OC : "Tout en haut de la montagne du dragon" (par contre pour le titre j'ai vraiment aucune inspi)
Comme tous les soirs, je promène mon atonie vers le plus haut sommet de mon île natale où je m’installe en observant l’océan, obscurci par le voile glacé de la nuit, qui s’étend à perte de vue. Je tente alors de vider mon esprit, en vain. De manière incessante de multiples pensées viennent empoisonner mon esprit. Qu’aurait été ma vie si mon frère n’avait pas brisé notre lien en acceptant sa véritable nature ? Qu’aurait été ma vie si les miens n’avaient pas été massacrés ? Qu’aurait été ma vie si mes parents ne s’étaient pas sacrifiés ? Pourquoi mes congénères ont-ils accepté l’idée folle de se sacrifier pour des êtres qui n’en valent pas la peine ? Et surtout, pourquoi ne suis-je pas mort avec eux ? Je ne suis pas suicidaire, mais je suis las de la vie. Lorsque je me bats je n’ai pas peur de mourir. Je sais que lorsque j’accomplirai mon destin ce monde mourra, et je mourrai avec lui. Je suis prêt, je n’ai pas peur. La mort est ma seule amie dans ce funeste combat, et il me tarde de la rejoindre dans les champs de roseaux. Parfois dans mon lit le soir, je me mets à espérer … à espérer que la mort vienne à pas de loup à mon chevet. Qu’elle s’installe près de moi, me regarde avec bienveillance et qu’elle dépose tendrement sur mon front son baiser funeste, tel le baiser nocturne d’une mère venant chasser les ténèbres des songes de son fils bien-aimé. Oh, Mort, viens m’octroyer le repos éternel, efface ce poison de haine que les hommes ont insufflé dans mon cœur et accueille moi en ton royaume dépourvu de tout tourment. Que cette pensée est douce, calme, paisible. Cependant, je dois me ressaisir. Je ne peux me laisser aller à la mort sans emporter avec moi ce monde abject. Avant de remonter le Styx en compagnie de Charon, je dois voir ce monde brûler dans le feu de ma haine, il faut que les hommes sentent dans leur chair la blessure qu’ils m’ont faite, je veux sentir l’espoir quitter ce monde comme il a quitté mon cœur il y a de cela 2 ans …
Que vient-elle faire ici ? Pourquoi vient-elle souiller la quiétude de ce lieu et le cheminement de mes pensées ? Je l’entends arriver, ce qui n’est pas difficile, la discrétion n’est pas le point fort de cette petite peste. Voilà 2 mois que nous avons quitté l’île de Mémoria, 2 mois que mon frère a rejoint mes rangs non sans montrer une certaine réticence, 2 mois que j’ai jeté cette petite grâce depuis la falaise de Mémoria pour pouvoir la récupérer par le biais du kraken, 2 mois que je l’utilise comme moyen de pression contre mon frère si ce dernier décide de se montrer récalcitrant lors de nos séances d’entrainement. Celles-ci, au commencement, n’étaient pas de tout repos, entre les échecs répétitifs de mon frère incapable d’exprimer sa véritable nature et les vociférations de cette gamine qui a brillé par son originalité en matière d’insultes à mon égard. Néanmoins, depuis quelques temps, j’ai pu remarquer un changement notable dans leur attitude. Mon frère semblait prêt à accepter ses pouvoirs, et surtout à m’obéir, et cette Erika a su montrer qu’elle était capable de se taire pendant plusieurs minutes d’affilées. Un exploit ! Ma première réaction fut de savourer ce calme ambiant, mais rapidement j’ai décidé de me méfier. Orion m’a informé que Valkyon et Erika avait eu une petite discussion ensemble où elle lui enjoignait d’accepter ses pouvoirs pour devenir un véritable dragon, mais également de m’obéir, de ne pas faire de vague, et de se rapprocher de moi. Mon frère se serait d’abord montré opposé à cette demande, mais elle lui aurait demandé de lui faire confiance, qu’elle savait ce qu’elle faisait. Oh, ma chère Erika, je ne sais pas quel plan tu as bien pu manigancer pour me nuire mais sache une chose, tout ce que tu entreprendras échouera. Tu m’as déjà trahi par le passé en donnant ma position à la garde dans l’unique but de me faire tuer. J’ai cru à tes belles paroles quand tu me demandais de te faire confiance, lorsque tu semblais me promettre que tu serais toujours là pour moi. J’y ai cru. Quelle faiblesse ! On ne m’y reprendra pas 2 fois. Je ne sais ce que tu manigances cette fois, mais cette fois je suis prêt, prêt à ruiner tes plans contre moi, prêt à te détruire s’il le faut. Je te hais au plus profond de moi.
Je te sens, tu es là, derrière moi. Tu ne dis rien. Tu attends. Tu regardes l’horizon qui s’étend à perte de vue. De longues minutes passent, et il ne se passe toujours rien. Pourquoi tu ne bouges pas ? Pourquoi tu ne dis rien ? Bouge, fais quelque chose, essaye de me jeter dans le vide, frappe moi, hurle moi dessus, insulte moi, dis-moi à quel point je suis un être horrible, un monstre, dis-moi à quel point tu me hais …
- « Bon sang tu vas dire quelque chose !? » hurlé-je, sans me rendre compte que les mots ont franchi la barrière de mon esprit et résonnent tout autour de nous, mais également sans me rendre compte que son silence me pesait plus que je ne l’aurais voulu.
Je la regarde. Elle semble si frêle, si fragile. On dirait qu’elle pourrait se briser si l’on n’y prenait pas garde. Et pourtant elle est là, face à moi, pleine de détermination, pleine de courage, mais surtout extrêmement inconsciente du danger qui se présente face à elle. Est-elle à ce point stupide pour ne pas avoir peur du monstre qui se tient devant elle ?
- « Bonsoir à vous aussi, Lance » me répond-t-elle d’un ton qui se veut neutre mais qui dissimule mal la surprise qu’elle a ressenti quelques secondes auparavant en entendant l’expression de mon exaspération.
- « Que me veux-tu ? »
- « Rien du tout. Je me promène comme tous les soirs, je n’ai que ça à faire de toute façon » me lance-t-elle avec un regard accusateur.
- « Et Orion n’est pas avec toi ? »
Elle hausse les épaules.
- « On va dire qu’il est assez facile d’échapper aux griffes de son geôlier à travers le dédale de couloirs que ce volcan offre. Et j’ai le manteau de la nuit pour me dérober à ses yeux. »
Elle m’impressionne. Notre petite gamine naïve et stupide devient de plus en plus une adepte de la duperie. Raison de plus de me méfier d’elle.
- « Alors soit. Balade-toi où bon te semble. Ce n’est pas comme si tu pouvais échapper à cette île, ce n’est pas comme si tu pouvais t’envoler vers d’autres rivages, petite aengel sans ailes »
Je vois que ma petite pique a eu l’effet escompté. Je vois à son regard que j’ai suscité sa colère, même si je ne peux m’empêcher d’y lire autre chose. Serait-ce une pointe de tristesse, de regret que je lis dans son regard ?
- « Pourquoi me haïssez-vous ? » me demande-t-elle soudainement.
Cette gamine a toujours eu le don de me surprendre.
- « Vous me kidnappez, vous m’humiliez, vous me menacez, vous menacez mes proches, vous cherchez à me tuer en me jetant du haut d’une falaise, vous m’utiliser comme moyen de pression contre votre frère comme une vulgaire poupée de chiffon à la merci d’un enfant capricieux, et maintenant vous cherchez à m’atteindre par des propos acerbes que je ne pense pas mériter. Donc je vous repose la question : pour quelles raisons me haïssez-vous à ce point ? » continue-t-elle de manière virulente.
Je mets quelques secondes avant de lui répondre calmement.
- « Je t’ai kidnappé car j’avais besoin de toi, il ne s’agissait absolument pas de haine, j’avais tout simplement besoin de toi pour parler aux miens à Mémoria. Tu connaissais la voie pour atteindre la porte des dragons, je t’ai kidnappé dans cet unique but. Ensuite, je ne t’aurais pas menacé toi et tes proches si vous n’aviez pas tous cherché à me mettre des bâtons dans les roues. Peu importe les obstacles que mes ennemis s’évertueront à poser sur ma route, j’obtiens toujours ce que je veux, sache-le. Et pour la tentative d’assassinat, on va dire que c’est un peu raté étant donné que tu as survécu » dis-je en concluant avec un sourire sarcastique.
- « Vous vous moquez de moi ? » s’emporte-t-elle.
- « Crois-tu vraiment que je n’aurais pas réagi à ta trahison ? Si tu t’étais montrée plus conciliante sur Mémoria, peut-être t’aurais-je libérée, peut-être aurais-tu ainsi pu rejoindre les bras de ton cher et tendre. Mais ça, nous ne le saurons jamais. En dévoilant notre position à la garde, tu ne voulais qu’une chose, que l’on me conduise à l’échafaud, tu voulais me voir pousser mon dernier soupir en haut de cette falaise, voir mon sang se répandre sur cette terre ayant appartenu autrefois aux miens. L’arrivée de la garde t’a amenée à me montrer ton véritable visage, celui d’une petite peste, d’une garce dont la simple vue me donne des envies de meurtre » continué-je de manière de plus en plus hargneuse.
Un silence pesant s’installe entre nous que seules les bourrasques de vent viennent interrompre. Ce que je lis dans son regard me surprend, j’y vois … du regret ! Et la réponse qu’elle finit par me donner continue de m’étonner.
- « Je suis désolée … Mais vous devez comprendre. J’avais peur. Un homme que je ne connais pas, que l’on me présente comme le plus grand ennemi qu’Eldarya n’ait jamais connu, qui n’a pour unique but que de tous nous tuer, et qui s’évertue à me rappeler joyeusement que mon petit-ami est mort à cause de lui, croyiez-vous vraiment que je serais restée de marbre sans essayer de trouver un moyen de m’échapper, un moyen pour que quelqu’un me vienne en aide. Alors oui, je vous ai trahi en donnant notre destination à la garde, c’est vrai. Cependant, une de vos accusations est incorrecte. Je n’ai jamais voulu que l’on vous tue. La mort n’est pas une solution. Même vous … vous ne méritez pas de mourir. »
Elle ne ment pas, je le sens. Il n’y a pas une once de mensonge dans ses propos. Oh Erika … tu es bien difficile à cerner. Un instant tu me montre le visage d’un petit ange candide et tout de suite après tu deviens un démon qui me donne tout simplement envie d’enserrer ta jolie petite gorge jusqu’à ce que ton visage prenne la couleur de tes yeux. Quand cesseras-tu de me rendre fou ? Cette pensée me ramène au changement brutal de son comportement et de celui de mon frère. Qui est l’auteur de ce plan, l’ange ingénu ou le démon manipulateur ?
- « Sur ce, je ne vais pas abuser de votre temps plus longtemps, surtout en sachant à quel point ma compagnie vous exècre. Je vais vous laisser » annonce-t-elle en commençant à descendre l’escalier qui l’a mené à mon havre de paix.
- « Attends ! »
Je la rattrape rapidement et viens me positionner en face d’elle. Elle ne partira pas avant de m’avoir apporté les réponses que j’exige.
- « Tu « avais » peur ? Ce n’est plus le cas aujourd’hui ? » lui demandé-je avec un sourire moqueur.
- « Non … je n’ai plus peur … Je n’ai plus peur car j’ai appris à vous connaître. »
- « Ah, vraiment ? » réponds-je en lui riant au nez même si ma petite ingénue ne se laisse pas démonter. Erika, personne ne me connaît, pas même toi … « Et dis-moi, est-ce parce que tu as appris à me connaître si bien que tu manigances dans mon dos avec mon frère ? Est-ce la raison pour laquelle tu décides encore une fois de manigancer pour me nuire et me donner en pâture à ta précieuse garde ? »
La surprise se lisait dans ses yeux, mais Erika reprit rapidement contenance.
- « Comment … ? » demanda-t-elle.
- « J’ai des oreilles partout. Et surtout, parler de ce plan avec mon frère alors que tu savais qu’Orion te suivait à la trace et me rapportait le moindre de tes faits et gestes était, je dois le dire, une idée des plus stupides, même pour toi. Maintenant, réponds à ma question. Tu as élaboré ce plan, toi et mon frère vous vous montrez plus dociles à mon égard, mais dans quel but ? A quel dessein ? Et ne me mens pas, je le saurais »
- « Car … s’il y a bien une personne qui peut vous ramener à la raison c’est lui. Lui, votre frère, votre unique famille. »
- « Mon frère ? Me ramener à la raison ? C’est moi qui vais le ramener à la raison en lui expliquant la nécessité de donner l’absolution à ce monde qui a détruit les nôtres, c’est moi qui vais le ramener à la raison en lui expliquant comment cette chère petite garde d’Eel a massacré bon nombre de personnes innocentes impunément, et avec le soutien de puissants faeries comme les fenghuangs, c’est moi qui vais le ramener à la raison en lui expliquant que la corruption a infecté ce monde à partir du moment où faeries et humains se sont associés afin de nuire aux plus démunis. » lui réponds-je de manière incisive.
- « Je vous l’ai dit, la mort, pour moi, n’est pas une solution. Détruire ce monde, mettre à mort tous les membres de la garde, tuer faeries et humains, ce n’est pas une solution. Et j’ai l’espoir que votre frère puisse vous raisonner sur ce point. J’ai l’espoir que votre frère vous montre que vous vous trompez, que la garde a changé. J’ai l’espoir que votre frère vous montre que ce monde mérite une seconde chance. »
- « Une seconde chance ? La garde aurait changé ? Laisse-moi rire. Dois-je te rappeler ce qu’ils ont fait à ta chère et tendre petite famille ? Dois-je te rappeler qui était ton unique allié lors de cette terrible trahison ? La trahison coule dans les veines de la garde, tu devrais le savoir maintenant que tu en as fait les frais. »
- « Je m’en souviens très bien. Et je me souviens aussi que j’ai été capable de leur pardonner. Et je sais que vous en êtes capable. Vous tenez ce monde et la garde pour responsable de votre malheur. Toute votre vie vous avez vécu en solitaire car vous aviez l’impression que personne ne pouvait vous comprendre, pas même votre frère. Pourquoi ? Parce que vous étiez un dragon et personne dans ce monde ne savait ce que c’était d’être un dragon, personne ne pouvais vous aider à affronter les épreuves qu’un dragon doit rencontrer dans sa vie. Personne, pas même votre frère qui a décidé de renier sa véritable nature. Vous tenez la garde pour responsable car ils auraient tué les derniers représentants de votre espèce, vous tenez ce monde pour responsable car il est la cause de la mort de vos parents. Mais en détruisant ce monde, en détruisant la garde, pensez-vous vraiment que cela ramènera vos parents ? Pensez-vous vraiment que cela vous donnera une famille ? Pensez-vous vraiment que cela apaisera vos tourments ? Non. Vous devez aller de l’avant et ne plus vivre dans le passé, et je pense que l’amour que vous porte votre frère vous y aidera. C’est ce qu’aurait voulu votre mère, elle s’est sacrifiée pour vous offrir ce monde à tous les deux. Voilà pourquoi j’ai proposé ce plan à Valkyon, car j’ai l’espoir qu’en acceptant sa véritable nature cela puisse de nouveau vous rapprocher, j’ai l’espoir qu’il vous aidera à ouvrir les yeux et à renoncer à votre quête sanguinaire, car il vous aime, et je sais qu’au fond de vous vous l’aimez aussi. »
Mon sang ne fait qu’un tour à l’écoute de cette réponse. Les propos de cette harpie réveillent la fureur du dragon de glace qui est en moi. Et c’est à ce moment que je me rends compte que depuis le début de notre échange, une colère sourde s’est insinuée en moi. Je la sens vibrer à l’intérieur de mes veines, dans tous les pores de ma peau, dans mes muscles tendus à l’extrême. Mes mains tremblent et je sens qu’une simple goutte d’eau pourrait déclencher un véritable tsunami en moi.
- « Vous l’aimez, peu importe ce que vous puissiez dire. »
- « Silence ! » hurlé-je. Je la plaque alors contre l’une des parois de roche de l’île et j’enserre son tendre cou de ma main, je me sens incapable de maîtriser ma colère. « Tu ne sais pas qui je suis, ce que je peux ressentir. Je ne ressens rien, pour personne. Je suis un dragon. Insensible, redoutable. Je pourrais mettre ce monde à genoux en un claquement de doigt. J’ai déjà tué bon nombre de personnes dans ma vie. Je pourrais tuer quiconque si je le voulais, tes amis, mon frère … Je pourrais te tuer si je le voulais. »
- « Sauf que vous n’en ferez rien », me répond-t-elle avec assurance.
- « Comment peux-tu être si sûre de toi, fillette ? », chuchoté-je à son oreille tout en resserrant un peu plus ma poigne contre ma gorge.
- « Car vous n’êtes pas le monstre que vous prétendez être »
Cette réponse me fait l’effet d’une gifle. Je ne décèle aucun mensonge, aucune duperie. Comment peut-elle dire cela après tout ce que j’ai fait ?!
- « Tu te trompes … Je suis un monstre », dis-je amèrement tout en relâchant ma prise.
- « Pas pour moi. » m’annonce-t-elle alors que je rejoins de nouveau mon perchoir familier.
Je crois bien que c’est la toute première fois de ma vie qu’une simple phrase réussit à me bouleverser à ce point. Mais elle se trompe, je suis un monstre, peu importe la manière dont elle me voit. Je blesse, je tue, et j’aime ça. Je prends du plaisir à voir le sang de mes ennemis couler le long de ma lame. Je prends du plaisir à ôter la vie à ceux qui ont détruit les miens. Je prends du plaisir à être un monstre, car c’est ce que je suis. Mais alors pourquoi diable une part de moi est rassurée en entendant ces propos venant d’elle ?
Le trouble présent en moi me fait oublier l’espace d’instant la présence d’Erika. Ce n’est que lorsqu’elle reprend la parole en interrompant le flux de mes pensées que je remarque qu’elle est positionnée juste derrière moi : « Vous n’êtes pas seul. »
- « Qui te dit que je suis seul ? » lui demandé-je d’un ton cynique en me retournant pour lui faire face.
- « Vous vous sentez seul, depuis toujours. Vous avez l’impression de ne pas avoir de famille, d’amis, de ne pas avoir ne serait-ce qu’une personne pour vous épauler. Vous avez l’impression que tout le monde vous a tourné le dos. Vous en voulez au monde entier de vous avoir abandonné. Vous en voulez à vos parents, car ils ont décidé de se sacrifier en vous laissant vous et votre frère dans ce nouveau monde qu’ils ont créé pour les faeries mais également pour vous, pour que vous puissiez y vivre libre. Vous vous êtes toujours senti seul, mais c’est faux. Vous n’êtes pas seul … Vous avez Valkyon … Certes votre relation s’est détériorée à partir du moment où vous avez décidé de faire de la garde votre ennemi. Mais cette situation n’est que temporaire. Charge à vous de rebâtir votre relation sur de bonnes bases. Valkyon sera toujours à vos côtés, vous pouvez compter sur lui … Vous n’êtes pas seul … »
Ses paroles me troublent. Je ne veux pas les entendre, et pourtant c’est comme si elle s’adressait directement à mon âme, qu’elle pansait ses plaies et la réconfortait comme une mère le ferait face à son enfant blessé. Ainsi, son plan ne serait pas de me nuire mais de m’aider ? Foutaises ! Elle est comme tous les autres, comme tous ces traitres qui cherchent à me détruire comme ils ont détruit ma famille. Elle causera ma perte, c’est certain. Mais alors pourquoi quelque chose au fond de moi me pousse à lui faire confiance une nouvelle fois ?
- « Vous … Vous m’avez moi. » dit-elle d’une voix à peine perceptible au moment où nos regards se croisent.
Elle est sincère. Au plus profond de moi je sais qu’elle ne ment pas. Et à ce moment je suis incapable de détacher mes yeux des siens. Nous restons ainsi, l’un en face de l’autre, à nous regarder les yeux dans les yeux durant de nombreuses minutes. C’est ainsi qu’à travers ce simple échange oculaire nos deux âmes entament un dialogue muet qu’elles seules peuvent comprendre. Je ressens de nouveau ce que j’ai ressenti sur la falaise de Mémoria le soir où je l’ai vu danser avec ses maudites créatures ailées. Je me souviens ce moment où elle s’est retournée vers moi, telle une nymphe ingénue, nos regards se sont croisés un court instant. Un trop court instant car elle a aussitôt tourné la tête et Fafnir est venu nous interrompre. Cette fois-ci rien ne viendra nous interrompre et Erika semble prête à éterniser ce contact visuel, cet échange silencieux entre son âme et la mienne.
Mon regard se perd dans ses yeux améthystes. Toute ma vie je n’ai connu que des regards emplis d’admiration, d’envie, de jalousie, de peur, de haine. Ceux qui m’entouraient ne voyaient en moi qu’un objet de fascination, un être parfait, infaillible. Ils refusaient de voir qui j’étais véritablement, ils n’aimaient que l’image qu’ils se faisaient de moi. Ils me plaçaient tout en haut d’un piédestal et me vouait un culte, et si je venais à faillir, ils fermaient les yeux, ignoraient mes appels à l’aide. Comment un être quasi-divin aurait-il pu s’effondrer ? C’était inacceptable. D’autres ne voyaient en moi qu’une créature sauvage à éliminer afin de restaurer un équilibre qui n’a jamais existé dans ce monde meurtrier qui ne doit son existence qu’au sang versé par les miens, qu’au sang versé par mes parents, par ma mère. Chassé, traqué telle une bête. C’est ainsi que je suis devenu un monstre aux yeux de tous. Toi mon frère, c’est ton admiration, ta fascination sans faille qui m’ont fait devenir ce que je suis devenu. Je voyais en toi mon égal, ma seule famille prête à me relever en cas d’échec, prête à me supporter dans les épreuves que je devais affronter et surtout prête à m’aimer pour ce que je suis vraiment, mais au final tu étais comme tous les autres, un fanatique face à son aîné divin. Vous, la garde, c’est votre trahison à mon égard qui m’a fait devenir ce que je suis devenu. Vous avez massacré les miens pour ce monde fait de traîtres, de meurtriers, et vous avez trahi ma confiance, et c’est pour cela que je veux vous voir disparaitre dans les feux de l’Enfer. Toi, ce monde qui m’a vu naître, tu m’as fait devenir ce que je suis devenu en exigeant si ardemment que mon sang vienne abreuver ta terre. Le sacrifice des miens ne t’a pas suffi, tu en veux plus. C’est pourquoi cette terre sanguinaire, meurtrière doit redevenir poussière. Aujourd’hui, je ne fais face qu’à des regards emplis de peur et de haine. Des regards amplement mérités pour le monstre que vous avez engendré.
Cependant, pour la première fois de ma vie, je ne vois que douceur, tendresse dans ce regard qui me fait face. Cela a le don de me perturber plus que je ne l’aurais pensé. Pourquoi me regarde-t-elle ainsi moi l’homme qui l’ait menacé à de multiples reprises ? Pourquoi me regarde-t-elle ainsi moi l’homme qui ait tenté de la tuer à Mémoria ? Pourquoi me regarde-t-elle ainsi moi l’homme qui ait cherché à tuer tous ceux qui lui sont proches ? Pourquoi me regarde-t-elle ainsi moi l’homme qui n’a pour seule raison de vivre que la destruction de ce monde assassin ? Pourquoi me regarde-t-elle ainsi moi, le monstre ?
Quelque chose s’opère en moi à cet instant. Je ne dois pas céder. C’est puissant, violent, bestial. Je ne dois pas céder. Ce sentiment, telle une flèche enflammée, vient se loger entre mes côtes, au fond de ma poitrine en faisant fondre le mur de glace protecteur que j’ai mis des années à ériger. Je ne dois pas céder. Je sens ce sentiment se propager en un feu ardent dans mes veines et brûler ma peau avec une douceur incommensurable. Je ne dois pas céder. Ce sentiment marque mon âme au fer rouge comme pour montrer que je lui appartiens. Je ne dois pas céder … même si au fond je sens que j’ai déjà perdu cette bataille.
Bon sang, que m’arrive-t-il ? Je ne peux me laisser aller à cette émotion qui m’est inconnue. Elle me rendra faible, je ne serai plus maître de ma volonté, je lui appartiendrai corps et âme. Je ne dois pas céder, ma raison me l’interdit, alors que tout en moi m’ordonne d’abandonner ce combat vain. Des bribes de doutes m’assaillent. Peut-être pourrais-je m’abandonner à ce sentiment, ne serait-ce qu’un instant, qu’une nuit. Le doute vient alors fissurer les remparts érigés par ma raison et c’est en raz-de-marée destructeur que ce sentiment prend le dessus sur moi.
Je franchis alors la distance qui nous sépare l’un de l’autre, l’attrape fermement par la nuque et pose mes lèvres sur les siennes. Je sens que le même combat auquel j’ai dû faire face se joue à l’intérieur d’elle, mes lèvres finissent de renverser les dernières barrières de sa raison. La raison capitule, au loin se meurent les échos du tocsin, les trompettes de l’armistice viennent clore les combats. Et c’est ensemble que nous nous saluons la victoire de ce sentiment nouveau, ce désir, cette passion qui nous anime au plus profond de nous. Le temps d’une nuit, sous les étoiles, là où seul le souffle du vent peut venir troubler la sérénité des lieux, elle a accepté d’être mienne et j’ai accepté d’être sien. Peu importe ce qu’il adviendra de nous dans les jours à venir, tout ce qui compte c’est ce moment, cet instant.