Mission SS : Rencontre avec une désse.
À l’aube d’un nouveau jour, Loklos profitait de la fraîcheur nocturne pour voler dans le ciel dégagé, jouant avec d’autres familiers, sous le regard bienveillant de sa mère adoptive. Le petit dragon s’amusait à agiter ses ailes pour faire tourbillonner les lucioles, créant une masse lumineuse virevoltante qui fit naître un sourire sur le visage d’Aimylis.
Allongée dans l’herbe, elle savourait les derniers instants de la nuit. Elle venait de finir son rapport de mission — la paperasse et elle, ça n’avait jamais fait bon ménage. Un soupir lui échappa, et elle ferma les yeux. Depuis combien de temps ne s’était-elle pas permis de flâner ainsi, tout simplement ?
Depuis son entrée dans la Garde, elle n’avait cessé de se donner à fond, déterminée à prouver qu’elle méritait sa place. Les murmures sur son passage évoquaient sa férocité, ou sa relation ambiguë avec Nevra. Certains allaient jusqu’à fouiller dans son passé — les fouineurs dans toute leur splendeur, toujours avides de secrets.
Un soupir las franchit ses lèvres. Un craquement la fit tourner la tête. Huang Hua se tenait là, un sourire discret sur le visage.
— Je peux me joindre à toi pour profiter du lever de soleil ? demanda-t-elle.
La métamorphe lui répondit par un sourire en tapotant l’herbe à côté d’elle.
— Bien sûr, tu es toujours la bienvenue à mes côtés.
La fenghuang rit doucement et s’assit avec élégance. Elle observa un moment les familiers jouer dans les premiers rayons dorés. Aimylis perçut une ombre de tristesse dans son regard.
— Tu veux parler de quelque chose, Huang Hua ? demanda-t-elle avec douceur.
Surprise, la jeune femme aux cheveux châtains ouvrit la bouche plusieurs fois sans qu’aucun mot ne sorte… avant d’éclater de rire, puis de se laisser tomber sur le dos dans l’herbe.
— Je vois que je ne suis pas la seule à avoir un bon sens de l’observation…
— Eh non. Il le faut bien pour être une bonne Ombre.
— Tu n’as pas tort.
Après un court silence, Huang Hua tourna la tête vers elle, pensive.
— Je me souviens de notre première rencontre… C’était explosif. Tu revenais tout juste de mission, et moi, je venais d’arriver. On s’est croisées à l’auberge, et si je me souviens bien… tu as essayé de me draguer.
— Par les Déesses… pourquoi me rappeler ce moment de honte absolue ?
— De la honte ? Tu veux dire que c’est honteux de vouloir de moi dans ton lit ?
La descendante du phénix haussa un sourcil avec un sourire en coin et lui donna un petit coup de coude complice.
— Non, pas ça… Ce qui est honteux, c’est d’avoir dragué l’émissaire que j’allais devoir protéger pendant presque cinq mois.
— Vu sous cet angle… oui, en effet.
Les deux femmes éclatèrent de rire. Puis le silence s’installa de nouveau, paisible, alors que le soleil commençait lentement à grimper dans un ciel déjà voilé par de fins nuages.
— Aimy ?
— Mmh ?
— Je peux te parler de quelque chose ?
— Bien sûr. Tu peux tout me dire.
La fenghuang prit une inspiration et se racla doucement la gorge.
— Cette nuit, je me suis souvenue de mon arrivée à Eel. J’étais terrorisée à l’idée de rencontrer Miiko, de devoir défendre les intérêts de mon peuple face à celle qu’on surnomme la "kitsune carnassière". Avant d’arriver, j’avais demandé à Feng Zifu de faire une pause dans une auberge… C’est là que je t’ai rencontrée. Mais… ce n’était pas totalement désintéressé non plus.
Aimylis se redressa légèrement, un sourire au coin des lèvres. Elle savait déjà de qui il s’agissait, mais préféra se taire pour ne pas interrompre.
— Tu sais que dans mon peuple, on croit fermement aux âmes sœurs. On pense que chacun a quelqu’un, quelque part, pour compléter son âme.
— Oui… J’ai entendu une histoire semblable là où j’ai grandi. Une très belle histoire d’amour.
Huang Hua hocha lentement la tête.
— J’aimerais l’entendre un jour… Enfin. Je disais donc… Une âme sœur. Et quand je suis entrée dans ce petit village, je l’ai vue. Une femme aux cheveux presque blancs. J’ai eu l’impression que mon cœur ratait un battement. Elle rayonnait. Elle aidait tout le monde. Elle avait une aura… un charisme incroyable.
Elle marqua une pause, observant le ciel s’assombrir tandis que l’odeur de pluie commençait à se faire sentir. Les familiers redescendaient peu à peu pour se mettre à l’abri, mais ni l’une ni l’autre ne bougea.
— Tu te doutes de qui je parle, n’est-ce pas ?
— Bien sûr. Mais je te laisse le dire. C’est ton souvenir.
Un sourire doux s’étira sur les lèvres de Huang Hua.
— Tu as raison. Quand j’ai vu Eweleïn, j’ai cru à une apparition, un mirage. Comme si la Déesse de la Lune était descendue parmi nous pour soigner les âmes brisées. J’ai même demandé à Feng Zifu s’il la voyait lui aussi. Et quand il m’a répondu oui… j’ai compris que ce n’était pas une hallucination. Elle était là. Réelle. Debout au milieu du chaos, des fioles et des cartes accrochées à sa ceinture, donnant des ordres, organisant tout, inlassablement.
Elle s’arrêta encore, le regard perdu.
— Depuis ce jour, je ne sais plus comment me comporter avec elle. Est-ce qu’elle a ressenti la même chose ? Est-ce que je me fais des idées ? Est-ce qu’elle pourrait…
— Huang Hua, souffle un coup. Laisse moi te booster un peu. Eweleïn est la première à croire aux âmes sœurs. Elle espère de tout cœur trouver la sienne. Et surtout… elle te trouve charmante. À ta place, je foncerais.
— Tu… Tu as raison ! J’y vais !
Sans laisser le temps à Aimylis d’ajouter que c’était peut-être un peu tôt, la fenghuang s’était déjà levée d’un bond et avait disparu. Restée seule avec son familier, la métamorphe le fixa, suspicieuse.
— Toi, t’as fait une bêtise.
Le petit dragon poussa un couinement, avant de lui montrer fièrement une magnifique pastèque dorée… identique à celle que cultivait le vieux brownie grincheux du village voisin.
— Loklos ! Tu vas encore nous valoir une séance de jardinage forcé…
Le dragon ronronna, se frotta à sa maîtresse, et pile à ce moment-là, la pluie se mit à tomber doucement sur le QG d’Eel.
— On l’offrira à Eweleïn et Huang Hua, pour leur couple. Je sens déjà que je vais me faire tirer les oreilles par Madame l’Infirmière pour avoir vendu la mèche…
Aimylis éclata de rire et se laissa tomber dans l’herbe détrempée, sans la moindre envie de bouger. Elle voulait juste profiter encore un peu de ce moment de calme.