paules. Tu racontes nâimporte quoi !
Son Ćil valide brillait dâune lueur nouvelle que la druidesse ne lui connaissait pas : la peur. Nevra semblait aussi terrifiĂ© quâelle.
- Je ne tâai pas ignorĂ©e ! Je savais quâAdresia Ă©tait juste derriĂšre toi, je lâai vue ! Elle avait bien plus de chances de te sauver que moi, alors jâai feins lâindiffĂ©rence pour dĂ©stabiliser le soldat et laisser le champ libre Ă quelquâun dâautre !
Edmia ne disait plus rien. Elle restait là , immobile, les bras emprisonnés dans la poigne du vampire.
- Comment peux-tu croire une seule seconde que je tâaurais laissĂ©e lĂ ? Je me fiche que notre couverture soit grillĂ©e, je me fiche dâavoir dĂ» me battre contre ces mercenaires, mais que tu me reproches de tâavoir abandonnĂ©e alors que⊠QueâŠ
Les mots lui manquĂšrent.
- Que quoi ? Insista la brune.
Le vampire nâajouta rien. A la place, il Ă©crasa ses lĂšvres contre celle de la jeune femme, priant tous les dieux pour que ne serait-ce quâune infime partie de ses sentiments soient communiquĂ©s dans ce baiser Ă lâarriĂšre goĂ»t de dĂ©sespoir. Edmia senti la prise de Nevra faiblir, ses mains remontĂšrent vers ses joues pour sâenfouir dans ses cheveux, la pressant tout contre lui. Elle fit de mĂȘme, enlaçant la nuque de lâEtincelant de ses bras frĂȘles, rendant son baiser avec au moins autant de ferveur.
Quand ils sâĂ©cartĂšrent enfin lâun de lâautre, Nevra semblait avoir retrouvĂ© la parole.
- CâĂ©tait le seul moyen de te sauver, Edmia⊠Si tu savais Ă quel point jâavais envie de me jeter sur lui et deâŠ
Il semblait presque lâavoir retrouvĂ©e.
- Jâai compris, interrompit la jeune femme. Je suis dĂ©solĂ©eâŠ
- Non, câest moi. Jâaurais dĂ» rĂ©agir autrement, jâaurais dĂ»âŠ
- Tais-toi un peu, tu veux ?
La brune se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un second baiser sur les lÚvres tremblantes de Nevra.
- EdmiaâŠ, soupira-t-il faiblement.
- Hmm ?
Le vampire baissa les yeux pour rencontrer ceux de la jeune femme.
- Je⊠Je tâaime.
Un autre baiser, plus doux. Celui-ci semblait presque providentiel.
- Je tâaime aussi, rĂ©pondit doucement la jeune druidesse.
*
Non loin de lĂ , une biĂšre Ă la main, Ray soupira dans un sourire.
- Bon sang⊠Ils ont pris leur temps, ces deux-là marmonna-t-elle entre deux gorgées.