Ordre 1
Pour conclure sa longue journée de patrouille dans un petit village des plaines d’Eel, Aimylis avait décidé de faire une halte dans une taverne faisant aussi office d’auberge. Rien de mieux, selon elle, qu’un peu d’hydromel et un bon lit pour la nuit.
En franchissant la porte, elle fut immédiatement frappée par l’ambiance glaciale du lieu. D’ordinaire, ces endroits sont bruyants, débordants de rires, de chants et de discussions. Mais là… un silence pesant régnait. On aurait pu entendre une mouche voler.
Son regard balaya la salle. Tous les villageois qu’elle avait croisés au cours de ses rondes s’étaient écartés d’une table bien précise. Autour de celle-ci trônaient deux elfes et un imposant gaillard au sang manifestement mêlé d’orc. Il toisait les autres clients d’un œil noir, un couteau entre les dents, posture aussi ridicule que menaçante.
Charmant, pensa la métamorphe.
Avec un soupir, elle s’installa à la table voisine, ignorant volontairement le trio. Elle fit signe au tavernier et commanda une choppe bien pleine. En retirant sa cape, elle dévoila sa longue chevelure blanche, tressée en couronne sur sa tête, détail rare qui ne passa pas inaperçu. Les trois voyous se turent pour mieux l’observer.
L’un des elfes finit par se lever, un sourire douteux aux lèvres.
— Alors beauté, on boit toute seule ? Viens donc avec nous, on saura te protéger...
Aimylis le détailla de haut en bas, haussa un sourcil… puis éclata de rire au moment même où une serveuse âgée posait sa boisson sur la table. L’elfe grogna, vexé, et jeta un regard à ses acolytes qui, visiblement piqués dans leur orgueil, commencèrent à se lever.
— Oh ? T’as pas l’habitude qu’une femme se moque de toi ? Pourtant, avec une approche aussi fine qu’un marteau, fallait s’y attendre.
La serveuse poussa un petit cri et fila à toute vitesse. Rouge de honte, l’elfe sortit une dague d’un geste vif. Mais Aimylis fut plus rapide. En un éclair, sa manche se retrouva clouée à la table par une lame à double tranchant, marquée du sceau de la Garde de l’Ombre.
— Non, non, mon joli... On ne joue pas à ça entre nous. C’est toi qui es venu me déranger, non ? Alors pourquoi sortir les armes ?
Elle croisa les bras sur la table et y posa sa tête, un sourire amusé aux lèvres.
— Je te propose un marché. Si tu me bats au bras de fer, je monte avec toi dans une chambre. Mais si je gagne, toi et tes copains vous déguerpissez d’ici. Marché conclu ?
L’elfe hésita, puis jeta un regard vers le demi-orc. Bien sûr, tu crois que je n’y avais pas pensé, pensa-t-elle, sans cesser de sourire.
Le colosse se leva et s’installa face à elle, déclenchant un murmure d’excitation dans la taverne.
— Tu changes les règles ? Soit. Si c’est lui que je dois battre, allons-y.
L’elfe murmura quelques mots à l’oreille du mastodonte. Aimylis craqua ses doigts et prit position, transformant subtilement son bras, ajoutant force et densité musculaire. Le combat s’engagea.
À la surprise générale, elle tint bon. Les villageois, d’abord muets, commencèrent à l’encourager. Puis, avec un clin d’œil vers les trois voyous, elle écrasa littéralement le bras du demi-orc sur la table.
— Oups. J’espère ne pas t’avoir blessé !
Le colosse se redressa, furieux, mais l’elfe l’arrêta et, humilié, entraîna son groupe vers la sortie.
— Et ne remettez plus les pieds ici, les enfants ! Les tavernes, c’est pour les grands.
Elle les raccompagna jusqu’à la porte d’un claquement sec, avant de retourner s’asseoir. Les villageois, reconnaissants, lui offrirent gîte et couvert pour la nuit.
Une mission de plus, accomplie.