Voir et revoir

Ashkore courait à perdre d’haleine. Quelques gardiens du QG le suivaient au pas de course, cherchant à l’arrêter pour de bon. Mais le grand méchant de l’histoire n’avait pas l’intention de se laisser avoir. Pas aujourd’hui. Cela signifierait abandonner ce qu’il avait de plus précieux. Et les dragons ne laissaient pas comme ça leur or.

L’homme masqué arriva dans une grotte et s’y enfonça avant de se cacher dans la pénombre. Il calma sa respiration pour éviter de se faire repérer. Son ouïe se concentra sur le moindre bruit aux environs, tandis que son corps et ses autres sens restaient en alerte. Au loin, les membres de la garde pestaient sur le fait de l’avoir perdu dans les entrailles terrestres.

Ils rebroussèrent chemin au bout de quelques minutes pour revenir avec le matériel qu’il fallait pour ratisser la grotte. Ashkore attendit encore un peu avant de rebrousser chemin pour retourner dans sa cachette.
Il en avait encore pour une bonne trentaine de minutes de marche. Néanmoins, le dragon ne se plaignait pas de cet effort. Ce qui l’attendait dans son refuge avait besoin de lui. Il était son seul moyen de survivre. Tout ça à cause de son idiot de petit frère.

Le jour se levait depuis peu quand l’homme arriva enfin à son objectif. Il passa une barrière invisible en soupirant de soulagement, puis il enleva son masque pour dévoiler son visage. L’air frais fouetta sa face, ce qui le réveilla après sa nuit assez mouvementée.

En entrant dans le petit chalet, il enleva son armure pour changer de tenue. Il fallait qu’Ashkore garde son identité secrète le plus longtemps possible, même auprès de la jeune femme aux cheveux rouge qui partageait sa cachette.

Vêtu d’un pantalon de lin noir et d’une chemise blanche à moitié ouverte, il observa son reflet dans un miroir. Ses cheveux argentés étaient toujours en bataille, mais cela ajoutait à son charme. Le dragon déposa son butin sur la table de la cuisine, avant qu’il aille commencer à préparer deux tasses de thé.

Le jeune homme était concentré sur sa tâche, ne voulant rien rater pour permettre à son plan de marcher.
Depuis deux mois, l’adversaire de la garde d’Eel hébergeait chez lui l’une des leurs. Et ce n’était pas n’importe qui à ses yeux. Il s’agissait de la petite protégée de Valkyon. La pauvre Erza était atteinte de cécité suite à l’une des plus grosses bourdes de la part de son frère.

De ce que l’obsidienne lui avait raconté, ce fut suite à un “pari” que la situation eut lieu. Le chef de garde n’avait pas pu s’empêcher de rouler des mécaniques pour vouloir impressionner la jeune femme en terrassant une vingtaine d’adversaires.
Ce sombre idiot avait malheureusement réussi. Cela serait ironique qu’un dragon n’y arrive pas. Mais ce qu’il n’avait pas compris, c’était qu’Erza n’était pas d’accord pour prendre part à ce défi. Surtout qu’il avait mis sa santé en danger.

En repensant à ce fait, Ashkore grogna comme un animal enragé. Il maudissait Valkyon d’avoir agi comme un adolescent qui voulait éblouir sa belle. Qui ne semblait pas au courant des sentiments qu’il éprouvait à son égard ? À part la concernée, tout le monde était au fait de ce détail.

Un souffle frustré passa la barrière de ses lèvres, tout en reprenant le fil de ses pensées. Le chef des obsidiennes avait donc gagné ce “pari”, obligeant la pauvre fille à servir d’appât lors d’une de ses chasses.

La petite chose qu’il semblait avoir oubliée, ou qu’il n’avait pas écoutée, était que la rouge était allergique aux cheads, les créatures qu’il avait l’intention de capturer. Et cela n’avait pas raté. Car en voulant fuir les familiers, la gardienne était tombée à cause d’une racine, se foulant la cheville.

L’une des créatures semblables à des araignées en profita pour se mettre au-dessus d’elle. Ses mandibules claquaient de manière froide, ce qui fit paniquer un peu plus la jeune femme. L’obsidienne tenta de bouger, mais ce fut impossible.

Une partie de son corps ne voulait plus bouger. Son allergie faisait encore des siennes, et ce, au pire moment possible. Ses yeux rose pâle se fermèrent, alors qu’elle appréhendait la douleur. Néanmoins, cette dernière ne vint jamais. À la place, la rouge entendit son ami au regard doré crier avant que sa hallebarde ne fende l’air pour éloigner le chead de son corps.

Le combat dura quelques minutes avant que le chef de garde ne la prenne dans ses bras. Sa voix avait laissé paraître son inquiétude quand il lui demanda si elle allait bien. Voyant la douleur qui la traversait, Valkyon se précipita vers la sacoche contenant le matériel de premier soin.

C’était peut-être le seul moment où son imbécile de frère a été un tant soit peu sensé. Il aurait juste fallu qu’il soit meilleur en alchimie et qu’il ne confonde pas un antidote contre le venin des cheads et une potion de cécité en prenant le temps de lire les étiquettes sur les flacons.

En tout cas, cela n’avait pas raté. Erza avait paniqué en voyant sa vue s’obscurcir et le chef de garde s’affola un peu plus. Il fallut l’intervention d’Ezarel et Eweleïn pour la sortir de ce mauvais pas. Ou presque.

Car elle n’avait toujours pas retrouvé la vision. Miiko lui avait passé un sacré savon dans l’infirmerie selon le retour de Leiftan. L’aengel connaissait son intérêt pour la jeune gardienne et il lui avait conté que le dragon de feu n’en menait pas large, tentant d’expliquer la situation.

Eweleïn avait même fini par prendre part à l’échange houleux. Et l’elfe n’avait pas été tendre, lui explosant au visage son immaturité concernant son manque d’écoute envers la jolie rouge.

Le regard glacé d’Ashkore se porta vers la porte qui menait à la chambre. Leur chambre. Cela faisait deux mois qu’il l’avait enlevé. Éloigné de ce frère incapable de faire attention à celle qu’il aime.

L’homme masqué était aussi attiré par la gardienne de l’obsidienne. Elle ne le jugeait pas comme les autres membres de la garde et semblait même l’avoir déjà protégé à quelques reprises lors de ses incursions dans la cité. C’est vrai qu’au début, Erza avait eu peur de lui. Mais il l’avait aidé et peu à peu, la jeune femme s’était ouverte à lui.

Son cœur se serra un peu. Elle l’avait changé. Il n’était plus vraiment le méchant que le monde voyait. Ses partenaires de crimes l’avaient remarqué et l’avaient taquiné à ce sujet. Néanmoins, cela n’allait pas plus loin.

Avoir à prendre soin de quelqu’un d’autre avait apporté son lot de joies et surtout de complications dans son quotidien. Rien que pour l’arracher aux griffes de son frère avait été une grande aventure.

Pendant deux bonnes semaines, Ashkore avait observé la routine de son frère et de la jeune femme. Tous les jours, à six heures du matin, il se levait. L’obsidienne passait vérifier son amie dans sa chambre, avant de partir s’entraîner jusqu’aux environs de huit heures.

Il allait ensuite dans la cuisine pour préparer un plateau repas pour la rouge avant de déjeuner avec elle environ trente minutes plus tard. À neuf heures, Eweleïn venait effectuer les soins dont elle avait besoin. Cette partie avait été très importante pour le dragon. Car il ne voulait pas la mettre en danger une fois qu’elle serait auprès de lui.

La journée passait et souvent, Erza était seule avec le chef de garde. Ils ne parlaient pas beaucoup et l’homme masqué se demandait comment la rouge avait fait pour ne pas s’ennuyer. Le soir arrivait assez rapidement et ils dînaient ensemble avant que vers vingt-et-une heures, la gardienne n’aille se coucher.

La nuit était donc le meilleur moment pour agir. Avec l’aide de l’étincelant infiltré, Ash s’introduisit dans la chambre de la belle. En écoutant sa respiration, il put déduire qu’elle dormait profondément. Avec minutie, il prépara un sac avec ses effets personnels les plus importants.

Le familier de la jeune femme commença à grogner et le dragon le regarda, surpris. Il était en colère contre la bestiole, mais il savait qu’il ne devait pas tuer cette bête. Parce qu’Erza y tenait. Il prit le temps de se calmer pour ne pas faire de bêtise, avant de s’avancer vers lui, la main vers son museau. Le fenrisulfr se mit à flairer sa peau avant de se calmer, reconnaissant le sauveur de sa maîtresse.

Il se recoucha, permettant au dragon de glace de reprendre son plan. Ahskore était presque prêt vers deux heures du matin. À l’aide d’une potion de sommeil, il enfuma le couloir avant de mettre un masque à gaz. Le jeune homme mit le sac sur son dos, puis il prit Erza dans ses bras, comme une princesse.

L’homme masqué sortit en faisant attention au moindre bruit. Il ne fallait surtout pas qu’il se fasse voir, surtout en compagnie de la jeune femme. S’il se faisait avoir, le dragon ne voulait pas que cela ait la moindre répercussion pour l’obsidienne.

Enfin, il pourrait toujours inventer un mensonge pour qu’elle ne soit pas associée de manière négative à sa personne. Mais il valait mieux ne pas tomber sur le moindre gardien.

Le soleil se levait tranquillement quand Erza reprit conscience. Le vent frais la fit frissonner, lui faisant comprendre qu’elle était à l’extérieur. Cet élément commença à la faire paniquer et la rouge se débattit.

Ashkore le remarqua et il s’arrêta avant de la poser contre un arbre. Sa main gantée caressa sa joue et il sentit des larmes alors que la gardienne de l’obsidienne s’éloignait de lui, comme pour se protéger.

“Du calme Erza… C’est moi, souffla l’homme masqué.
- Hein ? Mais… Pourquoi je suis dehors ?
- Je… Je t’ai… Sauvé, mentis le dragon. Il y a eu un problème au QG et je t’ai récupéré in extremis.”

La jeune femme se tue, réfléchissant à la situation. L’homme l’observa avant de lui proposer de la cacher le temps que la situation se calme là-bas. La rouge acquiesça, n’ayant pas d’autres possibilités que de le suivre, avant de se laisser porter, pour plus de simplicité.

Ashkore revint à lui. Il sentait son sourire plaqué sur son visage. Derrière la porte de leur chambre, Erza devait se reposer paisiblement. Elle en aurait bien besoin vu ce qu’il avait trouvé pour la jeune femme.

Durant cette cohabitation, il avait tenté de trouver un moyen de lui rendre la vue. Le dragon voulait qu’il la voit. Qu’elle découvre qui était son sauveur. Celui qui l’avait éloigné de son imbécile de frère et de sa maladresse quasi-mortelle. Tout en gardant en tête son objectif principal.

Néanmoins, une question lui venait à l’esprit. Et si Erza ne l’aimait pas ? Et si elle le jugeait ? Il l’avait observé, enlevé et mentit. Tout ça pour la garder près de lui. Parce que tout ce qui avait motivé ses actes était l’amour qu’il lui portait.

Ces nuits, à dormir avec elle, lui avait offert de tendres souvenirs à chérir. Ashkore aimait sentir la chaleur que la rouge dégageait. Cela réchauffait son corps et son cœur. Et souvent, dans ces moments-là, il était à deux doigts de tout abandonner pour ses beaux yeux.

Il savourait aussi les bains qu’ils prenaient dans l’étang à côté du chalet. C’était une grande marque de confiance que l’obsidienne lui avait donnée, car cette dernière avait une peur incontrôlable de l’eau. Enfin, cela lui avait valu de sacrées griffures au début.

Ce sentiment de bien-être qui faisait battre son cœur, le dragon l’appréciait. C’était devenu son oxygène. Sa raison de vivre et d’avancer. Son garde-fou face à la folie qui enflammait son esprit.

Un soupir passa ses lèvres. Pour une fois, l’homme masqué espérait que la garde avait été compétente. Ezarel était un très bon alchimiste. Néanmoins, s’il n’avait pas les moyens pour exercer au mieux son art, l’elfe n’était rien.

Ash finit de préparer les boissons avant de mettre dans une des deux tasses le contre-poison qui permettrait à la gardienne rouge de redécouvrir la joie de voir. Il mit le tout sur une planche avant d’aller dans la pièce à côté.

La jeune femme dormait en travers du lit. Cela le fit sourire avant qu’il ne dépose le plateau sur une table basse. Sa main se posa sur l’épaule d’Erza et il la réveilla doucement en exerçant une faible pression dessus. Les yeux roses s’ouvrirent, ses cils papillonnants, un voile vitreux les couvrants.

Ce détail réveillait une douleur qui habitait le cœur du dragon. Il salua la jeune femme avant de la laisser s’installer contre le mur. La rouge le lui rendit avant de sentir la tasse qu’il voulait lui donner. La gardienne la prit en souriant avant de porter le contenant à ses lèvres.

Le goût de la boisson était amer et elle fit une petite grimace. Mais l’obsidienne ne dit rien et finit d’une traite l’infusion. Ashkore l’observait, inquiet de ce qu’il venait de faire sans rien lui avouer. Erza commença à tousser et la panique la prit.

Son “ami” semblait avoir trahi sa confiance. La rouge voulut le frapper, mais ses forces l’abandonnèrent d’un coup, sa tête semblant prise dans un étau. Puis plus rien.

À son réveil, Erza se redressa rapidement, la respiration haletante et le cœur battant à la chamade. Ses souvenirs lui revinrent peu à peu. L’obsidienne avait été réveillée par son sauveur. Il lui avait donné une tasse, qu’elle a bue sans se poser de questions.

Après tout, il avait toujours pris soin d’elle. Il l’avait aidé plus d’une fois. Surtout, depuis qu’ils vivaient ensemble. Cet homme avait été une lumière dans l’obscurité qui était devenue son quotidien.

Autour d’elle, le monde était flou. Mais la jeune femme pouvait percevoir des couleurs. Elle grogna, sentant ses membres trembler. La rouge était en colère. Contre elle, car elle s’était laissée bernée par les beaux mots d’un homme qu’elle ne connaissait pas plus que ça.

Ils avaient discuté. Beaucoup même. Ainsi, l’obsidienne avait appris que le jeune homme avait un jeune frère qu’il considérait comme un idiot quand il s’agissait de la femme qu’il semblait aimer. Mais malgré tout, il l’aimait profondément. Il avait rajouté qu’il avait perdu ses parents quand il était jeune, ce qui semblait être le point névralgique d’un trouble bien plus grand que ce que la jeune femme pouvait imaginer. En échange, Erza lui avait raconté son douloureux passé dans ce maudit orphelinat.

Toutes ces soirées ensemble ne représentaient rien pour lui ? Tous ces moments où elle lui avait accordée une confiance aveugle parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement ? Et elle était tombée amoureuse de lui ! Du moins, la jeune femme avait un fort béguin pour lui et ce côté doux qu’elle avait appris à connaître en le côtoyant.

Elle se maudissait, serrant dans ses poings les draps. Pourquoi fallait-il que son premier amour ait été un imbécile capable de la trahir au moindre moment de faiblesse ?! Il faisait comme tous les autres ! À croire que seul Valkyon était une exception dans ce monde.

La colère coulait dans ses veines et elle n’avait qu’une envie. Fuir ce mystérieux individu pour retourner auprès de Valkyon et se sentir protégée. Une main s’avança vers son visage et le caressa.

La rouge recula, dégoûtée, avant d’apercevoir un homme à la peau basanée et aux cheveux argentés. Son regard glacé était rempli d’inquiétude et cela troublait énormément la gardienne.

C’est à ce moment-là qu’elle comprit ce qui clochait. Erza pouvait à nouveau voir. Tous les sentiments négatifs en elle s’évanouirent alors qu’elle comprenait peu à peu la situation. L’homme en face d’elle était l’homme masqué. Cette personne qui mettait le QG sens dessus dessous. Et c’était lui qui l’avait trompé. Pour lui rendre la vue.

Elle était troublée et cela se voyait. Ash se mordit la lèvre inférieure avant de se racler la gorge pour reprendre contenance. Le dragon lui donna un sourire rempli d’assurance, bombant le torse. Il ne pouvait plus reculer.

La gardienne rougit un peu, déroutée par son comportement. Son cœur recommençait à battre rapidement. Elle ne pouvait pas ignorer ces sentiments. Ils faisaient écho à son vécu de ces derniers mois.

“Bonjour Erza, commença-t-il pour briser le silence entre eux.”

Pas de doute possible. Cette voix chaleureuse et séduisante. C’était bien lui son compagnon de ces longues journées isolées. Ash reprit sa main avant de faire un baisemain, cette aura charmeuse émanant de lui.

“Je suis Ash. Ton sauveur et celui qui t’as redonné la vue, continua l’homme.
- M-Merci… Mais pourquoi ne m’avoir rien dit ?
- Euh… Je… J’ai oublié avec la fatigue. Ce traitement m’a demandé beaucoup de temps pour l’obtenir. Et… Je ne voulais pas te faire de faux espoirs, avoua-t-il en passant sa main dans ses cheveux.”

Erza rougit violemment avant de détourner le regard. Le dragon avait réussi à toucher son cœur. Et il jubilait. La rouge s’éloigna un peu pour mieux s’installer face à lui. Elle ferma les yeux, comme pour réfléchir à la situation. Puis elle s’avança et déposa un doux baiser sur ses lèvres.

“Merci de ta prévenance Ash. Mais… Si je dois rester avec toi encore quelque temps, j’aimerais qu’il n’y ait plus de secrets entre nous, murmura doucement la jeune femme.”

L’homme l’observa avant de l’embrasser en retour. Pas sûr qu’il tienne sa parole. Mais si cela pouvait lui permettre de la garder près de lui, alors Ashkore n’hésiterait pas à recommencer. Qu’importe les conséquences.

Le convoi.

Le front de l’Absynthe était strié d’une ride inquiète. Elle écoutait attentivement les paroles de Huang Hua, la mine sombre, expliquant les trouvailles des membres de l’Ombre. La brune savait depuis quelques temps déjà qu’il se tramait de drôles de choses en dehors du QG, mais de là à s’imaginer qu’un marché noir avait été mit en place…
Edmia avait été appelée pour assister à la réunion de préparation en sa qualité de druide, ses prouesses en tant que guérisseuse étant connues de tous. Elle avait immédiatement accepté car Nevra, en tête des opérations, jugeait qu’il y avait un risque de bataille. Elle n’avait pas la moindre envie de voir quiconque être blessé, encore moins le vampire, raison de plus pour aider autant qu’elle le pouvait.
Ses fines mains s’entortillaient inlassablement sous la grande table de verre autour de laquelle plusieurs membres de l’Ombre et de l’Etincelante étaient regroupés. Plus leur cheffe parlait, moins la druide était rassurée. Un petit coup de coude la tira cependant de son tourbillon de ruminations.

- Calme-toi, tu veux ? Marmonna Ray. On ne va pas se jeter dans la gueule du loup, seulement repérer le convoi.
- Je sais… Mais nous ne savons même pas ce qu’ils trafiquent, ces marchands. Nous n’avons pas assez d’informations.
- Nevra en sait suffisamment. Fais-lui confiance.

Lui faire confiance ? Edmia esquissa un petit sourire, tournant la tête vers l’ancien chef de l’Ombre. Celui-ci était plongé dans ses notes, feuilletant plusieurs parchemins à la fois pendant que Chrome, son successeur, lui montrait quelque chose que la brune ne pouvait pas distinguer d’où elle se tenait. Elle lui faisait confiance, entièrement même. Mais elle ne voulait pas le voir en danger, et redoutait surtout que ses sentiments, aussi confus soient-ils, impactent la mission contre son gré.

La fin de la réunion lui arracha un soupir de soulagement, rapidement suivi par une montée d’adrénaline. Nevra la fixait, l’invitant d’un petit mouvement de l’index à venir le voir. Non sans une petite remarque amusée de Ray, la druide se dirigea vers le chef de mission tout en essayant d’empêcher son idiot de coeur de battre trop fort.

- Alors, tu sais avec qui tu partageras ta tente ? Demanda le brun en arborant son éternel sourire énigmatique.
- Certainement pas avec toi ! Répliqua la jeune druide. J’aimerais pouvoir dormir sans t’entendre ronfler.
- Oh, ma douce…

Nevra se pencha légèrement en avant, juste assez pour que seule Edmia l’entende.

- Si je devais t’empêcher de trouver le sommeil, ce ne serait certainement pas comme ça.

Sur ces mots, le vampire tourna les talons et laissa la jeune femme bouche bée, quoique drôlement charmée.

Les jours qui suivirent furent entièrement consacrés à la préparation de la mission. Edmia avait passé le plus clair de son temps enfouie sous des piles d’ingrédients, cachée dans le laboratoire d’alchimie, à préparer autant de potions qu’il lui était possible de transporter. Il en avait de toutes sortes : certaines accéléraient la cicatrisation, d’autres arrêtaient les hémorragies, sans compter celles permettant de se battre. La druide avait à peine trouvé le temps de méditer, et elle se sentait plus fatiguée que jamais. Elle n’avait fait que croiser Nevra au détour d’un couloir, entre deux préparatifs visiblement urgents… Elle devait se l’avouer, ses petites remarques lui manquaient. Edmia n’avait pas toujours été aussi proche du vampire, à dire vrai cet étrange rapprochement avait commencé quelques mois auparavant. Bien sûr, Nevra restait lui-même, il avait souvent tendance à la draguer de manière plus ou moins subtile, mais depuis quelques temps tout était différent. Il était plus attentionné, plus séducteur… Et la brune ne s’en plaignait pas, au contraire. Elle adorait jouer avec ses nerfs, le rembarrer la plupart du temps non sans avoir tendu la perche en premier lieu. Elle appréciait particulièrement ce petit jeu mais se retrouvait désormais à en vouloir un peu plus. Elle se surprenait à penser au vampire plus souvent que de raison, à le chercher du regard lors des entrainements, et parfois même se demandait ce qu’elle ressentirait si ses lèvres se posaient sur celles de l’Etincelant…
Ray l’avait remarqué, et ne manquait pas une occasion de la narguer gentiment à ce sujet en lui disant qu’elle était “mordue” d’un vampire, soulignant avec force l’ironie de la chose.
Edmia esquissa un sourire mutin en se remémorant les mots de son amie. Avait-elle raison ?

- Edmia, je crois que nous avons ce qu’il faut.

La druide se tourna vers sa capitaine et hocha la tête.

- Tu devrais retourner dans ta chambre et préparer ton sac, vous partez avant le lever du soleil, conseilla Huang Chù. Fais attention à toi, d’accord ?
- Ne t’en fais pas, la rassura la jeune femme. Je ne suis pas la personne la plus discrète d’Eldarya mais je ne m’en sors pas si mal !

La Feng Huang soupira en secouant la tête avant d’adresser un bref signe de la main à sa subordonnée quittant les lieux. Edmia savait précisément ce qu’elle ferait de sa soirée : méditer et dormir. Elle passa en coup de vent dans ses quartiers pour troquer sa tenue de travail contre une petite robe plus légère aux couleurs des feuilles de l’érable automnal et fila dans les jardins. Une petite brise soufflait dans ses cheveux, agitant quelques mèches contre ses joues rosies. Elle se sentait bien mieux dehors qu’enfermée dans un laboratoire, mais sa passion pour l’alchimie restait intacte. C’était une concession qu’elle avait faite en connaissance de cause.
Quand ses pieds nus s'enfoncèrent dans l’herbe verte entourant le cerisier, la brune ferma les yeux. Elle pouvait déjà ressentir le flux de maana qui traversait la moindre plante, celui qui animait les familiers jouant dans le jardin adjacent, et l’énergie revigorante de la Terre Mère qui grimpait le long de ses mollets, de ses cuisses pour venir se loger au creux de son ventre. Edmia n’était pleinement heureuse que quand elle était en harmonie avec la Nature. Le battement de son coeur se callait sur celui de la Terre, elle respirait en même temps qu’elle, chantait avec elle.
Ces moments d’accalmie avaient le don de lui remonter le moral comme rien ni personne ne le pouvait. Quoique…

- Je te dérange ? Demanda la voix de basse de Nevra.

Edmia souleva les paupières, plongeant son regard améthyste dans celui, plus froid, de l’élu de son coeur. Si l’unique oeil valide de Nevra était d’un gris acier, il n’en était pas moins capable de véhiculer une douceur sans pareil. Il y avait quelque chose dans sa manière de regarder Edmia qui la faisait frémir. Quelque chose… D’indécent. Délectablement indécent.

- Je méditais, dit-elle enfin. Tu me cherchais ?
- Pas exactement… Je cherchais un peu de calme. Les préparatifs m’ont vraiment épuisé, j’avais besoin de prendre l’air…

La druide adressa un sourire compatissant au capitaine, posant une main délicate sur son avant-bras.

- Tu veux en parler ? Proposa-t-elle.

Nevra secoua la tête.

- Non, je veux…

Son regard s’attarda sur les lèvres de la jeune femme, remontant vers ses yeux pour s’y plonger avec fermeté. Le vampire s’approcha prudemment, poussant Edmia à faire un pas en arrière, puis deux… Jusqu’à ce que son dos heurte l’écorce rêche du cerisier. Elle sentait son coeur battre dans sa gorge, ses joues chauffaient, sa respiration était si lourde qu’elle se demandait comment elle pouvait encore rester sur ses deux jambes sans suffoquer.
Le visage de Nevra était si près qu’elle pouvait sentir l’odeur de sa peau, douce et sucrée. Il glissa une main contre le bras dénudé de la druide et remonta sur son épaule. Le contact frais la fit frémir.

- Je dois faire mes bagages, dit-elle dans un souffle.
- Moi aussi, répondit-il sur le même ton.

Pourtant aucun des deux ne bougèrent, comme emprisonnés dans une bulle d'appréhension. Edmia savait qu’il valait mieux mettre fin à ce moment, aussi agréable fut-il. C’était précipité, mais tellement tentant…
Sa raison et sa timidité prirent le dessus, et elle posa sa main sur le torse de l’Etincelant.

- Je dois vraiment y aller, insista-t-elle avec douceur.

Nevra sourit, presque amusé, et s’écarta. Quand la brune quitta les jardins, il pouvait encore sentir son parfum tourbillonner autour de lui, le suivant jusqu’à sa chambre.

*

Le trajet jusqu’aux coins les plus reculés de la Baie des Diables n’avait pas été aussi inconfortable que ce à quoi Edmia s’était attendue. Sa monture avait été d’une obéissance légendaire, et la météo était au beau fixe. Il leur fallut plusieurs jours avant de parvenir à leur but : la Pinède du Dalbha, si dense qu’il y faisait presque nuit tant la lumière du soleil peinait à traverser les aiguilles regroupées sur les branches. Le paysage était saisissant cependant. Quelques petits marais se faufilaient dans les parties les plus basses de la forêt, abritant des familiers qui ne vivaient que dans la Baie des Diables. Il n’était pas rare que la jeune femme s’arrête pour prélever quelques plantes à étudier, parfois des poils ou plumes étant inconnues à Eel. Sa curiosité prenait souvent le dessus et elle descendait régulièrement de son shau’kobow pour observer les traces de pattes mystérieuses qui se dirigeaient vers les marécages en contrebas.
Le campement fut établi à l’orée de la forêt, sur une falaise surplombant la baie. L’endroit semblait calme, mais une agitation nouvelle agitait le port qui s’étendait sous leurs pieds. Le convoi devait passer dans la pinède sur un chemin que seuls les trafiquants devaient connaître… C’était sans compter sur les membres infiltrés de l’ombre. Plusieurs agents bien renseignés s’étaient glissés dans la troupe gérant le convoi pour faciliter l’intervention de la garde, et tout devait se passer normalement… Si ces derniers n’étaient pas démasqués avant. Cette supposition composait la plus grande crainte d’Edmia. Si les infiltrés étaient percés à jour, toute la mission serait compromise, ainsi que leur sécurité.

La soirée fût tout aussi paisible que le reste du voyage, mais une sorte de tension commençait à parcourir les rangs, sans compter les regards furtifs de Nevra en direction de la druide. Elle était assise confortablement au coin du feu, lisant un traité d’alchimie, mais elle sentait l’attention du vampire sur elle. Parfois Edmia se risquait à jeter un oeil vers lui pour s'apercevoir que son profil, supposément contemplatif de la mer en contrebas qui s’écrasait contre les falaises. A chaque fois qu’elle se remémorait leur échange au pied du cerisier, la brune perdait le souffle. Elle en aurait presque regretté de ne pas avoir saisi une telle opportunité d’enfin pouvoir connaître la sensation des lèvres de Nevra… Presque. Il était difficile pour elle de savoir précisément si Nevra ressentait ce qu’elle pouvait ressentir, et bien sûr le vampire n’était pas spécialement du genre à exprimer très clairement ses sentiments.
Sur ces pensées confuses, Edmia alla se coucher. Ses rêves furent hantés par des scènes de catastrophe, de mission tournant au fiasco, et du visage de Nevra tordu par l’inquiétude. Elle était loin de se douter que Mère Nature lui avait offert un éclair de lucidité.
Juste avant le lever du soleil, notre petite troupe se prépara silencieusement avant de se faufiler dans la pinède. Le chemin emprunté par le convoi était encore calme, absent de toute vie si ce n’était du chant des oiseaux les plus matinaux. Nevra, Ray et deux autres Ombres s’étaient perchés sur des branches fournies d’aiguilles, juste assez pour les dissimuler, tandis que la druidesse était accroupie dans une position des plus inconfortables derrière un talus de houx, accompagnée par une jeune brownie.

- Surtout, ne faites pas le moindre bruit, avait intimé Nevra lors du briefing précédant le départ. Si vous vous faites repérer, vous mettez toutes nos vies en danger. Ces hommes n'hésiteront pas à attaquer, et nous ne savons pas ce qu’ils ont en leur possession.

Edmia se passait les mots du vampire en boucle, espérant de toutes ses forces que les choses se dérouleraient sans heurt. Ce fut presque le cas, au début. Les premières caravanes du convoi se firent entendre une dizaine de minutes après leur installation. Un signal seulement connu d’eux informa la brune de leur nombre : quatre. Les faeliens étaient quant à eux bien plus nombreux que prévu. Une vingtaine au minimum, soit deux fois l’effectif de la mission. Le pressentiment de la jeune femme ne faisait que prendre en ampleur a mesure que leur cible se rapprochait, et elle ne savait toujours pas pourquoi… Jusqu’à ce qu’une branche de houx craque sous sa sandale, coinçant son pied au milieu des feuilles épineuses. Un couinement de douleur et de surprise mêlées lui échappa. Elle tenta de l’étouffer en plaquant vivement sa main contre ses lèvres, mais les gardes armés du convoi s’arrêtèrent brutalement.

- Fouillez les environs, ordonna l’un d’eux en dégainant une épée courte.

Sans réfléchir, Edmia se redressa brusquement pour se révéler aux yeux des hommes.

- Inutile, dit-elle doucement. Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous inquiéter. Je me suis fais mal pendant ma cueillette, le houx se fait rare par chez-moi et…
- Vous êtes qui, au juste ? La coupa celui qui semblait être leur chef.
- J-je m’appelle Edmia, je suis une druidesse, je voyage pour refaire mon stock d’herbes diverses et variées, improvisa-t-elle dans un souffle.

Sur la branche au dessus d’elle, Nevra était prêt a sauter. Deux gardes se trouvaient juste sous ses pieds, il pouvait s’en débarrasser en moins de dix secondes, avant que le chef n’atteigne Edmia. Un frisson de peur le secoua. La voir ainsi a découvert, face à cette vingtaine de soldats armés jusqu’aux dents…
Pourtant il devait bien l’admettre, le petit mensonge de l’Absynthe semblait fonctionner.

- D’où venez-vous ? Demanda le chef.
- Des Terres Kappas, répondit-elle sans hésiter.
- Ça fait un sacré bout de route, ça. Seule ?

Edmia hocha la tête, avant de commenter :

- Enfin, je suis seule depuis hier soir. J’ai dormi en ville, je suis arrivée par une petite caravane de voyageurs.
- Ah oui ?

La brune déglutit péniblement. Plus elle parlait, plus son interlocuteur semblait suspicieux.

- Vous avez dormi à quelle auberge ? Le Filet de la Crique ? Insista-t-il.
- Non, non, j’ai dormi dehors. Nous les druides, vous savez… Nous préférons vivre en pleine nature.

Elle força un rire timide, croisant les bras sur sa poitrine.

- Jolie broche, commenta un autre des soldats.

Edmia baissa les yeux sur le petit bijou qui retenait sa cape : le symbole de la garde Absynthe. Ses bras se tenaient juste en dessous.

- Elle n’est pas à moi, dit-elle presque aussitôt. Je l’ai trouvée…
- Saisissez-là ! Coupa le chef.

Au moment où il articula sa phrase, Ray et Nevra se jetèrent du haut de l’arbre sur les gardes en contrebas. La dague du capitaine s’enfonça dans une gorge avant qu’il ne se laisse glisser sur le sol pour trancher les tendons d’Achille d’un second homme. Tout se déroula très vite : Ray se défoulait telle une tempête assassine sur les hommes encerclant Edmia tandis que cette dernière projetait une bombe fumigène au milieu du groupe. Les deux vampires n’eurent aucun mal à percer la défense des soldats au milieu du nuage, mais le plus dur restait à venir : la suite du convoi. En entendant le bruit causé par le conflit, une seconde vague se jeta sur notre groupe pour le maîtriser. Bien que leurs capacités soient hors normes, Nevra et Ray commençaient à ne plus savoir où donner de la tête… Mais l’attention de l’Etincelant fut vite rappelée près du petit talus de houx. Un cri, échappé de la gorge d’Edmia. Le vampire se retourna et découvrit la jeune femme écrasée contre le torse du chef, une lame sous le menton.

- Si tu tiens à ta petite menteuse, tu as intérêt à arrêter de massacrer mes hommes !! S’écria-t-il.

Nevra marqua une seconde d’arrêt avant de se détourner de la scène. Au même moment, un gargouillis humide se fit entendre par-dessus l’épaule de la brune. Le chef la relâcha, yeux exorbités, puis il s’écroula sur le sol. Derrière lui se tenait la brownie auparavant cachée dans le talus à ses côtés.
La druidesse lui adressa un signe de tête reconnaissant avant de recommencer ses lancers de potions, causant des flash lumineux de différentes couleurs. Certains étaient des diversions, d’autres des réactifs très puissants visant à paralyser ceux qui étaient touchés. Elle réserva ces petites merveilles alchimiques pour les groupes qui déferlaient de la deuxième partie du convoi, tant et si bien que très vite, tous furent maîtrisés. Cependant Edmia ne se sentait pas plus en sécurité. L’indifférence de Nevra quant à sa posture quelques instants plus tôt l’avait profondément blessée. Comment pouvait-il avoir ignoré la jeune femme de la sorte ? Lui en voulait-il de s’être fait repérer ? Elle n’en était pourtant pas responsable, n’importe qui aurait pu faire son erreur… Mais peut-être pas des membres de l’Ombre. Le cœur lourd, Edmia l’écouta ordonner au groupe de gardiens de commencer la fouille des caravanes, et de se diriger vers le campement pour les soins. La druidesse saisit le sous-entendu et retourna sur ses pas, le cœur lourd.

Après avoir passé le reste de la journée à panser des plaies et badigeonner des ecchymoses, la brune se posa enfin dans sa tente à la nuit tombée, seule. Elle baissa son regard embrumé vers la broche qui l’avait trahie, retirant sa cape d’un geste énervé. Elle ne se sentait pas à la hauteur pour ce genre de missions. Elle aurait dû décliner. Elle aurait dû dire à Huang Hua qu’elle laissa sa place à Koori, ou n’importe qui d’autre de l’Absynthe.
Sa gorge se serra, la prévenant de l’arrivée d’un sanglot qu’elle étouffa péniblement.

- Edmia ?

L’interpelée se retourna vers l’entrée de la tente pour y trouver le vampire à l’expression fermée.

- Si tu es venu me faire une leçon de morale, c’est inutile, coupa-t-elle en reniflant légèrement. J’ai compris, je ne suis pas de taille. J’aurais pu faire tuer tout le monde.
- Toi la première, lança Nevra sur un ton acerbe. Je crois qu’au contraire, tu ne comprends pas.

La druidesse se releva, poings serrés.

- Je comprends très bien ! Tu m’en veux tellement que tu as préféré me laisser aux mains d’un soldat !
- Pardon ?
- Ne fais pas l’idiot ! Tu m’as vue, tu as remarqué la lame sur ma gorge et tu n’as rien fait ! Je peux comprendre que tu m’en veuilles d’avoir manqué de discipline mais de là à me laisser mourir aux mains d’un soldat !
- Edmia, je savais-
- Tu aurais au moins pu faire semblant d’être inquiet, coupa-t-elle dans un élan d’émotivité. J’ai tenté de les détourner, j’ai tenté de réparer mon erreur et je m’en veux de l’avoir commise mais je ne méritais pas un tel dédain de ta part !
- Edmia, bon sang ! S’écria le vampire en la saisissant par les épaules. Tu racontes n’importe quoi !

Son œil valide brillait d’une lueur nouvelle que la druidesse ne lui connaissait pas : la peur. Nevra semblait aussi terrifié qu’elle.

- Je ne t’ai pas ignorée ! Je savais qu’Adresia était juste derrière toi, je l’ai vue ! Elle avait bien plus de chances de te sauver que moi, alors j’ai feins l’indifférence pour déstabiliser le soldat et laisser le champ libre à quelqu’un d’autre !

Edmia ne disait plus rien. Elle restait là, immobile, les bras emprisonnés dans la poigne du vampire.

- Comment peux-tu croire une seule seconde que je t’aurais laissée là ? Je me fiche que notre couverture soit grillée, je me fiche d’avoir dû me battre contre ces mercenaires, mais que tu me reproches de t’avoir abandonnée alors que… Que…

Les mots lui manquèrent.

- Que quoi ? Insista la brune.

Le vampire n’ajouta rien. A la place, il écrasa ses lèvres contre celle de la jeune femme, priant tous les dieux pour que ne serait-ce qu’une infime partie de ses sentiments soient communiqués dans ce baiser à l’arrière goût de désespoir. Edmia senti la prise de Nevra faiblir, ses mains remontèrent vers ses joues pour s’enfouir dans ses cheveux, la pressant tout contre lui. Elle fit de même, enlaçant la nuque de l’Etincelant de ses bras frêles, rendant son baiser avec au moins autant de ferveur.
Quand ils s’écartèrent enfin l’un de l’autre, Nevra semblait avoir retrouvé la parole.

- C’était le seul moyen de te sauver, Edmia… Si tu savais à quel point j’avais envie de me jeter sur lui et de…

Il semblait presque l’avoir retrouvée.

- J’ai compris, interrompit la jeune femme. Je suis désolée…
- Non, c’est moi. J’aurais dû réagir autrement, j’aurais dû…
- Tais-toi un peu, tu veux ?

La brune se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un second baiser sur les lèvres tremblantes de Nevra.

- Edmia…, soupira-t-il faiblement.
- Hmm ?

Le vampire baissa les yeux pour rencontrer ceux de la jeune femme.

- Je… Je t’aime.

Un autre baiser, plus doux. Celui-ci semblait presque providentiel.

- Je t’aime aussi, répondit doucement la jeune druidesse.

*

Non loin de là, une bière à la main, Ray soupira dans un sourire.

- Bon sang… Ils ont pris leur temps, ces deux-là marmonna-t-elle entre deux gorgées.

Nos colères partagées

    Il y a parfois des jours où dès le réveil, nous savons que rien ne va aller comme nous le voudrions.

    Après une nuit agitée par d’étranges cauchemars, Lance ouvrit les yeux sur son plafond banal. Il resta un moment ainsi, fixe dans son lit, le regard dans le vide. Le dragon avait besoin de remettre ses idées en place. Puis, il soupira. Le chef de garde n’avait aucune envie de se lever ce matin, comme ceux qui avaient précédé. Lance savait qu’il ne verrait pas Serenata aujourd’hui encore.
    En effet, son amie était partie en mission diplomatique dans la contrée de Noël. La garde avait profité de l’ouverture de cet endroit pour négocier des traités avec les peuples y habitants. La gardienne avait été choisie pour ses capacités offensives remarquables, ce qui seraient utiles contre les créatures hostiles de la région.
Enfin, Serenata n’était plus vraiment une amie, mais plutôt une amante. D’ailleurs, son corps manquait grandement au dragon. Mais leur relation devait rester secrète pour le moment, aucun des deux ne voulaient avoir les commères sur le dos. Seuls les proches de la gardienne étaient au courant, ce qui était largement suffisant !
    Ainsi, les deux compagnons se retrouvaient en secret, parfois dans le QG, parfois dans l’une de leur chambre. Ces rencontres étaient souvent nocturnes, la nuit aidant à la discrétion, mais aussi développant les passions.

    Dans un râle sonore, le dragon se leva pour s’habiller. Il avait des rapports à faire et les nouvelles recrues à entrainer. D’ailleurs, elles allaient sûrement subir l’humeur massacrante de leur chef.
    Lance s’habilla machinalement, puis mit son armure. Tous ses gestes étaient mécaniques, comme une horloge bien huilée. Dans son quotidien si bien orchestré, Serenata était la variable qui le rendait moins morose. Parfois il s’étonnait de sourire sans raison à la jeune femme aux cheveux rouges. Malheureusement, elle était partie pour le moment.
    Le dragon sortit de sa chambre et se dirigea vers la salle des portes. Son visage laissait paraitre son humeur. Il fut arrêté par Huang Hua qui voulait lui parler dans la salle du conseil. Sans un mot, le dragon la suivit.

“Nous avons reçu une lettre de la reine des neiges, déclara-t-elle sans préavis”

    Lance ne savait pas vraiment où sa chef voulait en venir. Cependant, il avait compris qu’elle parlait de la mission de Serenata. Cela le tendit un peu, comme un mauvais pressentiment.

“Serenata a été capturée par la reine pour faute grave. Elle ne m’a pas précisé la faute, malheureusement. Je ne peux pas aller rapidement dans la contrée. J’aurai besoin que tu ailles voir quel est le problème, avec ta forme draconique tu peux y aller rapidement. De plus tu supportes le froid.”

    Lance se retenait beaucoup de montrer ses émotions. Enfermée ? Serenata était dans un cachot pour faute grave ? Oui la jeune femme avait le sang chaud, mais elle savait toujours bien se tenir et respecter les ordres. Il fonça les sourcils, trahissant ses tourments.

“J’aimerais que tu ailles voir quelle est cette faute, mais aussi ramener Serenata et les traités. Tu dois partir tout de suite, si tu veux arriver ce soir. Je t’ai laissé une carte.”

    Huang Hua montra un papier vieilli sur la table. La carte avait dû être tracée il y a longtemps, car elle était jaunie et trouée par endroit. Le dragon se pencha dessus pour l'étudier. Il n'avait jamais eu l'occasion de visiter la contrée de Noël et aurait préféré s'y rendre dans d'autres circonstances.
Après quelques minutes de concentration pour retenir la carte, Lance se tourna vers la chef.

''Très bien, je reviens au plus vite.''

Sur ses paroles froides, il quitta la salle et le QG. Le chef de garde soupçonnait Huang Hua de connaitre son lien avec la jeune femme aux cheveux rouges. Elle l'avait choisi en sachant qu'il ferait au plus vite pour la rejoindre, même s'il n'était clairement pas le plus diplomate des gardiens.

Arrivé dans la plaine, il prit sa forme draconique et s'envola pour la froide contrée hivernale. Il vola une grande partie de la journée avant de dépasser les dernières îles chaudes d’Eel.
Un blizzard glacial l’accueillit et brouilla sa vue. Il était difficile de se repérer avec toute cette neige. Heureusement pour lui, le château de glace était immense. Il n’eut aucun mal à le trouver.
Lance se posa non loin et reprit forme humaine. Rapidement des gardes du château vinrent à sa rencontre :

“Que faites-vous ici ? Cria celui qui semblait être le chef.
- Je suis Lance gardien de la garde d’Eel. Je viens pour parler à la reine, répondit le dragon en levant ses mains pour prouver sa bonne fois.”

Même ici son nom n’était pas étranger. Il se laissa escorter sans rien faire. Ils traversèrent la ville de glace et avec étonnement Lance découvrit une cité silencieuse. On pouvait penser qu’elle était hantée, car il ne vit pas âmes qui vivent.
Après plusieurs minutes de marche, Lance vit quelques habitants, mais ces derniers semblaient en proie à la peur. Difficile pour le dragon de savoir si c’était lui qui provoquait cette émotion ou pas. Il l’avait vu dans le regard de tellement de personne avant…

Les soldats l’emmenèrent dans une pièce et le surveillèrent plusieurs minutes. Puis Lance fut présenté à sa majesté. La reine se tenait sur son trône de glace, chaudement vêtue de fourrures en tout genre de couleur blanche. Ses yeux bleus ressortaient et étaient richement maquillés. Avec son regard de biche, elle détailla Lance. Le dragon devina un sourire sur ses lèvres.

“Bonjour très cher Lance. J’étais impatiente de vous rencontrer.”

    Sa voix était enjôleuse et ses yeux perçants. Lance devina qu’elle aussi était au courant de son lien avec Serenata, ce qui expliquerait pourquoi elle savait qu’il viendrait. Pour autant, le dragon ne laissa rien paraitre.

“Vous êtes ici pour la gardienne je suppose ? Elle est dans un des cachots. Je pense qu’elle n’aime pas vraiment la chaleur de ce monde malheureusement.”

    Elle se mit à rire. Il avait quelque chose de cristallin qui aurait pu le rendre agréable à l’oreille si les mots prononcés avaient été autres. Lance se contenait beaucoup pour ne pas attaquer directement la souveraine. Elle prenait d’ailleurs un malin plaisir à le torturer ainsi.
    Le regard rempli de haine, le dragon observait la reine entortiller ses mèches blondes autour de son doigt.

“Votre altesse, il n’est pas raisonnable de la retenir ainsi. La garde ne vous a jamais été hostile, rappela-t-il en essayant d’être le plus courtois possible au vu de la situation.
- Il est vrai, mais votre… amie, elle sourit à ce mot, m’a manqué de respect.
- Comment madame ? Cela étonnait le chef de garde.
- Disons que … nous avons parlé de vous, avant de parler de ce traité ennuyeux. J’ai émis l’idée de vous rencontrer pour discuter. Et plus si affinités, ricana-t-elle. Votre amie semble très possessive et a voulu m’attaquer quand j’ai émis l’idée de vous envouter. On ne m’attaque pas pour des choses aussi futiles.
- Je peux le concevoir madame, mais vous ne pouvez la garder ici éternellement sans entacher nos relations.
- C’est fort dommage, j’aurais aimé vous garder encore avec moi.”

    Maintenant elle jouait avec un verre d’une liqueur quelconque, en dévorant toujours Lance des yeux. S’en était trop pour lui.

“Écoutez-moi bien, si je le voulais je pourrais tous vous tuer d’un simple regard. Nous nous sommes tous bien amusé maintenant signez les papiers du traité et libérez la gardienne.”

    L’attitude de la reine changea. Elle semblait juger Lance, estimer s’il disait la vérité ou pas. Les gardes s’étaient mis en position défensive et le gardien ne quittait pas des yeux la souveraine.

“Soit, soit, finit-elle par dire d’un geste las de la main. Allez libérer la prisonnière. Je ne singerais pas le traiter par contre.”

    Elle regardait Lance de haut. La reine n’avait pas apprécié le ton du dragon, mais elle savait qu’elle ne pouvait rivaliser avec sa puissance. Serenata finit par arriver, frigorifiée et blessée. Elle avait une plaie à la jambe et Lance devina que c’était dû à un coup de lance d’un garde. Il ne dit rien, mais la tension était palpable. Le gardien salua la reine sans un mot, prit les traités qui étaient sur une table proche et s’avança vers son amante.
    Malgré la douleur, la gardienne semblait heureuse de le revoir et lui souriait tendrement. Le dragon lui caressa la joue puis la porta et sortit de ce sinistre château. La jeune gardienne serra son cou et se blottissait contre lui tremblant un peu de froid.

“Je vais devoir prendre ma forme draconique pour que nous puissions vite partir d’ici, prévient Lance. Accroche-toi bien”

   
Le gardien se transforma et prit Serenata dans sa patte avant de s’envoler. La jeune femme essaya de tenir le plus possible malgré le froid du vent qui s’engouffrait. Malgré la poigne de sa serre, la gardienne glissait. Ses mains essayèrent de s’agripper à ses écailles, mais le zeph glacial rendait les choses compliquées.
    Lance essaya de voler bas et pas trop vite. Cependant, il sentait bien que sa partenaire avait du mal à rester en place. Jamais elle ne tiendrait jusqu’au QG. Une fois sortit de la contrée, le chef de garde se posa sur l’île la plus proche. Il reprit sa forme humaine et coucha son amie sur le sable chaud, sous le beau soleil d’Eldarya.

    Serenata ferma les yeux pour profiter de la chaleur qui irradiait enfin son corps. Quelques minutes plus tard, elle sentit les doigts de son amant sur sa jambe : Lance était en train de soigner sa blessure. Ce contact la rassura et elle sourit en regarda le dragon concentré sur sa tâche. Il finit par croiser son regard et se rapprocha d’elle, une fois la blessure bandée.
Ses lèvres rencontrèrent celles de son amante pour un baiser des plus passionné.Il caressa son corps, comme pour se convaincre qu’elle était bien là. Serenata répondit à cet appel et sentait son corps se réchauffer sous ses délicates attentions.

Bientôt la contrée de Noël ne fut plus qu’un lointain souvenir.

Rose Clarimonde par Lethos

Y  E  V  A    I  S    H  E  R    N  A  M  E